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30/09/2022 | FRANCE | N°21/01625

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre sect.famille, 30 septembre 2022, 21/01625


N° RG : 21/01625

N° Portalis :

DBVQ-V-B7F-FBQP



ARRÊT N°

du : 30 septembre 2022









Ch. M.

















M. [J] [W]



C/



Mme [G] [B]





















Formule exécutoire le :



à :



Me Philippe Boucher

Me Sylvie Riou-Jacques













COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SEC

TION II



ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022





APPELANT AU PRINCIPAL ET INTIMÉ INCIDEMMENT :

d'un jugement rendu le 11 mars 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières (RG 18/01742)



M. [J] [W]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Comparant, concluant et plaidant par Me Philippe Boucher, membre de l...

N° RG : 21/01625

N° Portalis :

DBVQ-V-B7F-FBQP

ARRÊT N°

du : 30 septembre 2022

Ch. M.

M. [J] [W]

C/

Mme [G] [B]

Formule exécutoire le :

à :

Me Philippe Boucher

Me Sylvie Riou-Jacques

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2022

APPELANT AU PRINCIPAL ET INTIMÉ INCIDEMMENT :

d'un jugement rendu le 11 mars 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières (RG 18/01742)

M. [J] [W]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Comparant, concluant et plaidant par Me Philippe Boucher, membre de la SELARL Jurilaw avocats conseils, avocat au barreau des Ardennes

INTIMÉE AU PRINCIPAL ET APPELANTE INCIDEMMENT :

Mme [G] [B]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Comparant, concluant et plaidant par Me Sylvie Riou-Jacques, membre de la SCP Ledoux - Ferri - Riou-Jacques - Touchon - Mayolet, avocat au barreau des Ardennes

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Pety, président de chambre

Mme Lefèvre, conseiller

Mme Magnard, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Mme Roullet, greffier, lors des débats et du prononcé

DÉBATS :

À l'audience publique du 7 juillet 2022, le rapport entendu, où l'affaire a été mise en délibéré au 30 septembre 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. Pety, président de chambre, et par Mme Roullet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Par acte reçu par Me [H], notaire à [Localité 5], le 27 février 2009, M. [J] [W] et Mme [G] [B], concubins, ont acquis, chacun pour moitié indivise, de M. et Mme [S], un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie exploité à [Localité 1] [Adresse 3].

- 2 -

Cette acquisition s'est réalisée pour un prix en principal de 265 000 euros, et a été financée par la souscription par M. [W] de deux emprunts auprès du Crédit Agricole, garantis à concurrence de 25%, par le cautionnement solidaire de Mme [B].

Le couple s'est séparé l'année suivante.

Par acte en date du 5 février 2013, Mme [B] a fait assigner M. [W] aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 122 394 euros au titre de ses droits aux bénéfices issus de ce fonds de commerce indivis pour la période allant de mars 2009 à septembre 2012.

Par jugement en date du 31 août 2017, elle a été déclarée irrecevable en cette demande.

Sur appel de Mme [B], la cour, par arrêt du 14 septembre 2018, l'a déboutée de ses demandes au titre de ses droits à bénéfice, en ce compris sous forme provisionnelle, aux motifs que ceux-demeuraient incertains (compte tenu des contestations portant sur les droits respectifs des parties sur le fonds de commerce et ses fruits, et des créances dont M. [W] faisait état).

Par acte d'huissier en date du 28 septembre 2018, M. [W] a saisi le juge aux affaires familiales d'une action tendant au partage judiciaire, en précisant que l'actif de l'indivision était constitué de ce fonds de commerce artisanal de boulangerie-pâtisserie acquis pour 265 000 euros en 2009, que le passif de l'indivision était constitué de l'ensemble des prêts d'achat et d'investissements remboursés, depuis l'origine, par lui seul. Compte tenu de la fin du concubinage intervenu 15 mois après l'acquisition du fonds, de la nature de l'actif, de la rémunération salariale perçue par Mme [B] durant cette période, des remboursements des prêts exclusivement par lui, il sollicitait l'attribution du fonds, aucune soulte n'étant due à Mme [B].

Aux termes de ses dernières conclusions en date du 20 mars 2020, M. [W] demandait au juge :

- de prononcer le partage judiciaire de l'indivision existant entre lui et Mme [B],

- compte tenu depuis l'origine du financement du remboursement des prêts, du développement d'activité par lui uniquement et de l'absence totale de participation financière de Mme [B], de fixer le montant de sa créance sur l'indivision à un montant égal à la valeur du fond,

- pour la nécessité de l'établissement du partage et de son enregistrement, fixer la valeur du fonds à la somme de 400 000 euros maximum et sa créance sur l'indivision à un montant identique,

- fixer le montant de la rémunération de l'activité de M. [W] à hauteur des résultats d'exploitation annuels,

- attribuer à M. [W] le fond de commerce de boulangerie-pâtisserie,

- subsidiairement, ordonner la licitation du fonds de commerce sur une mise à prix de 350 000 euros, avec faculté de baisse d'un quart, puis d'un tiers, par tel professionnel que le tribunal désignera,

- débouter Mme [B] de toutes ses demandes,

- ordonner le partage par moitié des frais d'enregistrement,

- partager les dépens par moitié.

Aux termes de ses conclusions du 26 août 2020, Mme [B] demandait au juge :

- 3 -

- d'ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision,

- de constater son accord pour qu'à l'occasion des opérations de partage, le fonds de commerce soit attribué à M. [W],

- en conséquence, de dire que M. [W] bénéficie de l'attribution du fonds de commerce,

- de dire qu'elle peut prétendre à la moitié des bénéfices générés par l'exploitation du fonds de commerce, sous déduction d'un droit à rémunération auquel M. [W] peut prétendre sur la base des dispositions de la convention collective applicable,

- de dire qu'elle peut prétendre à la moitié de la valeur du fonds de commerce selon évaluation à la date la plus proche du partage,

- pour le surplus, avant dire droit, au visa des dispositions de l'article 1362 du code civil, d'ordonner une expertise judiciaire confiée à un expert-comptable afin de déterminer les bénéfices générés par l'exploitation du fonds de commerce depuis son acquisition par l'indivision, et la valeur actuelle du fonds de commerce,

- de débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes,

- de le condamner à lui payer la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure pénale et aux entiers dépens de l'instance.

Par jugement en date du 11 mars 2021, le juge aux affaires familiales de Charleville-Mézières a :

- ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision sur le fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie exploité à [Localité 1] [Adresse 3],

- dit n'y avoir lieu à attribution préférentielle, les indivisaires étant concubins,

- ordonné, à défaut de vente amiable, préalablement aux opérations et pour y parvenir la licitation du fonds de commerce indivis,

- dit qu'en conséquence, à la requête de Mme [B] ou de M. [W], et en présence des parties ou celles-ci dûment appelées, il sera procédé à la vente sur licitation au tribunal judiciaire de Charleville-Mézières, sur le cahier des charges qui sera dressé par Me [M], notaire à [Localité 1], après accomplissement des formalités prescrites par la loi pour la vente sur licitation du fonds précité,

- fixé la mise à prix à la somme de 400 000 euros, avec faculté de baisse d'un quart puis d'un tiers si besoin,

- rejeté la demande de Mme [B] au titre de la moitié des bénéfices générés par l'exploitation du fonds,

- dit que la rémunération de M. [W] au titre de sa gestion en vertu de l'article 815-12 du code civil recouvre l'intégralité des produits nets de sa gestion, autrement dit le cumul des résultats d'exploitation annuels,

- dit n'y avoir lieu à expertise comptable,

- rejeté la demande de M. [W] tendant à voir fixer sur l'indivision une créance égale à la valeur du fonds et visant à voir fixer pour la nécessité de l'établissement du partage et de son enregistrement la valeur du fonds à la somme de 400 000 euros maximum et la créance de M. [W] sur l'indivision à un montant identique,

- dit que le prix du fonds de commerce sera partagé par moitié entre les indivisaires, déduction faite des frais de vente et d'enregistrement qui seront supportés par moitié,

- condamné M. [W] à verser à Mme [B] la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [W] et Mme [B], chacun, à supporter la moitié des dépens.

- 4 -

M. [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision suivant déclaration du 9 août 2021, recours portant sur les dispositions ayant :

- dit n'y avoir lieu à attribution préférentielle, les indivisaires étant concubins,

- ordonné, à défaut de vente amiable, préalablement aux opérations et pour y parvenir, la licitation du fonds de commerce indivis,

- dit qu'en conséquence, à la requête de Mme [B] ou de M. [W] et en présence des parties ou celles-ci dûment appelées, il sera procédé à la vente sur licitation au tribunal judiciaire de Charleville-Mézières, sur le cahier des charges qui sera dressé par Me [M], après accomplissement des formalités prescrites par la loi pour la vente sur licitation du fonds précité,

- fixé la mise à prix à la somme de 400 000 euros avec faculté de baisse d'un quart puis d'un tiers si besoin,

- rejeté la demande de M. [W] tendant à voir fixer sur l'indivision une créance égale à la valeur du fonds pour la nécessité de l'établissement du partage et de son enregistrement, à la somme de 400 000 euros maximum et la créance de M. [W] sur l'indivision à un montant identique,

- dit que le prix du fonds de commerce sera partagé par moitié entre les indivisaires, déduction faite des frais de vente et d'enregistrement qui seront supportés par moitié,

- condamné M. [W] à verser à Mme [B] la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [W] et Mme [B] à supporter chacun la moitié des dépens.

Aux termes de ses conclusions du 28 février 2022, M. [W] demande à la cour d'infirmer le jugement des chefs d'appel, et statuant à nouveau :

à titre principal :

- de constater l'accord de Mme [B] sur la conservation du fonds par M. [W],

- de fixer la valeur du fond à la somme de 400 000 euros, l'attribuer à M. [W] et constater dans ce cas, tous autres éléments confondus (répartition du prix, bénéfices, rémunération, créance ...), l'accord de M. [W] pour abandonner le solde lui revenant,

subsidiairement,

- de confirmer la rémunération de l'activité de M. [W],

- de fixer le montant de la créance de M. [W] sur l'indivision à un montant de 1 153 902,20 euros avant revalorisation de la somme de 297 000 euros, montant du prix payé, à hauteur de la valeur du fonds,

très subsidiairement,

- d'ordonner la licitation du fonds de commerce sur une mise à prix de

400 000 euros, avec faculté de baisse d'un quart puis d'un tiers, par tel professionnel que la cour pourra désigner,

- d'ordonner la répartition du prix de vente du fonds entre les indivisaires, déduction faite de la totalité de la créance de M. [W] sur l'indivision et de sa rémunération,

- dans tous les cas, de débouter Mme [B] de toutes ses demandes,

- d'ordonner le partage par moitié des frais d'enregistrement,

- de condamner Mme [B] en tout dépens.

- 5 -

Par conclusions du 17 janvier 2022, Mme [B] demande à la cour de confirmer la décision en ce qu'elle a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision, fixé ses droits à la moitié de la valeur du fonds, et condamné M. [W] à lui verser la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle demande de réformer la décision pour le surplus et, statuant à nouveau de :

- constater son accord pour que, à l'occasion des opérations de partage, le fonds de commerce soit attribué à M. [W] qui en formule la demande,

- en conséquence dire qu'il bénéficiera de l'attribution du fonds de commerce,

- dire qu'elle peut prétendre à la moitié des fruits générés par l'exploitation du fonds de commerce, sous déduction d'un droit à rémunération à compter de juin 2018 auquel M. [W] peut prétendre sur la base des dispositions de la convention collective applicable ou, subsidiairement, sur la base d'un montant qui devra nécessairement être chiffré, les droits à rémunération de Mme [B] relevant de la compétence du conseil des prud'hommes,

- dire qu'elle peut prétendre à la moitié de la valeur du fonds de commerce selon évaluation à la date la plus proche du partage,

- pour le surplus, avant dire droit, au visa des dispositions de l'article 1362 du code de procédure civile, ordonner une expertise judiciaire confiée à un expert-comptable afin de déterminer :

. les bénéfices générés par l'exploitation du fonds de commerce depuis son acquisition par l'indivision,

. la valeur actuelle du fonds de commerce,

y ajoutant,

- condamner M. [W] à lui payer la somme de 5 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre aux entiers dépens de l'instance avec distraction au profit de son conseil,

- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 juin 2022.

* * * *

Motifs de la décision :

À titre liminaire, la cour rappelle, qu'en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, elle ne connaît que des seules prétentions émises au dispositif, de sorte qu'elle n'est pas saisie du moyen d'irrecevabilité formulé par Mme [B] (relatif à la demande de créance sur l'indivision formée par M. [W] pour la première fois en cause d'appel), qui n'est pas expressément repris dans le dispositif de ses écritures.

I- Sur les droits des parties sur le fonds de commerce et son sort :

L'acte notarié d'acquisition du fonds de commerce par M. [W] et Mme [B], en date du 27 février 2009, mentionne une acquisition chacun pour moitié indivise.

- 6 -

Il est constant, en application des dispositions des articles 815 et 1134 du code civil, que les acquéreurs d'un bien en indivision en acquièrent la propriété, chacun dans les proportions indiquées, quelles qu'en soient les modalités de financement.

Il en résulte qu'en l'espèce, et quand bien même M. [W], seul emprunteur, a effectivement remboursé seul les prêts afférents à l'acquisition de ce fonds, les parties voient leurs droits fixés conformément aux mentions de l'acte, c'est-à-dire, en l'espèce, chacun pour moitié.

M. [W] ne peut donc valablement soutenir qu'ayant réglé seul les emprunts afférents à l'acquisition du fonds de commerce, ce fonds doit lui revenir pour 100% de sa valeur.

Par conséquent (et indépendamment des questions de créances ou d'indemnités qui seront examinées ci-dessous), Mme [B] a droit à la moitié de la valeur du fonds de commerce, ce en quoi le premier juge est confirmé.

Le premier juge a ordonné la licitation du fonds de commerce indivis, sur une mise à prix de 400 000 euros en relevant :

- d'une part, que l'attribution préférentielle ne trouvait pas à s'appliquer dans le cas de concubins,

- d'autre part, qu'en l'absence d'accord global sur les termes d'une cession de la part de Mme [B] au profit de M. [W], seule une licitation pouvait permettre de sortir de l'indivision.

À hauteur de cour, si Mme [B] donne son accord pour la conservation du fonds par M. [W], dont il constitue l'outil de travail, les parties s'opposent toujours sur les modalités.

M. [W] demande, à titre principal, que la valeur du fonds soit fixée à 400 000 euros, tandis que Mme [B] sollicite la réalisation d'une expertise comptable.

Il est constant que le fonds de commerce doit s'évaluer à la date la plus proche du partage.

En l'espèce, le fonds de commerce, en son état actuel, n'a plus rien à voir avec ce qu'il était lorsqu'il a été acquis par les parties.

En effet, il n'est pas contesté que, lors de l'acquisition du fonds de commerce par les concubins en 2009, étaient employés trois salariés (un boulanger, un pâtissier, une vendeuse à temps complet).

Au jour d'aujourd'hui, il comprend 29 salariés selon les indications non contestées de M. [W], qui a développé le fonds, dans des proportions très importantes, notamment en contractant de nouveaux prêts.

Au vu des bilans produits, il apparaît que le bénéfice de l'entreprise (résultat net) était de :

. 62 308,38 euros au 30 septembre 2010,

. 62 841,25 euros au 30 septembre 2011,

. 68 759,76 euros au 30 septembre 2012,

. 72 476,73 euros au 30 septembre 2013,

- 7 -

. 134 913,28 euros au 30 septembre 2014,

. 166 784,99 euros au 30 septembre 2015,

. 98 185,93 euros au 30 septembre 2016,

. 154 472,61 euros au 30 septembre 2017,

. 109 826,70 euros au 30 septembre 2018,

. 148 786,52 euros au 30 septembre 2019,

. 147 448,37 euros au 30 septembre 2020.

Ces bilans traduisent le développement important du fonds de commerce, sous la gestion de M. [W].

Par un courrier du 1er décembre 2016, ce dernier, par l'intermédiaire de son conseil, avait proposé à Mme [B] de lui racheter sa part pour une somme de 150 000 euros, signe qu'il évaluait alors le fonds de commerce à 300 000 euros.

Dans un courrier du 5 août 2015 adressé à M. [W], l'Association de Gestion et de Comptabilité de la Boulangerie Pâtisserie et des Entreprises de Champagne Ardenne a proposé une évaluation, tenant compte des éléments comptables des exercices clos de 2011 à 2014, pour un montant de 400 000 à 450 000 euros.

Une autre évaluation est produite par Mme [B], en date du 30 juin 2016. La société d'expertise comptable Fizalys, au vu du chiffre d'affaires des trois derniers exercices connus, détermine la valeur du fonds de commerce à 509 446 euros.

Compte tenu de la particularité d'un tel fonds de commerce, la licitation est le moyen le plus pertinent pour en connaître la valeur, qui ne peut que résulter de la loi de l'offre et de la demande, M. [W] soulignant à juste titre que «la valeur d'un fonds n'est jamais que celle qu'un éventuel acquéreur accepterait de payer».

En outre, et par hypothèse, la vente sur licitation présente aussi l'avantage certain de déterminer la valeur du fonds à la date la plus proche du partage.

Il n'apparaît donc pas utile de recourir à une expertise comptable, laquelle, au demeurant, augmenterait inutilement la durée de la présente procédure.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de faire droit à la demande subsidiaire présentée par M. [W], et de confirmer le premier juge en ce qu'il a ordonné la licitation, pour le montant susvisé qui apparaît pertinent au regard des éléments communiqués.

La décision est également confirmée en ce qu'elle dit que le prix du fonds de commerce sera partagé par moitié entre les deux indivisaires, déduction faite des frais de vente et d'enregistrement qui seront supportés par moitié.

M. [W] est par conséquent débouté de ses demandes afférentes à la fixation de la valeur du fonds de commerce et Mme [B] déboutée de sa demande d'expertise, ce en quoi le jugement est également confirmé.

II- Sur la question du partage des fruits et des éventuelles «créances» :

- 8 -

Par application de l'article 815-12 du code civil, l'indivisaire qui gère un ou plusieurs biens indivis est redevable des produits nets de sa gestion. Il a droit à une rémunération de son activité, dans les conditions fixées à l'amiable, ou, à défaut, par décision de justice.

Par application de l'article 815-13, lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité au regard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation.

Il est constant, en application de ces textes, que l'activité d'un indivisaire gérant d'un fonds de commerce ne peut être assimilée à une dépense d'amélioration dont le remboursement donnerait lieu à application de l'article 815-13, et que la plus-value apportée à ce fonds, constatée au jour du partage et qui accroît à l'indivision, donne lieu à rémunération de la gérance par application de l'article 815-12, rémunération dont le juge apprécie souverainement le montant.

Il résulte des articles 815-10 et 815-11 que Mme [B] est en droit de recueillir la moitié des fruits issus du bien indivis, comme l'est M. [W], puisqu'ils en sont propriétaires chacun pour moitié indivise comme il a été déterminé ci-avant.

Mme [B] sollicite ce bénéfice, sous déduction du droit à rémunération auquel M. [W] peut prétendre, et demande que les bénéfices générés par l'exploitation du fonds depuis son acquisition soient déterminés par le biais d'une expertise comptable.

Il n'est toutefois par sérieusement contestable que M. [W] a, depuis l'origine, géré et développé ce fonds, seul, sans participation aucune de Mme [B], que ce soit au plan financier ou par son activité personnelle, ce qu'elle ne conteste d'ailleurs pas.

Si Mme [B] fait valoir que sa qualité d'employée à temps partiel, du temps de la vie commune, ne correspondait en rien aux tâches multiples qu'elle effectuait dans la réalité, il ressort des indications des parties qu'une instance prud'homale est actuellement en cours sur cette question. En effet, par jugement du 5 février 2021, le conseil des prud'hommes de Charleville-Mézières a sursis à statuer sur les demandes salariales de Mme [B] dans l'attente de l'issue de la présente procédure, «le litige portant sur l'établissement des comptes de l'indivision liant Mme [B] à M. [W] étant susceptible d'éclairer la juridiction prud'homale sur le statut salarial de Mme [B]».

En tout état de cause, cette question est très annexe et peu pertinente au regard du présent débat, qui porte sur les nombreuses années (2010 jusqu'à ce jour) au cours desquelles seul M. [W] a contribué à l'accroissement du fonds, étant souligné de surcroît que les parties se sont séparées 15 mois seulement après l'acquisition de ce fonds de commerce (acquisition en date du 27 février 2009, séparation en mai 2010).

Dans ce contexte, la plus-value apportée au fonds de commerce résulte assurément de la seule activité de M. [W], par ses multiples investissements, choix, industrie personnelle, savoir-faire professionnel, etc.

Au regard des textes susvisés, il n'y a donc pas lieu de raisonner, comme le fait M. [W], en termes de créances de ce dernier sur l'indivision à raison des investissements, frais engagés et amélioration du fonds apportés, mais uniquement en termes de rémunération de sa gérance.

- 9 -

M. [W] est par conséquent débouté de sa demande en fixation du montant de sa «créance» sur l'indivision.

Il n'y a pas lieu non plus d'entrer dans les discussions élevées par les parties relativement à l'ampleur et la nature des investissements et améliorations apportées, ni concernant le passif encore à échoir, ou l'examen des bilans comptables, la cour se devant seulement, en l'absence d'accord amiable, de déterminer le montant de la rémunération de la gérance due à M. [W].

Mme [B] en reconnaît d'ailleurs le principe, et propose de fixer cette rémunération au regard de la convention collective applicable dans le secteur de la boulangerie. Elle soutient, en tout état de cause, que le droit à rémunération de M. [W] doit être fixé sur la base d'une méthodologie de calcul objective et pour un montant qui doit être expressément fixé.

Toutefois, l'activité déployée par M. [W] n'est assurément pas celle d'un salarié, ni même d'un simple cadre, sa position de chef d'entreprise, exerçant à titre individuel, gérant de nombreux salariés, prenant les risques afférents aux multiples investissements non contestés, devant donner lieu à une rémunération à sa juste valeur, et dans des proportions sans commune mesure avec celle proposée par Mme [B]. Il ne s'agit en effet pas là de rémunérer un indivisaire se bornant à assurer de simples actes de gestion courante.

Dans ce contexte, il est légitime, au vu des circonstances particulières de l'espèce, d'apprécier souverainement la juste rémunération de la gérance de M. [W], chaque année, à la moitié des fruits issus de son activité.

Le reliquat, soit l'autre moitié des fruits doit, en application des principes de l'indivision, être partagée par moitié conformément aux proportions des parts indivises de chacun.

Par conséquent, M. [W] a droit aux 3/4 des fruits issus du fonds de commerce, tandis que Mme [B] en est bénéficiaire pour un quart.

Il est par conséquent fait droit à la demande de l'intimée, au titre des fruits, dans cette limite.

Le jugement est par conséquent infirmé en ce qu'il a débouté Mme [B] de sa demande au titre de la moitié des bénéfices générés par l'exploitation du fonds et dit que la rémunération de M. [W] au titre de sa gestion en vertu de l'article 815-12 du code civil recouvre l'intégralité des produits nets de sa gestion, autrement dit le cumul des résultats d'exploitation annuels, pour dire qu'en considération de la rémunération de la gérance de l'indivision due à M. [W] fixée, à la moitié des produits nets, Mme [B] a droit, chaque année, au quart des produits nets de la gestion du fonds indivis, autrement dit le quart du cumul des résultats d'exploitation annuels.

III- Sur les frais irrépétibles et les dépens :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a condamné M. [W] à payer à Mme [B] une indemnité pour frais irrépétibles dès lors que sont confirmés les droits indivis de cette dernière sur le fonds de commerce, que M. [W] lui déniait dans leur totalité, la disparité dans leurs situations financières respectives commandant, en équité, de confirmer le montant de 2 000 euros alloué.

- 10 -

M. [W] succombe à titre principal aux termes du présent arrêt qui consacre les droits de Mme [B]. Les mêmes considérations conduisent à sa condamnation aux dépens d'appel, et, en équité, à dire qu'il devra payer à Mme [B] la même somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

* * * *

Par ces motifs,

- Infirme le jugement rendu le 11 mars 2021 par le juge aux affaires familiales de Charleville-Mézières en ses seules dispositions ayant :

. rejeté la demande de Mme [B] au titre de la moitié des bénéfices générés par l'exploitation du fonds de commerce,

. dit que la rémunération de M. [W] au titre de sa gestion en vertu de l'article 815-12 du code civil recouvre l'intégralité des produits nets de sa gestion autrement dit le cumul des résultats d'exploitation annuels ;

Statuant à nouveau sur ces points,

- Dit qu'en considération de la rémunération de la gérance de l'indivision due à M. [W], fixée, chaque année, à la moitié des produits nets de la gestion du fonds indivis, Mme [B] a droit chaque année, au quart des produits nets de cette gestion, soit le quart du résultat d'exploitation annuel ;

- Confirme le jugement pour le surplus des dispositions querellées ;

Y ajoutant,

- Déboute M. [J] [W] de sa demande en fixation d'une créance sur l'indivision ;

- Condamne M. [J] [W] à payer à Mme [G] [B] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

- Condamne M. [J] [W] aux dépens d'appel et accorde à la SCP Ledoux - Ferri - Riou-Jacques - Touchon - Mayolet, avocats, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre sect.famille
Numéro d'arrêt : 21/01625
Date de la décision : 30/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-30;21.01625 ?
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