RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 02 Septembre 2024
(n° , 6 pages)
N°de répertoire général : N° RG 23/07980 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHROP
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de Victoria RENARD, Greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 06 Mai 2023 par M. [Z] [L]
né le [Date naissance 1] 1992 à [Localité 4], élisant domicile au cabinet de Me Ailey ALAGAPIN-GRAILLOT - [Adresse 2] ;
Non comparant et représenté par Me Ailey ALAGAPIN-GRAILLOT, avocat au barreau de Paris ;
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 Mai 2024 ;
Entendu Me Ailey ALAGAPIN-GRAILLOT, substitué par Me Sevim KASAY représentant M. [Z] [L],
Entendu Me Ali SAIDJI de la SCP SAIDJI & MOREAU, substitué par Me Divine ZOLA DUDU, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [Z] [L], né le [Date naissance 1] 1992, de nationalité française, a été traduit devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Melun en vue d'une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel des chefs de complicité d'infractions à la législation sur les stupéfiants et de non justification de ressources correspondant à son train de vie le 24 janvier 2023, puis placé en détention provisoire le même jour à la maison d'arrêt de [Localité 3] par un juge des libertés et de la détention de cette juridiction.
Par décision du 25 janvier 2023, la chambre correctionnelle C du tribunal judiciaire de Melun a maintenu en détention le requérant et renvoyé l'évocation de cette affaire à l'audience du 10 février 2023.
Par jugement du 10 février 2023, la chambre correctionnelle C du tribunal judiciaire de Melun a relaxé M. [L] des fins de la poursuite et il a été remis en liberté immédiatement..
Le requérant a produit un certificat de non appel en date du 14 mars 2023 de la décision du tribunal correctionnel de Melun qui a un caractère définitif à son égard.
Le 10 mai 2023, M. [L] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci :
- Recevoir la présente requête et la déclarer recevable et bien fondée
- Allouer à M. [L] la somme de 2 200 euros en réparation du préjudice matériel subi du fait des 17 jours de détention provisoire injustifiés dont il a fait l'objet
- Allouer à M. [L] la somme de 8 500 euros en réparation du préjudice moral subi du fait des 17 jours de détention provisoire injustifiée dont il a fait l'objet
- Allouer à M. [L] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions en réponse aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat déposées le 26 octobre 2023 et soutenues oralement lors de l'audience de plaidoirie du 13 mai 2024, M. [L] demande au premier président de :
- Adjuger au requérant le bénéfice de ses précédentes écritures ;
- Lui allouer la somme de 2 200 euros en réparation du préjudice matériel subi
- Lui allouer la somme de 8 500 euros en réparation du préjudice moral subi ;
- Lui allouer la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses écritures, déposées le 02 octobre 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :
Sur le préjudice matériel
A titre principal
- Rejeter la demande d'indemnisation de M. [L] au titre du préjudice matériel ;
A titre subsidiaire
- Rejeter la demande d'indemnisation de M. [L] au titre du préjudice matériel tiré des frais d'avocat ;
- Fixer la juste indemnisation du préjudice matériel de M. [L] de perte de revenus à 885,24 euros ;
Sur le préjudice moral
- Fixer la juste indemnisation de M. [L] à 5 000 euros ;
Sur la demande au titre des frais irrépétibles
- Réduire à de plus justes proportions la somme sollicitée à ce titre.
Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 26 mars 2024 conclut à :
- La recevabilité de la requête pour une détention de 17 jours ;
- Au rejet de la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées ;
- La réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes
indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
M. [L] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 10 mai 2023, qui est dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe rendue le 10 février 2023 est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 14 mars 2023. Cette requête a bien été signée de sa main et ne comporte aucun cas d'exclusion prévue par l'article 149 du code de procédure pénale. Dans ces conditions, la requête présentée par M. [L] est recevable.
Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 17 jours.
Sur l'indemnisation
- Sur le préjudice moral
M. [L] considère qu'il a subi un choc carcéral important car il n'avait pas d'antécédent judiciaire, son casier judiciaire étant vierge. Il était par ailleurs marié et père de deux fillettes qui n'étaient âgées que d'un an et de trois ans au jour de son placement en détention provisoire, ce qui a entraîné une séparation familiale douloureuse. Son choc carcéral a été accentué par le fait qu'il a été incarcéré à la maison d'arrêt de [Localité 3] qui présente des conditions de détention déplorables en raison de locaux vétustes, du manque d'intimité et d'hygiène et d'une surpopulation chronique qui était de 129% au jour de son incarcération. Cette surpopulation carcérale est attestée par un rapport annuel de l'Office International des Prisons. C'est pourquoi M. [L] sollicite une somme de 8 500 euros en réparation de son préjudice moral.
L'agent judiciaire de l'Etat estime que la demande d'indemnisation du préjudice moral est fondée en son principe mais ne saurait être accueillie à hauteur de la somme sollicitée. Il y a lieu de tenir compte de l'absence de passé carcéral du requérant et sa situation d'époux et de père de famille devront influer en faveur d'une majoration de l'indemnité réparatrice de son préjudice moral. Le rapport de l'OIP évoqué fait état d'une surpopulation carcérale au 1er janvier 2023 mais ne mentionne aucune référence permettant de s'assurer tant de sa provenance que des établissements pénitentiaires éventuellement concernés. Le requérant évoque également un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté consécutif à une visite du 5 au 16 novembre 2018, soit plus de 4 ans avant le placement en détention provisoire de M. [L]. Il ne peut donc en être tenu compte. C'est ainsi que l'agent judiciaire de l'Etat propose l'allocation d'une somme de 5 000 euros e réparation du préjudice moral de M. [L].
Le procureur général considère qu'il y a lieu de prendre en compte le fait que le requérant n'avait jamais été incarcéré auparavant de sorte qu'il a subi un choc carcéral important. La séparation familiale d'avec son épouse et de ses deux filles mineures est également attestée par la production du livret de famille, ce qui constitue un facteur d'aggravation du choc carcéral. S'agissant de ses conditions de détention, le requérant évoque un rapport de l'OIP qui fait état d'une surpopulation carcérale de 129% en janvier 2023, période au cours de laquelle il a été placé en détention provisoire. Cet élément constitue aussi un facteur d'aggravation.
Il ressort des pièces produites aux débats que M. [L] était âgé de 30 ans au moment de son incarcération, était marié et père de deux filles âgées de 1 an et de 3 ans. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnations pénale. C'est ainsi qu'au jour de son placement en détention provisoire M. [L] n'avait jamais été incarcéré et son choc carcéral initial a été important.
S'agissant de ses conditions de détention, M. [L] fait état d'un rapport statistique de l'Observatoire International des Prisons qui mentionne le fait qu'en janvier 23023 le taux de surpopulation carcérale de la maison d'arrêt de [Localité 3] était de 129%. Ce rapport est concomitant à la date du placement en détention provisoire de M. [L] et ces éléments constituent un facteur d'aggravation du choc carcéral. De même, la séparation familiale d'avec son épouse et ses deux filles mineures est attestée par la production du livret de famille du requérant et constitue également un facteur d'aggravation du choc carcéral.
C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [L] une somme de 5 500 euros en réparation de son préjudice moral.
- Sur le préjudice matériel
Sur la possibilité de perte d'un emploi et la perte de revenus corrélative :
M. [L] expose qu'il exerçait l'emploi de machiniste à la [5] dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée conclu le 05 mars 2018 qui se poursuivait toujours lors de son placement en détention provisoire. Aussi, en raison des 17 jours de détention durant lesquels il n'a pas été payé, il sollicite en réparation la somme de 1 700 euros au titre de son préjudice matériel. Il produit à et effet son contrat de travail, l'avenant à ce dernier et ses différents bulletins de paie justifiant du montant de sa demande.
L'agent judiciaire de l'Etat considère que l'attestation employeur datée du 24 janvier 2023 ne permet pas, à elle seule de s'assurer qu M. [L] aurait travaillé sur la période de sa détention. Il ne produit en outre que des bulletins de salaire antérieurs à la détention. Il ne justifie pas non plus que son éventuelle perte de salaire serait exclusivement consécutive à son placement en détention. Dans ces conditions, l'AJE conclut à titre principal au rejet de la demande. A titre subsidiaire, il propose la somme de 885,24 euros au titre de la perte de revenus du requérant.
Le Ministère Public estime qu'à défaut de fournir les bulletins de paie des mois de janvier et février 2023 permettant d'établir que le requérant n'a pas perçu de rémunération lors de sa période de détention, il convient d'écarter ce poste de l'appréciation du préjudice matériel subi par M. [L].
En l'espèce, il est établi que M. [L] a conclu le 05 mars 2018 un contrat de travail à durée indéterminée avec la [5] pour y exercer un emploi de machiniste. Ce contrat a fait l'objet d'un avenant en date du 02 mars 2018. Il est également versé aux débats une attestation de son employeur du 24 janvier 2023 et des bulletins de paie pour les mois de juillet, août, septembre, octobre, novembre et décembre 2022, ainsi que pour les mois de mars et mai 2023. C'est ainsi que la réalité de cet emploi n'est pas contesté, aussi bien avant qu'après la période de détention provisoire. Il ressort également de ces différentes pièces que le salaire mensuel net de M. [L] était de 1 562,18 euros.
Par contre, il n'est pas possible de savoir si la [5], employeur de M. [L] a continué à lui verser son salaire pour les mois de janvier et février 2023, puisque les bulletins de paie de ces deux mois ne sont pas produits aux débats. Or, c'est à celui qui invoque une perte de revenus d'en apporter la preuve. Faute de produire les bulletins de paie des deux mois considérés, il n'est pas possible de savoir si M. [L] a bien subi une perte de salaire durant son placement en détention provisoire qui n'a duré que 17 jours et qui est à cheval sur deux mois. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande formulée à ce titre par M. [L].
Sur les frais de défense :
M. [L] estime que ses frais de défense doivent lui être remboursés à hauteur des diligences effectuées en lien avec le contentieux de la détention provisoire, soit une visite à la maison d'arrêt de [Localité 3]. Il sollicite en conséquence une somme de 500 euros.
L'agent judiciaire de l'Etat estime que la communication d'un simple permis de communiquer de son avocat qui ne précise pas d'ailleurs le nombre de visites effectuées à la maison d'arrêt de [Localité 3] n'est pas en lien avec le contentieux de la détention. En outre, aucune facture d'avocat détaillant les diligences accomplies en lien avec la détention provisoire n'est produite aux débats. Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande.
Le Ministère Public considère que faute de fournir une note d'honoraires à l'appui de sa requête, il convient d'écarter les frais d'avocat en lien avec la détention provisoire de l'appréciation du préjudice matériel de M. [L].
En l'espèce, M. [L] produit aux débats une autorisation de communiquer librement avec le requérant délivré par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Melun le 27 janvier 2023. Par contre, il n'est pas possible de savoir si le conseil s'est effectivement rendu à la maison d'arrêt de [Localité 3]. Et dans l'affirmative, il n'est pas possible de savoir si cette visite était en lien exclusif avec le contentieux de la détention provisoire. De même, contrairement à ce qui est indiqué dans les conclusions en réponse du 26 octobre 2023 du requérant, il n'est pas produit aux débats de relevé de diligences effectuées par son conseil dans le cadre de sa détention provisoire. Or, selon la jurisprudence de la Commission Nationale de la Réparation des Détentions les frais d'avocat ne sont pris en compte que si ils rémunèrent des prestations directement liées à la privation de liberté pour y mettre fin.
Faute de savoir si des diligences ont été accomplies en lien avec le contentieux de la détention provisoire, et dans l'affirmative, quel est leur coût, il y a lieu de rejeter cette demande.
Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [L] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Déclarons la requête de M. [Z] [L] est recevable,
Lui allouons les sommes suivantes :
- 5 500 euros en réparation de son préjudice moral,
- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [Z] [L] du surplus de ses demandes.
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 02 Septembre 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ