La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/10/2021 | FRANCE | N°21/017521

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 07, 21 octobre 2021, 21/017521


Ordonnance n° 59

-------------------------
21 Octobre 2021
-------------------------
RG no21/01752 -
No Portalis DBV5-V-B7F-GJE7
-------------------------
[T] [T]
C/
[S] [S]
-------------------------

Ordonnance notifiée aux parties le :R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

ORDONNANCE DE LA PREMIÈRE PRESIDENTE

Contestation d'honoraires d'avocat

Rendue le vingt et un octobre deux mille vingt et un

Dans l'affaire qui a été examinée en audience publique

le vingt trois septembre deux mille vingt et un par Madame Gwenola JOLY-COZ, première présidente de la cour d'appel de POITIERS, a...

Ordonnance n° 59

-------------------------
21 Octobre 2021
-------------------------
RG no21/01752 -
No Portalis DBV5-V-B7F-GJE7
-------------------------
[T] [T]
C/
[S] [S]
-------------------------

Ordonnance notifiée aux parties le :R E P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

ORDONNANCE DE LA PREMIÈRE PRESIDENTE

Contestation d'honoraires d'avocat

Rendue le vingt et un octobre deux mille vingt et un

Dans l'affaire qui a été examinée en audience publique le vingt trois septembre deux mille vingt et un par Madame Gwenola JOLY-COZ, première présidente de la cour d'appel de POITIERS, assistée de Madame Inès BELLIN, greffier, lors des débats.

ENTRE :

Monsieur [T] [T]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]

comparant en personne

DEMANDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITÉ,

D'UNE PART,

ET :

Maître [S] [S]
Cabinet d'avocats AVICI
[Adresse 5]
[Localité 2]

Représentée par Me Mathieu CARPINTERO, avocat au barreau de NANTES

DEFENDEUR A LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONALITÉ,

D'AUTRE PART,

ORDONNANCE :

- Contradictoire

- Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- Signée par Madame Gwenola JOLY-COZ, première présidente et par Madame Inès BELLIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

Le 22 octobre 2019, Maître [S] [S] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de La Roche sur Yon d'une demande de taxation de ses honoraires à l'encontre de Monsieur [T] [T].

Le bâtonnier a fixé à la somme de 7 260 € TTC les honoraires dus par Monsieur [T] [T] à Maître [S] [S] par une décision rendue le 18 février 2020, notifiée le 11 mars 2020 à Monsieur [T] [T].

Monsieur [T] [T] a formé un recours entre les mains de la première présidente de la cour d'appel de Poitiers le 22 juillet 2020.

Ce recours est recevable comme formé dans les délais prorogés par ordonnance no2020-306 du 25 avril 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'état d'urgence sanitaire.

L'affaire a été appelée à l'audience du 17 décembre 2020 et a fait l'objet de renvois successifs:
- à une audience du 18 mars 2021 à la demande de Maître [S] [S] ;
- à une audience du 27 mai 2021 à la demande de Monsieur [T] [T] pour pouvoir répondre aux conclusions de la partie adverse qui lui avait été adressées le 12 mars 2021.

Monsieur [T] [T] a déposé une question prioritaire de constitutionnalité par écrit distinct en date du 14 mai 2021.

Il considère que l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques est contraire aux principes d'égalité des citoyens devant la loi d'une part, et des citoyens entre eux d'autre part, tels que définis par l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

Monsieur [T] [T] a maintenu sa question prioritaire de constitutionnalité à l'audience du 27 mai 2021.

Maître [S] [S] a demandé à pouvoir y répondre. L'affaire a été renvoyée à une audience du 23 septembre 2021.

Par ordonnance du 27 mai 2021, la première présidente a ordonné l'enregistrement de la question prioritaire de constitutionnalité au rôle de la cour d'appel. Elle a également ordonné la transmission du dossier au parquet général pour avis.

Il a été sursis à statuer sur l'appel de la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de La Roche sur Yon du 18 février 2020.

Le parquet général a transmis un avis aux fins de non transmission à la cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité à défaut de caractère sérieux.

Ces observations ont été notifiées :
- à Monsieur [T] [T] par lettre recommandée avec accusé de réception le 12 juillet 2021
- à Maître [Z] [Z] par lettre recommandée avec accusé de réception le 9 juillet 2021
- à Maître [S] [S] par lettre recommandée avec accusé de réception revenue avec la mention "pli avisé et non réclamé".

A l'audience du 23 septembre 2021, les parties ont été entendues.

Monsieur [T] [T] soutient que les termes "situation de fortune du client" inscrits à l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 instaurent une discrimination entre les clients.

Il souligne que la situation de fortune du client peut être réelle ou supposée.

Il observe que ce critère ne peut être justifié par le droit d'accès de tous à la justice puisque ce droit est déjà assuré par le dispositif de l'aide juridictionnelle.

Il ajoute que ce critère crée une inégalité entre les prestataires de service, et notamment entre les avocats et les autres auxiliaires de justice, puisque la possibilité de faire varier sa rémunération n'est prévue que pour les avocats.

Aucune analogie ne peut être faite entre cette variabilité de la rémunération selon la situation de fortune du client et l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 sur la contribution des citoyens aux charges publiques. Monsieur [T] [T] expose que si l'avocat est un auxiliaire de justice intervenant dans le fonctionnement d'un service public, il demeure un prestataire privé exerçant une activité à titre libéral. Dès lors, ses honoraires ne constituent pas une charge publique mais une dette privée à régler par le client consommateur.

Monsieur [T] [T] réfute également le principe de libre concurrence et de liberté des prix pour justifier, selon le parquet général, les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971. En effet, ces critères n'ont pas vocation à s'appliquer lors de la détermination de l'honoraire par l'avocat et le client en début de mandat, mais lorsque, à défaut de convention d'honoraires, soit l'avocat facture unilatéralement ses honoraires, soit le bâtonnier ou le juge sont appelés à les fixer.

Enfin, Monsieur [T] [T] soutient qu'aucune interprétation n'est donnée aux critères énumérés à l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971. Cette opacité crée une insécurité juridique qui renforce cette rupture d'égalité devant la loi.

Maître [S] [S] conclut dans un écrit distinct et motivé à la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à défaut de caractère sérieux.

Elle sollicite en outre la condamnation de Monsieur [T] [T] à lui verser la somme de 1000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :

Conformément à l'article 126-2 du code de procédure civile, la question prioritaire de constitutionnalité doit être soulevée dans un écrit motivé et distinct des autres conclusions qui sont produites dans l'instance.

En l'espèce, Monsieur [T] [T] a adressé à la première présidente de la cour d'appel une question prioritaire de constitutionnalité dans un écrit motivé et distinct de ses conclusions au fond.

Monsieur [T] [T] est donc recevable à soulever une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

Conformément à l'article 23-2 de l'ordonnance no58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le conseil constitutionnel, il est procédé à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité si les conditions suivantes sont remplies :
1o la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ;
2o elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ;
3o la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Sur l'application des dispositions de l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques au litige pendant devant la première présidente de la cour d'appel :

Monsieur [T] [T] conteste la constitutionnalité des dispositions de l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Maître [S] [S] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de La Roche sur Yon d'une demande de taxation de ses honoraires dus par Monsieur [T] [T]. Le bâtonnier a statué et fixé les honoraires de Maître [S] [S]. Monsieur [T] [T] a formé un recours à l'encontre de cette décision entre les mains de la première présidente.

Une convention d'honoraires a été signée entre Maître [S] [S] et Monsieur [T] [T]. Cependant, Monsieur [T] [T] a révoqué le mandat de Maître [S] [S] avant le terme de sa mission.

A défaut de convention d'honoraires ou en cas de révocation d'une telle convention, les honoraires sont fixés au regard de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci, conformément à l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971.

Ce sont ces dispositions dont la constitutionnalité est remise en cause.

Sur l'absence de déclaration de conformité à la Constitution des dispositions contestées dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel :

Il ressort des décisions du Conseil constitutionnel que l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel.

Sur le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité :

La juridiction du fond doit pouvoir écarter les questions fantaisistes ou dilatoires, et pour ce faire, vérifier le caractère opérant de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée. L'analyse juridique approfondie du sérieux et de la pertinence de la question prioritaire de constitutionnalité relève de la cour de cassation.

En l'espèce, Maître [S] [S] reproche à Monsieur [T] [T] de déposer tardivement une question prioritaire de constitutionnalité.

Maître [S] [S] a saisi le bâtonnier le 22 octobre 2019. Monsieur [T] [T] a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité le 14 mai 2021.

Le délai d'un an et demi qui s'est écoulé entre le début de la procédure et la question prioritaire de constitutionnalité soulevée ne peut être reproché à Monsieur [T] [T].

Il s'explique tout d'abord par la prorogation des délais de recours prévue par l'ordonnance no2020-306 du 25 avril 2020 ayant permis l'exercice effectif des voies de recours par les justiciables durant la crise sanitaire de la covid-19.

Il s'explique ensuite par les renvois successifs de l'examen de l'affaire en appel. Ces renvois ont été sollicités par chacune des parties et accordés par la cour d'appel pour le respect du principe du contradictoire et la bonne administration de la justice.

Ce délai d'un an et demi ne peut être reproché à Monsieur [T] [T] qui par ailleurs exerce, sans le concours d'un professionnel du droit, les voies de recours qui lui sont offertes.
Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Monsieur [T] [T] n'apparaît pas dilatoire.

Elle n'apparaît pas davantage fantaisiste.

En effet, Monsieur [T] [T] présente une motivation dense et construite. Il invoque de nombreux arguments qu'il confronte à des principes et droits fondamentaux garantis par la constitution et les textes de droit à valeur constitutionnelle. L'argumentaire qu'il développe tend à faire naître un doute dans un esprit éclairé sur l'interprétation et l'application des dispositions contestées par les juridictions.

Par conséquent, il y a lieu de transmettre la question prioritaire constitutionnelle soulevée par Monsieur [T] [T] ainsi formulée : l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques porte-t-il atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi et des citoyens entre eux en prévoyant la rémunération de l'avocat selon des critères susceptibles de donner lieu à des conflits d'interprétation, et notamment selon la situation de fortune du client ?

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les dépens qu'elles supportent au titre de la présente instance ainsi que les frais non compris dans les dépens. Ainsi, Maître [S] [S] sera déboutée de sa demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Nous, Gwenola Joly-Coz, première présidente, statuant publiquement et par décision contradictoire,

Déclarons recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Monsieur [T] [T] ;

Disons y avoir lieu à transmettre la dite question prioritaire de constitutionnalité ainsi formulée : l'alinéa 4 de l'article 10 de la loi no71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques porte-t-il atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la loi et des citoyens entre eux en prévoyant la rémunération de l'avocat selon des critères susceptibles de donner lieu à des conflits d'interprétation, et notamment selon la situation de fortune du client ;

Disons n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laissons à la charge de chacune des parties les dépens qu'elles supportent au titre de la présente instance.

La greffière,La première présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 07
Numéro d'arrêt : 21/017521
Date de la décision : 21/10/2021
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.poitiers;arret;2021-10-21;21.017521 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award