COUR D'APPEL DE PAU 2ème CH-Section 2
Arrêt du 06 décembre 2010
Dossier : 08/ 04579
Nature affaire :
Demande en révocation d'une libéralité ou en caducité d'un legs
Affaire :
Daniel X...
C/
Alain X...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 décembre 2010, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
à l'audience publique tenue le 04 Octobre 2010, devant :
Monsieur PIERRE, Président
Madame LACOSTE, Conseiller
Madame BALIAN, Conseiller chargé du rapport
assistés de Madame MARI, Greffier, présent à l'appel des causes,
les magistrats du siège ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur Daniel X... né le 02 Avril 1917 à RION DES LANDES (40370)...... 64200 BIARRITZ
représenté par Me Michel VERGEZ, avoué à la Cour assisté de Me LAZORTHES, avocat au barreau de DAX
INTIME :
Monsieur Alain X... né le 28 Février 1936 à PARIS... 40150 SOORTS HOSSEGOR
représenté par la SCP DE GINESTET/ DUALE/ LIGNEY, avoués à la Cour assisté de Me LALANNE, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision en date du 22 octobre 2008 rendue par le tribunal de grande instance de DAX
Exposé du litige
Faits et procédure
De la relation qu'ont entretenue Madame Adrienne A... et Monsieur Daniel X... est issu un enfant Alain X..., né le 28 Décembre 1936, et reconnu par son père à sa naissance.
En 1999, Monsieur Alain X... alors âgé de 63 ans, a renoué des liens avec son père Daniel X... qu'il n'avait nullement connu ni fréquenté auparavant.
Dans ce cadre, Monsieur Daniel X... a consenti à son fils Alain X... diverses libéralités, et ce :
- en participant au financement puis à l'aménagement d'une propriété acquise par ce dernier à HOSSEGOR, dénommée "... ", et constituant son domicile,
- en assurant le financement de la construction d'un petit pavillon situé à côté de la maison de son fils, dénommé " ... ", où il s'est installé,
Par acte d'huissier en date du 12 Octobre 2005, Monsieur Daniel X... a assigné son fils Alain X... devant le Tribunal de Grande Instance de DAX, aux fins :
- de voir prononcer la révocation pour cause d'ingratitude de l'intégralité des donations par lui consenties à son fils, et ce sur le fondement de l'article 955 du Code Civil,
- de voir condamner son fils Alain X...,
- à lui rembourser la totalité des sommes versées à son profit à titre de libéralités pour un montant de 255. 701 €,
- à lui verser la somme de 15. 000 € réclamée à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre une somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- à supporter les entiers dépens,
- de voir assortir le jugement à intervenir de l'exécution provisoire.
Suivant jugement en date du 22 Octobre 2008, le Tribunal de Grande Instance de DAX a :
- déclaré recevable l'action exercée par Monsieur Daniel X...,
- débouté Monsieur Daniel X... de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Monsieur Daniel X... à verser à Monsieur Alain X... une indemnité de 1000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
Selon déclaration reçue au greffe de cette Cour le 21 Novembre 2008, Monsieur Daniel X... a interjeté appel de ce jugement.
Le 2 Juin 2010, la Cour a procédé à la comparution personnelle des parties, laquelle a donné lieu à la rédaction d'un procès-verbal au terme duquel l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 4 Octobre 2010, et la clôture fixée au 20 Septembre 2010.
Prétentions des parties
Dans le dernier état de ses conclusions en date du 19 Janvier 2010, Monsieur Daniel X... demande à la Cour :
- de déclarer son action recevable en application de l'article 957 du Code Civil, en faisant valoir qu'elle a été engagée dans le délai d'un an à compter du dernier fait d'ingratitude imputable à son fils et consistant dans la lettre à lui adressée le 13 Juin 2005 par le Conseil de son fils, pour lui rappeler que celui-ci détenait la propriété pleine et entière du pavillon " ... ", et le mettre en demeure d'évacuer les lieux en récupérant tous ses meubles entreposés dans ladite maison
-de réformer le jugement rendu le 22 Octobre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de DAX
-de prononcer la révocation pour cause d'ingratitude des diverses donations par lui consenties à son fils Alain X..., et ce :
- sur le fondement des articles 955 et suivants du Code Civil
-en reprochant essentiellement à son fils
* d'avoir abusé de sa vulnérabilité, en lui faisant croire qu'il éprouvait pour lui des sentiments filiaux, qu'il faisait désormais partie des siens en sa qualité de père et grand-père et qu'il passerait ses vieux jours auprès d'eux dans le pavillon " ... ", dans le seul but d'obtenir ses largesses
* d'avoir tenu à son encontre des propos ignobles, et de l'avoir chassé du pavillon " ... " dont il avait financé la construction
-de condamner Monsieur Alain X...
- à lui rembourser le montant total des libéralités à lui consenties pour la somme de 255. 701 €
- à lui verser la somme de 30. 000 € réclamée à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, outre une indemnité de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
-à supporter les entiers dépens.
En l'état de ses dernières conclusions déposées le 3 Novembre 2009, Monsieur Alain X... demande à la Cour :
- de réformer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré recevable l'action engagée à son encontre sur le fondement de l'article 955 du Code Civil, et de déclarer ladite action irrecevable faute d'avoir été engagée dans l'année des faits reprochés remontant selon lui à l'année 2002, et plus précisément au mois d'Août 2002
- de débouter Monsieur Daniel X... de l'intégralité de ses prétentions, et de confirmer le jugement rendu le 22 Octobre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de DAX au motif que son père ne démontre pas l'existence d'injures graves susceptibles de justifier la révocation des donations consenties à son profit, en insistant sur le fait
-qu'il n'a jamais supplié son père de l'aider financièrement, mais que ce dernier a souhaité participer à ses projets pour rattraper le temps perdu, et se faire pardonner sa conduite et son absence pendant plus de 60 ans
-que leurs relations se sont détériorées suite à un incident survenu au mois d'Août 2002 avant de cesser définitivement
-que la rupture de leurs relations est exclusivement imputable au comportement adopté par son père
-que le conflit qui l'oppose à son propre fils Bruno ne saurait entraîner la révocation des donations consenties à son profit
-que son père bénéficie d'une retraite très confortable de 5000 € par mois, qu'il n'est nullement dans le besoin, et que les donations qu'il lui a consenties constituent un minimum de la part d'un père qui ne s'est préoccupé de son fils que 60 ans après sa naissance, et qui jusqu'alors a brillé par son absence
-de condamner Monsieur Daniel X... au paiement d'une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Discussion :
Attendu que le litige soumis à la Cour concerne la recevabilité et le bien-fondé de l'action exercée par Monsieur Daniel X... à l'effet d'obtenir la révocation pour cause d'ingratitude des diverses donations par lui consenties à son fils Alain X... pour un montant total de 1. 677. 293 F ou 255. 701 € non contesté par ce dernier ;
1) Sur la recevabilité de l'action exercée par Monsieur Daniel X... :
Attendu qu'aux termes de l'article 957 du Code Civil, l'action en révocation de donation pour cause d'ingratitude doit être engagée dans l'année à compter du jour du délit imputé par le donateur au donataire, ou du jour où le délit aura pu être connu par le donateur ;
Attendu qu'en l'espèce, Monsieur Daniel X... fonde son action sur plusieurs faits commis dans une période comprise entre 2002 et 2005 date à laquelle il a quitté ... ;
Attendu qu'à l'examen du dossier le premier de ces faits remonte à l'été 2002 où une altercation a opposé Monsieur Daniel X... à son fils Alain à l'occasion d'une réunion de famille, tandis que le dernier de ces faits réside dans la lettre que Monsieur Daniel X... s'est vu adresser le 13 Juin 2005 par l'avocat de son fils ;
Qu'il y a lieu de relever que l'ensemble de ces faits s'inscrivent dans un même contexte de relations particulières entretenues entre un père et son fils s'étant retrouvés après une absence paternelle, de plus de 60 ans ;
Que l'action en révocation de donation engagée par Monsieur Daniel X... devant le Tribunal de Grande Instance de DAX a été formée par assignation délivrée le 12 Octobre 2005, dans le délai d'un an à compter du dernier des faits constitutifs d'ingratitude ;
Que dès lors, il convient de confirmer la décision du premier juge qui a déclaré recevable l'action ainsi exercée par Monsieur Daniel X... ;
2) Sur le bien-fondé de l'action exercée par Monsieur Daniel X... :
Attendu que de l'examen du dossier, il ressort que les donations consenties par Monsieur Daniel X... à son fils Alain ont été faites sous forme de dons manuels ;
Que ces dons ont été faits, de façon totalement libre par Monsieur Daniel X..., qui ne démontre s'être trouvé en situation de vulnérabilité, qu'il était incontestablement animé d'une intention libérale envers le fils avec qui il venait de renouer des relations normales ;
Que la Cour constate que ces dons ont été faits sans aucune condition, ni aucune charge telle que l'instauration en sa faveur d'un droit d'usage et d'habitation sur le pavillon " ... " ;
Attendu que la donation dépourvue de condition, et en principe irrévocable, ne peut être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les conditions prescrites par l'article 955 du Code Civil, qui dispose que " la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d'ingratitude que dans les cas suivants :- si le donataire a attenté à la vie du donateur,- s'il s'est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves,- s'il lui refuse des aliments » ;
Attendu que Monsieur Daniel X... estime, comme étant constitutifs d'injures graves au sens du texte précité, les propos injurieux que son fils Alain aurait tenus à son égard et le fait d'avoir été chassé du pavillon " ... " dont il avait financé la construction ;
Attendu qu'Alain X... expose pour sa part que la rupture s'est produite en 2002 pour se parfaire en 2005 ;
Attendu qu'il incombe donc à la Cour d'examiner la gravité des faits, et ce notamment au regard de l'évolution des rapports existants entre le donateur et le donataire ;
Qu'il est constant à cet égard que Daniel X... n'a entretenu de liens avec son fils Alain, qu'il avait pourtant reconnu lors de sa naissance en 1936, qu'à partir de l'année 1999, après qu'un test de paternité réalisé à la demande de son fils soit scientifiquement venu confirmer sa paternité ;
a) sur l'existence de propos injurieux révélateurs de l'ingratitude de Monsieur Alain X... envers son père :
Attendu que l'analyse des pièces versées aux débats révèle que Monsieur Daniel X... a été traité par son fils Alain X... de « vieillard diabolique et manipulateur », dans une lettre adressée, en février 2005, par Alain X... à son propre fils, intitulée " A un renégat " ;
Que la Cour constate que d'une part Daniel X... n'a pas été le destinataire direct de ces propos et que d'autre part cette lettre exprime, avec beaucoup de virulence, tout le mépris qu'Alain X... porte à son fils Bruno en lui notifiant leur rupture et en lui indiquant que ses parents sont profondément affectés par son attitude ;
Attendu qu'il en va de même s'agissant des propos dont Monsieur Bruno X... fait état dans son attestation, établie le 31 Août 2005, propos attribués à son père Alain X... à l'égard de son grand-père Daniel X..., hors la présence de ce dernier ;
Que ces propos, dont l'exactitude est contestée par Alain X..., doivent être replacés dans le contexte conflictuel existant entre Bruno X... et son père Alain X..., et le rapprochement intervenu, à la même époque, entre le grand-père Daniel X... et son petit fils ;
Attendu que le fait de parler, à un tiers, de son père « vieillard diabolique et manipulateur » est pour le moins offensant et blessant, sans être pour autant révélateurs de l'ingratitude du fils donateur envers son père donataire ;
Attendu que par ailleurs, il est établi et reconnu que pendant l'été 2002, un événement violent est venu perturber les relations entre Daniel et Alain X... ;
Qu'en effet il est établi qu'un conflit a surgi entre eux, une fois passée la joie des retrouvailles, Alain X... ayant fait part à son père biologique son souhait de ne pas oublier son père nourrissier en faisant table rase du passé ;
Que Mr Daniel X... reconnaît ces difficultés dans un document, rédigé de sa main en date du 27 Septembre 2002, intitulé " Récit de ma dégringolade " ;
Qu'en conséquence, dans un tel contexte qui perdure depuis 2002, la Cour estime que Daniel X... ne rapporte pas la preuve que les propos figurant dans le courrier de février 2005 et ceux évoqués par Bruno X... constituent des propos injurieux au sens de l'article 955 du Code civil ;
b) sur l'existence d'un comportement injurieux révélateur de l'ingratitude de Monsieur Alain X... envers son père :
Attendu qu'il est constant que Monsieur Daniel X... a été destinataire d'un courrier en date du 13 Juin 2005 par le Conseil de son fils Alain, et le sommant de laisser le pavillon " ... " libre de toute occupation ;
Attendu que le fait pour Monsieur Daniel X... d'avoir été « chassé » de la maison " ... " dont il avait financé la construction, doit être apprécié, du point de vue de sa gravité, au regard du contexte relationnel existant alors entre les parties ;
Qu'en effet il est établi, par la mesure d'instruction, que les liens « père/ fils » s'étaient fortement dégradés, depuis l'été 2002, après la survenance d'une dispute verbale se concluant par une gifle administrée par Monsieur Daniel X... à son fils âgé de 66 ans ;
Que cette altercation était la conséquence de l'affirmation par Alain X... de son souhait de ne pas oublier son père nourrissier en faisant table rase du passé ;
Attendu qu'ainsi les parties ont entretenu dès l'origine des relations complexes qui ont fini par constituer un obstacle majeur à la réalisation de leur projet commun, vivre à proximité immédiate l'un de l'autre, difficulté dont Monsieur Daniel X... avait pris conscience avant la rupture définitive de ses relations avec son fils, ainsi qu'en atteste le document rédigé de sa main en date du 27 Septembre 2002, intitulé " Récit de ma dégringolade ", faisant le bilan de sa vie et rédigé notamment en ces termes " Après quelque temps de bonheur, je dus une nouvelle fois constater que l'avenir ne m'appartenait pas : je m'aperçus que mon fils était plein de ressentiment vis à vis d'un père qui l'avait abandonné, je m'aperçus que le passé restait très vivace » ;
Que dans un tel contexte, le revirement d'Alain X... et son impossibilité de garder des relations de proximité avec le père qu'il venait de retrouver, n'est pas constitutif d'un fait d'ingratitude au sens de l'article 955 du Code Civil pouvant justifier la révocation des donations dont il a été bénéficiaire de la part de son père biologique ;
Que dans ces conditions, reprenant l'analyse du premier juge, la Cour confirme sa décision ;
3) Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile :
Attendu que l'équité commande de ne pas laisser à la charge de Monsieur Alain X... la totalité des frais irrépétibles qu'il a dû exposer dans le cadre de la présente procédure d'appel, de sorte qu'une somme de 1200 € lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
4) Sur les dépens :
Attendu que Monsieur Daniel X..., qui a succombé dans son action tant en première instance qu'en cause d'appel, sera condamné à supporter les entiers dépens ;
Par ces motifs
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel interjeté par Monsieur Daniel X...,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 Octobre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de DAX,
Y ajoutant,
Condamne Monsieur Daniel X... à verser à Monsieur Alain X... la somme de 1200 € sur le fondement de de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne Monsieur Daniel X... aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction pour ceux d'appel au bénéfice de la SCP de GINESTET-DUALE-LIGNEY, qui est autorisée à en poursuivre le recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile, et aux règles applicables en matière d'aide juridictionnelle, s'il y a lieu.
Arrêt signé par Monsieur PIERRE, Président et Madame MARI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.