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04/07/2024 | FRANCE | N°22/07816

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 04 juillet 2024, 22/07816


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 04 JUILLET 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07816 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKRT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juillet 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F16/01598





APPELANTE



S.A.S. URBASER ENVIRONNEMENT

[Adresse 1]


[Localité 3]



Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119





INTIMÉ



Monsieur [J] [Z] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représenté par Me...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 04 JUILLET 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07816 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKRT

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juillet 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F16/01598

APPELANTE

S.A.S. URBASER ENVIRONNEMENT

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

INTIMÉ

Monsieur [J] [Z] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Marie-Béatrix BEGOUEN, avocat au barreau de PARIS, toque : D2080

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Sophie CAPITAINE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [J] [Z] [B] a été engagé par la société Urbaser Environnement en qualité de conducteur de matériel de collecte, d'enlèvement et de nettoiement , suivant plusieurs contrats à durée déterminée entre le mois de décembre 2009 et le mois de décembre 2015, au coefficient 110, niveau II, position 3 de la convention collective des activités du déchet.

Sollicitant la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, Monsieur [B] a saisi le 26 avril 2016 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 28 juillet 2022, a :

- déclaré nul l'acte de saisine résultant des conclusions transmises au greffe le 13 novembre 2019 pour les sociétés SBC Transport Logistique et Triangle 39,

- fixé le salaire mensuel brut de Monsieur [J] [Z] [B] à la somme de 2 499,21 euros,

- requalifié le contrat de travail à durée déterminée du 10 mars 2014 en contrat à durée indéterminée,

- dit le licenciement de Monsieur [B] sans cause réelle ni sérieuse,

- condamné la société Urbaser Environnement à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes:

- 2 499,21 euros à titre d'indemnité de requalification,

- 8 303,83 euros au titre du rappel de salaire du 26 novembre 2014 au 8 mars 2015,

- 830,38 euros au titre des congés payés afférents,

- 874,72 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 998,42 euros au titre du préavis,

- 499,84 euros au titre des congés payés afférents,

- 7 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonné à la société Urbaser Environnement de remettre à Monsieur [B] les documents sociaux d'usage (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletin de paie) conformes au jugement, sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter de 30 jours après la notification du jugement, dans la limite de 190 jours, se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire totale sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté Monsieur [B] du surplus de ses demandes,

- débouté les sociétés Urbaser Environnement, SBC Transport Logistique et Triangle 39 de leurs demandes reconventionnelles,

- dit que les intérêts légaux sont de droit,

- mis les dépens et éventuels frais d'exécution à la charge de la société Urbaser Environnement.

Par déclaration du 30 août 2022, la société Urbaser Environnement a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 12 mars 2024, la société Urbaser Environnement demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Créteil du 28 juillet 2022 en ce qu'il a :

* fixé le salaire mensuel brut de Monsieur [J] [Z] [B] à la somme de 2 499,21 euros,

* requalifié le contrat de travail à durée déterminée du 10 mars 2014 en contrat à durée indéterminée,

* dit le licenciement de Monsieur [B] sans cause réelle ni sérieuse,

* condamné la société Urbaser Environnement à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes:

- 2 499,21 euros à titre d'indemnité de requalification,

- 8 303,83 euros au titre du rappel de salaire du 26 novembre 2014 au 8 mars 2015,

- 830,38 euros au titre des congés payés afférents,

- 874,72 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 4 998,42 euros au titre du préavis,

- 499,84 euros au titre des congés payés afférents,

- 7 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* ordonné à la société Urbaser Environnement de remettre à Monsieur [B] les documents sociaux d'usage (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletin de paie) conformes au jugement, sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter de 30 jours après la notification du jugement, dans la limite de 190 jours, se réservant le droit de liquider l'astreinte,

* ordonné l'exécution provisoire totale sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

* débouté les sociétés Urbaser Environnement, SBC Transport Logistique et Triangle 39 de leurs demandes reconventionnelles,

*dit que les intérêts légaux sont de droit,

* mis les dépens et éventuels frais d'exécution à la charge de la société Urbaser Environnement,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- déclaré nul l'acte de saisine résultant des conclusions transmises au greffe le 13 novembre 2019 pour les sociétés SBC Transport Logistique et Triangle 39,

- débouté Monsieur [B] du surplus de ses demandes,

statuant à nouveau,

à titre principal :

- juger prescrite l'action en requalification du contrat de travail à durée déterminée du 10 mars 2014 en contrat à durée indéterminée,

- juger prescrite la demande de rappels de salaires au titre de la période du 26 novembre 2014 au 9 mars 2015 formulée pour la première fois par voie de conclusions en date du 4 novembre 2019,

- débouter Monsieur [B] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire :

- juger que Monsieur [B] n'établit pas que les contrats de travail en date des 10 mars 2014 et 9 mars 2015 ont eu pour vocation de répondre à un besoin permanent de l'entreprise,

- juger que les délais de carence séparant le terme du contrat de travail du 10 mars 2014 et du 9 mars 2015 ont été respectés,

- débouter Monsieur [B] de l'intégralité de ses demandes,

à titre plus subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour devrait entrer en voie de condamnation :

- fixer le salaire mensuel moyen de Monsieur [B] à la somme de 2 499,21 euros bruts,

- juger que Monsieur [B] ne peut prétendre à une indemnité de requalification supérieure à la somme de 2 431,09 euros,

- juger que Monsieur [B] ne peut prétendre à une indemnité de licenciement supérieure à la somme de 651,10 euros,

- juger que Monsieur [B] ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis supérieure à la somme de 2 431,09 euros, outre la somme de 243,10 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- débouter Monsieur [B] de ses prétentions financières au titre de la rupture de son contrat de travail, faute d'établir l'existence et l'ampleur de son préjudice,

en tout état de cause :

- juger que Monsieur [B] ne justifie pas être resté à la disposition de la société Urbaser Environnement pour la période du 26 novembre 2014 au 8 mars 2015,

- infirmer le jugement en ce qu'il a alloué à Monsieur [B] une somme brute de 8 303,38 euros à titre de rappel de salaire, outre la somme de 830,33 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- le débouter intégralement de ces demandes de condamnations pécuniaires,

- débouter Monsieur [B] de toutes fins, moyens et conclusions,

- débouter Monsieur [B] de sa demande de condamnation à intérêts au taux légal,

- fixer à tout le moins les intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir en cas de condamnation,

- condamner Monsieur [B] à payer à la société Urbaser Environnement la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 5 mars 2024, Monsieur [J] [B] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 28 juillet 2022 en ce qu'il a :

- requalifié le contrat de travail à durée déterminée du 10 mars 2014 en contrat à durée indéterminée,

- dit le licenciement de Monsieur [B] sans cause réelle ni sérieuse,

- condamné la société Urbaser Environnement à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes:

- 2 499,21 euros bruts à titre d'indemnité de requalification,

- 4 998,42 euros au titre du préavis,

- 499,84 euros au titre des congés payés afférents,

- ordonné à la société Urbaser Environnement de remettre à Monsieur [B] les documents sociaux d'usage (attestation Pôle Emploi, certificat de travail, bulletin de paie) conformes au jugement, sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter de 30 jours après la notification du jugement, dans la limite de 190 jours,

- dit que les intérêts légaux sont de droit,

- mis les dépens et éventuels frais d'exécution à la charge de la société Urbaser Environnement,

statuant à nouveau,

- requalifier les contrats de mission et les contrats à durée déterminée du 27 décembre 2009 et du 6 mars 2012 ainsi que les contrats de mission successifs en contrats (sic) à durée indéterminée,

- dire que Monsieur [B] doit percevoir l'ensemble des sommes dues au titre des rappels de salaires pour les périodes non travaillées entre ses missions,

- condamner la société Urbaser à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

- 23 742,49 euros bruts au titre des rappels de salaires pour les périodes non-travaillées entre les missions,

- 2 374,24 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 3 696,75 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

- 4 998,42 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 499,84 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 22 492,89 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- ordonner la remise de bulletins de paie et documents de fins de travail rectifiés sous astreinte de 150 euros par jour et par document à compter du prononcé de la décision,

- condamner la société à régler à Monsieur [B] la somme complémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 mars 2024 et l'audience a eu lieu le 14 mai 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la requalification des contrats :

La société Urbaser Environnement fait valoir que l'action en requalification des contrats à durée déterminée souscrits par Monsieur [B] est manifestement prescrite, puisqu'il a saisi le conseil de prud'hommes le 26 avril 2016 et ne peut agir que pour des faits antérieurs au 26 avril 2014. Elle précise que la règle selon laquelle le délai de prescription ne court à compter du terme du dernier contrat en cas de succession de contrats à durée déterminée ne peut être appliquée en l'espèce, une période d'interruption de 10, 22 et 13 semaines ayant séparé le dernier jour travaillé des contrats souscrits.

La société appelante sollicite l'infirmation du jugement qui a requalifié la relation de travail en contrat à durée indéterminée, rappelant que l'embauche du salarié n'avait pas pour vocation de pourvoir un emploi permanent dans l'entreprise mais était destiné à compenser un accroissement temporaire d'activité, puisqu'elle est attributaire du marché public de nettoiement de la Ville de [Localité 5] qui a défini trois programmes-types hebdomadaires selon les saisons, une saison 'normale' de 30 semaines de décembre à fin juin, une saison 'été' couvrant 13 semaines de juillet à fin septembre, une saison 'feuilles' de 9 semaines d'octobre à fin novembre, correspondant à un nombre de services à effectuer différent.

Elle fait valoir en outre que les délais de carence ont été respectés, l'un d'eux consistant en 104 jours entre le contrat conclu le 10 mars 2014 et celui du 9 mars 2015.

Monsieur [B] soutient pour sa part que dans la mesure où il critique le motif de recours à un contrat précaire, le délai de prescription a commencé à courir à compter du 6 décembre 2015, terme de son dernier contrat de travail, et son action présentée le 24 avril 2016 au conseil de prud'hommes doit être déclarée recevable. Il rappelle n'avoir pas été engagé pour exécuter une tâche précise et temporaire mais pour pourvoir un emploi durable et permanent - au poste de conducteur/chauffeur poids-lourds- au sein de la société Urbaser Environnement, d'autant qu'aucune discontinuité de travail n'a existé entre le 27 décembre 2009 et le 6 décembre 2015 dans l'intervalle entre les contrats à durée déterminée et leurs avenants - en raison de la conclusion de 85 contrats de mission avec ce même employeur -.

La durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.

La loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 a substitué à la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, relatif aux actions personnelles ou mobilières, une prescription biennale prévue à l'article L. 1471-1 du code du travailqui dispose, dans sa version applicable au litige, que' toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. [...]'

En cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur le motif de recours au contrat à durée déterminée a pour point de départ le terme du contrat, ou en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat.

Le délai de prescription de l'action fondée sur le non-respect du délai de carence entre deux contrats successifs court à compter du premier jour d'exécution du second de ces contrats.

En l'espèce, Monsieur [B] a souscrit :

-un contrat à durée déterminée pour la période du 27 décembre 2009 au 26 mars 2010, pour 'accroissement temporaire d'activité due au démarrage du site',

- un contrat à durée déterminée du 6 mars 2012 pour la période du 12 mars au 2 décembre 2012, pour 'accroissement temporaire d'activité dû au changement de calendrier des commandes de services de la mission propreté',

- un contrat à durée déterminée du 10 mars 2014 pour la période du 10 mars au 10 novembre 2014, reconduit jusqu'au 25 novembre 2014, pour 'accroissement temporaire d'activité lié au travail prévu sur le planning 2014 supérieur aux quantités données dans l'appel d'offres,'

- un contrat à durée déterminée du 9 mars au 29 novembre 2015, reconduit jusqu'au 6 décembre 2015, pour 'accroissement temporaire d'activité dû au travail prévu sur le planning 2015 supérieur aux quantités données dans l'appel d'offre'.

Les contrats de l'espèce n'ont donc pas été conclus successivement.

Si des contrats de mission temporaire - dont la société Urbaser Environnement était bénéficiaire en sa qualité d'entreprise utilisatrice - ont été conclus avec Monsieur [B] dans les périodes séparant les contrats à durée déterminée, force est de constater qu'ils concernent un autre employeur, à savoir la société intérimaire SBC Intérim, et ne sauraient être pris en considération pour retenir que les contrats à durée déterminée de l'espèce ont été successifs, au sens entendu pour que le terme du dernier contrat soit pris en considération comme point de départ de la prescription.

Il en résulte que le délai de l'action de Monsieur [B] a pour point de départ le terme de chacun des contrats à durée déterminée conclus, à savoir le 20 mars 2010, le 2 décembre 2012, le 25 novembre 2014 et le 6 décembre 2015.

La saisine de la juridiction ayant eu lieu le 26 avril 2016, il convient de retenir que l'action en requalification de Monsieur [B] est atteinte par la prescription relativement aux deux premiers contrats souscrits.

La demande relative à la requalification des deux suivants est en revanche recevable.

Par ailleurs, en vertu des dispositions de l'article L.1242-1 du code du travail, un contrat à durée déterminée, quel que soit son motif , ne peut avoir pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise.

Dans le cadre d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée, c'est à l'employeur qu'il appartient de rapporter la preuve de la réalité du motif de recours énoncé au contrat.

L'accroissement temporaire d'activité invoqué dans les deux contrats à durée déterminée est lié 'au travail prévu sur le planning' 2014 pour l'un, 2015 pour l'autre, 'supérieur aux quantités données dans l'appel d'offres'; si elle explique le rythme de ses interventions au titre des relations contractuelles avec la Ville de [Localité 5] et leur saisonnalité et verse aux débats l'annexe 9 au 'CCTP' 'programme-types hebdomadaires prévisionnels' à l'en-tête de la Ville de [Localité 5] stipulant effectivement trois saisons ainsi que le 'cahier des clauses techniques particulières' potentialisant la variabilité de chaque programme-type hebdomadaire ' de - 30% à + 50% en nombre total de services par rapport aux programme-types hebdomadaires initiaux', la société Urbaser Environnement ne produit aucune pièce permettant de vérifier que cette situation a existé et qu'elle était à l'origine d'un accroissement temporaire d'activité pour elle et du recrutement de Monsieur [B] dans le cadre des deux contrats à durée déterminée litigieux.

Il convient donc, par confirmation du jugement entrepris, de requalifier en contrat à durée indéterminée les contrats à durée déterminée souscrits les 10 mars 2014 et 9 mars 2015.

Il résulte de l'article L. 1245-2 du code du travail que le montant minimum de l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud'homale. Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l'ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu'ils ont une périodicité supérieure au mois.

Au vu des éléments de rémunération produits, l'indemnité de requalification ne saurait être inférieure à la somme de 2 431,09 €, en l'espèce. Il convient de faire droit à la demande d'indemnité de requalification à hauteur de ce montant.

Sur la demande de rappels de salaire :

La société appelante soulève la prescription de la demande de rappel de salaire au titre des périodes séparant les différents contrats et fait valoir que cette prétention du salarié n'a été formulée pour la première fois que dans ses conclusions du 4 novembre 2019.

La société Urbaser Environnement s'oppose par ailleurs à toute demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles, affirmant que l'intéressé lui-même ne prouve pas s'être tenu à sa disposition, a reconnu que les périodes chômées ont représenté 3 mois et 4 jours en 2014 et 3 mois et 12 jours en 2015, périodes pendant lesquelles il avait le loisir de postuler auprès d'autres employeurs. Elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris de ce chef.

Soutenant que ses demandes de rappel de salaire ne sont pas prescrites pour les périodes entre le 6 décembre 2012 et le 6 décembre 2015, Monsieur [J] [B] considère devoir percevoir l'ensemble des sommes dues à titre de rappel de salaire pour les périodes non travaillées entre ses missions.

Il convient, à titre liminaire, de relever que la demande de rappel de salaire pour la période interstitielle correspondant aux contrats souscrits les 27 décembre 2009 et 6 mars 2012 n'ayant pas fait l'objet de requalification du fait de la prescription de l'action du salarié, est devenue sans objet.

La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, la demande de rappel de salaire fondée sur la requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée est soumise à la prescription de l'article L. 3245-1 du code du travail, selon lequel 'l 'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.'

Ce texte disposait, dans sa version applicable jusqu'au 17 juin 2013 que 'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil.'

En vertu de l'article 21 de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 réduisant le délai de prescription à trois ans pour les salaires, la nouvelle prescription ne court qu'à compter de la date de promulgation de la loi nouvelle, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Le point de départ du délai de prescription est la date d'exigibilité des rappels de salaire dus en conséquence de la requalification et, partant, pour les salariés payés au mois, la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l'entreprise concernée.

Par ailleurs, si en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution de la même relation contractuelle, comme le permet le principe de l'unicité de l'instance encore en vigueur au jour de la saisine de la juridiction prud'homale.

Eu égard à la date d'interruption de la prescription par la saisine du conseil de prud'hommes de Créteil, le 26 avril 2016, il convient de relever que les plus anciens salaires exigibles au titre de la période interstitielle entre les deux contrats à durée déterminée souscrits les 10 mars 2014 et 9 mars 2015, du fait de leur requalification, datent de fin novembre 2014, soit dans le délai requis avant l'acte interruptif de prescription initial. La demande à ces titres est donc recevable.

Toutefois, le salarié, engagé par plusieurs contrats à durée déterminée et dont le contrat de travail est requalifié en un contrat à durée indéterminée, ne peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes non travaillées séparant chaque contrat que s'il établit qu'il s'est tenu à la disposition de l'employeur pendant ces périodes pour effectuer un travail.

Alors que Monsieur [B] invoque n'avoir eu que des périodes non travaillées trop courtes pour trouver un emploi, il convient de relever que sur ces périodes -qui sont au moins égales à trois mois- il ne démontre pas s'être maintenu à la disposition de la société Urbaser Environnement, et ce d'autant qu'il affirme avoir été engagé ' presque sans discontinuité' dans le cadre de plusieurs contrats de mission souscrits avec une entreprise de travail temporaire, dans la période intermédiaire entre les contrats à durée déterminée litigieux.

Il doit donc être débouté de sa demande tendant à obtenir un rappel de salaire pour les périodes intermédiaires.

Sur les indemnités de rupture :

La société Urbaser Environnement conclut au rejet des demandes relatives aux indemnités de rupture. A titre subsidiaire, elle considère que le salarié ne peut prétendre à une indemnité de licenciement supérieure à 874,72 € ou à titre encore plus subsidiaire à

2 942,60 €, ni à une indemnité compensatrice de préavis supérieure à 2 354,09 euros, et sollicite l'infirmation du jugement au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur [J] [B] invoque une ancienneté de 5 ans et 11 mois au jour de la rupture du contrat de travail ainsi qu'un salaire moyen de 2 499,21 €, pour solliciter une indemnité compensatrice de préavis de 4 998,42 €, outre les congés payés y afférents, une indemnité de licenciement de 3 696,75 € et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur de 22'492,89 €, arguant de sa précarité et de son statut d'intérimaire ou de titulaire de contrats à durée déterminée ne lui permettant pas de faire face aux besoins de la vie courante notamment quant à l'obtention d'un prêt ou d'un logement.

La requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée conduit à analyser l'échéance du dernier contrat à durée déterminée en un licenciement qui, faute d'avoir été précédé d'une procédure conforme aux dispositions du code de travail et concrétisé par une lettre de licenciement contenant les motifs de la rupture, doit être dit dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, par application des articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige (un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté), eu égard à l'ancienneté du salarié remontant au premier jour d'exécution du premier contrat à durée déterminée requalifié, soit le 10 mars 2014, il convient de la fixer à la somme de 889,77€.

Il convient donc d'accueillir la demande d'indemnité compensatrice de préavis, à hauteur d'un mois de salaire ( eu égard à l'ancienneté de l'intéressé), à hauteur de 2 431,09 euros, ainsi que les congés payés y afférents.

Tenant compte de l'âge du salarié ( 57 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (20 mois), de son salaire moyen mensuel brut, mais de l'absence de justificatif de sa situation professionnelle après la rupture, il y a lieu de lui allouer la somme de 7 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L. 1235-5 du code du travail dans sa version applicable au litige, s'agissant d'un licenciement d'un salarié ayant moins de deux ans d'ancienneté.

Le jugement de première instance sera confirmé de ce chef.

Sur les intérêts:

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur la remise de documents :

La remise d'une attestation Pôle Emploi ( devenu France Travail), d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Urbaser Environnement n'étant versé au débat.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande d'infirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l'article 700 du code de procédure civile également en cause d'appel et d'allouer à ce titre la somme de 3 000 € à Monsieur [J] [B].

Le jugement doit en revanche être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande à ce titre présentée par l'employeur.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Dans les limites de l'appel,

INFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions requalifiant deux des contrats à durée déterminée, constatant l'absence de cause réelle et sérieuse de la rupture de la relation de travail, fixant le montant de l'indemnisation de ce licenciement, rejetant la demande de l'employeur au titre des frais irrépétibles et le condamnant aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONSTATE la prescription de l'action en requalification des contrats à durée déterminée souscrits le 27 décembre 2009 et le 6 mars 2012 par Monsieur [J] [Z] [B],

CONSTATE que la demande de rappel de salaire relative à ces contrats est devenue sans objet,

REQUALIFIE les contrats à durée déterminée souscrits par les parties les 10 mars 2014 et 9 mars 2015 en un contrat à durée indéterminée,

CONSTATE la recevabilité de l'action en rappel de salaire pour la période interstitielle entre les deux contrats à durée déterminée sus-mentionnés,

REJETTE la demande de rappel de salaire au titre de cette période interstitielle,

DIT que la rupture intervenue à l'échéance du dernier contrat à durée déterminée constitue un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Urbaser Environnement à payer à Monsieur [J] [Z] [B] les sommes de :

- 2 431,09 € à titre d'indemnité de requalification,

- 2 431,09 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 243,10 € au titre des congés payés y afférents,

- 889,77 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance pour les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt pour le surplus,

ORDONNE la remise par la société Urbaser Environnement à Monsieur [B] d'une attestation Pôle Emploi (France Travail), d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant sa mise à disposition,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Urbaser Environnement aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/07816
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;22.07816 ?
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