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21/01/2003 | FRANCE | N°01/00487

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 21 janvier 2003, 01/00487


Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON Contentieux 1ère CHAMBRE CIVILE JUGEMENT du 21 Janvier 2003 DEMANDEUR : Mr X DEFENDEUR : Monsieur Y COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et du délibéré : Monsieur LAPEYRE Président, Monsieur ROVINSKI Vice-Président et Mademoiselle LE DU Juge. JUGEMENT : EXPOSE SOMMAIRE DES FAITS ET DES MOYENS DES PARTIES. Article 455 du nouveau Code de procédure civile. Le 11 MARS 2001, au soir du premier tour des élections municipales qui opposaient aux HERBIERS le maire sortant Mr X et Mme Z, Mr Y sur la chaîne de télévision FRANCE 3 a déclarÃ

© : "Je ne pense pas que les Herbretais savaient ce qu'ils vo...

Tribunal de Grande Instance de LA ROCHE SUR YON Contentieux 1ère CHAMBRE CIVILE JUGEMENT du 21 Janvier 2003 DEMANDEUR : Mr X DEFENDEUR : Monsieur Y COMPOSITION DU TRIBUNAL : Lors des débats et du délibéré : Monsieur LAPEYRE Président, Monsieur ROVINSKI Vice-Président et Mademoiselle LE DU Juge. JUGEMENT : EXPOSE SOMMAIRE DES FAITS ET DES MOYENS DES PARTIES. Article 455 du nouveau Code de procédure civile. Le 11 MARS 2001, au soir du premier tour des élections municipales qui opposaient aux HERBIERS le maire sortant Mr X et Mme Z, Mr Y sur la chaîne de télévision FRANCE 3 a déclaré : "Je ne pense pas que les Herbretais savaient ce qu'ils vont apprendre cette semaine, ce que je vais leur apprendre moi-même, le maire des HERBIERS dans un procès probablement retentissant, sera démissionnaire d'office puisqu'il sera probablement inéligible pour abus de biens sociaux et donc je pense que les Herbretais comprendront que Mme Z et moi-même, nous menons sur le plan local le même combat pour la probité, pour l'honnêteté publique que je mène sur le plan national".

Estimant que par cette déclaration, Mr Y en violant les dispositions de l'article 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et de Sauvegarde des Libertés Fondamentales, enfin de l'article 9-1 du Code civil selon lequel chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, lui a causé sciemment un grave préjudice majoré par l'utilisation d'un média national à une heure de grande écoute, Mr X l'a assigné devant ce tribunal par actes des 15 mars et 9 MAI 2001 qui ont fait l'objet d'une décision de jonction et demande par conclusions récapitulatives du 20 FEVRIER 2002, avec exécution provisoire, sa condamnation à lui payer la somme de 76 224,51 Euros à titre de dommages intérêts outre celle de 3 048,98 Euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Mr X fait valoir que l'atteinte fautive à la présomption d'innocence par Mr Y à son préjudice est inexcusable compte tenu de l'envergure nationale de son auteur, exercé pourtant aux techniques de communication médiatique.

Par conclusions récapitulatives du 24 OCTOBRE 2002, Mr Y demande que soit déclaré nul l'acte d'assignation, subsidiairement que soit constaté l'effet extinctif de prescription, plus subsidiairement qu'il soit tiré toutes conséquences de ce que le demandeur n'établit pas l'existence de l'instruction pénale qui justifierait l'application des dispositions invoquées de l'article 9-1 du Code civil ; qu'il soit jugé qu'il n'y a pas eu atteinte à la présomption d'innocence ; qu'il soit constaté que Mr X a reconnu lui même les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de la procédure d'instruction, plus subsidiairement encore qu'il n'est pas prouvé la réalité du préjudice allégué, en tous cas que Mr X soit condamné à lui payer la somme de 1 600 Euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Il fait valoir que l'article 9-1 du Code civil ne peut servir de fondement à une action civile en réparation de droit commun et que le demandeur en méconnaissance de l'obligation contenue à l'article 46 du nouveau Code de procédure civile et à défaut d'indiquer les moyens de droit pertinents qui la fondent, soit l'article 1382 du Code civil, doit se voir opposer la nullité de son acte d'assignation ; que ce dernier n'a pu en conséquence interrompre la prescription qui se trouve acquise par application des dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 JUILLET 1881 qui impose des poursuites régulières dans le délai de trois mois lorsqu'est invoquée une violation de la présomption d'innocence par l'un des moyens prévus à l'article 29 de cette même loi ;que Mr X n'a jamais produit aux débats les documents propres à établir qu'il serait effectivement concerné par une

procédure instruite pour abus de biens sociaux, condition sine qua non de l'applicabilité des dispositions de l'article 9-1 du Code civil ; qu'en employant les expressions dubitatives "procès probablement retentissant" et "il sera probablement inéligible", il a introduit une nuance suffisante pour dire qu'il n'a pas présenté Mr X comme coupable des faits pour lesquels il était mis en examen et qu'une simple insinuation n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 9-1 du Code civil qui doivent faire l'objet d'une interprétation stricte des lois qu'elles constituent, une restriction à la liberté d'expression constitutionnellement protégée et reconnue par l'article 10 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ; que Mr X dans le journal Presse Océan du 13 OCTOBRE 2000 a lui même reconnu sa culpabilité comme dans le journal Ouest France du 14 OCTOBRE 2000 et ne peut en application de la règle "Volenti non fit injuria" se plaindre d'une atteinte à sa présomption d'innocence ; que Mr X ne justifie pas enfin de la nature des préjudices matériels et moraux qu'il invoque et de leur réalité, ayant été réélu à la mairie des HERBIERS et ne pouvant alléguer d'éventuels effets sur la procédure pénale à l'époque en cours.

Mr X fait valoir sur ces différents arguments de droit que sa mise en examen était notoire et que Mr Y n'en était pas ignorant comme il le reconnaît lui même ; que l'article 9-1 du Code civil qui permet de solliciter du juge des mesures d'insertion en cas d'atteinte à la présomption d'innocence, permet aussi la réparation des préjudices qui en sont la suite, comme l'a jugé la Cour de Cassation dans ses arrêts des 8 MARS et 21 JUIN 2001 ; que son assignation régulière a bien interrompu la prescription et qu'en application des dispositions de l'article 65-1 de la loi du 29 JUILLET 1881, les actions fondées

sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l'article 23 se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité sans qu'aucune autre prescription abrégée ne court à compter du dernier acte d'instruction ou de poursuite ; que la Cour de Cassation définit l'atteinte à la présomption d'innocence comme l'expression publique de conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ; qu'ici, l'adverbe "probablement" ne porte que sur le caractère retentissant du procès à venir et l'inégibilité du condamné comme une suite éventuelle d'une sanction pénale pour abus de biens sociaux, dont le principe est donné pour acquis ; que l'emploi du temps futur et la formulation générale de la phrase emportent la conviction de Mr Y qu'il est coupable ;qu'il a certes reconnu certains faits et avoir commis une grave erreur mais sans se prononcer sur sa culpabilité au regard des incriminations retenues contre lui, se ménageant le droit de se déclarer pénalement ou non coupable ; que les circonstances prouvent suffisamment la réalité et l'importance des préjudice dont il demande réparation.

SUR CE,

SUR L'EXCEPTION DE NULLITE DE L'ASSIGNATION.

Attendu que les dispositions de l'article 9-1 du Code civil institue un régime de responsabilité civile spéciale dérogatoire du droit commun et que l'atteinte à la présomption d'innocence qu'il sanctionne notamment par l'allocation de dommages intérêts ne nécessite pas le soutien des dispositions de l'article 1382 du Code civil ; qu'en conséquence, l'assignation du 15 MARS 2001 est régulière et que l'exception de nullité doit être rejetée ;

SUR LA FIN DE NON RECEVOIR TIREE DE LA PRESCRIPTION DE L'ACTION.

Attendu que, en application des dispositions de l'article 65-1 de la

loi du 29 JUILLET 1881 applicables en l'espèce, les actions fondées sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un des moyens visés à l 'article 23 de la loi précitée se prescrivent après trois mois révolus à compter du jour de l'acte de publicité ; que Mr X qui a assigné Mr Y avant le 11 JUIN 2001 soit les 15 MARS et 9 MAI 2001 a donc agi dans le délai utile et ne peut se voir opposer la fin de non recevoir tirée de la prescription ; qu'en outre, les dispositions de l'article 65 de la loi du 29 JUILLET 1881 selon lequel la prescription de l'action civile résultant des infractions prévues par cette loi se prescrivent après trois mois révolus, à compter du jour où elles auront été commises ou du jour du dernier acte d'instruction ou de poursuite s'il en a été fait, ne sont pas applicables en l'espèce ; qu'en conséquence, il y a lieu au rejet de la fin de non recevoir dont s'agit ;

SUR L'IRRECEVABILITE EN RAISON DE L'ABSENCE DE PREUVE DE L'EXISTENCE D'UNE PROCEDURE PENALE POUR ABUS DE BIENS SOCIAUX.

Attendu que suite à l'enquête effectuée par le SRPJ d'ANGERS sur les agissements des dirigeants de la SA Etablissements ALBERT aux HERBIERS (Vendée) une information judiciaire a été ouverte le 8 FEVRIER 2000, contre x... des chefs d'abus de biens sociaux, recel, présentation de bilan inexact, escroqueries et recel ; qu' à la suite de réquisitions supplétives du 11 OCTOBRE 2000, Mr X a été mis en examen ce même jour des chefs de recel d'abus de biens sociaux, faux et usage de faux ;

Attendu que Mr X a produit aux débats les copies de trois articles de presse parus successivement dans Presse Océan et Ouest France intitulés : le 13 OCTOBRE 2000 "Après sa garde à vue et sa mise en examen, Mr X s'explique", les 14, 15 OCTOBRE 2000 "Mise en examen pour abus de biens sociaux : Mr X s'explique", "Les Herbiers : mis en examen, l'ancien patron Mr X ne nie pas",

Que ces documents prouvent suffisamment l'existence de la procédure d'instruction pénale ouverte contre Mr X au jour des déclarations du 11 MARS 2001 de Mr Y, qui doit être débouté de ce moyen de défense ; SUR LE FOND

Attendu que l'atteinte à la présomption d'innocence consiste à présenter publiquement comme coupable, avant condamnation, une personne poursuivie pénalement ; que l'article 9-1 du Code civil subordonne la violation du principe de la présomption d'innocence à la réunion de trois éléments : l'existence d'une culpabilité pénale, d'une publicité et d'une procédure judiciaire ; que les propos de Mr Y tenus sur la chaîne FR3 ont bien le caractère public exigé par la loi, propos exprimés à un moment où Mr X se trouvait bien déjà mis en examen ; que la loi, pour préserver la liberté d'expression, notamment d'un homme politique, nécessaire lors du débat démocratique entre les deux tours d'une élection d'enjeu national ne condamne que les propos définitifs manifestant chez leur auteur un préjugé tenant pour acquise la culpabilité ; qu'au contraire, la liberté d'expression autorise l'évocation d'une culpabilité éventuelle par l'utilisation du conditionnel et de réserves de langage suffisant quant à l'issue de la procédure évoquée dans le débat public ;

Attendu que, en l'espèce, les déclarations de Mr Y n'étant pas contestées dans leur teneur, contiennent des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de Mr X en ce sens que l'adverbe "probablement" ne se rapporte qu'au caractère retentissant du procès et à la sanction d'inégibilité qu'il emportera tandis que le défendeur annonçait comme une révélation que le maire des HERBIERS serait démissionnaire d'office après sa condamnation pour abus de biens sociaux présentée dès lors comme certaine ; que le préjugé sur la culpabilité se trouve renforcé par ailleurs par les

propos conclusifs de Mr Y : "donc je pense que les Herbretais comprendront que Mme Z et moi même, nous menons sur le plan local le même combat pour la probité, pour l'honnêteté publique" qui tendent de manière péremptoire à opposer la culpabilité et la malhonnêteté d'un côté à l'honneur et la probité de l'autre ;

Attendu que les conditions légales de l'article 9-1 du Code civil sont en conséquence satisfaites ;

Attendu que pour finir, la reconnaissance du mis en examen de sa culpabilité, partielle ou totale, à supposer qu'elle existât au jour des déclarations de Mr Y, serait sans conséquence autrement que sur l'appréciation de l'importance des préjudices allégués, dès lors que le droit à la présomption d'innocence, droit de la personnalité, inhérent à toute personne humaine et droit subjectif extra-patrimonial présente à ce titre un caractère inaliénable ; que son titulaire ne peut en conséquence y renoncer et que nul ne peut invoquer son comportement pour lui en refuser le bénéfice ;

Attendu que Mr Y doit en conséquence être déclaré responsable civilement et condamné à réparation ;

Attendu que les propos de Mr Y dans le contexte particulier d'une soirée électorale tenus sur une chaîne nationale lors d'une émission consacrée aux résultats locaux du premier tour des élections municipales, ont eu un retentissement incontestable préjudiciable à Mr X sur son image personnelle et d'homme public, indépendamment des résultats électoraux du deuxième tour qui lui ont été favorables mais qu'il faut en revanche tenir compte des déclarations de Mr X dans la presse par lesquelles il reconnaissait et expliquait partie des faits qui lui sont reprochés, commis dans le cadre de ses activités industrielles atténuant objectivement l'incidence dans le public des propos de Mr Y ;

Attendu que ces circonstances justifient fixation à 7 000 Euros de la

somme due à Mr X à titre de dommages intérêts ;

Attendu que l'exécution provisoire, en l'absence de contestation sérieuse, doit être ordonnée ;

Attendu que la somme de 2 000 Euros doit être allouée à Mr X sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ; PAR CES MOTIFS --------------------------

Le Tribunal statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en premier ressort,

Déclare Mr X recevable en ses demandes ;

Condamne Mr Y à payer à Mr X la somme de 7 000 Euros à titre de dommages intérêts, majorée des intérêts légaux à compter du jugement jusqu'à parfait paiement ;


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Numéro d'arrêt : 01/00487
Date de la décision : 21/01/2003

Analyses

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE.

Les propos définitifs manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité porte atteinte au principe de la présomption d'innocence. En effet, si la liberté d'expression, notamment d'un homme politique, est nécessaire au débat démocratique, elle doit se limiter à l'évocation d'une culpabilité éventuelle par l'utilisation du conditionnel et de réserves de langage

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE.

La reconnaissance de sa culpabilité par la personne mise en examen est sans conséquence sur l'appréciation de l'atteinte à la présomption d'innocence. En effet, en tant que droit subjectif extra-patrimonial, le droit à la présomption d'innocence se caractérise par son inaliénabilité


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.poitiers;arret;2003-01-21;01.00487 ?
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