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20/02/2018 | FRANCE | N°16/023331

France | France, Cour d'appel de reims, 11, 20 février 2018, 16/023331


ARRET No
du 20 février 2018

R.G : 16/02333

SA BNP PARIBAS

c/

X...
Y...
X...
X...
X...
Y...
Y...
Y...

FM

Formule exécutoire le :
à :

SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER

SELARL GUYOT DE CAMPOS

Maître Stéphane BLAREAU COUR D'APPEL DE REIMS                
CHAMBRE CIVILE -1o SECTION
ARRET DU 20 FEVRIER 2018

APPELANTE :
d'un jugement rendu le 01 juillet 2016 par le tribunal de grande instance de REIMS,

SA BNP PARIBAS
[...]                     

        

COMPARANT, concluant par la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER, avocats au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

INTIMES :

Monsieur Frédéric X...
[...]                  

COMPAR...

ARRET No
du 20 février 2018

R.G : 16/02333

SA BNP PARIBAS

c/

X...
Y...
X...
X...
X...
Y...
Y...
Y...

FM

Formule exécutoire le :
à :

SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER

SELARL GUYOT DE CAMPOS

Maître Stéphane BLAREAU COUR D'APPEL DE REIMS                
CHAMBRE CIVILE -1o SECTION
ARRET DU 20 FEVRIER 2018

APPELANTE :
d'un jugement rendu le 01 juillet 2016 par le tribunal de grande instance de REIMS,

SA BNP PARIBAS
[...]                             

COMPARANT, concluant par la SCP BADRE HYONNE SENS-SALIS DENIS ROGER, avocats au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE

INTIMES :

Monsieur Frédéric X...
[...]                  

COMPARANT, concluant par Maître Stéphane BLAREAU, avocat au barreau de REIMS,

* * * *

Madame Isabelle Y...
[...]                                 

Madame Valérie Y...
[...]                          

Madame Béatrice Y...
[...]                          

COMPARANT, concluant par la SELARL GUYOT DE CAMPOS avocat au barreau de REIMS,

* * * *

Monsieur Claude D... Y...
[...]                              

N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné

Monsieur Vincent Joseph M... X...         
[...]                               
[...]

N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné

Monsieur François Nicolas N... X...            
[...]                       

N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné

Madame Véronique Danièle O...  X...    
[...]

ROYAUME UNI

N'ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Francis MARTIN, président de chambre
Madame Véronique MAUSSIRE, conseiller
Madame Catherine LEFORT, conseiller

GREFFIER :

Madame NICLOT, greffier, lors des débats et Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, lors du prononcé,

DEBATS :

A l'audience publique du 08 janvier 2018, où l'affaire a été mise en délibéré au 20 février 2018,

ARRET :

Par défaut, prononcé par mise à disposition au greffe le 20 février 2018 et signé par Monsieur MARTIN, président de chambre, et Monsieur MUFFAT-GENDET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

Exposé du litige:

M. Jean-Pierre Y... a souscrit auprès de la Sa Bnp Paribas deux prêts in fine remboursables sur 120 mois :

- le prêt no [...]    d'un montant de 86 960 euros, suivant l'offre du 11 mai 2004 acceptée le 24 mai 2004, pour lequel il a adhéré au contrat d'assurance groupe no 4208 souscrit par la Sa Bnp Paribas et en garantie duquel il a souscrit un contrat d'assurance vie no [...]   auprès de la Natio Vie pour un montant de 60 000 euros, mis en gage au profit de la banque,
- le prêt no [...]    d'un montant de 113 712,37 euros, suivant l'offre du 22 septembre 2004 acceptée le 4 octobre 2004, pour lequel il a adhéré au contrat d'assurance groupe no1957 souscrit par la Bnp Paribas, et en garantie duquel il a souscrit au contrat d'assurance vie no [...]    auprès de la Natio Vie pour un montant de 114 133,50 euros, mis en gage au profit de la banque.

M. Jean-Pierre Y... est décédé le [...]      , à l'âge de 70 ans et 7 mois, avant que soient remboursés les deux prêts précités.

Suite au décès, les contrats d'assurance groupe ne permettant pas la prise en charge des échéances restant dues au delà du 31 décembre de l'année au cours de laquelle l'assuré a eu 70 ans, la Bnp Paribas a procédé à la réalisation du gage sur les contrats d'assurance vie et a recouvré par ce truchement les sommes de 71 662,67 euros et de 112 437,65 euros sur les comptes de la succession de Jean-Pierre Y... (soit 184 100,32 euros).

M. Frédéric X... a, par acte des 12, 17, 20 juin et 4 août 2014, fait assigner la Bnp Paribas ainsi que l'ensemble des membres de l'indivision successorale de Jean-Pierre Y... (M. Claude Y..., M. Vincent X..., M. François X..., Mme Véronique X..., Mme Béatrice Y..., Mme Isabelle Y... et Mme Valérie Y...) devant le tribunal de grande instance de Reims.

M. Frédéric X... a sollicité, à titre principal, la condamnation de la Bnp Paribas à rembourser la somme de 200 169,80 euros. Subsidiairement, il a demandé la condamnation de la Bnp Paribas à lui payer la somme de 184 100,32 euros. A titre infiniment subsidiaire, il a sollicité la condamnation de l'indivision successorale de Jean-Pierre Y... à lui payer la somme de 184 100,32 euros. En tout état de cause, il a sollicité la condamnation de la Bnp Paribas à lui payer la somme de 800 euros par mois à compter du 1er juin 2012 et ce, jusqu'à complet remboursement.

Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... ont demandé au tribunal, à titre principal, la condamnation de la Bnp Paribas au remboursement de la somme de 200 169,80 euros prélevée sur les contrats d'assurance vie et la déchéance du droit aux intérêts de la banque pour le prêt conclu le 22 septembre 2004.

La Sa Bnp Paribas a demandé au tribunal que l'action de M. Frédéric X... soit déclarée irrecevable, subsidiairement que le demandeur et les autres défendeurs soient déboutés de l'ensemble de leurs prétentions et, reconventionnellement, elle a sollicité la condamnation solidaire des filles de M. Bernard Y... à la garantir au cas où il serait fait droit aux demandes en paiement de M. Frédéric X..., ainsi que la condamnation de ce dernier au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

M. Claude Y..., M. Vincent X..., M. François X..., Mme Véronique X..., bien que dûment convoqués, n'ont pas constitué avocat devant le tribunal.

Par jugement du 1er juillet 2016, le tribunal de grande instance de Reims a :
- déclaré recevables les demandes de M. Frédéric X..., Mme Isabelle Y..., Mme Valérie Y... et Mme Béatrice Y...,
- condamné la Sa Bnp Paribas à payer la somme de 200 169,75 euros entre les mains du notaire chargé de la succession de Jean-Pierre Y..., à charge pour lui de procéder aux opérations de partage,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la Bnp Paribas à payer M. Frédéric X... la somme de 2 500 euros et à Mme Isabelle Y..., Mme Valérie Y... et Mme Béatrice Y... la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal s'est fondé sur le fait que le prêteur, tenu à une obligation d'information et de conseil à l'égard de l'emprunteur, n'établit pas avoir dûment informé M. Jean-Pierre Y... sur le risque qu'il prenait en s'assurant seulement jusqu'à l'année de ses 70 ans, alors qu'il lui restait encore deux années de remboursement au-delà de cet âge et qu'il s'agissait de prêts in fine. Le tribunal a estimé que ce manquement contractuel de la banque justifiait que le préjudice de Jean-Pierre Y... soit intégralement réparé par la condamnation de la banque à payer à sa succession l'ensemble des mensualités de remboursement restant dues.

Par déclaration enregistrée le 10 août 2016, la Sa Bnp Paribas a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 6 novembre 2017, elle demande à la cour de confirmer le jugement dans ses dispositions concernant le TEG, mais de l'infirmer en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formulées par M. Frédéric X... et les consorts Y... et, statuant à nouveau, de déclarer tant M. Frédéric X... que les consorts Y... irrecevables en leurs demandes à l'encontre de la banque ; subsidiairement, sur le fond, de constater que Jean-Pierre Y... a fait un choix d'assurances et de garanties adéquat au regard de sa situation personnelle avec le risque à couvrir et de rejeter en conséquence la demande d'indemnisation des intimés ; plus subsidiairement, de dire et juger, au cas où par impossible la cour estimerait qu'il y aurait une faute commise par la banque, qu'il n'en demeure pas moins qu'en toute hypothèse la perte de chance à indemniser est inexistante, faute de preuve produite par les intimés ou à tout le moins une faible perte de chance au regard de la situation personnelle de l'emprunteur lors de la souscription du contrat, et fixer en conséquence le montant de l'indemnité à la somme de 20 000 euros ; en tout état de cause, d'ordonner à la charge des co-indivisaires que soit restituée par Me Sabine I..., notaire en charge des opérations de succession, la somme réglée à son ordre le 15 novembre 2016 d'un montant de 200 169,75 euros ou à défaut après déduction de l'indemnité limitée à 20 000 euros celle de 180 169,75 euros et ce, au besoin sous astreinte d'un montant de 30 euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ; enfin, de condamner in solidum M. Frédéric X..., Mme Isabelle Y..., Mme Valérie Y... et Mme Béatrice Y... au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Au soutien de son appel, la société Bnp Paribas expose :

- que ni M. Frédéric X..., ni Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... ne produisent les contrats d'assurance-vie litigieux, de sorte que rien n'est dit concernant la répartition du préjudice allégué entre M. Frédéric X... et les consorts Y... et que ce manque d'individualisation du préjudice caractérise l'absence d'un véritable droit à agir,
- qu'elle n'a pas manqué à un quelconque devoir d'information ou de conseil, Jean-Pierre Y... ayant clairement coché sur les contrats d'assurance la case correspondant à une assurance courant jusqu'à ses 70 ans, traduisant ainsi sa volonté d'exclure la garantie décès au-delà de ses 70 ans et son choix de mettre en gage deux contrats d'assurance vie,
- qu'il n'est pas illogique que Jean-Pierre Y... ait choisi de garantir les prêts par des assurances vie plutôt que d'alourdir ses cotisations d'assurance au risque de pénaliser des héritiers qui n'étaient pas des descendants directs mais des collatéraux,
- qu'en admettant même que l'information de l'emprunteur ait été défaillante, la perte de chance en découlant ne peut conduire à calculer le préjudice au montant des sommes restant dues, le préjudice devant être égal, au plus, à une perte de chance de un sur dix, soit 20 000 euros au maximum,
- qu'elle n'a commis aucune faute en réalisant les contrats d'assurance vie constitués en gage, puisqu'au contraire cette réalisation a permis de diminuer le passif successoral.

Par conclusions déposées le 4 octobre 2017, M. Frédéric X... demande à la cour de confirmer le jugement déféré, sauf en ce qui concerne les modalités de restitution, et de dire que sur la somme restituée une part de 184 100,32 euros lui revient directement ; subsidiairement, au visa de l'article 1382 du code civil, constater que la société Bnp Paribas a commis une faute en prélevant les fonds sur les contrats d'assurance vie qui avaient été souscrits à son profit et condamner la banque à lui payer la somme de 184 1400,32 euros ; très subsidiairement, de condamner l'indivision à lui payer la somme de 184 100,32 euros ; condamner la société Bnp Paribas à lui payer la somme de 800 euros par mois à compter du 1er juin 2012 jusqu'à complet remboursement au titre de la perte de chance de faire fructifier son capital depuis cette date et de condamner la société Bnp Paribas, subsidiairement l'indivision, à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

M. Frédéric X... fait valoir :

- qu'il agit à titre personnel, en qualité de bénéficiaire des contrats d'assurance-vie concernés, son droit à ce titre s'établissant à 184 100,32 euros ; qu'il agit également sur le fondement de l'article 815-2 du code civil, son action tendant à sauvegarder un droit ou un bien appartenant à l'indivision étant un acte conservatoire,
- que la société Bnp Paribas avait un devoir de conseil et d'information à l'égard de Jean-Pierre Y... qu'elle n'a pas rempli en le laissant souscrire une assurance de groupe inadaptée à sa situation personnelle et à l'opération assurée, puisque le remboursement du capital devait intervenir après qu'il eut atteint l'âge de 70 ans à une période où il n'était plus couvert par l'assurance souscrite ; qu'en outre, les tableaux d'amortissement remis à Jean-Pierre Y... ne pouvaient que l'induire en erreur, puisque pour un prêt les cotisations d'assurance étaient omises sur le tableau d'amortissement, tandis que pour l'autre prêt, elles y figuraient sur la totalité de la période d'amortissement alors que l'assurance cessait l'année des 70 ans de l'assuré, - que la perte de chance occasionnée par le défaut de conseil de la banque a causé un préjudice certain et déjà réalisé, qui doit être indemnisé en intégralité,
- que la banque ne pouvait procéder d'office à la réalisation des sûretés constituées par les deux contrats d'assurance vie lors du décès de Jean-Pierre Y..., son patrimoine permettant le paiement du solde restant dû sur les deux prêts sans qu'il soit recouru à cette réalisation, laquelle est donc constitutive d'une faute dont la banque lui doit réparation en lui payant le montant des deux assurances vie, soit 184 100,32 euros outre les intérêts que cette somme lui aurait rapportés s'il avait pu la placer dès le mois de juin 2012, soit 800 euros par mois, (5% par an),
- qu'au cas où la faute de la banque découlant de la réalisation du gage ne serait pas retenue, c'est à la succession de lui rembourser la somme de 184 100,32 euros sur le fondement de l'enrichissement sans cause ou, défaut, sur le fondement de la faute de la succession.

Par conclusions déposées le 10 novembre 2017, Mme Isabelle Y..., Mme Valérie Y... et Mme Béatrice Y... demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Bnp Paribas à payer à l'indivision successorale de Jean-Pierre Y... la somme de 200 169,75 euros et en ce qu'il a débouté M. Frédéric X... de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions à l'encontre de l'indivision successorale ; en tout état de cause, de condamner la Bnp Paribas à payer à chacune des concluantes la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elles font valoir :

- que contrairement à ce que soutient M. Frédéric X..., les contrats d'assurance-vie n'avaient vocation à lui revenir que si les prêts en garantie desquels ils étaient gagés se trouvaient remboursés,
- qu'elles ont intérêt à agir en leur qualité d'héritières de Jean-Pierre Y..., car tout héritier est en droit, même avant partage et sans le concours de ses co-indivisaires, d'agir contre le tiers détenteur d'un bien soustrait à la succession,
- que la banque n'a pas rempli son devoir de conseil et d'information à l'égard de Jean-Pierre Y... en se bornant à lui remettre la notice d'information standardisée sur l'assurance souscrite, alors même que s'agissant d'assurer le remboursement de prêts in fine l'interruption de la couverture garantie par l'assurance avant la fin des remboursements était particulièrement inadaptée,
- que le TEG calculé sur le prêt conclu le 22 septembre 2004 ne fait nullement mention du coût de l'assurance, de sorte que doit être prononcée la déchéance du droit aux intérêts sur ce prêt et que le jugement doit être réformé sur ce point,
- que les contrats d'assurance vie ne peuvent revenir à M. Frédéric X..., car ils ont été gagés et non nantis,
- que M. Frédéric X... ne peut demander à la succession le remboursement des deux assurances vie sur le fondement de l'enrichissement sans cause, car ces deux assurances vie ne sont jamais entrées dans son patrimoine, puisqu'elles constituaient le gage de la banque qui les a réalisées,
- que les contrats d'assurance vie ont été réalisés par la banque à l'issue du prêt in fine ainsi que cela était contractuellement prévu et l'indivision successorale n'a commis aucune faute à cet égard.

MM. Claude Y..., Vincent X..., François X... et Mme Véronique X... n'ont pas constitué avocat, bien qu'ils aient été régulièrement assignés devant la cour d'appel (MM. Claude et Vincent X... ont été fait l'objet d'une signification à personne le 29 septembre 2016, M. François X... a fait l'objet d'un PV de recherches infructueuses du 26 septembre 2016, Mme Véronique X... a fait l'objet d'une demande de signification à l'étranger le 28 septembre 2016).

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les dernières écritures déposées par la société Bnp Paribas, par M. Frédéric X... et par Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y...,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 4 décembre 2017.

Sur la recevabilité de l'action de M. Frédéric X... et des héritiers

La société Bnp Paribas produit aux débats les deux courriers en date du 26 juin 2009 (ses pièces no45 et 46) par lesquels elle a informé Jean-Pierre Y... que le changement de bénéficiaire des deux contrats d'assurance-vie (qui sont ceux qui constituaient le gage des deux prêts in fine précités) avait bien été pris en compte, le nouveau bénéficiaire désigné étant M. Frédéric X....

Il est donc incontestable que M. Frédéric X... a personnellement un intérêt à agir contre le prêteur qui a réalisé le gage constitué par ces deux contrats d'assurance-vie dont il était le bénéficiaire désigné, puisque la réalisation de ce gage qu'il estime fautive le prive du bénéfice desdites assurances vie.

Quant aux autres héritiers de Jean-Pierre Y..., ils ont également un intérêt à agir contre la société Bnp Paribas, puisque si le défaut d'information et de conseil qu'ils allèguent est reconnu, la banque est susceptible d'être condamnée à des dommages et intérêts qui viendront en déduction des sommes qui lui sont dues sur l'actif successoral en remboursement des montants restant dus par la succession au titre des deux prêts in fine.

Par conséquent, les demandes formées tant par M. Frédéric X... que par Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... sont recevables et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

Sur l'obligation de conseil et d'information de la banque

Le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation. Il appartient au débiteur de l'obligation d'information et de conseil, c'est-à-dire au banquier, de prouver son exécution.

En l'espèce, la société Bnp Paribas produit les notices d'information sur les assurance collectives auxquelles Jean-Pierre Y... a adhéré en garantie des deux prêts in fine qu'il a contractés. La signature qu'il a apposée sur chacune de ces notices démontre qu'elles lui ont bien été remises. Toutefois, il s'agit de notices d'information standard qui n'apportent à l'assuré aucun élément susceptible de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur.

Or, les garanties d'assurance proposées par la société Bnp Paribas et souscrites par M. Frédéric X... requéraient pourtant, de façon impérieuse, une information personnalisée compte-tenu du caractère incomplet de la couverture offerte et des risques particuliers en découlant.

En effet, Jean-Pierre Y..., né le [...]         , était âgé de 62 ans lorsqu'il a contracté les deux prêts litigieux les 24 mai et 4 octobre 2004. La garantie décès qu'il a contractée ne couvrait le remboursement des échéances à venir que jusqu'au 31 décembre suivant son 70ème anniversaire, c'est-à-dire jusqu'au 31décembre 2011, alors que les prêts contractés devaient être remboursés sur 10 ans, c'est-à-dire jusqu'en 2014, et que s'agissant de prêts in fine, l'essentiel du remboursement intervenait en 2014, c'est-à-dire à une époque où l'emprunteur ne bénéficiait plus d'aucune assurance. Autrement dit, Jean-Pierre Y... était assuré pour la période au cours de laquelle le montant des remboursements était faible, puisque ne couvrant que les intérêts courants, mais il ne l'était plus quand le risque était maximum, au moment du remboursement du capital emprunté.
En n'informant pas Jean-Pierre Y... de façon circonstanciée sur ce risque et en s'abstenant de lui expliquer les avantages d'une couverture au-delà de 70 ans jusqu'à la dernière mensualité due s'agissant d'un prêt in fine, la société Bnp Paribas a manqué à son obligation d'information et de conseil.
Ce manquement est en outre aggravé, comme l'ont souligné les intimés, par les carences des tableaux d'amortissement remis à Jean-Pierre Y..., l'un faisant figurer faussement les cotisations d'assurance sur toute la durée des remboursements, l'autre ne mentionnant aucune cotisation, ce qui ne permettait pas d'attirer l'attention de l'emprunteur sur la réalité de sa situation contractuelle, à savoir la rupture de couverture intervenant deux années avant la fin de l'amortissement.

En s'abstenant d'informer Jean-Pierre Y... sur l'inconvénient de l'interruption de couverture avant la fin de l'amortissement et de lui conseiller une assurance courant jusqu'au remboursement du capital, la société Bnp Paribas lui a fait perdre une chance d'opter pour une couverture d'assurance adéquate. Il apparaît légitime de fixer cette perte de chance à 95%.

Suivant les courriers adressés au notaire chargé de la succession de Jean-Pierre Y..., les sommes restant dues par lui au titre des deux prêts in fine s'élevaient au jour de son décès à 111 062,39 euros et 86 998,90 euros, soit 198 061,29 euros.

Par conséquent, la société Bnp Paribas sera condamnée à indemniser les conséquences de sa faute à hauteur de 198 061,29 euros x 0,95 = 188 158,22 euros.

La personne qui subit le dommage causé par la faute de la banque est M. Frédéric X..., puisque si Jean-Pierre Y..., dûment informé et conseillé, avait opté pour une assurance jusqu'au terme de l'amortissement des deux prêts, la société Bnp Paribas aurait été indemnisée par la compagnie d'assurance et M. Frédéric X... aurait pu percevoir la totalité des capitaux placés en assurances vie. Mais l'indivision successorale subit également, et au même titre, un dommage causé par la faute de la banque puisqu'elle doit payer par prélèvement sur l'actif successoral le solde restant dû au titre des deux prêts in fine après réalisation du gage qui s'est avéré insuffisant pour éponger la totalité de la dette.

Dès lors, la société Bnp Paribas sera condamnée à payer à M. Frédéric X... la somme de 184 100,32 euros x 0,95 = 174 895,30 euros (puisque la perte de chance subie par M. Frédéric X... de récupérer l'intégralité de l'actif des deux assurances vie est de 95%) et à l'indivision successorale le solde, soit 13 262,92 euros.
Le jugement déféré sera réformé sur tous ces points.

Le préjudice subi par M. Frédéric X... est constitué par la perte de chance de l'emprunteur de ne pas avoir contracté une assurance plus adaptée à sa situation et non par le fait que la banque ait réalisé son gage lors du décès de l'emprunteur, réalisation qui n'est pas fautive en elle-même. M. Frédéric X... ne peut donc demander à titre de dommages et intérêts la condamnation de la banque à lui payer les revenus que les contrats d'assurance vie étaient susceptibles de produire jusqu'à ce jour s'ils n'avaient pas fait l'objet d'un rachat par la banque dès 2012. Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté M. Frédéric X... de ce chef de demande.

Sur le TEG du second prêt in fine

Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... font valoir dans les motifs de leurs conclusions que le TEG calculé sur le prêt conclu le 22 septembre 2004 ne fait nullement mention du coût de l'assurance, de sorte que devrait être prononcée la déchéance du droit aux intérêts sur ce prêt.

Toutefois, Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... ne tirent aucune conséquence de cet argument dans le dispositif de leurs conclusions. Au contraire, elles se bornent à y demander la confirmation du jugement déféré alors que celui-ci avait expressément rejeté leur demande sur ce point.

Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mmes B..., Valérie et Béatrice Y... aux fins de voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts sur le deuxième prêt in fine conclu par Jean-Pierre Y....

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société Bnp Paribas, qui succombe en son appel, supportera les dépens et sera déboutée de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu'elle soit condamnée à payer à M. Frédéric X... la somme de 2 000 euros et à Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément des sommes qui leur ont déjà été allouées à ce titre par le tribunal.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant en audience publique et par arrêt rendu par défaut,

DECLARE l'appel recevable,

INFIRME le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Bnp Paribas à payer la somme de 200 169,75 euros entre les mains du notaire chargé de la succession de Jean-Pierre Y... et, statuant à nouveau sur ce point,

CONDAMNE la société Bnp Paribas à payer à M. Frédéric X... la somme de 174 895,30 euros et aux membres de l'indivision successorale celle de 13 262,92 euros à titre de dommages et intérêts,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

DEBOUTE la société Bnp Paribas de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Bnp Paribas à payer à M. Frédéric X... la somme de 2 000 euros et à Mmes Isabelle, Valérie et Béatrice Y... la somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en complément des sommes qui leur ont déjà été allouées à ce titre par le tribunal,

CONDAMNE la société Bnp Paribas aux dépens et autorise maître Stéphane Blareau, avocat, à faire application de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de reims
Formation : 11
Numéro d'arrêt : 16/023331
Date de la décision : 20/02/2018
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.reims;arret;2018-02-20;16.023331 ?
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