N°22/04519
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d'Appel
de Pau
ORDONNANCE
CHAMBRE SPÉCIALE
Référé du
15 décembre 2022
Dossier N°
N° RG 22/02703 - N° Portalis DBVV-V-B7G-IKWX
Objet:
Demande relative à l'octroi, l'arrêt ou l'aménagement de l'exécution provisoire
Affaire :
[N] [R]
C/
LE TRESORIER PAYEUR GENERAL DE LA GIRONDE, S.E.L.A.R.L. EKIP', LE PROCUREUR GENERAL
Nous, Rémi LE HORS, Premier Président de la cour d'appel de Pau,
Après débats à l'audience publique du 1er Décembre 2022,
Avons prononcé la décision suivante à l'audience du 15 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Avec l'assistance de Madame GABAIX-HIALE, Greffier
ENTRE :
Monsieur [N] [R]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Demandeur au référé ayant pour avocat Me Romuald PALAO de la SELARL DERBY AVOCATS, avocat au barreau de BAYONNE
Suite à un jugement rendu par le Tribunal de Commerce de DAX, en date du 14 Septembre 2022, enregistré sous le n° 2021000564
ET :
LE TRESORIER PAYEUR GENERAL DE LA GIRONDE
Le directeur régional des finances publiques de Nouvelle Aquitaine de Gironde en qualité de curateur à la succession vacante de Monsieur [F] [R] suivant jugement du tribunal judiciaire de Dax en date du 3 août 2020
Pôle de gestion des patrimoines privés
[Adresse 3]
[Localité 4]
Défendeur au référé ayant pour avocat Me Elisabeth de Brisis du cabinet de Brisis & Del Alamo, avocat au barreau de Dax
S.E.L.A.R.L. EKIP' Prise en la personne de Maître [C] [H], domicilié en cette qualité audit siège, agissant ès qualité de liquidateur de l'EURL [F] [R], désignée à cette fonction par Jugement du Tribunal de commerce de DAX du 10 juillet 2019
[Adresse 2]
[Localité 4]
Défenderesse au référé ayant pour avocat Me Camille ESTRADE, avocat au barreau de PAU
LE PROCUREUR GÉNÉRAL
Palais de Justice
[Adresse 7]
[Localité 6]
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par acte de la SCP Cambron & associés, commissaires de justice à [Localité 4], en date du 30 septembre 2022, [N] [R] qui, en qualité de gérant de droit de l'EURL [F] [R] a été condamné solidairement avec le trésorier-payeur général de la Gironde en qualité de curateur à la succession vacante de [F] [R], son prédécesseur à la gérance de la dite personne morale à payer à la Selarl Ekip'en qualité de liquidateur de l'EURL [F] [R], une somme de 836 823,77 € au titre du comblement de passif de cette dernière, eu égard aux fautes de gestion commises qui ont aggravé le passif alors qu'il lui est reproché des détournements d'actifs, jugement prononcé par le tribunal de commerce de Dax le 14 septembre 2022, qui a en outre prononcé une interdiction à son encontre de gérer de 10 ans et dont il a relevé appel, demande au premier président de ce siège au visa de l'article 661-1 du code du commerce d'en ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire.
À cet effet, il expose qu'il justifie de moyens sérieux de réformation du jugement critiqué en ce sens qu'il n'a commis, lorsqu'il assurait la gérance de l'EURL [F] [R], aucune faute, n'ayant jamais été associé jusqu'au 6 septembre 2018 à la gestion de cette personne morale, sa requête tendant à voir désigner un mandataire ad hoc et à établir un bilan financier et comptable de celle-ci ayant été rejetée, contestant à l'époque avoir fait état d'une cessation de paiement, alors que durant la période au cours de laquelle il gérait l'EURL, sa trésorerie sera positive, ce qui démontre qu'il ignorait l'ampleur des pertes dont l'origine est antérieure à sa gestion ; il ajoute que le premier juge n'a pas déterminé l'époque à laquelle il aurait eu connaissance de l'état de cessation des paiements ; il n'a pas non plus pris en compte la gravité de l'éventuelle faute et sa contribution à l'insuffisance d'actif.
Il conteste par ailleurs être l'auteur de l'aggravation du passif allégué, les dettes ainsi relevées étant antérieures à sa prise de fonction, alors que son action a permis de faire face au passif exigible avec l'actif disponible, ayant en outre sollicité des moratoires auprès des créanciers, réglant les dettes courantes, l'activité de l'EURL générant un chiffre d'affaires supérieur à 1 000 000 d'euros ; il explique que suite à la condamnation de l'entreprise au paiement de dettes salariales, il a sollicité une nouvelle fois la désignation d'un administrateur ad hoc, alors que ces décisions judiciaires ne sont pas exécutoires et font l'objet pour certaines d'elles de voies de recours.
Il réfute également d'une part les détournements d'actifs qui lui sont imputés portant sur des véhicules automobiles à l'état d'épave qui ont été cédés gratuitement, et d'autre part, l'interdiction de gérer, prononcée à son encontre au motif que la date de cessation de paiement est antérieure à sa prise de fonction.
À titre subsidiaire, il précise que l'exécution du jugement attaqué aurait des conséquences manifestement excessives, puisqu'il ne pourrait plus exploiter l'entreprise qu'il a créée.
La Selarl Ekip'en qualité de liquidateur de l'EURL [F] [R] conclut au débouté des prétentions de [N] [R] et à sa condamnation à lui payer la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux motifs qu'il échoue à établir l'existence de moyens sérieux de réformation, puisque ses fautes de gestion sont caractérisées en ce sens, d'une part, qu'il n'a pas déclaré dans les 45 jours la cessation de paiement de l'EURL, préexistante à sa prise de fonction, alors que le passif a cru durant sa gestion ayant alourdi la masse salariale, ne s'étant pas opposé à la condamnation de l'entreprise au paiement de salaires, d'autre part qu'il a procédé à des détournements d'actifs, des véhicules automobiles au détriment de celle-ci, ayant bénéficié de versement de primes injustifiées, appréhendant les marques de l'EURL, et enfin qu'il est titulaire auprès de l'entreprise d'un compte courant débiteur à hauteur de 21 074 €.
Elle affirme encore qu'il ne démontre pas les conséquences manifestement excessives qu'entraînerait l'exécution de la décision entreprise, les fautes qu'il a commises, justifiant l'interdiction de gérer, prononcée à son encontre, alors que frappé par cette condamnation, il poursuit l'exploitation d'une entreprise ; elle relève encore que [N] [R] ne justifie pas de sa situation matérielle.
Le directeur régional des finances publiques de nouvelle Aquitaine et de Gironde conclut au prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Dax le 14 septembre 2022, motifs pris que la responsabilité de [N] [R], compte tenu des fautes de gestion commises après le décès de son père ne saurait être imputée au défunt alors que le tribunal n'a pas caractérisé les faits lui permettant de prononcer une condamnation solidaire entre les deux défendeurs ; il ajoute qu'il ignore le passif de la succession de [F] [R], qu'il est disposé à vendre l'actif du patrimoine de ce dernier en vue de régler une partie des sommes dûes au titre de la liquidation judiciaire alors qu'il ne saurait être tenu au-delà de l'actif disponible de la succession.
[N] [R] réitère ses prétentions et argumentations et sollicite la condamnation de la Selarl Ekip' à lui payer la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il produit pour ce faire, l'attestation de [I] [X] qui démontre que l'EURL [R] n'était pas en état de cessation de paiement durant sa gérance alors qu'il ne pouvait pas s'opposer devant le conseil de prud'hommes au paiement de salaires, qu'il occupait deux fonctions au sein de l'EURL ce qui explique le montant des rémunérations qu'il a perçues, non excessives et qu'il ignorait le montant des dettes sociales contractées par son père ; il ajoute qu'il ne peut lui être reproché d'être titulaire d'un compte courant débiteur auprès de l'EURL pour ne pas avoir la qualité d'associé mais uniquement celle d'administrateur provisoire alors qu'en tout état de cause, ce compte a été ouvert par son père.
La Selarl Ekip' porte sa demande en paiement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à 2500 € et rétorque que l'attestation de [I] [X] ne répond pas aux exigences prescrites par l'article 202 du code de procédure civile alors qu'elle reproduit fidèlement l'argumentaire du demandeur ; elle relève encore que les demandes du directeur régional des finances publiques de nouvelle Aquitaine et de Gironde sont irrecevables pour être formulées pour la première fois à hauteur d'appel alors par ailleurs qu'elles sont mal fondées puisque l'état de cessation de paiement de l'EURL est né sous la gestion de [F] [R] qui ne l'a pas déclaré dans les 45 jours ; elle affirme encore que le directeur régional des finances publiques de la région nouvelle Aquitaine et de la Gironde ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 810-4 du Code civil contraires aux règles d'ordre public des procédures collectives ; enfin, le directeur ne justifie d'aucune conséquence manifestement excessive.
Le directeur régional des finances publiques rétorque qu'en première instance, il avait soutenu la même argumentation que celle développée devant cette juridiction par courrier, qu'il n'est pas démontré que les dettes contractées par [F] [R] auraient entraîné la cessation de paiement de l'entreprise et qu'ensuite la condamnation solidaire avec [N] [R] n'est pas justifiée alors au surplus, qu'il y avait lieu de prononcer des condamnations à hauteur des fautes commises ; il prétend également que le domaine n'est tenu de s'acquitter sur les deniers publics qu'à hauteur de l'actif successoral.
La Selarl Ekip' dans de nouvelles conclusions déposées à l'audience du 1er décembre 2022 réplique d'une part que le compte-courant dont s'agit, est ouvert à son nom alors au surplus, qu'il n'a pas régularisé sa situation en le maintenant débiteur, d'autre part que le directeur régional des finances publiques n'a pas soutenu devant le tribunal de commerce de Dax ses prétentions oralement et enfin qu'il ne justifie pas du caractère inégal des fautes commises entre [F] et [N] [R].
Le procureur général conclut au rejet des prétentions du demandeur.
SUR QUOI
Il ressort des dispositions de l'article R. 661-1 du code du commerce que le premier président ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas dudit article que si les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux ou si l'exécution de la décision attaquée auraient des conséquences manifestement excessives.
1) Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par [N] [R]
a- Sur le caractère sérieux des moyens de réformation
* Sur les fautes de gestion
Il est constant que [N] [R] a été nommé administrateur provisoire de l'EURL [F] [R] par ordonnance du président du tribunal de commerce de Dax le 6 septembre 2018 alors que ce magistrat a constaté dans la motivation d'une ordonnance qu'il a prononcée le 2 octobre 2018 qu'à cette date l'EURL, selon les dires du demandeur, était en état de cessation de paiement.
Dès lors, en constatant qu'il avait transgressé les dispositions de l'article
L 631-4 du code du commerce, le premier juge a caractérisé une faute du demandeur sans que les arguments de celui-ci pour contester ces points puissent être examinés par le premier président de ce siège saisi sur le fondement de l'article R661-1 du code précité pour échapper à sa compétence, seule la cour d'appel statuant au fond pouvant apprécier leur pertinence.
* Sur l'aggravation du passif
Il n'est pas contesté qu'au 30 septembre 2018, soit à une époque contemporaine à la nomination de [N] [R] en qualité d'administrateur provisoire de l'EURL, le montant du passif de celle-ci s'élevait à 297 467 € pour atteindre le 4 juillet 2019, 932 936 € alors que ses fonctions ont pris fin le 23 mai 2019.
Par suite, l'affirmation formulée par le demandeur selon laquelle il ne serait pas à l'origine de cette aggravation ne saurait caractériser un moyen sérieux de réformation eu égard à la comparaison de ces deux états.
* Sur le détournement d'actif
[N] [R] reconnaît avoir cédé gratuitement deux véhicules automobiles appartenant à l'EURL.
Cette infraction étant caractérisée, il ne justifie donc à ce titre d'aucun moyen sérieux de réformation.
* Sur l'interdiction de gérer
La détermination de la date de cessation des paiements de L'EURL ne pouvant être appréciée par le premier président, cet argument ne saurait dès lors caractériser un moyen sérieux de réformation pour contester le prononcé de cette interdiction.
Ce moyen ne saurait donc prospérer.
b - Sur les conséquences manifestement excessives
Le prononcé d'une interdiction de gérer, ne créant pas une situation irréversible eu égard à son caractère temporaire, elle ne saurait remplir la deuxième condition requise par l'article R. 661-1 du code du commerce.
Dès lors, les prétentions de [N] [R] seront rejetées.
Pour résister à ses prétentions, la Selarl Ekip' a été contrainte d'exposer des frais irrépétibles lui seront remboursés à hauteur de la somme de 1500 €.
2) Sur la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par le directeur régional de finances publiques de nouvelle Aquitaine et de Gironde
La régularité des demandes formulées devant la cour d'appel au visa de l'article 564 du code de procédure civile ne saurait être appréciée par le premier président.
a- Sur le caractère sérieux des moyens de réformation
Pour contester le jugement de première instance qui a constaté que l'état de cessation de paiement de l'EURL a été créé sous la gestion de [F] [R], le directeur régional des finances publiques soutient que la décision attaquée n'a pas motivé les faits lui permettant de prononcer une condamnation in solidum ne démontrant ni sa faute, ni les propositions dans lesquelles elle a contribué au passif.
Néanmoins, ce point nécessitant une analyse circonstanciée et fine des éléments de la cause, cette argumentation ne saurait constituer un moyen sérieux de réformation.
En revanche, l'administration des domaines nommée curateur à succession vacante n'est tenue au paiement des dettes de la succession qu'à hauteur de la valeur des biens qu'elle a recueillis.
Par suite, la valeur de la succession de [F] [R] n'étant pas déterminée avec précision, le premier président de ce siège dira que l'argument soulevé à ce titre par le directeur régional des finances publiques constitue un moyen sérieux de réformation.
b- Sur les conséquences manifestement excessives
Les deux conditions visées par l'article R. 661-1 du code de commerce étant alternatives, l'examen de cette condition devient sans objet puisque la première a été retenue.
En conséquence, il y a lieu de prononcer l'arrêt de l'exécution provisoire de la décision attaquée à l'égard du directeur régional des finances publiques de nouvelle Aquitaine et de Gironde.
PAR CES MOTIFS
Nous, premier président statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Ordonnons l'arrêt de l'exécution provisoire assortissant le jugement numéro 2021/000564 prononcé par le tribunal de commerce de Dax en date du 14 septembre 2022 à l'encontre du directeur régional des finances publiques de nouvelle Aquitaine et de Gironde,
Déboutons [N] [R] de ses autres demandes,
Condamnons [N] [R] à payer à la Selarl Ekip' la somme de 1500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamnons [N] [R] aux entiers dépens.
Le Greffier, Le Premier Président,
Sandrine GABAIX-HIALE Rémi LE HORS