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11/10/2022 | FRANCE | N°22/01073

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre section jex, 11 octobre 2022, 22/01073


ARRÊT N°

du 11 octobre 2022







(B. P.)

















N° RG 22/01073

N° Portalis

DBVQ-V-B7G-FFX3







- M. [B] [Y]

- M. [V] [Y]



C/



M. [C]





































Formule exécutoire + CCC

le 11 octobre 2022

à :

- Me Pauline RACE

- la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST




COUR D'APPEL DE REIMS



CHAMBRE CIVILE



CONTENTIEUX DE L'EXÉCUTION



ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022



Appelants :

d'un jugement rendu par le Juge de l'exécution de REIMS le 10 mai 2022



1/ M. [B] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]



2/ M. [V] [Y]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]



Comparant, concluant et plaidant par Me Pauline RACE...

ARRÊT N°

du 11 octobre 2022

(B. P.)

N° RG 22/01073

N° Portalis

DBVQ-V-B7G-FFX3

- M. [B] [Y]

- M. [V] [Y]

C/

M. [C]

Formule exécutoire + CCC

le 11 octobre 2022

à :

- Me Pauline RACE

- la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE

CONTENTIEUX DE L'EXÉCUTION

ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022

Appelants :

d'un jugement rendu par le Juge de l'exécution de REIMS le 10 mai 2022

1/ M. [B] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

2/ M. [V] [Y]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Comparant, concluant et plaidant par Me Pauline RACE, avocat au barreau de REIMS

Intimé :

M. [R] [C]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Comparant, concluant et plaidant par Me Nathalie DEVARENNE, membre de la SELAS DEVARENNE ASSOCIES GRAND EST, avocat au barreau de REIMS

DÉBATS :

A l'audience publique du 13 septembre 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 11 octobre 2022, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l'article 786 du code de procédure civile, M. Benoît PETY, Président de chambre a entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ce magistrat en a rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Benoît PETY, Président de chambre

Mme Anne LEFEVRE, Conseiller

Mme Christel MAGNARD, Conseiller

GREFFIER lors des débats et du prononcé

Mme Sophie BALESTRE, Greffier

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour le 11 octobre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par M. Benoît PETY, Président de chambre, et Mme Sophie BALESTRE, Greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige, de la procédure et des prétentions des parties :

Un contrat de travail a été conclu le 20 octobre 2003 entre la SDF [B] [Y] [V] [Y] et M. [R] [C] dans le cadre de l'activité d'administrateur d'immeuble exercée par cette entité, MM. [B] et [V] [Y] exerçant par ailleurs en qualité d'huissiers de justice.

M. [C] a été licencié le 21 décembre 2007.

Par jugement du 1er avril 2010, le conseil de prud'hommes de Laon a annulé l'avertissement du 12 septembre 2007 et condamné la SCF [B] et [V] [Y] à payer à M. [C] les sommes de :

*dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 20 000 euros,

* indemnité compensatrice de préavis : 4 177,17 euros,

* congés payés y afférents : 417,71 euros,

* rappel sur mise à pied conservatoire : 910,91 euros,

* congés payés y afférents : 91,09 euros,

* indemnité légale de licenciement : 2 541,10 euros,

* dommages et intérêts pour licenciement irrégulier : 1 500 euros,

* dommages et intérêts pour préjudice moral et professionnel distinct : 10 000 euros,

* rappel de majoration pour heures supplémentaires : 1 090,14 euros,

* congés payés y afférents : 109,01 euros,

* article 700 du code de procédure civile : 2 000 euros.

Par arrêt du 20 septembre 2011, la cour d'appel d'Amiens a confirmé en toutes ses dispositions la décision précédente et condamné la société de fait [B] et [V] [Y] au paiement d'une indemnité de procédure de 2 000 euros, ainsi qu'aux dépens d'appel.

Par arrêt du 15 mars 2016, ladite cour, saisie à la requête de M. [C], a rectifié le précédent arrêt en remplaçant la société de fait [B] et [V] [Y] par la SDF [B] et [V] [Y].

Ne parvenant pas à faire exécuter ces titres, M. [C] a fait délivrer le 9 avril 2021 un commandement aux fins de saisie-vente à MM. [V] et [B] [Y], pris personnellement.

Par acte d'huissier du 10 mai 2021, MM. [B] et [V] [Y] ont fait assigner M. [C] devant le juge de l'exécution au tribunal judiciaire de Reims aux fins d'annulation des significations à toutes fins et commandements de payer aux fins de saisie-vente.

Ils sollicitaient par voie d'incident le rejet de certaines des pièces communiquées par le défendeur. Au fond, ils demandaient au juge de l'exécution de :

- Dire que M. [C] ne disposait pas d'un titre exécutoire à leur égard,

- Dire que l'exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 1er avril 2010 était prescrite,

- Constater la nullité des commandements aux fins de saisie-vente délivrés à leurs personnes le 9 avril 2021,

- En conséquence, annuler la signification à toutes fins délivrée et le commandement aux fins de saisie-vente délivrés à leurs personnes le 9 avril 2021,

- Débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes,

- Condamner M. [C] à leur verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [C] aux entiers dépens.

M. [C] pour sa part demandait au juge de l'exécution de :

- Joindre l'incident au fond,

- Débouter MM. [B] et [V] [Y] tant de l'incident qu'au fond,

- Valider la signification à toutes fins et le commandement aux fins de saisie-vente délivrés le 9 avril 2021 par la SCP [I] [M] à MM. [B] et [V] [Y],

- Condamner solidairement MM. [B] et [V] [Y] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- Les condamner solidairement à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner sous la même solidarité aux entiers dépens.

Par jugement du 10 mai 2022, le juge de l'exécution au tribunal judiciaire de Reims a notamment :

Sur l'incident,

- écarté des débats les pièces n°22, 24, 25, 30 et 35 comme soumises au secret professionnel,

- rejeté la demande tendant à voir écarter des débats les pièces n°14, 40 et 41,

Sur le fond,

- rejeté le moyen tiré de l'absence de titre exécutoire,

- rejeté le moyen tiré de la prescription de l'exécution du titre exécutoire,

- rejeté les exceptions de nullité des actes de signification et de commandement de payer aux fins de saisie-vente délivrés le 9 avril 2021 à MM. [B] et [V] [Y],

- condamné solidairement MM. [B] et [V] [Y] à payer à M. [C] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamné in solidum MM. [B] et [V] [Y] à verser à M. [C] une indemnité de procédure de 3 000 euros,

- condamné in solidum MM. [B] et [V] [Y] aux dépens de l'instance.

MM. [B] et [V] [Y] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 mai 2022, leurs recours portant sur l'entier dispositif de la décision querellée, à l'exception de celle écartant des débats cinq pièces transmises par M. [C].

En l'état de leurs écritures signifiées le 5 septembre 2022, les appelants demandent par voie d'infirmation à la cour de :

- Juger que M. [C] ne dispose pas de titre exécutoire à leur encontre,

- Juger que l'exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 1er avril 2010 est prescrite,

- Constater la nullité des commandements aux fins de saisie-vente délivrés à leur encontre le 9 avril 2021,

- En conséquence, annuler la signification à toutes fins et le commandement aux fins de saisie-vente délivrés le 9 avril 2021 à leurs personnes,

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté des débats les pièces n°22, 24, 25, 30 et 35 par M. [C] comme soumises au secret professionnel,

- Débouter M. [C] de l'intégralité de ses demandes et de tout appel incident,

- Condamner M. [C] à leur restituer les sommes appréhendées par la SCP [M] [I] pour son compte, soit 92 961,06 euros,

- Condamner M. [C] à leur régler la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner M. [C] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Au soutien de leurs demandes, les appelants font valoir que :

1. Le titre exécutoire dont se prévaut M. [C] à leur encontre a été rendu contre une société créée de fait, qui n'a aucune personnalité juridique. Aucune condamnation n'a donc été prononcée contre eux, pris personnellement,

2. Pour que les associés de la société créée de fait répondent des dettes de cette dernière, encore faut-il que celui qui se déclare créancier agisse contre les associés en cette qualité, la mise en oeuvre de leur responsabilité sociale impliquant que des actes personnels soient établis aux yeux de tous pour considérer qu'ils ont agi en qualité d'associés, ce qui n'est pas acquis,

3. Le juge de l'exécution a largement dépassé sa compétence d'attribution en rendant exécutoire contre eux un titre prononcé contre une société. Or, il n'est juridiquement pas possible de substituer un débiteur de l'exécution forcée à un autre,

4. Le titre exécutoire, c'est-à-dire le jugement prud'homal confirmé par arrêt de la cour d'Amiens, n'a pas été mis en oeuvre dans le délai décennal de l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, c'est-à-dire avant le 2 avril 2020. Il est donc prescrit faute d'interruption ou de suspension du délai en question, le commandement aux fins de saisie-vente du 15 février 2017 n'ayant aucun effet interruptif puisqu'il n'a pas être signifié, faute de débiteur existant,

5. L'empêchement d'exécuter le titre invoqué par M. [C] n'est pas utilement démontré, aucune suspension du délai n'étant acquise,

6. Les actes d'exécution qui leur ont été délivrés à titre personnel sont nuls, les commandements en question n'ayant aucune date. De surcroît, la lettre simple (article 658 du code de procédure civile) n'a pas été délivrée dans le délai requis, ce qui leur fait grief,

7. Les causes du commandement sont partiellement prescrites, ce qui est le cas de la créance d'intérêts légaux calculés depuis le 20 septembre 2011 pour un montant de 34 748,17 euros. Cette créance périodique est soumise à l'article 2224 du code civil. Les intérêts échus entre le 20 septembre 2011 et le 9 avril 2016 sont prescrits,

8. Considérant qu'ils ne sont pas concernés par le titre exécutoire et que leur responsabilité comme associés n'est pas encourue, MM. [Y] considèrent que leur résistance aux demandes de M. [C] n'est en rien abusive et qu'ils n'ont pas à régler au poursuivant une somme supplémentaire de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts,

9. Les cinq pièces écartées des débats par le premier juge sont couvertes par le secret professionnel et la confidentialité des échanges entre avocats, ce qui s'impose au magistrat. Le fait qu'il s'agisse de lettres de procédure n'y change rien,

10. La mise à exécution du titre dans le contexte de l'exécution provisoire assortissant le titre exécutoire invoqué par M. [C] s'est faite à ses risques et périls. L'infirmation du jugement entrepris le conduira à leur restituer les sommes versées, soit 92 961,06 euros.

* * * *

Par conclusions signifiées le 5 septembre 2022, M. [C] demande à la juridiction du second degré de:

- Confirmer l'ensemble des dispositions du jugement sauf celle ayant écarté des débats les pièces communiquées par ses soins et numérotées 22, 24, 25, 30 et 35,

- Le recevoir et le déclarer bien-fondé en son appel incident,

- Infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a écarté des débats les cinq pièces sus-visées, pièces régulièrement produites,

- Condamner in solidum MM. [V] et [B] [Y] à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de ses frais non répétibles engagés à hauteur de cour,

- Les condamner in solidum aux dépens tant de première instance que d'appel.

M. [C] développe au soutien des actes d'exécution qu'il a engagés les arguments qui suivent :

1. A aucun moment devant le conseil de prud'hommes de Laon ou la cour d'appel d'Amiens, ses adversaires n'ont soulevé la moindre objection relative à des poursuites exercées contre une société de fait [B] et [V] [Y]. Ils ont pourtant conclu pour son compte. Chacun d'eux est tenu personnellement envers les tiers (article 1872-1 du code civil). Les titres pris à l'encontre de la société de fait valent contre chaque associé pris personnellement,

2. La prescription du titre exécutoire n'est pas acquise dans la mesure où M. [C] a dû recourir aux service de pas moins de trois huissiers de justice pour faire exécuter le titre. Il lui a été impossible d'agir contre MM. [Y], compte tenu du comportement inadmissible de pas moins de deux huissiers qu'il avait mandatés dont Me [L]. Le point de départ du délai de dix ans ne correspond pas au jugement initial frappé d'appel. Un commandement aux fins de saisie-vente a été délivré le 15 février 2017 et a interrompu ce délai. A tout le moins, l'impossibilité d'agir correspondant à l'inaction de deux huissiers a suspendu ce délai,

3. Aucune des lettres échangées entre son conseil actuel et le précédent, Me Brun, n'est couverte par le secret professionnel ou la confidentialité puisque ces documents ne concernent qu'une seule et même partie. Le premier juge n'avait pas à les écarter des débats. Ces documents montrent les difficultés de Me Brun à récupérer les titres exécutoires confiés à Me [L] et qu'il a fallu de nouveau réclamer aux divers greffes, ce qui a pris beaucoup de temps,

4. Aucune nullité des actes régularisés par Me [I] ne saurait être retenue. Les significations sont intervenues à l'adresse indiquée dans les titres mis à exécution, soit au [Adresse 3]. Le commandement aux fins de saisie-vente est bien daté du 9 avril 2021. Les lettres simples ont bien été adressées par Me [I] le même jour.

6. Le juge de l'exécution a parfaitement apprécié la résistance abusive opposée par MM. [Y] tout au long de cette procédure. La sanction de dommages et intérêts arrêtés à 5 000 euros est amplement justifiée.

* * * *

L'instruction du dossier a été clôturée par ordonnance du 9 septembre 2021.

* * * *

Motifs de la décision :

- Sur les cinq pièces communiquées par M. [C] et écartées des débats par le premier juge :

Attendu qu'après avoir rappelé de façon exhaustive les règles du secret professionnel et de la confidentialité énoncées par l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, l'article 4 du décret du 12 juillet 2005 et les articles 2.1 et 2.2 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, le premier juge a écarté des débats les pièces n°22, 24, 25, 30 et 35 transmises par M. [C] qui s'apparentent à des correspondances entre avocats, pièces qui ne portent pas la mention 'officiel' ;

Que M. [C] conteste la décision du juge de l'exécution de Reims de ce seul chef et forme à ce titre appel incident, rappelant qu'il n'est pas tenu au secret professionnel contrairement à l'avocat et que les conseils qui échangent dans ces courriers représentent tous deux ses intérêts ;

Que les cinq pièces litigieuses correspondent de fait à des lettres ou e-mails échangés entre Me Brun et Me Devarenne au sujet de la mise à disposition du second des expéditions exécutoires des titres initiaux rendus par le conseil de prud'hommes de Laon et la cour d'appel d'Amiens ;

Que, dans la mesure où M. [C] n'en est pas rendu destinataire et que ces documents ne sont pas qualifiés d'officiels, ils sont couverts par le secret professionnel et la confidentialité et ne peuvent être communiqués aux présents débats quant bien même les avocats qui échangent par ces documents ont ou ont eu la charge des intérêts de M. [C] ;

Que le jugement déféré sera en cela confirmé en ce qu'il écarte des débats ces cinq pièces ;

- Sur l'opposabilité contestée du titre exécutoire à MM. [B] et [V] [Y] :

Attendu qu'il est établi à l'examen des trois décisions initialement rendues en faveur de M. [C] que tant le jugement prud'homal du 1er avril 2010 que les deux arrêts de la cour d'Amiens des 20 septembre 2011 et 15 mars 2016 mentionnent la SCF [B] et [V] [Y], appellation qui s'observe aussi sur le contrat de travail conclu entre les parties, mention étant ici faite de la SDF [B] [Y] et [V] [Y] comme sur les conclusions échangées, ce qui apparaît aussi sur la lettre d'avertissement du 12 septembre 2007, le reçu pour solde de tout compte remis à M. [C], ses feuilles de paie, etc. ;

Que la cour fait ce premier constant, à l'instar du reste du juge de l'exécution, que MM. [B] et [V] [Y] n'ont alors jamais soulevé la moindre difficulté relative à la présence de telles mentions dans ces actes, ce qui n'est apparu que bien plus tard lorsque des actes d'exécution forcée ont été délivrés à la requête du créancier ;

Attendu qu'il ne saurait être discuté qu'une société créée de fait ne peut être attraite devant une juridiction pour la simple raison qu'elle n'est pas dotée de la personnalité juridique ;

Que, pour autant, M. [C] n'est pas contraint à l'inaction pour obtenir l'exécution des titres prononcés en sa faveur en ce qu'il lui est loisible d'exécuter ces titres comme il le fait présentement contre MM. [B] et [V] [Y] au sens des dispositions de l'article 1872-1 du code civil, dispositions certes définies pour les sociétés en participation mais que l'article 1873 étend aux sociétés créées de fait ;

Qu'ainsi, il est constant que si les membres d'une société créée de fait, laquelle n'a pas la personnalité morale, ont agi en tant qu'associés au vu et au su des tiers, chacun d'eux est tenu envers ces derniers des obligations nées d'actes accomplis en cette qualité par l'un des autres, laissant en cela prospérer l'apparence d'une société entre eux, le titre rendu contre la société créée de fait pouvant être exécuté à leur encontre ;

Que telle est bien l'occurrence présente comme cela a été retenu par le premier juge dans la mesure où MM. [B] et [V] [Y] se sont présentés et fait connaître comme les associés d'une société non pas seulement par M. [C] mais aussi par toutes les instances juridictionnelles qui ont été saisies et qui ont été amenées à rendre des décisions à leur encontre, les feuilles de paie remises au salarié avec mention de la société [B] et [V] [Y] suggérant qu'une telle information ait aussi été portée à la connaissance des divers organismes sociaux ou de recouvrement des charges sociales ;

Que MM. [B] et [V] [Y] ne peuvent utilement nier cette réalité dont il se déduit que les titres exécutoires obtenus en 2010 et 2011 peuvent donner lieu à exécution à leur égard comme l'a justement apprécié le juge de l'exécution sans qu'il soit pour autant démontré que celui-ci soit sorti des limites de sa compétence matérielle, son office lui imposant de régler une difficulté d'exécution à l'occasion de la pratique d'une mesure d'exécution forcée, ce qui est bien le contexte de l'espèce ;

Que le jugement déféré sera en cela confirmé ;

- Sur la prescription alléguée du titre exécutoire :

Attendu que l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution énonce en son premier alinéa que l'exécution des titres exécutoires [---] ne peut être poursuivie que pendant dix ans, sauf si les actions en recouvrement de créances qui y sont constatées se prescrivent par un délai plus long ;

Attendu, dans un premier temps, que les parties s'opposent sur le point de départ de ce délai décennal, M. [C] estimant qu'il faut faire courir le délai à la date de l'arrêt de la cour d'Amiens du 20 septembre 2011, MM. [Y] alléguant au contraire que c'est la date du jugement prud'homal du 1er avril 2010 qui compte, sinon sa signification ;

Qu'il convient de rappeler que le principe en la matière est que le point de départ du délai de prescription du titre exécutoire correspond au titre, étant précisé en l'occurrence que le jugement frappé d'appel était exécutoire par provision comme il résulte explicitement du dispositif de cette décision, l'arrêt de la cour d'Amiens ayant en tout confirmé le dispositif de la décision de première instance, lui conférant par ce biais toute son effectivité ;

Que c'est donc de manière justifiée que le juge de l'exécution fait démarrer le délai de prescription de dix ans au 2 avril 2010 pour le faire correspondre à la notification de la décision par le greffe du conseil de prud'hommes, de sorte que ce délai est réputé venir à expiration le 2 avril 2020, sauf interruption ou suspension ;

Attendu, sur la question de l'interruption ou de la suspension du délai décennal de prescription du titre exécutoire, qu'il s'avère que M. [C] a fait régulariser le 15 février 2017 par Me [G] [L], huissier de justice à [Localité 4], un commandement aux fins de saisie-vente à délivrer à la SCF [Y] [B] et [Y] [V], l'acte en question ayant été converti par l'huissier mandaté en procès-verbal de difficultés, la société visée n'ayant aucune existence juridique et légale, n'étant pas répertoriée aux services Infogreffe ni connue à l'adresse du [Adresse 3] ;

Que c'est à raison que le premier juge a considéré que cet acte ne pouvait interrompre le délai de prescription en cours, étant précisé que, contrairement au commandement aux fins de saisie-vente du 9 avril 2021, l'acte de Me [L] du 15 février 2017 n'a pas été régularisé à l'encontre des mêmes débiteurs ;

Attendu que, sur la question de la suspension du délai décennal de prescription, M. [C] expose, au sens des dispositions de l'article 2234 du code civil, qu'il s'est trouvé face à une impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la force majeure, ce qu'il décrit en dénonçant le comportement inadmissible de deux huissiers de justice, Mes [K] et [L], mais aussi l'égarement par les professionnels du droit des expéditions exécutoires des titres qu'il a fallu réclamer à nouveau aux juridictions concernées, par surcroît en pleine période de crise sanitaire, ce qui a pris beaucoup de temps ;

Que MM. [Y] réfutent toute suspension du délai décennal de prescription dans la mesure où M. [C] est resté à leurs dires inactif pendant plus de six ans et demi et que Me [L], deuxième huissier de justice mandaté par ses soins lui a bien proposé le 3 juillet 2017 de délivrer un commandement à leurs personnes respectives, ce qui n'a manifestement pas été suivi de directives de la part du mandant ;

Que la cour entend rappeler que l'impossibilité d'agir doit faire suite à un empêchement résultant notamment de la force majeure, ce qui impose, pour être retenue, que M. [C] démontre à ce sujet l'extériorité, l'imprévisibilité et l'irrésistibilité des événements l'ayant contraint à l'inaction ;

Qu'à ce propos, le premier juge reprend par le détail dans la motivation de son jugement (en pages 7 et 8) les événements qui se sont succédé depuis le jugement prud'homal du 1er avril 2010 jusqu'à la signification le 9 juillet 2021 à MM. [B] et [V] [Y] des trois décisions utiles et des commandements aux fins de saisie-vente ;

Qu'il importe cependant de définir très précisément au cours de la période précitée quels événements revêtant les caractéristiques de la force majeure ont empêché M. [C] d'agir, ce que la cour n'entend retenir qu'au titre du refus de Me [L] de délivrer commandement à MM. [B] et [V] [Y] après que le conseil du créancier lui en a officiellement donné le mandat, soit à compter de l'e-mail de Me Devarenne adressé à Me [L] le 9 juillet 2019, ce qui n'a été suivi d'aucune exécution de la part de cet officier ministériel, le second événement dont M. [C] a subi les effets néfastes consistant en la perte des titres exécutoires et dûment réclamés par Me Devarenne à Me Brun, son prédécesseur en charge des intérêts du créancier, outre la difficulté d'en obtenir de nouvelles expéditions exécutoires de la part des greffes, essentiellement de celui du conseil de prud'hommes de Laon ;

Qu'ainsi, M. [C], pour des raisons qui lui ont bien été extérieures, irrésistibles et imprévisibles, n'a pu agir à minima entre le 9 juillet 2019 et le 10 décembre 2020, soit un délai de 17 mois qu'il importe de faire courir à compter du 2 avril 2010, ce qui porte l'expiration du délai de prescription du titre au 2 septembre 2021 ;

Que les actes de signification des titres et de commandements aux fins de saisie-vente délivrés aux deux débiteurs le 9 avril 2021 sont en cela régularisés dans les temps sans qu'aucune fin de non-recevoir soit utilement opposable à M. [C], la décision entreprise étant aussi confirmée à ce titre ;

- Sur la nullité alléguée des actes délivrés le 9 juillet 2021 :

Attendu que MM. [B] et [V] [Y] opposent à M. [C] la nullité des actes régularisés le 9 avril 2021 par Me [I] en ce que les commandements ne portent pas de date, qu'ils ont été délivrés comme la signification des titres exécutoires au [Adresse 3], soit l'adresse de l'étude d'huissiers, la lettre prévue à l'article 658 du code de procédure civile ayant été envoyée avec retard, soit autant de chefs de nullité de ces actes qui leur font selon eux forcément grief ;

Que M. [C] maintient que les commandements délivrés le 9 avril 2021 sont parfaitement datés, que l'huissier instrumentaire a procédé à la signification des actes à l'adresse mentionnée sur les titres exécutoires, les actes querellés mentionnant bien que la lettre simple a été envoyée dans le délai légal, aucun grief n'étant caractérisé puisque les destinataires de ces actes ont dûment saisi dans les temps le juge de l'exécution ;

Attendu que la cour relève dans un premier temps que le commandement aux fins de saisie-vente délivré à M. [V] [Y] porte bien la date du 9 avril 2021 en première page de l'acte ainsi que le procès-verbal de remise, celui délivré à M. [B] [Y] ne portant que cette date en page de procès-verbal de remise, ce qui suffit à dater le commandement, la date de sa remise étant forcément celle de l'acte ;

Que chaque acte mentionne explicitement que la lettre simple prévue à l'article 658 du code de procédure civile a été adressée dans le délai légal, ce qui suffit à établir que la procédure décrite à l'article 658 du code de procédure civile a été respectée, les développements de MM. [Y] sur le samedi jour ouvrable et l'envoi de cette lettre seulement le 12 avril étant sans portée utile ;

Qu'enfin, s'il est exact que les actes ont tous été délivrés au [Adresse 3], ce qui est l'adresse de l'étude d'huissiers [Y] mais nullement celle des destinataires pris cette fois en leur qualité personnelle, ce qui constitue assurément une irrégularité, la cour observe que les deux débiteurs ont saisi le juge de l'exécution au tribunal judiciaire de Reims dès le 10 mai 2021, aucune tardiveté ne leur ayant été opposée par M. [C] ;

Que la circonstance que des membres du personnel de l'étude d'huissiers aient pu ouvrir et lire les documents signifiés et qui concernaient MM. [B] et [V] [Y] à titre personnel ne peut caractériser le préjudice allégué s'agissant de simples supputations émises par les appelants, le fait qu'ils n'aient pas immédiatement reçu l'information des commandements et qu'ils aient été privés de toute possibilité d'exécution immédiate de ces commandements n'apparaissant que peu convaincant alors que les débiteurs sont de fait dûment informés depuis des années de leur qualité de débiteur envers M. [C] et qu'ils n'ont versé les sommes mises à leur charge par les titres exécutoires qu'une fois notifié le jugement déféré revêtu de l'exécution provisoire, les fonds étant actuellement séquestrés sur un compte CARPA ;

Que la cour considère que les griefs invoqués ne sont pas utilement démontrés de telle sorte qu'aucun motif de nullité ne pourra prospérer, la décision dont appel étant également confirmée à ce sujet ;

- Sur la prescription partielle de la créance d'intérêts :

Attendu que MM. [B] et [V] [Y] rappellent les dispositions de l'article 2224 du code civil pour opposer à M. [C] la prescription quinquennale de la créance d'intérêts de retard calculée sur le principe tel que fixé par les titres exécutoires, moyen auquel s'oppose l'intimé ;

Attendu que la créance d'intérêts échus et calculés sur le principal fixé par une décision de justice s'apparente à une créance périodique elle-même soumise à la prescription en l'espèce quinquennale de l'article 2224 du code civil de telle sorte que ces intérêts ne sont dus, sauf interruption ou suspension, qu'entre le 9 avril 2016 et le 9 avril 2021, ce qui est échu antérieurement étant prescrit ;

Que, dans la mesure où la cour, dans les développements relatifs à la prescription du titre exécutoire, n'a entendu retenir qu'une cause de suspension de la prescription entre les 9 juillet 2019 et 10 décembre 2020, celle-ci ne saurait interférer sur le cours des intérêts moratoires antérieurs au 9 juillet 2016, lesquels sont définitivement prescrits sans que cette circonstance rende nul le commandement de payer délivré à chaque débiteur, ce en quoi le jugement déféré est confirmé, précision devant être ajoutée au jugement déféré que la créance d'intérêts de retard de M. [C] est éteinte comme prescrite pour ceux des intérêts échus antérieurement au 9 avril 2016 ;

- Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive sollicités par M. [C] :

Attendu que l'issue de l'instance devant la cour établit que l'argumentation développée par MM. [B] et [V] [Y] n'a pas été complètement vaine dans la mesure où une partie non négligeable de la créance est réduite au titre des intérêts moratoires ;

Que, par ailleurs, il ne peut être négligé que toute la difficulté du dossier résulte de ce qu'à l'origine, des titres exécutoires ont été requis en justice contre une entité par définition dépourvue de toute personnalité juridique, ce qui en soi n'a pas été le fait des consorts [Y] ;

Que la cour n'entend donc pas suivre le premier juge qui a condamné MM. [B] et [V] [Y] à verser à M. [C] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts, ce dernier étant débouté de sa demande indemnitaire connexe et la décision entreprise infirmée sur cette question ;

- Sur la demande de restitution des fonds appréhendés par Me [I] :

Attendu que les fonds dont MM. [B] et [V] [Y] sont débiteurs envers M. [C] sont à ce jour versés sur un compte de la CARPA, ces fonds pour 92 961,06 euros n'ayant pas été 'appréhendés' par Me [I] dans la mesure où de simples commandements ont été délivrés et il n'est pas justifié de ce que des procès-verbaux de saisie-vente aient ensuite été dressés ;

Qu'il n'y a donc pas lieu d'ordonner restitution par M. [C] ou l'huissier de justice qu'il a mandaté d'une somme de 92 961,06 euros, ce dont les appelants seront déboutés ;

- Sur les dépens et les frais non répétibles ;

Attendu que M. [C] obtenant majoritairement le gain de ses demandes au détriment de MM. [B] et [V] [Y] qui succombent à titre principal, il importe de laisser à ces derniers la charge entière des dépens d'appel et de première instance, la décision dont appel étant en cela confirmée ;

Que l'équité justifie l'indemnité de procédure de 3 000 euros arrêtée par le premier juge au profit de M. [C] de sorte que sa décision sera aussi confirmée de ce chef, cette même considération conduisant à fixer en faveur de M. [C] une indemnité de 5 000 euros du chef de ses frais irrépétibles exposés à hauteur de cour, les appelants étant déboutés de leur propre prétention indemnitaire exprimée au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

* * * *

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf celle relatives aux dommages et intérêts pour résistance abusive arrêtée en faveur de M. [R] [C] à l'encontre de MM. [B] et [V] [Y] ;

Infirmant et prononçant à nouveau de ce seul chef,

- Déboute M. [R] [C] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Y ajoutant,

- Dit éteinte comme prescrite la créance de M. [R] [C] d'intérêts moratoires échus antérieurement au 9 avril 2016 en exécution du jugement du conseil de prud'hommes de Laon du 1er avril 2010 ;

- Condamne in solidum MM. [B] et [V] [Y] aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à verser à M. [R] [C] une indemnité de procédure à hauteur de cour d'un montant de 5 000 euros ;

- Déboute MM. [B] et [V] [Y] de leur propre demande indemnitaire exprimée à hauteur de cour au visa de l'article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier. Le Président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre section jex
Numéro d'arrêt : 22/01073
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;22.01073 ?
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