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14/02/2001 | FRANCE | N°99/00311

France | France, Cour d'appel de reims, 14 février 2001, 99/00311


COUR D'APPEL DE REIMS CHAMBRE CIVILE-1° SECTION AFFAIRE N : 99/00311 AFFAIRE SARL MARTEL AGRO CHIMIE C/ S.A. SOPRA Société ZENECA LIMITED - SOCIETE DE DROIT BRITANNIQUE ARRET N° PR ARRET DU 14 FEVRIER 2001 APPELANTE : d'un jugement rendu le 06 Janvier 1999 par le Tribunal de Grande Instance de TROYES, SARL MARTEL AGRO CHIMIE, agissant poursuites et diligences de son Gérant, domicilié de droit audit siège social. 13 Rue de la Coopérative 10800 SAINT JULIEN LES VILLAS COMPARANT, concluant par la SCP DELVINCOURT - JACQUEMET avoué à la Cour, et ayant pour conseil Me Patrick VERRY, avocat

au barreau de TROYES, INTIMEES : S.A. SOPRA, prise en la...

COUR D'APPEL DE REIMS CHAMBRE CIVILE-1° SECTION AFFAIRE N : 99/00311 AFFAIRE SARL MARTEL AGRO CHIMIE C/ S.A. SOPRA Société ZENECA LIMITED - SOCIETE DE DROIT BRITANNIQUE ARRET N° PR ARRET DU 14 FEVRIER 2001 APPELANTE : d'un jugement rendu le 06 Janvier 1999 par le Tribunal de Grande Instance de TROYES, SARL MARTEL AGRO CHIMIE, agissant poursuites et diligences de son Gérant, domicilié de droit audit siège social. 13 Rue de la Coopérative 10800 SAINT JULIEN LES VILLAS COMPARANT, concluant par la SCP DELVINCOURT - JACQUEMET avoué à la Cour, et ayant pour conseil Me Patrick VERRY, avocat au barreau de TROYES, INTIMEES : S.A. SOPRA, prise en la personne de son Président Directeur Général, domicilié de droit audit siège. 18 rue Grange Dame X... 78140 VELIZY VILLACOUBLAY Société ZENECA LIMITED - SOCIETE DE DROIT BRITANNIQUE, prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés de droit audit siège. 15 Stanhope Gate W1Y 6LN LONDRES (ROYAUME UNI) COMPARANT, concluant par la SCP THOMA - LE RUNIGO, avoué à la Cour, et ayant pour conseil Me Philippe COMBEAU, avocat au barreau de PARIS. COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE : Monsieur RUFFIER, Président de Chambre Madame BELAVAL, Conseiller Monsieur PERROT, Conseiller GREFFIER : Madame Francine Y..., adjoint administratif, faisant fonctions de Greffier lors des débats et Madame Maryline Z..., Greffier lors du prononcé, DEBATS : A l'audience publique du 20 Décembre 2000, où l'affaire a été mise en délibéré au 14 Février 2001, ARRET : Prononcé par Monsieur RUFFIER, Président de Chambre, à l'audience publique du 14 février 2001, conformément aux dispositions de l'article 452 du nouveau code de procédure civile, qui a signé la minute avec le Greffier, présent lors du prononcé. LA COUR FAITS ET PROCÉDURE

La société de droit britannique ZENECA Limited est titulaire et propriétaire de la marque "AMISTAR", déposée le 7 avril 1995 à

l'Institut National de la Propriété Industrielle et enregistrée sous le n 95 566 700. Cette marque désigne des : pesticides, herbicides, insecticides, fongicides, préparations pour détruire des animaux nuisibles de la classe 5 de la nomenclature internationale des marques. La société ZENECA commercialise par l'intermédiaire de son réseau de distribution exclusive, sous cette marque "AMISTAR", un produit fongicide à base d'azoxystrobine destiné aux céréales. Ce produit est distribué en France par sa filiale, la société SOPRA.

La société SOPRA a obtenu des services du Ministère de l'agriculture et de la pêche une autorisation de mise sur le marché provisoire délivrée le 24 juillet 1997 sous le numéro 9600093 et une homologation provisoire le 11 septembre 1997.

Par acte introductif d'instance en date du 5 juin 1998, la société SOPRA et la société ZENECA Limited ont fait assigner à jour fixe la société MARTEL AGRO CHIMIE en contrefaçon de marque et en responsabilité en lui reprochant, consécutivement à un procès-verbal de constat dressé le 19 février 1998, de commercialiser en France, dans son établissement de Saint-Julien-les-Villas (Aube), le fongicide "AMISTAR" conditionné en bidons de 1 litre, apparemment mis sur le marché sous cette marque par la filiale allemande du groupe ZENECA Limited et comportant des étiquettes photocopiées mentionnant, outre le nom AMISTAR , deux textes respectivement en langue française et en langue néerlandaise.

Par jugement rendu le 9 janvier 1999, le Tribunal de grande instance de Troyes a : .

dit que la commercialisation en France par la société MARTEL AGRO CHIMIE de bidon de fongicide de marque "AMISTAR" dans le conditionnement comportant une sur-étiquette telle que décrite dans les motifs porte atteinte aux droits dont disposent les sociétés SOPRA et ZENECA Limited et constitue un acte de contrefaçon de

marque, .

dit qu'en commercialisant le produit litigieux la société MARTEL AGRO CHIMIE a commis une faute au préjudice des sociétés SOPRA et ZENECA Limited, .

interdit à la société MARTEL AGRO CHIMIE d'importer, détenir, offrir à la vente et vendre des bidons de fongicide "AMISTAR" tels que ceux qui sont l'objet du présent litige et ce, dès la signification du présent jugement et sous astreinte de 3.000 francs par infraction constatée, .

dit n'y avoir lieu pour le tribunal de se réserver la liquidation de l'astreinte, .

condamné la société MARTEL AGRO CHIMIE à payer :

.

à la société SOPRA la somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts,

.

à la société ZENECA Limited la somme de 30.000 francs à titre de dommages et intérêts, .

ordonné la publication du jugement dans trois journaux périodiques au choix de la société SOPRA et de la société ZENECA Limited, ce aux frais de la société MARTEL AGRO CHIMIE, dans la limite de 10.000 francs par publication, .

ordonné l'exécution provisoire du jugement, mais seulement en ce qui concerne l'interdiction de commercialisation, .

dit que la société MARTEL AGRO CHIMIE doit payer aux sociétés SOPRA et ZENECA Limited la somme de 20.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, .

débouté la société MARTEL AGRO CHIMIE de ces demandes reconventionnelles, .

mis les dépend à la charge de la société MARTEL AGRO CHIMIE, avec

possibilité de recouvrement direct par Maître HONNET, avocat.

La société MARTEL AGRO CHIMIE a relevé appel de cette décision le 2 février 1999. PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ces dernières conclusions signifiées et déposées le 9 octobre 2000, auxquelles il est expressément renvoyé pour plus ample exposé de son argumentation en application des dispositions de l'article 455, alinéa 1er, du nouveau Code de procédure civile, la société MARTEL AGRO CHIMIE demande qu'il soit sursis à statuer dans l'attente d'une décision pénale définitive sur la plainte déposée à l'encontre des sociétés SOPRA et ZENECA pour "publicité mensongère, escroquerie à jugement du Tribunal de grande instance de Troyes du 6 janvier 1999 et tentatives d'escroquerie à jugement de la Cour d'appel de Reims dans l'affaire en cours", par l'Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, AUDACE, devant Madame le Doyen des Juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Versailles le 29 mars 2000.

Elle conclut par ailleurs à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et soutient que la procédure diligentée par la société ZENECA Limited et la société SOPRA est entachée de nullité, tant en ce qui concerne les conditions d'établissement du constat effectué le 19 février 1998 sans autorisation du Président du Tribunal de grande instance, qu'en ce qui concerne les modalités de saisine initiale du Tribunal.

Subsidiairement, au fond, elle conclut à ce que la société SOPRA et la société ZENECA Limited soient déboutées de l'intégralité de leur demande et, prétendant avoir subi un préjudice du fait des moyens considérables mis en oeuvre dans le cadre de la procédure et de l'interdiction assortie de l'exécution provisoire de commercialiser le produit AMISTAR. Elle demande que les sociétés SOPRA et ZENECA Limited soient condamnées solidairement à lui verser la somme de

600.000 francs à titre de dommages et intérêts. Elle réclame en outre la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues professionnelles de son choix, aux frais exclusifs des sociétés SOPRA et ZENECA Limited dans la limite d'un coût de 20.000 francs par publication. Elle demande enfin la condamnation solidaire des intimées à lui verser la somme de 100.000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

La société SOPRA et la société ZENECA Limited, dans leurs dernières conclusions signifiées le 28 novembre 2000, auxquelles il est également expressément renvoyé pour l'exposé de leur argumentation, sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a retenu que la commercialisation par l'appelante du produit AMISTAR dans le conditionnement litigieux portait atteinte à leurs droits et constituait un acte de contrefaçon de marque et en ce qu'il a interdit sous astreinte à la société MARTEL AGRO CHIMIE d'importer, détenir, offrir à la vente et vendre des bidons de fongicide "AMISTAR" tels que ceux objet du litige.

Sollicitant sa réformation pour le surplus, elles réclament la condamnation de la société MARTEL AGRO CHIMIE à payer à chacune d'entre elles la somme de 300.000 francs à titre de dommages et intérêts pour le préjudice qu'elles ont subi, ainsi que la publication, en totalité ou par extraits du jugement frappé d'appel et de l'arrêt à intervenir dans trois journaux périodiques et de leur choix, aux frais de la société MARTEL AGRO CHIMIE, dans la limite de 10.000 francs par publication. Elles sollicitent enfin la condamnation de la société MARTEL AGRO CHIMIE à leur payer la somme de 40.000 francs par application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile et à supporter les dépens, avec distraction au profit de leur avoué.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 décembre 2000. * * *

DISCUSSION Sur la demande de sursis à statuer

La société MARTEL AGRO CHIMIE ne justifie ni du dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile procédant des mêmes faits et visant les sociétés SOPRA et ZENECA Limited, ni a fortiori d'une mise en mouvement de l'action publique à l'encontre des intimées.

En effet, l'appelante ne produit que l'ordonnance de consignation rendue le 29 mars 2000 par le Doyen des Juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Versailles ensuite de la plainte de l'association AUDACE, qui ne permet pas d'apprécier les faits visés pénalement, sans qu'il soit en outre aucunement démontré que la plaignante aurait procédé à cette consignation. Il n'y a donc pas lieu en l'état de surseoir à statuer en application des dispositions de l'article 4 du Code de procédure pénale. Sur les exceptions de nullité Sur la validité de l'assignation à jour fixe du 5 juin 1998

La société MARTEL AGRO CHIMIE soutient que l'assignation qui lui a été délivrée le 5 juin 1998 est irrégulière dans la mesure où l'ordonnance rendue sur requête le 19 mai 1998 par le Président du Tribunal de grande instance de Troyes, autorisant la société SOPRA et la société ZENECA Limited à procéder à jour fixe, ne constatait pas l'urgence, condition essentielle, en violation des dispositions de l'article 788 du nouveau Code de procédure civile.

Il convient de rappeler en premier lieu que l'ordonnance autorisant une partie à assigner à jour fixe constitue une mesure d'administration judiciaire qui est en elle-même insusceptible de recours. L'irrégularité éventuelle de l'autorisation de procéder à jour fixe au regard des conditions de l'article 788 précité n'est de nature à entraîner l'annulation de l'assignation et de la procédure subséquente que dans la seule mesure où seraient applicables les dispositions des articles 112 et suivants du nouveau Code de procédure civile relatives à la nullité des actes de procédure, à

charge pour la partie qui l'invoque de rapporter la preuve d'un grief.

En l'occurrence, il s'avère, d'une part, que la société MARTEL AGRO CHIMIE n'allègue l'existence d'aucun grief résultant pour elle de l'utilisation de la procédure à jour fixe et que, d'autre part, l'assignation lui a été délivrée le 5 juin 1998 pour l'audience du 7 octobre suivant, de sorte qu'elle a bénéficié d'un délai largement suffisant pour préparer sa défense, ce qu'établit au demeurant l'examen des conclusions particulièrement argumentées qu'elle a déposées devant les premiers juges.

Il résulte au surplus de l'examen de l'ordonnance critiquée que si elle se limite au seul dispositif et ne caractérise pas l'urgence qui constitue la condition de l'autorisation de procéder à jour fixe, elle figure en revanche sur la même page que la requête déposée le même jour par Maître Jean-Philippe HONNET, avocat des intimées, avec laquelle elle fait corps et qui vise expressément l'existence d'une situation d'urgence. Sur la nullité du procès-verbal de constat du 19 février 1998

La société MARTEL AGRO CHIMIE soutient que l'ensemble de la procédure reposerait sur les constatations résultant d'un procès-verbal établi le 19 février 1998 par Maître Gérard PETITCOLIN, huissier de justice, et fait valoir que cet officier ministériel n'avait pas été préalablement autorisé à cette fin par le Président du Tribunal de grande instance, de sorte que ces constatations seraient entachées d'illégalité.

Toutefois, aux termes de motifs pertinents que la Cour fait siens, les premiers juges ont retenu à bon droit que dès lors que l'huissier de justice s'est borné à instrumenter sur la voie publique, sans entrer dans les locaux de la société MARTEL AGRO CHIMIE pour procéder à l'ensemble de ses constatations, une autorisation du président du

tribunal ne lui était pas nécessaire, de sorte que l'exception de nullité du procès-verbal de constat devait être rejetée.

Au demeurant, la contestation tirée de la régularité de ce procès-verbal de constat est dépourvue d'intérêt dans la mesure où ce dernier ne constitue que l'un des éléments invoqués par la société SOPRA et la société ZENECA Limited et où la société MARTEL AGRO CHIMIE ne conteste aucunement les assertions des intimées aux termes desquelles elle importe en France des bidons de fongicide de la marque "AMISTAR" en conditionnement de bouteilles d'un litre.

En effet, bien au contraire, l'appelante expose elle-même s'être procurée lesdits produits fongicides auprès d'un revendeur belge, la société ITICON NV, et produit la lettre de voiture numéro 2293468 datée du 7 janvier 1998 relative à la livraison de 660 kilos de fongicide "AMISTAR". Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point. Sur le fond Sur la contrefaçon de marque

Les intimées soutiennent que la reproduction sans l'autorisation de la société ZENECA Limited de la marque "AMISTAR" sur une photocopie et l'apposition de cette dernière, toujours sans son autorisation, sur les bidons commercialisés par la société MARTEL AGRO CHIMIE constitue des actes de contrefaçon de la marque "AMISTAR" au sens des articles L. 713-2 et L. 713-4, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle dans la mesure où une marque enregistrée confère à son titulaire un droit de propriété absolue sur celle-ci et où la reproduction ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits identiques similaires à ceux désignés dans l'enregistrement sont interdites sauf autorisation du propriétaire.

La société ZENECA LIMITED fait valoir qu'elle n'a jamais autorisé la société MARTEL AGRO CHIMIE à reproduire la marque "AMISTAR" sous quelque forme et quelque manière que ce soit, notamment par photocopie.

Les premiers juges ont relevé à bon droit que les produits litigieux avaient été commercialisés en Allemagne sous la marque "AMISTAR" avec le consentement de la société ZENECA Limited et que cette dernière avait ainsi épuisé son droit de marque sur ces produits dans tous les pays de la l'Union européenne. Il s'ensuit que les produits concernés peuvent en principe faire l'objet d'importations parallèles depuis un pays de l'Union européenne sans l'autorisation préalable du titulaire de la marque ou de ses licenciés.

Par ailleurs, il est constant que les cessionnaires successifs d'un produit commercialisé par le titulaire de la marque en cause ou par l'un de ses distributeurs exclusifs acquièrent accessoirement avec le produit le droit d'utiliser la marque qui y est apposée pour les besoins de leur propre commercialisation. En effet, il résulte des dispositions de l'article 7 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 et de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle que le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté européenne sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

Il s'ensuit que la reproduction de la marque "AMISTAR" sans l'autorisation de la société ZENECA Limited sur une sur-étiquette apposée sur des bidons de fongicide dont il n'est pas contesté qu'il s'agit bien, y compris en ce qui concerne le conditionnement, de produits d'origine de la marque "AMISTAR" fabriqués par sa filiale allemande, la société ZENECA GmbH, ne constitue pas en soi une contrefaçon de marque. Il échet au demeurant de rappeler que l'importateur d'un produit de marque régulièrement acquis dans un autre pays de la Communauté européenne et sur lequel le titulaire de la marque a en conséquence épuisé son droit, peut parfaitement le

reconditionner pour les besoins de sa commercialisation sous réserve que l'état originaire du produit contenu dans l'emballage n'en soit pas affecté, ni directement, ni indirectement du fait d'informations erronées ou incomplètes sur le nouvel emballage.

Par contre, l'alinéa 2 du même article permet aux titulaires de la marque ou à ses licenciés de s'opposer à cette commercialisation s'ils justifient de motifs légitimes tenant, notamment, à la modification ou à l'altération, ultérieurement intervenue, de l'état des produits.

La Cour observe qu'il n'est aucunement prétendu par la société ZENECA Limited et par la société SOPRA que le fongicide "AMISTAR" contenu dans les bidons commercialisés par la société MARTEL AGRO CHIMIE ait été en lui-même modifié ou altéré, leurs moyens ne portant que sur les mentions figurant sur les sur-étiquettes.

Les premiers juges ont retenu sur ce point en premier lieu qu'en commercialisant les produits litigieux revêtus d'une sur-étiquette résultant d'une photocopie de mauvaise facture, la société MARTEL AGRO CHIMIE offrait à la vente non pas le produit originellement mis en vente avec le consentement de la société ZENECA LIMITED, mais un produit ultérieurement modifié dans des conditions susceptibles de porter atteinte à ses droits, en relevant, au vu de la luxueuse documentation publicitaire de la société SOPRA, que les intimés cherchaient à présenter l'AMISTAR comme un produit haut de gamme doté de propriétés remarquables et que la commercialisation du même produit revêtue d'une mauvaise photocopie apparaissait en contradiction avec cet objectif et s'avérait de nature à nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire.

Une telle motivation ne saurait toutefois recueillir l'adhésion de la Cour. Il s'avère en effet que la marque concernée ne désigne pas un produit de luxe pour lequel l'altération esthétique de l'emballage

extérieur serait une source d'avilissement, mais un produit phytosanitaire utilisé pour le traitement de leurs récoltes par des professionnels de l'agriculture qui constituent une clientèle avisée dont la motivation d'achat repose sur les caractéristiques techniques, l'efficacité et l'absence de nocivité pour l'environnement d'un produit qu'elle connaît notoirement dans la mesure où il représente environ 20 % du marché et a connu un succès considérable, et non sur son emballage extérieur, de sorte que l'apposition des sur-étiquettes litigieuses n'est pas en elle-même de nature à porter atteinte à la réputation de la marque "AMISTAR" et à constituer un motif légitime d'en interdire la commercialisation. Sur les mentions relatives à l'usage du fongicide

Les premiers juges ont considéré que la sur-étiquette litigieuse comportait des indications non conformes à l'autorisation de mise sur le marché provisoire dont bénéficie en France le produit "AMISTAR" et des informations en contradiction avec la présentation qu'en fait sur le marché français la société SOPRA.

Il est effectivement constant que les informations données dans le texte français de la sur-étiquette litigieuse ne sont pas conformes à la présentation que fait la société SOPRA du produit "AMISTAR" sur le marché français avec le consentement du titulaire de la marque. En particulier, la sur-étiquette précise que ce fongicide est très toxique pour les organismes aquatiques et qu'il peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement, alors que la présentation publicitaire organisée en France par la société SOPRA de l'azoxystrobine, son principe actif, insiste sur un profil environnemental très favorable et sur sa neutralité vis-à-vis des organismes aquatiques, dans des conditions normales d'utilisation.

En ce qui concerne la toxicité du produit pour les organismes aquatiques, il n'est pas contesté que les mentions en langue

française des sur-étiquettes litigieuses ne constituent que la traduction de celles qui figurent en langue allemande sur les étiquettes apposées sur les bidons d'AMISTAR par la société ZENECA GmbH.

Il s'avère en outre que si ces mentions de la sur-étiquette litigieuse sont en contradiction avec la présentation publicitaire du produit par la société SOPRA, en revanche la société MARTEL AGRO CHIMIE justifie que les étiquettes apposées sur les bidons de fongicide "AMISTAR" commercialisés en France par la société SOPRA elle-même et comportant le numéro d'autorisation de mise sur le marché provisoire 9600093 recommandaient également de ne pas contaminer les étangs et cours d'eau avec le produit ou les emballages après usage.

La société appelante justifie également que l'index phytosanitaire français pour l'année 1998 indique notamment en ce qui concerne la liste des phases de risque attribuées au principe actif du fongicide concerné, l'azoxystrobine, les risques R 50 : très toxique pour les organismes aquatiques, et R. 53 : peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique, selon la nomenclature figurant en annexe III de l'arrêté du 20 avril 1994 modifié.

Par ailleurs, l'azoxystrobine a été incluse dans l'annexe I de la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques par la directive 98/47/CE de la Commission du 25 juin 1998, avec la mention qu'une attention particulière doit être accordée aux effets sur les organismes aquatiques, les conditions d'autorisation devant prévoir des mesures appropriées visant à réduire les risques.

Enfin, il est acquis que l'autorisation de mise sur le marché de la préparation "AMISTAR" comporte depuis le 16 novembre 1998 la mention "dangereux pour les organismes aquatiques" ; étant observé que la

Cour ne peut se borner à se placer en l'état de la réglementation française applicable au moment de l'introduction de l'instance pour l'appréciation du litige dès lors que l'interdiction de commercialisation prononcée par la décision entreprise et dont la confirmation est sollicitée par les intimées produit également ses effets pour l'avenir.

Il s'ensuit qu'il ne peut être reproché à la société MARTEL AGRO CHIMIE d'avoir fait figurer sur les sur-étiquettes litigieuses des mentions faisant état de la toxicité du produit concerné pour les organismes aquatiques et sur ses effets à long terme pour l'environnement et que seule une volonté délibérée de cloisonner le marché peut motiver les demandes des intimées relatives au préjudice qui leur serait créé par l'apposition de cette mention contraire à leur présentation fallacieuse du produit "AMISTAR" en France.

Par ailleurs, il est effectivement constant que l'autorisation provisoire de mise sur le marché du fongicide "AMISTAR" accordée à la société SOPRA le 24 juillet 1997 limite son usage en cause à deux céréales : le blé et l'orge, alors que la sur-étiquette litigieuse mentionne qu'il peut être également utilisé sur la triticale, le seigle et l'épeautre.

Il échet en premier lieu d'observer que l'épeautre n'est qu'une variété de blé dur nécessairement incluse dans cette autorisation qui vise le blé au sens large.

L'usage du fongicide "AMISTAR" sur le seigle et le triticale est ouvert sur le marché allemand par l'autorisation de mise sur le marché délivrée à la société ZENECA GmbH par les autorités allemandes compétentes et figure expressément sur les étiquettes des bidons commercialisés par celle-ci, dont il convient de rappeler que la sur-étiquette incriminée n'en constitue que la traduction.

Or, la société MARTEL AGRO CHIMIE affirme sans soulever aucune

contestation de la part des intimées que l'autorisation d'utiliser le fongicide en cause sur le seigle et le triticale n'avait pas été demandée par la société SOPRA au Ministère de l'agriculture lorsqu'elle a sollicité une autorisation de mise sur le marché provisoire.

En outre, l'appelante justifie que l'usage du produit "AMISTAR" sur ces deux céréales est homologué en France depuis le 27 janvier 1999, de sorte que leur mention sur les sur-étiquettes litigieuses ne peut elle non plus constituer pour la société ZENECA Ltd et la société SOPRA un motif légitime d'obtenir la confirmation de l'interdiction de la commercialisation des bidons litigieux. Sur les mentions obligatoires

Il est établit que le texte français figurant sur la sur-étiquette ne comporte pas les mentions imposées par les articles 31 et suivants de l'arrêté du 6 septembre 1994, à savoir le nom et l'adresse du détenteur de l'autorisation de mise sur le marché, le numéro de l'autorisation du produit, les instructions d'emploi et la dose à appliquer pour chaque usage autorisé, ainsi que l'intervalle de sécurité à respecter pour chaque usage.

Toutefois, en ce qui concerne les conditions de mise sur le marché du produit "AMISTAR", il convient de rappeler que la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 a mis en place un ensemble de règles uniformes en ce qui concerne les conditions et les procédures de délivrance des autorisations de mise sur le marché aux produits phytopharmaceutiques afin d'assurer à la fois à niveau élevé de protection de la santé humaine et animale ainsi que de l'environnement et, d'autre part, d'éliminer à l'intérieur de la Communauté les obstacles aux échanges de produits phytopharmaceutiques résultant de l'existence de réglementations nationales différentes.

Cette directive prévoit notamment qu'un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché d'un État membre et utilisé que s'il a été dûment autorisé conformément aux dispositions de la directive.

La Cour de justice des communautés européennes a jugé dans son arrêt "British Agrochimicals Association Ltd" du 11 mars 1999 (C-100/96) que lorsqu'une autorité compétente d'un État membre conclut qu'un produit phytopharmaceutique importé d'un État de l'Espace économique européen dans lequel il bénéficie déjà d'une autorisation de mise sur le marché délivrée conformément à la directive 91/414/CEE du Conseil, du 15 juillet 1991, et qui, sans être en tous points identique à un produit déjà autorisé sur le territoire de l'État membre d'importation, à tout le moins, a une origine commune avec ce produit en ce sens qu'il a été fabriqué par la même société ou par une entreprise liée ou travaillant sous licence suivant la même formule, a été fabriqué en utilisant la même substance active et a en outre les mêmes effets compte-tenu des différences qui peuvent exister au niveau des conditions agricoles, phytosanitaires et environnementales, notamment climatiques, intéressant l'utilisation du produit, ce produit doit, à moins que des considérations tirées de la protection de la santé humaine et animale ainsi que de l'environnement ne s'y opposent, pouvoir bénéficier de l'autorisation de mise sur le marché déjà accordée dans l'État membre d'importation. Il est constant que cet arrêt est interprétatif.

Elle avait déjà jugé antérieurement dans son arrêt De Peijer du 20 mai 1976, dans le cadre des articles 30 et 36 du Traité CEE, que si les autorités sanitaires de l'État membre d'importation disposent déjà, à la suite d'une importation antérieure ayant donné lieu à l'octroi d'une autorisation de mise sur le marché, de toutes les indications aux fins de contrôle de l'efficacité et de l'innocuité du produit en cause, il n'est manifestement pas nécessaire dans un

impératif de protection que lesdites autorités exigent d'un second opérateur, ayant importé un produit en tout point identique, qu'il leur soumette à nouveau les indications susvisées.

Or, si le décret n° 94-539 du 5 mai 1994 pris pour l'application de la directive 91/414/CEE prévoit que les produits phytopharmaceutiques ne peuvent être mis sur le marché ni utilisés que s'ils ont fait l'objet d'une autorisation préalable, il est acquis que l'administration compétente a ignoré jusqu'à l'arrêt du 11 mars 1999 susvisé la formule de l'homologation simplifiée pour l'octroi des autorisations de commercialisation de produits phytopharmaceutiques bénéficiant déjà en France d'une autorisation de mise sur le marché provenant d'importations parallèles et imposé aux importateurs concernés une homologation "lourde" impliquant nécessairement l'autorisation du fabricant ou du distributeur officiel, au demeurant seul en mesure de fournir les éléments techniques propres à confirmer l'identité absolue du produit importé avec le produit de référence bénéficiant de cette autorisation qui était exigée par l'administration française, ce nonobstant la mise en demeure pour violation des articles 30 à 36 du traité CEE qui lui avait été adressée par la Commission européenne le 29 juillet 1998.

Il s'ensuit que la société MARTEL AGRO CHIMIE fait valoir à bon droit que jusqu'à l'avis aux importateurs publié au Journal officiel du 7 août 1999 par le Ministère de l'agriculture et de la pêche relatif à la mise en place d'une procédure simplifiée d'autorisation d'importation de produits phytosanitaires mis sur le marché dans un autre Etat membre de l'Union Européenne ou de l'Espace économique européen, elle n'avait pas la possibilité de soumettre un projet d'étiquettemarché dans un autre Etat membre de l'Union Européenne ou de l'Espace économique européen, elle n'avait pas la possibilité de soumettre un projet d'étiquette conforme à l'administration

compétente et ne pouvait qu'offrir à la vente un produit muni de son étiquetage d'origine établie par la filiale allemande de la société ZENECA LIMITED en conformité avec la législation de l'Union européenne et d'une sur-étiquette correspondant à sa traduction française.

Il s'ensuit que le sur-étiquetage litigieux ne peut être invoqué par la société ZENECA Limited et la société SOPRA comme motif légitime de s'opposer à la commercialisation par la société MARTEL AGRO CHIMIE du produit fongicide "AMISTAR", dont il n'est pas allégué qu'il aurait été lui-même modifié ou altéré et qui a fait l'objet d'une importation parallèle licite, dans le conditionnement incriminé. Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions. Sur les dommages et intérêts

La société MARTEL AGRO CHIMIE ne peut solliciter la réparation par les intimées d'un préjudice économique résultant d'une décision judiciaire d'interdiction de commercialisation, au demeurant sérieusement motivée, dont il n'est aucunement démontré qu'elle aurait été obtenue à son détriment par fraude ou dol. Par ailleurs, les "moyens considérables et disproportionnés" qu'elle prétend avoir mis en oeuvre pour assurer sa défense relèvent de l'indemnisation des frais irrépétibles. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande de dommages et intérêts.

En revanche, il convient de faire droit à la demande de publication du présent arrêt qui est nécessaire pour assurer la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la procédure engagée à son encontre.

Enfin, au vu des éléments de la cause, il échet également de fixer à la somme de 100.000 francs l'indemnité qui sera allouée à société MARTEL AGRO CHIMIE au titre des frais irrépétibles exposés en la cause, ce en application des dispositions de l'article 700 du nouveau

Code de procédure civile. * * * PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Dit recevable et partiellement fondé l'appel formé par société MARTEL AGRO CHIMIE ;

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de la plainte pénale déposée par l'association "AUDACE" entre les mains de Madame le Doyen des Juges d'instruction du Tribunal de grande instance de Versailles ;

Confirme le jugement rendu le 6 janvier 1999 par le Tribunal de grande instance de TROYES en ce qu'il a rejeté les exceptions de procédure soulevées par la société MARTEL AGRO CHIMIE ;

L'infirmant pour le surplus et statuant à nouveau,

Déboute la société ZENECA Limited et la société SOPRA de l'intégralité de leurs prétentions ;

Déboute la société MARTEL AGRO CHIMIE de sa demande de dommages et intérêts ;

Ordonne la publication par extraits du présent arrêt dans cinq journaux ou revues professionnelles au choix de la société MARTEL AGRO CHIMIE et aux frais de la société ZENECA Limited et de la société SOPRA dans la limite d'un coût de VINGT MILLE FRANCS (20.000), soit 3048,98 euros, par insertion ;

Condamne la société ZENECA Limited et la société SOPRA aux dépens de première instance et d'appel et autorise la société civile professionnelle DELVINCOURT JACQUEMET, Avoués, à procéder au recouvrement direct des dépens de l'instance d'appel dans les conditions fixées par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.

Condamne enfin la société ZENECA Limited et la société SOPRA à payer à la société MARTEL AGRO CHIMIE une indemnité de CENT MILLE FRANCS (100.000), soit 15.244,90 euros, en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile. LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de reims
Numéro d'arrêt : 99/00311
Date de la décision : 14/02/2001

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Protection - Contrefaçon.

La reproduction d'une marque sur une sur-étiquette apposée sur des bidons de fongicide par une filiale dans l'Union européenne sans l'autorisation de la société titulaire de la marque ne constitue pas en soi une contrefaçon pas plus qu'un motif légitime pour interdire la commercialisation de celle-ci au titre de l'article 7-2 de la directive 89/104/CEE du Conseil du 21 décembre 1989 dès lors que les mentions y figurant ne se révèlent pas de nature à nuire à la réputation de la marque et à celle de son titulaire, notamment quand elle ne désigne pas un produit de luxe

COMMUNAUTE EUROPEENNE - Marques.

La commercialisation d'un produit phytopaharmaceutique sur le marché d'un Etat membre n'est licite que si elle a dûment été autorisée conformément aux dispositions de la directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 et de son décret d'application n° 94-539 du 5 mai 1994 concernant l'autorisation préalable. Il est cependant acquis que l'administration compétente a ignoré jusqu'à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européenne du 11 mars 1999 la formule de l'homologation simplifiée pour l'octroi des autorisations de commercialisation de produit phytosanitaires bénéficiant déjà en France d'une autorisation de mise sur le marché et de ce fait imposé aux importateurs une homologation lourde. Il s'ensuit qu'une société est fondée à faire valoir que sa commercialisation du produit litigieux a fait l'objet d'une importation parallèle licite dès lors qu'elle n'avait pas la possibilité de soumettre un projet d'étiquette conforme du fait de la pratique de l'administration, la sur-étiquette litigieuse ne peuvant être invoquée comme un motif légitime pour s'opposer à la commercialisation du produit


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.reims;arret;2001-02-14;99.00311 ?
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