Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRET DU 11 JUILLET 2024
(n°2024/ , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05966 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHME5
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Février 2023 - Juge de la mise en état de MELUN - RG n° 22/02307
APPELANT
Monsieur [B] [H] [F]
né le [Date naissance 3] 1958 à [Localité 8] (PORTUGAL)
[Adresse 7]
[Localité 6]
représenté par Me Francis TISSOT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0044
ayant pour avocat plaidant Me Philippe BENZEKRI, avocat au barreau de PARIS, toque : B988
INTIMEE
Madame [Y] [C] [M]
née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 9] (PORTUGAL)
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT CABINET D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 Juin 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
M. Bertrand GELOT, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller faisant fonction de Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
M. [H] [F] et Mme [C] [M] se sont mariés le [Date mariage 4] 1980, sans contrat de mariage préalable.
Suivant ordonnance de non-conciliation du 31 mai 2007, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Melun, désormais tribunal judiciaire, a notamment désigné Me [X], notaire, en vue de dresser un inventaire estimatif et propositions quant aux intérêts pécuniaires des époux.
Me [X] a déposé son rapport le 22 octobre 2009.
Par jugement du 28 avril 2011, le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Melun a notamment prononcé le divorce de Mme [Y] [C] [M] et M. [B] [H] [F], et ordonné la liquidation de leur régime matrimonial.
Le jugement a été confirmé partiellement par un arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 18 avril 2013.
Malgré une tentative de règlement amiable, les parties ne sont pas parvenues à un accord.
Par acte extrajudiciaire du 8 juin 2015, Mme [C] [M] a fait assigner M. [H] [F] devant le tribunal judiciaire de Melun aux fins essentielles d'ordonner le partage judiciaire.
Par jugement du 21 septembre 2017, le juge aux affaires familiales du tribunal susmentionné a ordonné l'ouverture des opérations de liquidation et de partage et a désigné Me [X], notaire, pour y procéder.
Par jugement du 5 mai 2020, le juge aux affaires familiales a dit que le juge français était compétent pour connaître l'ensemble du litige, dit que la loi française était applicable et a homologué le projet d'état liquidatif annexé au procès-verbal de carence du notaire en date du 17 juin 2019.
Le 15 janvier 2021, Me [X] a dressé un acte liquidatif et de partage attribuant à Mme [C] [M] le bien immobilier sis [Adresse 7] à [Localité 6] (77). M. [H] [F] se voyant quant à lui attribuer les biens immobiliers sis au Portugal.
Par acte de commissaire de justice du 3 mai 2022, M. [H] [F] a fait assigner Mme [C] [M] devant le tribunal judiciaire de Melun aux fins essentielles de voir déclarer nul l'acte de partage établi par le notaire et de se voir accorder un complément de partage.
Par conclusions remises le 6 octobre 2022, Mme [C] [M] a saisi le juge de la mise en état d'un incident sur le fondement des articles 122 et 480 du code de procédure civile aux fins de voir prononcer l'irrecevabilité de l'action tirée de l'autorité de la chose jugée.
Par ordonnance contradictoire du 6 février 2023, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Melun a notamment :
-déclaré irrecevable l'action en complément de part et à fin de renvoi devant le notaire liquidateur formée par M. [H] [F],
-condamné M. [H] [F] au dépens,
-dit que la présente ordonnance met fin à l'instance.
M. [B] [H] [F] a interjeté appel de cette ordonnance par déclaration du 1er avril 2023.
Par avis du greffe en date du 12 avril 2023, l'affaire a été fixée à bref délai conformément à l'article 905 du code de procédure civile.
Par acte de commissaire de justice du 18 avril 2023, M. [H] [F] a signifié sa déclaration d'appel à Mme [C] [M].
Mme [C] [M] a constitué avocat le 26 avril 2023.
L'appelant a remis ses premières conclusions au greffe le 5 mai 2023.
L'intimée a quant à elle remis ses premières conclusions au greffe le 31 mai 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 10 mai 2024, M. [H] [F], appelant, demande à la cour de :
-infirmer l'ordonnance du 6 février 2023 rendue par le juge de la mise en état en ce qu'elle a :
*déclaré irrecevable l'action en complément de part et à fin de renvoi devant le notaire liquidateur formée par M. [B] [H] [F],
*dit que la présente ordonnance met fin à l'instance,
et statuant à nouveau,
-débouter Mme [C] [M] de ses demandes, fins et conclusions,
-déclarer recevable l'action en complément de part exercée par M. [H] [F] assisté de ses curateurs Mme [R] [Z] [S] et M. [I] [H] [F] au visa des articles 889 et suivants du code civil,
-ordonner en tout état de cause la poursuite de l'instance pour voir statuer sur la demande de nullité formée à titre principal par M. [H] [F] assisté de ses curateurs Mme [R] [Z] [S] et M. [I] [H] [F],
-renvoyer les parties devant le tribunal judiciaire de Melun pour voir statuer au fond,
-condamner Mme [C] [M] à la somme de 1 000 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance en ce compris le coût du timbre fiscal.
Aux termes de ses uniques conclusions notifiées le 31 mai 2023, Mme [Y] [C] [M], intimée, demande à la cour de :
rejetant toutes fins et conclusions contraires,
-confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Melun du 6 février 2023 (RG 22/02307),
y ajoutant,
-rejeter l'intégralité des demandes formées par M. [B] [H] [F] assisté de ses deux curateurs,
-condamner M. [H] [F] assisté de ses curateurs à payer à Mme [C] [M] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. [B] [H] [F] assisté de ses curateurs aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mai 2024.
L'affaire a été appelée à l'audience du 12 juin 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
L'appelant poursuit l'infirmation de la décision entreprise, d'une part, en ce qu'elle a déclaré irrecevable son action en complément de part, d'autre part en ce qu'elle a mis fin à l'instance.
Il fait valoir qu'à l'occasion de son assignation du 3 mai 2022, il a sollicité à titre principal la nullité du partage en raison de l'altération de son discernement ; que le dispositif est ainsi rédigé :
« A TITRE PRINCIPAL :
DECLARER ET JUGER nul et de nul effet l'acte de partage dressé par Maître [X], Notaire, le 15 janvier 2021, et constatant le partage des biens entre Monsieur [H] [F] et Madame [Y] [C] [M] et ce en raison de la nature des troubles psychiatriques ayant altéré le consentement de Monsieur [H] [F] au moment des opérations de partage » ; que l'incident élevé par Mme [C] [M] concernait uniquement sa demande développée à titre subsidiaire se fondant sur la lésion dans le partage opéré ; que rien ne l'empêchait donc de voir examinée par le tribunal judiciaire de Melun sa demande en nullité nonobstant la prétendue irrecevabilité de l'action fondée sur le partage.
Il soutient que l'appréciation d'une lésion supposée, à l'origine de cette action, ne peut se faire que sur la base d'un partage devenu définitif et non d'un simple projet qui est un acte seulement préparatoire, que ce n'est que lorsque la décision est définitive que l'action est ouverte, et que dans tous les cas, l'autorité de la chose jugée ne peut faire obstacle à l'exercice de cette action parce qu'il serait difficilement acceptable que l'autorité de la chose jugée puisse trouver à s'appliquer aux éléments survenus postérieurement à l'acte de partage et qui motivent spécifiquement la possibilité d'une action en complément de part telle que l'a voulue le législateur sur le terrain de la lésion.
Mme [C] [M] s'en rapporte à justice sur le prononcé de la fin de l'instance et conclut à la confirmation de l'ordonnance dont appel sur l'irrecevabilité de l'action en complément de part au motif que le jugement du 5 mai 2020, qui est définitif, a autorité de la chose jugée. M. [H] [F] n'en ayant pas interjeté appel.
Elle répond qu'un partage résultant d'une décision judiciaire définitive, voire même d'une transaction, revêt l'autorité de la chose jugée, laquelle rend irrecevable une action en complément de part introduite postérieurement audit partage et qu'il est donc faux pour l'appelant d'affirmer que l'action en complément de part s'exercerait nécessairement contre une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée ; que si le texte prévoit que l'action en complément de part est admise contre tout acte, le jugement du juge aux affaires familiales de Melun du 5 mai 2020 qui statue sur le partage, n'est pas un acte mais une décision judiciaire.
Le premier juge, se fondant uniquement sur les articles 889 et 890 du code civil relatifs à l'action en complément de part, a estimé que la demande se heurtait à l'autorité de la chose jugée au motif que le jugement du 5 mai 2020 homologue le projet d'état liquidatif contenu dans le procès-verbal de carence dressé par le notaire liquidateur le 17 juin 2019 et que M. [B] [H] [F] n'a pas prétendu que l'acte dressé ait été pris en défaut de conformité aux termes du jugement et du procès-verbal.
L'article 887 du code civil énonce : « le partage peut être annulé pour cause de violence ou de dol.
Il peut aussi être annulé pour cause d'erreur, si celle-ci a porté sur l'existence ou la quotité des droits des copartageants ou sur la propriété des biens compris dans la masse partageable.
S'il apparaît que les conséquences de la violence, du dol ou de l'erreur peuvent être réparées autrement que par l'annulation du partage, le tribunal peut, à la demande de l'une des parties, ordonner un partage complémentaire ou rectificatif. »
Selon l'article 889 du code civil :
« Lorsque l'un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature. Pour apprécier s'il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l'époque du partage.
L'action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage ».
L'article 890 alinéa 1er du même code énonce :
« L'action en complément de part est admise contre tout acte, quelle que soit sa dénomination, dont l'objet est de faire cesser l'indivision entre copartageants ».
Ainsi, lorsqu'un copartageant s'estime lésé, en raison d'une erreur sur la valeur du bien qui lui est attribué, il ne saurait être opéré de confusion entre les deux voies de recours admises à l'encontre d'un acte de partage :
-l'action en nullité du partage (C. civ., art. 887), bien qu'elle aboutisse le plus souvent à un partage « complémentaire » ou « rectificatif »,
-l' action en complément de part (C. civ., art. 889).
En l'espèce, l'action en complément de part n'est qu'une demande subsidiaire, M. [H] [F] poursuivant à titre principal la nullité du partage pour vice de son consentement en raison des troubles psychiatriques de nature psychotique dont il souffre et qui ont conduit le juge de tutelles, par jugement du 16 juin 2022, à le placer sous curatelle renforcée pour une durée de 60 mois.
Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Il résulte de l'article 480 du même code que le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident a, dès son prononcé, l'autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.
L'article 1375 du code de procédure civile n'envisage l'homologation de l'état liquidatif que dans le cas où le tribunal aura eu à statuer à la suite du désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, et l'autorité de chose jugée de l'article 1351 du code civil ne peut être reconnue à un jugement d'homologation qui ne tranche aucune contestation débattue entre les parties.
Or en l'espèce, M. [H] [F] était défaillant et le jugement du 20 mai 2020 a statué dans son dispositif sur la compétence du juge français et la loi applicable qui ne faisaient cependant l'objet d'aucune demande ou contestation, et, en tout état de cause, il n'a eu à trancher aucune contestation portant sur le projet d'état liquidatif établi par le notaire.
Il n'a d'ailleurs homologué qu'un simple projet.
L'action principale en nullité du partage introduite par M. [H] [F] ne se heurte donc pas à l'autorité de la chose jugée pas plus que ne s'y heurte son action subsidiaire en réduction de part.
Il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.
L'équité ne justifie pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de l'une ou de l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;
Y substituant,
Rejette la fin de non-recevoir de Mme [Y] [C] [M] ;
Renvoie les parties devant le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de Melun ;
Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La condamne aux dépens de l'incident et d'appel.
Le Greffier, Le Président,