MFTL / AM
Numéro 4049 / 08
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH-Section 1
ARRET DU 22 septembre 2008
Dossier : 00 / 01715
Nature affaire :
Autres demandes en matière de baux commerciaux
Affaire :
Bernadette Patricia X... épouse Y...
C /
S. C. I. KER MARIA
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 22 septembre 2008, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 16 Juin 2008, devant :
Monsieur LARQUE, Président
Madame TRIBOT LASPIERE, Conseiller chargé du rapport
Monsieur DE SEQUEIRA, Conseiller
assistés de Madame SAYOUS, Greffier, présent à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Z... Bernadette Patricia X... épouse Y...
née le 10 Février 1958 à COARRAZE (64)
de nationalité française
...
64200 BIARRITZ
représentée par la SCP DE GINESTET / DUALE / LIGNEY, avoués à la Cour
assistée de Maître SAINT CRICQ, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
S. C. I. KER MARIA
...
33000 BORDEAUX
représentée par la SCP P. et C. LONGIN, P. LONGIN-DUPEYRON, O. MARIOL, avoués à la Cour
assistée de Maître A..., avocat au barreau de BORDEAUX
sur appel de la décision
en date du 15 MAI 2000
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
Vu l'arrêt rendu le 18 avril 2006 auquel la Cour se réfère expressément pour plus ample exposé du litige ;
Vu les pièces de la procédure ;
Rappel des faits et de la procédure
Mr et Mme Lucien X... sont locataires en vertu d'un bail commercial du 8 avril 1987 de locaux situés,... comprenant : au rez-de-chaussée, un magasin et une arrière boutique et, au premier étage, un appartement ; le bail autorisait les époux X... à sous-louer le magasin à leur fille et à sous-louer également l'appartement du 1er étage ;
La location a été consentie à usage de librairie papeterie, prêt-à-porter ;
Par acte notarié du 9 avril 1987 auquel, la propriétaire est intervenue, l'autorisation donnée par la propriétaire aux époux X... de sous-louer le magasin à leur fille a été réitérée de même que l'autorisation de sous location de l'appartement mais il a été précisé dans l'acte que la sous-location était exclusivement réservée à Mr et Mme X... et à leurs héritiers et que l'appartement pouvait être sous-loué par eux à tout tiers ;
Les Epoux X... ont fait donation à leur fille Bernadette X... de tous les droits restant à courir en vertu du bail ;
En 1993, la SCI KER MARIA a engagé à l'encontre des époux X... et de leur fille une action en résolution du bail ou en résiliation du bail qu'elle fondait principalement sur le fait que les locataires avaient consenti des sous-locations sans son agrément ;
La bailleresse a été déboutée de ses prétentions par un arrêt définitif rendu le 23 mai 2001 par la Cour d'Appel de TOULOUSE ;
Entre-temps, Mme Bernadette X..., devenue épouse X..., qui contestait avoir commis une quelconque violation aux dispositions du bail, a fait assigner la SCI KER MARIA par acte du 25 novembre 1997 à l'effet de faire juger que le congé qui lui avait été délivré par la bailleresse le 30 novembre 1995 avec refus de renouvellement, ne l'avait pas été pour des motifs valables et d'obtenir en conséquence le paiement d'une indemnité d'éviction à fixer par expertise ;
Par arrêt du 18 avril 2005, la Cour d'Appel de PAU, réformant le jugement rendu le 15 mai 2000 par le Tribunal de grande instance de BAYONNE a :
- dit que les motifs invoqués par la SCI KER MARIA à l'encontre des consorts X... ne constituaient pas des motifs graves et légitimes de nature à justifier le non renouvellement du bail ;
- dit en conséquence que Mme Y... est en droit de prétendre au bénéfice de l'indemnité d'éviction ;
- avant dire droit sur la fixation de cette indemnité a ordonné une expertise confiée à Mr Pascal B... ;
L'expert a déposé son rapport le 7 juillet 2006.
Prétentions et moyens des parties
Par conclusions récapitulatives du 11 septembre 2007 auxquelles la Cour se
réfère en application de l'article 455 du Code de Procédure Civile, Mme Y... conteste les nouveaux faits de sous-location qui lui sont imputés par la bailleresse ; elle fait grief à l'expert d'avoir considéré à tort que le local d'habitation devait être dissocié du magasin alors que cet appartement est compris dans le bail et que, situé au dessus du local commercial, il constitue un avantage non négligeable au regard des loyers élevés pratiqués dans une ville balnéaire comme BIARRITZ ;
Mme Y... prétend que le rapport d'expertise qui ne tient pas compte de cet avantage dans le calcul de l'indemnité d'éviction est incomplet ; elle demande à la Cour, à titre principal, d'inviter l'expert judiciaire à chiffrer le montant de l'indemnité due pour la perte de ce local ; à titre subsidiaire de majorer le montant de l'évaluation de l'expert de la somme de 90 000 €, correspondant à la valeur locative de l'appartement (10 080 € / an) pour neuf années de location et de condamner la SCI KER MARIA à lui payer les sommes suivantes :
- indemnité principale :
(134 000 € valeur du droit au bail des locaux commerciaux + 90 000 € valeur locative de l'appartement du 1er étage)
soit : 224 000 €
- indemnité de remploi : 22 400 €
- perte de stock : 810 €
- trouble commercial : 3 000 €
- frais de licenciement : sur justificatifs
Mme Y... demande en outre à la Cour de limiter la valeur locative des locaux loués à la somme de 17 000 €, compte tenu de l'état de vétusté de l'appartement ; elle sollicite l'octroi de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
*
La SCI KER MARIA prétend que, malgré la longue procédure qui l'a opposée à Mme Y..., cette dernière a commis de nouveaux manquements à ses obligations en sous louant l'appartement du 1er étage à Melle C... sans le concours de la bailleresse ; elle soutient que ce nouveau grief qui fait suite à de précédents comportements répréhensifs est de nature à justifier le refus de renouvellement du bail ;
La SCI KER MARIA conclut au rejet de la demande de complément d'expertise présentée par Mme Y... ; elle demande à la Cour, à titre principal, de dire que cette dernière ne peut prétendre au versement d'une indemnité d'éviction et de la condamner à libérer les lieux ; à titre subsidiaire, de ne pas tenir compte dans l'estimation de l'indemnité d'éviction du local d'habitation du 1er étage qui n'est pas indivisible du fonds de commerce et de dire que la valeur du droit au bail ne peut être pris en considération dans le calcul de l'indemnité d'éviction dans la mesure où la destination des lieux loués est strictement règlementée par le bail ; la SCI KER MARIA sollicite dans tous les cas, la condamnation de Mme Y... à lui payer la somme de 21 700 € par an à titre d'indemnité d'occupation à compter de la date du congé jusqu'à la libération effective des lieux (sous déduction des loyers versés), outre 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Motifs de la décision
Sur le droit de la locataire à l'indemnité d'éviction
La Cour a jugé dans le dispositif de son arrêt du 18 avril 2005 que les motifs invoqués par la bailleresse dans ses précédentes conclusions n'étaient pas de nature à priver la locataire du bénéfice de l'indemnité d'éviction ;
Malgré cette décision qui consacre le droit de Mme X... à l'indemnité d'éviction, le bailleur peut encore invoquer à l'encontre de la locataire maintenue dans les lieux une nouvelle infraction aux clauses du bail, pour s'opposer au paiement de cette indemnité ;
En l'espèce, la SCI KER MARIA déclare avoir été informée par un courrier de la DIRECTION GENERALE DES IMPOTS de BIARRITZ nord du 1er août 2005 que la taxe d'habitation de l'appartement du 1er étage loué à Mme X... avait été établie au nom de Melle C... pour l'année 2004 ;
La lettre du SERVICE DES IMPOTS, à laquelle la bailleresse fait référence, fournit les renseignements à partir desquels ce service a cru pouvoir établir son avis d'imposition au nom de Melle C... ; ces renseignements sont toutefois apparus suffisamment incertains à l'administration fiscale pour que celle-ci rappelle à la propriétaire l'importance, afin d'éviter des erreurs d'imposition, de communiquer chaque année les noms des locataires au premier janvier et lui demande précisément de lui faire parvenir le plus rapidement possible cette information concernant la période considérée soit du 1er janvier 2004 au 1er janvier 2005 ;
La consultation effectuée sur le site Internet de l'imposition de la taxe d'habitation révèle que l'avis d'imposition a été adressé à Melle C... domiciliée Résidence Le Sunset, Boulevard le Prince de Galles à BIARRITZ dans laquelle Melle C... disposait en 2004 d'un appartement en vertu d'un bail d'habitation du 10 janvier 2004 dont elle justifie ;
Mademoiselle C... affirme dans une attestation du 27 mars 2007 qu'elle n'a jamais habité,... au-dessus du magasin et qu'elle a averti les SERVICES FISCAUX de l'erreur commise ;
Il apparaît donc que Melle C... a été enregistrée à cette adresse au vu de renseignements erronés et la preuve qu'elle ait bénéficié d'une sous-location irrégulière n'est donc pas rapportée ;
Il a été définitivement jugé que Mme Bernadette X... à laquelle ses parents : les époux X... avaient fait donation du droit au bail, pouvait disposer des locaux loués dans les mêmes conditions que celles consenties à ces derniers et qu'elle avait donc la faculté, conformément aux conventions initiales acceptées par la propriétaire en 1987, de sous-louer l'appartement du 1er étage à un tiers ;
Melle C... est employée par Mme X... en qualité de vendeuse du magasin exploité dans les locaux appartenant à la SCI KER MARIA,... ; l'autorisation que lui aurait donnée Mme X... d'occuper le logement du 1er étage ne pouvait donc en tout état de cause constituer une infraction aux clauses du bail ;
Les nouveaux griefs invoqués par la SCI KER MARIA à l'encontre de Mme Bernadette X... ne sauraient dès lors priver cette dernière de son droit à l'indemnité d'éviction.
Sur le montant de l'indemnité d'éviction
L'expert judiciaire a procédé à une estimation de la valeur vénale du fonds de commerce qui tient compte des modalités d'exploitation de ce fonds par Mme Y..., des chiffres d'affaires et des bénéfices réalisés au cours des trois derniers exercices comptables clôturés ; les bases de calcul de l'expert ne font pas l'objet de critiques de la part des parties et tiennent justement compte des éléments de valorisation de ce fonds estimé à la somme de 62 000 € ;
L'expert a ensuite procédé, conformément aux règles applicables, à un deuxième calcul de l'indemnité d'éviction en se basant sur la valeur du droit au bail des locaux qui doit être retenue en l'espèce dans la mesure où celle-ci est supérieure à la valeur du fonds ;
L'estimation de l'expert prend en compte l'ensemble des éléments visés à l'article L. 145-33 du code de commerce entrant dans la détermination de la valeur locative ; ses calculs sont notamment basés sur des éléments de comparaison objectifs auxquels il a appliqué de justes coefficients de pondération en fonction des caractéristiques des locaux considérés ;
La méthode suivie par l'expert et les résultats auxquels il est parvenu ne soulèvent pas d'observations, tant de la part de la SCI KER MARIA que de la part de Mme Y... Y... ; un point du rapport est toutefois en litige concernant la prise en compte, ou non, dans le calcul de l'indemnité d'éviction du droit au bail du local d'habitation du 1er étage ;
L'expert considère que cet élément ne doit pas entrer dans le calcul de l'indemnité d'éviction qu'il a limitée à la valeur du droit au bail des locaux à usage commercial ;
Depuis les conventions initiales conclues en 1987, l'appartement situé au dessus du magasin a toujours été compris dans le bail et pouvait, conformément aux dispositions contractuelles être affecté à un usage d'habitation ou professionnel ; ce local qui dispose d'une entrée indépendante, ne communique pas avec les locaux commerciaux du rez-de-chaussée ; il n'est pas contesté que pendant toute la durée du bail, cet appartement a été occupé à usage unique d'habitation et n'a jamais été utilisé par les locataires pour les besoins de l'une des activités autorisées par le bail ; les parties elles-mêmes en ont fait un élément dissociable de l'exploitation du fonds puisque les locataires avaient reçu de la propriétaire l'autorisation de sous-louer l'appartement à « tout tiers » ; il était toutefois bien spécifié dans les conventions liant les parties que la faculté de sous-location était réservée aux époux X... et à leurs héritiers ; cette autorisation strictement personnelle n'était donc pas transmissible avec le bail ;
L'appartement du 1er étage qui était ainsi, par la volonté des parties, susceptible d'être occupé par des tiers, ne présente pas un caractère indivisible des locaux du rez-de-chaussée dans lesquels le fonds est exploité et ne constitue pas un accessoire nécessaire à l'exploitation ;
La perte de cet appartement consécutive au non renouvellement du bail ne peut en conséquence être indemnisée dans le cadre de l'éviction ;
L'expert indique qu'il n'existe pas dans le quartier de locaux similaires dans lesquels Mme Y... Y... pourrait transférer son fonds de commerce ; elle est en droit de prétendre à titre d'indemnité principale à la valeur du droit au bail estimée par l'expert à la somme de 134 000 € et les indemnités accessoires liées aux frais et difficultés de réinstallation soit :
- indemnité de remploi : 13 400 €
- indemnité pour perte de stock : 810 €
- indemnité pour trouble commercial : 2 088 €
- indemnité de licenciement de la salariée : sur justificatifs.
Sur l'indemnité d'occupation
En cas de paiement d'une indemnité d'éviction, l'article L. 145-28 du code de commerce, prévoit que pendant la durée du maintien dans les lieux, le locataire doit payer une indemnité d'occupation fixée en considération de la valeur locative ; en l'espèce, la valeur locative des locaux commerciaux est estimée par l'expert judiciaire en fonction d'éléments de comparaison à la somme non discutée par les parties de 11 567 € / an ; en ce qui concerne l'appartement du 1er étage, l'expert qui a visité les lieux et les a décrits à la page 5 de son rapport a tenu compte de l'état de ce logement dans l'évaluation de la valeur locative qu'il a justement fixé par comparaison avec les loyers pratiqués dans le secteur à la somme de 10 080 € / an ; la valeur locative actuelle des locaux sera en conséquence fixée à la somme globale de 21 700 € / an ;
L'indemnité d'occupation part de la date d'effet du congé qui remonte en l'espèce au 30 novembre 1995 ; compte tenu de la variation de l'indice depuis cette date l'indemnité sera fixée au :
Øpour la période du 30 novembre 1995 (1013) au 30 novembre 1998 : 17 322 € / an
Øpour la période du 1re décembre 1998 (1074) au 30 novembre 2001 : 18 365 € / an
Øpour la période du 1er décembre 2001 (1140) au 30 novembre 2004 : 19 494 € / an
Øà compter du 1er décembre 2004 (1269) à la somme de : 21 700 € / an.
Les dépens seront laissés à la charge de la SCI KER MARIA qui devra enoutre verser à Mme Y... Y... la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Par ces motifs
LA COUR
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort ;
Déboute la SCI KER MARIA de sa demande tendant au non renouvellement du bail sans indemnité ;
Vu le rapport d'expertise de Mr B... ;
Déboute Mme Y... Y... de sa demande de complément d'expertise ;
Dit que le droit au bail de l'appartement du 1er étage ne peut être intégré dans l'indemnité d'éviction ;
Condamne la SCI KER MARIA à verser à Mme Y... Y... à titre d'indemnité d'éviction les sommes suivantes :
- indemnité principale : 134 000 €
- indemnité de remploi : 13 400 €
- perte de stock : 810 €
- trouble commercial : 2 088 €
- frais de licenciement : sur justificatifs
Condamne Mme Y... Y... à verser à la SCI KER MARIA à titre d'indemnité d'occupation :
Øpour la période du 30 novembre 1995 (1013) au 30 novembre 1998 : 17 322 € / an
Øpour la période du 1re décembre 1998 (1074) au 30 novembre 2001 : 18 365 € / an
Øpour la période du 1er décembre 2001 (1140) au 30 novembre 2004 : 19 494 € / an
Øà compter du 1er décembre 2004 (1269) à la somme de :
21 700 € / an
Sous déduction des loyers versés au cours des périodes considérées ;
Condamne la SCI KER MARIA à payer à Mme Y... Y... la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
Condamne la SCI KER MARIA aux dépens ; autorise la SCP DE GINESTET-DUALE-LIGNEY, avoués, à recouvrer ceux d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean-Michel LARQUE, Président, et par Madame Catherine SAYOUS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIERLE PRESIDENT