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01/07/2022 | FRANCE | N°21/01330

France | France, Cour d'appel de Reims, 1ère chambre sect.famille, 01 juillet 2022, 21/01330


N° RG : 21/01330

N° Portalis :

DBVQ-V-B7F-FA4L



ARRÊT N°

du : 1er juillet 2022









A. L.

















SAS MCS et associés - venant aux droits de BNP Paribas -



C/



M. [F] [O]



Mme [E] [O]



Mme [R] [O]



Mme [T] [O]





















Formule exécutoire le :



à :



Me Olivier Delvincourt

Me Ph

ilippe Boucher















COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II



ARRÊT DU 1ER JUILLET 2022





APPELANTE :

d'un jugement rendu le 25 mai 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières (RG 19/00724)



SAS MCS et associés - venant aux droits de BNP Paribas -...

N° RG : 21/01330

N° Portalis :

DBVQ-V-B7F-FA4L

ARRÊT N°

du : 1er juillet 2022

A. L.

SAS MCS et associés - venant aux droits de BNP Paribas -

C/

M. [F] [O]

Mme [E] [O]

Mme [R] [O]

Mme [T] [O]

Formule exécutoire le :

à :

Me Olivier Delvincourt

Me Philippe Boucher

COUR D'APPEL DE REIMS

1ère CHAMBRE CIVILE - SECTION II

ARRÊT DU 1ER JUILLET 2022

APPELANTE :

d'un jugement rendu le 25 mai 2021 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières (RG 19/00724)

SAS MCS et associés - venant aux droits de BNP Paribas - agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié de droit au siège social

[Adresse 2]

[Localité 9]

Comparant et concluant par Me Olivier Delvincourt, membre de la SCP Delvincourt - Caulier-Richard - Castello avocats associés, avocat postulant au barreau de Reims, et plaidant par Me Marc Vacher, membre de la SELARL THEMA, avocat au barreau de Paris

INTIMÉS :

M. [F] [O]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Comparant, concluant et plaidant par Me Philippe Boucher, membre de la SELARL Jurilaw avocats conseils, avocat au barreau des Ardennes

1°] - Mme [E] [O]

[Adresse 14]

[Adresse 8] - Belgique -

2°] - Mme [R] [O]

[Adresse 4]

[Adresse 7] - Belgique -

3°] - Mme [T] [O]

[Adresse 5]

[Adresse 6] - Belgique -

N'ayant pas constitué avocat, bien que régulièrement assignés

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

M. Pety, président de chambre

Mme Lefèvre, conseiller

Mme Magnard, conseiller

GREFFIER D'AUDIENCE :

Mme Roullet, greffier, lors des débats et du prononcé

DÉBATS :

À l'audience publique du 2 juin 2022, le rapport entendu, où l'affaire a été mise en délibéré au 1er juillet 2022

- 2 -

ARRÊT :

Par défaut, prononcé publiquement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, signé par M. Pety, président de chambre, et par Mme Roullet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Selon acte notarié de cession du 14 octobre 2000, M. [F] [O] est devenu propriétaire de l'ensemble des parts sociales des sociétés civiles immobilières W Retreat et Country Base.

Par acte notarié du 14 octobre 2000, M. [F] [O] a consenti à ses trois filles, Mmes [E], [R] et [T] [O], la donation de la nue-propriété desdites parts sociales, à proportion de 67 parts chacune du capital de la SCI W Retreat et de 3 254 parts chacune du capital social de la SCI Country Base.

Par jugement du tribunal de commerce de Salon-de-Provence du 10 décembre 2004, M. [F] [O] a été condamné, en qualité de caution de la société Riverland Nouvelle, SA, à payer à la société BNP Paribas la somme de 640 285,87 euros outre intérêts au taux légal à compter du 16 novembre 2001.

Selon acte de cession de créance du 6 mars 2015, signifié le 20 février 2018 à M. [F] [O], la société MCS et Associés, SAS, vient aux droits de la société BNP Paribas.

Par acte du 17 janvier 2018, dressé par Me [U] [M], notaire à Sedan, M. [F] [O] a consenti à ses trois filles la donation de l'usufruit de la totalité des parts sociales des SCI W Retreat et Country Base.

Les 25 février 2019, 11, 19 et 28 mars 2019, au visa de l'article 1341-2 du code civil, la société MCS et Associés a fait assigner respectivement M. [F] [O], Mmes [E], [R] et [T] [O] devant le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, afin de se voir déclarer inopposable la donation du 17 janvier 2018, M. [F] [O] étant condamné aux dépens et au paiement d'une indemnité de 4 000 euros pour frais irrépétibles.

Elle précisait détenir contre M. [F] [O] une créance liquide et exigible de 887 698,42 euros au 15 janvier 2018, considérait que l'acte de donation suffisait à caractériser l'appauvrissement du patrimoine du gratifiant sans contrepartie et que son intention frauduleuse était caractérisée par la fixation à une valeur nulle des parts sociales alors que les deux SCI disposaient d'un patrimoine immobilier composé de plusieurs biens et que les extraits de leurs bilans contredisaient une telle valeur.

M. [F] [O] s'est opposé à toutes les demandes de la société MCS et Associés et a sollicité sa condamnation aux dépens et au paiement d'une indemnité de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles. Il a soutenu que la fraude invoquée n'était pas prouvée.

Mmes [E], [R] et [T] [O] n'ont pas constitué avocat.

- 3 -

Le jugement réputé contradictoire du 25 mai 2021 a débouté la société MCS et Associés de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée aux dépens et au paiement à M. [F] [O] d'une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le 5 juillet 2021, la société MCS et Associés a fait appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par conclusions du 24 mai 2022, la société MCS et Associés demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris afin de :

- juger inopposables à la société MCS et Associés les donations faites par M. [F] [O] au profit de Mmes [E], [R] et [T] [O] le 17 janvier 2018, portant sur l'usufruit de 201 parts sociales composant le capital de la SCI W Retreat et de 9 762 parts sociales composant le capital de la SCI Country Base,

- condamner M. [F] [O] à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux dépens de l'instance et de ses suites.

Elle fait valoir, en effet, que le jugement méconnaît la jurisprudence autorisant le créancier à agir en fraude paulienne au vu d'une simple apparence d'insolvabilité du débiteur, qu'il opère un renversement de la charge de la preuve de la situation patrimoniale du débiteur, laquelle pèse sur ce dernier, et que les pièces versées justifient de l'insolvabilité apparente de M. [F] [O] tant à la date de la donation contestée qu'à la date d'introduction de l'instance. Elle soutient que la donation de l'usufruit de parts sociales d'une valeur prétendument nulle constitue l'intention de M. [F] [O] de frauder les droits de son créancier et que les conditions d'exercice de l'action paulienne sont réunies.

Selon écritures du 23 mai 2022, M. [F] [O] conclut à la confirmation du jugement combattu, au débouté de toutes les prétentions adverses, à la condamnation de la société MCS et Associés aux dépens et au paiement d'une indemnité de 2 500 euros pour frais irrépétibles.

Il observe que les résultats des deux SCI sont déficitaires depuis 2014, que lui-même dispose d'autres éléments de patrimoine afin de répondre à ses engagements et que son appauvrissement n'est pas davantage démontré, les donations de l'usufruit des parts retenant une valeur nulle de chacune en raison du passif des deux SCI. Il en déduit que les conditions de l'action paulienne ne sont pas présentes.

La société MCS et Associés a fait signifier sa déclaration d'appel à personne à Mme [E] [O] le 26 août 2021, à domicile à Mme [R] [O] le 9 septembre 2021, à l'étude à Mme [T] [O] le 27 août 2021. Elle leur a fait signifier ses conclusions, respectivement, les 20, 13 et 27 octobre 2021.

Mmes [E], [R] et [T] [O] n'ont pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mai 2022.

* * * *

- 4 -

Motifs de la décision :

Sur l'action paulienne :

L'article 1341-2 du code civil prévoit : «Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude».

L'action paulienne suppose ainsi que le créancier qui s'en prévaut démontre cumulativement l'existence d'une créance certaine antérieure à l'acte attaqué, un acte intentionnel d'appauvrissement du débiteur par la réalisation d'une fraude à ses droits lui causant préjudice et impliquant la complicité d'un tiers si l'acte litigieux est un acte à titre onéreux.

La société MCS et Associés verse aux débats le jugement du tribunal de commerce de Salon-de-Provence du 10 décembre 2004, qui condamne M. [F] [O], en sa qualité de caution, à payer à la société BNP Paribas, SA, la somme de 640 285,87 euros outre intérêts légaux à compter du 16 novembre 2001. Ce jugement a été signifié à M. [F] [O] le 14 mars 2005 ; il est devenu définitif selon certificat de non-appel daté du 30 novembre 2017.

La société MCS et Associés produit également l'acte authentique de cession à son profit de cette créance, en date du 6 mars 2015 avec acte rectificatif du 1er juin 2016. Elle a fait signifier la cession de créances à M. [F] [O] par acte du 20 février 2018.

Le jugement déféré expose donc à bon droit que la société MCS et Associés détient une créance certaine, antérieure à l'acte de donation de l'usufruit des parts sociales des SCI Country Base et SCI W Retreat.

Le premier juge retient ensuite que la société MCS et Associés, qui ne justifie pas de sa qualité de créancier privilégié à l'égard de M. [F] [O], doit pour voir son action prospérer démontrer que ce dernier s'est, d'une part, appauvri en procédant à l'acte de donation litigieux, mais encore, a altéré son patrimoine personnel de telle manière que le droit de gage général du créancier se trouve être inutile, ne lui permettant plus de recouvrer sa créance.

Les parties s'opposent devant le tribunal judiciaire et devant la cour sur l'existence d'un appauvrissement créé par la donation, sur la réalité de la situation patrimoniale du débiteur et sur la conscience qu'avait M. [F] [O] d'un préjudice causé au créancier par la donation. Ces conditions nécessaires au succès d'une action paulienne seront successivement abordées.

Sur l'appauvrissement résultant des actes attaqués :

Par acte notarié du 17 janvier 2018, M. [F] [O] a fait donation à chacune de ses trois filles de l'usufruit de 67 parts de la SCI W Retreat, gérée par Mme [E] [O], et de 3 254 parts de la SCI Country Base, également gérée par Mme [E] [O], les parts données étant estimées à la somme de 00,00 euro.

- 5 -

Le jugement retient que la donation de l'usufruit de parts sociales s'analyse en une donation d'un droit conditionnel à percevoir les fruits, lesquels ne sont définitivement acquis qu'après une décision de distribution prise par l'assemblée générale des associés. Or, les bilans des exercices 2013 et 2017 des deux SCI démontrent que les bénéfices sociaux n'ont pas été distribués sur ces exercices. Le premier juge en déduit que l'appauvrissement potentiel de M. [F] [O] ne peut être tenu pour acquis.

M. [F] [O] expose que la valeur des parts d'une société civile immobilière transparente est égale à la valeur des biens immobiliers qu'elle possède après déduction des soldes des prêts, modulée par les créances dues ou détenues. Il considère qu'eu égard à la mise à prix des biens concernés par la saisie immobilière contre les deux SCI sur poursuite de la société Cortefiel France (mises à prix variant de 500 euros à 40 000 euros par lot, concernant 10 lots situés dans les Ardennes) pour une adjudication fixée au 20 mai 2016 et compte tenu du montant de 487 513 euros de la créance de la société Cortefiel France à leur encontre, la valeur de l'usufruit des parts sociales est nulle et ne donne pas lieu à un quelconque appauvrissement à son détriment.

M. [F] [O] décrit les maisons appartenant aux SCI Country Base et W Retreat mises en vente sur adjudication le 20 mai 2016 comme en très mauvais état (l'hôtel et l'hôtel-restaurant sis à [Localité 16], proposés sur mise à prix de 40 000 euros chacun), ou nécessitant de nombreuses réparations (maisons sises à [Localité 16], proposées sur mise à prix de 21 000 euros et 10 000 euros), la mise à prix des terrains de [Localité 12] et [Localité 13]-et-[Localité 10] (Ardennes) étant de 1 000 euros et 500 euros. Il déclare, sans en justifier qu'une maison sise à [Localité 16] frappée d'arrêté de péril a été démolie, que deux maisons sises à [Localité 16] ont été vendues en août 2018 et que des terres agricoles avaient été cédées avant que la donation n'intervienne.

La cour relève que, lors de l'audience de réitération des enchères du 6 janvier 2017, la société Cortefiel France s'est désistée de l'instance après avoir reçu paiement par les deux SCI de l'intégralité de sa créance par deux chèques de 526 513,77 euros et 6 944,03 euros, ainsi qu'explicité dans le jugement de la chambre des saisies immobilières du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières du 6 janvier 2017. Par suite, aucune nouvelle adjudication n'est intervenue. Une dette importante des deux SCI était donc éteinte dès le 6 janvier 2017, soit une année avant la donation contestée.

La société MCS et Associés communique les relevés des formalités publiées du 3 septembre 1968 jusqu'au 13 juin 2018, lesquels mentionnent notamment les achats et ventes de divers immeubles sis à [Localité 16] et [Localité 12] par la SCI Seven Company, laquelle prendra la dénomination de SCI W Retreat aux termes d'une délibération du 13 juillet 2011, et par la SCI Country Base.

Il en résulte que les deux SCI restaient propriétaires chacune de plusieurs immeubles ardennais en janvier 2018.

M. [F] [O] verse aux débats les tableaux des bilans de chacune des deux SCI au 31 décembre 2017. Ils font apparaître pour la SCI Country Base un actif net de 1 540 271,39 euros et un passif de même montant, pour la SCI W Retreat un actif net de 537 120 euros et un passif de même montant.

- 6 -

Le total des capitaux et fonds propres atteint - 658 672,61 euros pour la SCI Country Base après un résultat de l'exercice de - 140 075 euros, et - 1 638 032 euros pour la SCI W Retreat après un résultat de l'exercice de - 364 500 euros. Enfin, le passif de la SCI Country Base mentionne des emprunts et dettes auprès des établissements de crédits de 1 852 000 euros et des emprunts et dettes financières diverses auprès des associés de 346 944 euros, tandis que le passif de la SCI W Retreat révèle l'absence d'emprunts et dettes auprès d'établissements de crédits, mais des emprunts et dettes financières diverses auprès des associés de 2 103 846 euros (pièces n°7 et 8).

Une donation constitue par définition un acte d'appauvrissement, puisque sans contrepartie de la part du donataire. Il résulte, par ailleurs, des documents cités que des bénéfices sociaux ont existé pour les deux SCI en cause au cours des exercices antérieurs à l'acte de donation attaqué.

Le fait que les dividendes n'aient pas été effectivement distribués (ce qui, selon la société MCS et Associés, ne peut être affirmé avec certitude, sans que M. [F] [O] fournisse d'informations à ce sujet) est sans incidence sur la valeur du droit à les percevoir.

En janvier 2018, les deux SCI disposaient d'un patrimoine immobilier non négligeable, la dette conséquente de la société Cortefiel France à leur encontre était éteinte depuis plus d'un an, une large part de leur passif était constituée par les comptes courants d'associés. Il s'ensuit que leurs parts sociales, et donc l'usufruit de celles-ci, avaient une valeur qui ne pouvait être nulle. La cour considère dès lors que l'appauvrissement de M. [F] [O] par la donation litigieuse est suffisamment caractérisé, contrairement à l'appréciation portée par le premier juge.

Sur la situation patrimoniale personnelle de M. [F] [O] :

Tant que le débiteur reste solvable, les actes d'appauvrissement qu'il aura pu effectuer ne sont pas susceptibles de porter préjudice à son créancier. L'action paulienne ne peut donc être accueillie si l'actif saisissable reste suffisant pour faire face au passif. Il appartient au créancier exerçant l'action paulienne de démontrer une insolvabilité apparente du débiteur au jour de l'acte litigieux et à ce dernier de prouver qu'il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l'engagement.

La société MCS et Associés produit :

- un commandement aux fins de saisie-vente de meubles qu'elle a fait délivrer à M. [F] [O] le 18 avril 2018. Sur contestation du débiteur, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Charleville-Mézières, par jugement du 30 août 2019, a dit que la saisie produira effets sur une table tissu, une scellette, un coffre en bois, un lit de bébé et a annulé la saisie en ce qu'elle porte sur le surplus des biens saisis, M. [F] [O] occupant à [Localité 16] une maison louée meublée.

- deux certificats du service de la publicité foncière de Charleville-Mézières sur la période du 1er janvier 1966 au 11 juillet 2021, selon lesquels M. [F] [O] était propriétaire d'immeubles ruraux sis à [Localité 16] acquis le 26 septembre 1992 (200 000 F) et le 25 janvier 1997 (50 000 F), qui ont été donnés en apport aux SCI Family Business et Country Base les 25 janvier 1997 et 18 mars 2000.

- 7 -

- une consultation du fichier central des avis de saisie, délégation, cession, règlement collectif de dettes et protêts administré par le ministère de la justice belge, en date du 9 février 2018, qui indique 3 saisies immobilières, 5 commandements mobiliers et 1 commandement immobilier, ainsi qu'une saisie-arrêt du 14 juin 2017 pour un montant de 22 705 023,93 euros, dont M. [F] [O] fait l'objet de la part de divers créanciers en France et en Belgique. Cette consultation fait, notamment, état de la saisie le 30 janvier 2018 pour une créance de 59 391,47 euros d'1/6ème en nue-propriété d'une maison sise à [Adresse 11] (Belgique).

- les résultats de l'interrogation du Ficoba au 27 novembre 2017, selon lesquels M. [F] [O] ne possède aucun compte bancaire dans les livres d'un établissement bancaire en France.

- le courriel de la DDFIP des Ardennes du 20 juillet 2018 sur l'absence d'employeur connu de M. [F] [O].

- des justificatifs de l'absence d'activité salariée ou de perception d'un revenu ou allocation en Belgique par M. [F] [O] au 26 juin 2019.

- copie de la saisie-arrêt exécution que la société MCS et Associés a fait pratiquer le 6 mars 2020 entre les mains de la société BNP Paribas Fortis, SA, et de la société KBC Bank, SA, pour un montant de 1 170 729,56 euros ; la première a déclaré ne détenir aucun avoir au nom de M. [F] [O], la seconde a répondu que le compte avait été liquidé.

M. [F] [O] communique un jugement du 19 avril 2022 du tribunal d'arrondissement de Luxembourg qui constate que Mme [V] [D] [O] dispose d'un titre exécutoire au Luxembourg pour les montants de 500 000 livres sterling (pension alimentaire), 21 486 028 euros (indemnisation forfaitaire en rapport avec la dette entre sociétés) et 456 000 livres sterling (frais de justice), et déclare bonne et valable la saisie-arrêt pratiquée entre les mains de la société ING Luxembourg, SA, le 29 janvier 2021 au préjudice de M. [F] [O]. Cette décision, fondée sur un titre exécutoire qui est un jugement de la Haute Cour de Londres du 2 décembre 2014, n'apporte cependant aucune information sur la consistance du patrimoine du débiteur lors de la donation contestée. Elle ne renseigne pas davantage sur le montant à hauteur duquel la saisie-arrêt serait fructueuse.

L'ensemble des éléments exposés établit l'apparente insolvabilité de M. [F] [O] lors de la donation de l'usufruit des parts sociales des SCI, dans la mesure où, à cette époque, le débiteur ne disposait plus de biens immobiliers, ni de meubles, et faisait l'objet d'actes d'exécution multiples, sans que ses dettes anciennes aient pu être honorées. Cette insolvabilité apparente existait encore au jour où la société MCS et Associés a exercé l'action paulienne, en février-mars 2019. L'analyse de la cour diffère à cet égard de celle de la juridiction de première instance.

Sur la conscience de M. [F] [O] de porter préjudice à son créancier :

S'agissant des actes consentis à titre gratuit par le débiteur, le créancier n'a pas à prouver que son débiteur a agi dans l'intention de lui nuire, mais seulement qu'il a agi avec la conscience de lui nuire.

M. [F] [O] ne pouvait ignorer l'existence de la créance de la société BNP Paribas à son encontre en qualité de caution, puisque le jugement du 10 décembre 2004 lui avait été signifié le 14 mars 2005. Il était informé de la liquidation judiciaire de la société Riverland nouvelle, SA, débitrice principale, dont la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif a été prononcée par jugement du 27 avril 2017 du tribunal

- 8 -

de commerce de [Localité 15]. Il savait que le créancier, dans l'incapacité de recouvrer la moindre somme contre la débitrice principale, ne pouvait plus poursuivre que la caution.

Par ailleurs, l'appelante justifie de ce que la société BNP Paribas a rappelé à M. [F] [O] le montant des créances cautionnées, par lettres recommandées avec avis de réception reçue le 10 mars 2010 ou présentée le 19 mars 2011 mais non réclamée.

Le débiteur était donc nécessairement conscient de ce qu'en effectuant les donations litigieuses, il se dépossédait sans contrepartie d'un élément patrimonial et réduisait l'étendue du droit de gage général de son créancier.

En conséquence, les donations du 17 janvier 2018 doivent être déclarées inopposables à la société MCS et Associés, comme faites en fraude de ses droits au sens de l'article 1341-2 du code civil.

Le jugement combattu est réformé en ce sens.

Sur les dépens et frais irrépétibles :

Le sens du présent arrêt conduit à condamner M. [F] [O] au paiement des dépens de première instance et d'appel, le jugement du 25 mai 2021 étant infirmé de ce chef.

L'équité commande de condamner M. [F] [O] à payer à la société MCS et Associés une indemnité de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés, la décision querellée étant également réformée en ce qu'elle a condamné la société MCS et Associés sur ce fondement.

* * * *

Par ces motifs,

- Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Charleville-Mézières du 25 mai 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Dit inopposables à la société MCS et Associés les donations faites par M. [F] [O] au profit de Mmes [E], [R] et [T] [O], ses filles, le 17 janvier 2018, portant sur l'usufruit des :

. 201 parts sociales composant le capital de la SCI W Retreat,

. 9 762 parts sociales composant le capital de la SCI Country Base ;

- Condamne M. [F] [O] à payer à la société MCS et Associés une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne M. [F] [O] aux dépens de première instance et d'appel, avec, pour ces derniers, possibilité de recouvrement direct au profit de Me Olivier Delvincourt, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Reims
Formation : 1ère chambre sect.famille
Numéro d'arrêt : 21/01330
Date de la décision : 01/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-01;21.01330 ?
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