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03/07/2024 | FRANCE | N°22/08601

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 03 juillet 2024, 22/08601


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 03 JUILLET 2024



(n° 2024/ 180 , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08601 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFX23



Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Avril 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2021051342





APPELANTE



S.A. ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD, Entreprise régie par le Code des AssurancesAgis

sant poursuite et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SE...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 03 JUILLET 2024

(n° 2024/ 180 , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/08601 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFX23

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Avril 2022 -Tribunal de Commerce de PARIS RG n° 2021051342

APPELANTE

S.A. ASSURANCES DU CRÉDIT MUTUEL IARD, Entreprise régie par le Code des AssurancesAgissant poursuite et diligences par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, toque : D1119, plaidant par Me Serge PAULUS, SELARL ORION - AVOCATS & CONSEILS, avocat au barreau de STRASBOURG

INTIMÉE

S.A.S. D & A INDUSTRIES, agissant poursuite et diligences de son Président en exercice

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 804 543 304

Représentée par Me Caroline BOISSEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C2227

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Mme FAIVRE, Présidente de chambre

M. SENEL, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame POUPET

ARRÊT : Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par, Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.

*****

La SAS D&A INDUSTRIES, ci-après désignée D&A, possède un restaurant de vente sur place (établissement NEIGHBOURS) ainsi qu'un kiosque de vente sur place et à emporter (établissement HONOR).

La SAS D&A a souscrit auprès de la SA ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD, ci-après désignée ACM, un contrat d'assurance multirisque professionnelle contenant une garantie «pertes d'exploitation ».

A la suite d'une série de lois, décrets et arrêtés (applicables dès mi-mars 2020), plusieurs mesures ont été prises par le gouvernement pour lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19 en mars puis en octobre 2020 interdisant notamment aux restaurants d'accueillir du public.

Le 29 juillet 2020 la SAS D&A, qui avait déclaré un sinistre pour chaque restaurant, a mis en demeure ACM de mettre en 'uvre la garantie «pertes d'exploitation'' figurant au contrat. ACM lui a opposé un refus de garantie.

Le 19 novembre 2020, la SAS D&A a assigné ACM en référé afin d'obtenir, notamment, le versement d'une provision de 70 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses pertes d'exploitation.

Par ordonnance en date du 7 avril 2021 le juge des référés du tribunal de Paris a dit n'y avoir lieu à référé considérant que l'affaire nécessitait un débat sur le fond.

Le 26 février 2021, ACM a résilié le contrat d'assurance et désormais, les deux établissements ne sont plus exploités par la SAS D&A.

Par jugement du 14 avril 2022, le tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la clause d'exclusion prévue au contrat n'est pas opposable à la SAS D&A INDUSTRIES;

- condamné la SA ACM à la garantir de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

- ordonné le versement par la SA ACM à la SAS D&A INDUSTRIES de la somme de 10 000 euros à titre de provision à ce titre ;

-nommé comme expert judiciaire :M. [R] [L]

avec pour mission, dans les conditions et limites stipulées au contrat, de :

o évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation,

o évaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la périoded'indemnisation,

o se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission,

o entendre tout sachant qu'il estimera utile,

o s'il l'estime nécessaire, se rendre sur place,

o mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions aux parties à chaque étape de sa mission puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il fixera, avant le dépôt de son rapport,

o rappeler aux parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport.

- fixé à 6 000 euros le montant de la provision a consigner par la SA ACM avant le 31 mai 2022 au greffe de ce tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du code de procédure civile,

- dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque (article 271 du code de procédure civile).

- dit que lors de sa première réunion laquelle devra se dérouler dans un délai maximum de deux mois à compter de la consignation de la provision, l'expert devra après débat contradictoire avec les parties, soumettre au juge du contrôle des mesures d'instruction ce qu'il aura retenu pour ce qui concerne la méthodologie qu'il compte mettre en 'uvre, le calendrier détaillé de ses investigations, d'où découlera la date de dépôt de son rapport, et le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, lequel juge rendra, s'il y a lieu, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du code de procédure civile, et, s'il y a lieu, accordera une prorogation du délai pour le dépôt du rapport.

- dit que, lors de cette première réunion, l'expert xera un délai pour les appels, éventuels, en intervention forcée, lesquels appels devront être au contradictoire, outre des appelés en intervention forcée, de toutes les parties dans la cause.

- dit que, si les parties ne viennent pas á composition entre elles, et sauf contrariété avec le paragraphe précédent, le rapport de l'expert devra être déposé au Greffe dans un délai de 6 mois a compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus, et dans l'attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle des mesures d'instruction,

- dit que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise.

- condamné la SA ACM à payer à la SAS D&A INDUSTRIES la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant cette dernière pour le surplus;

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples et contraires ;

- réservé les dépens de l'instance.

Par déclaration électronique du 28 avril 2022, enregistrée au greffe le 18 mai 2022, la SA ACM a interjeté appel du jugement en intimant la SA ACM et mentionnant dans la déclaration que l'appel tend à la réformation du jugement en ses divers chefs expressément critiqués dans ladite déclaration.

Par conclusions d'appel n° 3 notifiées par voie électronique le 20 décembre 2023, la SA ACM demande à la cour, au visa des articles 1103, 1104, 1192 et 1353 du code civil, des articles L.113-1 et L.112-4 du code des assurances, de l'article 1240 du code civil, des articles 4, 15, 16, 562, 910-4, 954 872 et 873 du code de procédure civile de :

- REFORMER le jugement en qu'il a :

* dit que la clause d'exclusion prévue au contrat n'est pas opposable à la SAS D&A ;

* condamné ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

* ordonné le versement par la SA ACM à la SAS D&A de la somme de 10 000 euros à titre de provision à ce titre,

* nommé comme expert judiciaire : M. [R] [L] avec mission telle que décrite dans les conclusions ;

* fixé à 6 000 euros le montant de la provision à consigner par la SA ACM avant le 31 mai 2022 au greffe de ce tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du code de procédure civile,

* la demande tendant à voir réputée non écrite la clause d'exclusion opposée par les ACM

* la demande relative à l'expertise judiciaire ;

Y AJOUTANT :

- condamner la société D&A au paiement d'une indemnité de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Par conclusions n° 2 notifiées par voie électronique le 3 avril 2023, la SAS D&A INDUSTRIES demande à la cour, au visa des articles 1170, 1171, 1190 du code civil, des articles L. 113-1, L112-4 alinéa 3 et R. 114-1 du code des assurances, de l'article 910-4 du code de procédure civile, de l'article 954 du code de procédure civile, des articles 562 et suivants du code de procédure civile, des pièces versées aux débats, et notamment le rapport d'expertise du 9 février 2023, de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel incident ;

- REFORMER le jugement en ce qu'il a:

* condamné la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

* ordonné le versement par la SA ACM la SAS D&A de la somme de 10 000 euros à titre de provision à ce titre ;

STATUANT A NOUVEAU :

A titre principal,

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 et à l'indemniser à hauteur de 56 221 euros ;

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement HONOR la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 et à l'indemniser à hauteur de 33.659 euros ;

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la seconde période allant du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021 et à l'indemniser à hauteur de 50 767 euros ;

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement HONOR au titre de la seconde période allant du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021 et à l'indemniser à hauteur de 37 878 euros ;

A TITRE SUBSIDIAIRE :

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement HONOR pour la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

- ordonner le versement par la SA ACM à la SAS D&A de la somme de 33 659 euros à titre de provision à ce titre ;

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la seconde période allant du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

- ordonner le versement par la SA ACM à la SAS D&A de la somme de 50 767 euros à titre de provision à ce titre ;

- condamner la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement HONOR au titre de la seconde période allant du 30 octobre 2020 au 19 mai 2021 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise ;

- ordonner le versement par la SA ACM à la SAS D&A de la somme de 37 878 euros à titre de provision à ce titre ;

- désigner tel expert judiciaire qu'il plaira à la juridiction ayant pour mission :

' Évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation, à savoir lors de la fermeture administrative de ses deux établissements HONOR et NEIHGBOURS du 15 mars 2020 au 1er juin 2020, puis à partir du 30 octobre 2020 jusqu'au 19 mai 2021.

' Évaluer le montant des frais supplémentaires d'exploitation pendant la période d'indemnisation

' Se faire communiquer tout document et pièces qu'il estimera utiles à sa mission

' Entendre tous sachant qu'il estimera utile

' S'il estime nécessaire, de se rendre sur place

' Mener de façon strictement contradictoires ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions aux parties à chaque étape de sa mission puis un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations des parties avant une date ultime qu'il fixera avant le dépôt de son rapport

' Rappeler aux parties lors de l'envoi de ce document de synthèse qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que la date à laquelle il doit déposer son rapport

' Fixer le montant de la provision à consigner par le CREDIT MUTUEL

' Dire qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque

' Dire que lors de sa première réunion, laquelle devra se dérouler dans un délai maximum de deux mois à compter de la consignation de la provision, l'expert devra après débat contradictoire avec les parties, soumettre au juge du contrôle des mesures d'instruction ce qu'il aura retenu pour ce qui concerne la méthodologie qu'il compte mettre en 'uvre, le calendrier détaillé de ses investigations, d'où découlera la date de dépôt de son rapport et le montant prévisible de ses honoraires, de ses frais et débours, lequel juge rendra, s'il y a lieu, une ordonnance complémentaire fixant le montant de la provision complémentaire dans les conditions de l'article 280 du CPC, et s'il y a lieu accordera une prorogation du délai pour le dépôt du rapport

' Dire que lors de cette première réunion l'expert fixera un délai pour les appels éventuels, en intervention forcée, lesquels appels devront être contradictoires outre des appels en intervention forcée de toutes les parties dans la cause

' Dire que si les parties ne viennent pas à composition entre elles, et sauf contrariété avec le paragraphe précédent, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de six mois à compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus

' Dans l'attente de ce dépôt, inscrire la cause au rôle des mesures d'instruction

' Dire que le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise

- CONFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la clause d'exclusion prévue au contrat n'est pas opposable à la société D&A INDUSTRIES.

- réputer non écrite la clause d'exclusion ;

- débouter les ACM de son appel et de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- condamner les ACM à verser la somme de 10 000 euros à la SAS D&A INDUSTRIES au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;.

- condamner les ACM à supporter les entiers dépens de la présente instance.

Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les ACM sollicitent l'infirmation du jugement faisant essentiellement valoir que :

* la garantie contractuelle n'est pas mobilisable en l'espèce ;

* par application de l'article 1192 du code civil, l'assurance 'pertes d'exploitation' prévue au contrat est une assurance de « dommages » dite « à risque dénommés » ; pour que les pertes d'exploitation puissent être indemnisées, il faut que le dommage soit consécutif à un des événements limitativement déterminés par la police ; le dommage garanti à savoir les pertes d'exploitation résultant d'une interruption ou d'une réduction d'activité ne peut être indemnisé, sauf dénaturation de la lettre du contrat, que s'il est justifié d'un des évènements garantis à l'article 17.1 ;

* le seul évènement garanti non consécutif à un dommage matériel visé à l'article 17 est défini par le contrat comme suit : ' une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un événement extérieur à l'activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez' ;

* par application de l'article 1353 du code civil, s'agissant d'une condition de la garantie et non d'une exclusion, la charge de la preuve incombe à l'assuré et non à l'assureur ;

* la notion d'interdiction d'accès au sens du contrat est claire et insusceptible d'interprétation, et les mesures prises à l'occasion de la crise du COVID 19 n'ont jamais eu pour conséquences de rendre inaccessibles les établissements de restauration ; l'absence de définition dans le lexique de l'un des termes définissant la garantie est davantage un gage de clarté ; il suffit de se référer au sens commun de l'expression ; ainsi, « l'interdiction d'accès » doit se comprendre dans son acception littérale et usuelle ; la clause claire est insusceptible d'interprétation ; l'interdiction d'accès concerne les locaux assurés et entraine nécessairement une interruption d'activité ; le fait générateur qu'est l'interdiction d'accès ne vise pas l'activité en tant que telle mais uniquement le local ; la garantie « pertes d'exploitation » est applicable lorsque les autorités administratives ou judiciaires ont interdit l'accès au local assuré suite à un évènement extérieur à l'activité exercée ; c'est l'exercice de l'activité qui a été empêché partiellement et non l'accès aux locaux ; les mesures gouvernementales consécutives à la crise sanitaire n'emportaient pas d'interdiction d'accès ; l'accès à l'établissement n'était nullement interdit puisque de l'aveu même du principal syndicat de restaurateurs, les clients pouvaient pénétrer dans les locaux ; la réduction d'activité n'est envisagée que pour l'article 17.al.3 qui seul vise la difficulté d'accès et d'exploiter les locaux, couverte par le contrat s'il existe un sinistre matériel préalable garanti ;

* contrairement à ce qu'a jugé le tribunal la clause d'exclusion prévue au contrat est parfaitement valide et applicable ; par application de l'article L.112-4 du code des assurances, cette clause d'exclusion figure en caractère très apparent ; elle est formelle et ne vide pas la garantie de sa substance ; elle ne vise pas que les dommages causés directement par les micro-organismes mais bien tous les dommages directs ou indirects causés par les micro-organismes ;

Concernant l'appel incident :

* par application des articles 542 et 562 du code de procédure civile, la cour n'étant saisi d'aucune demande d'infirmation du jugement en ce qu'il : « condamne la SA ACM à garantir la société intimée de sa perte d'exploitation au titre des périodes allant du 15 mars au 15 juin 20 et du 30 octobre 2020 au 14 février 2021 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise » de la part de l'intimée ne pourra que confirmer le jugement sur ce point si par extraordinaire elle venait à rejeter l'appel interjeté par les ACM.

La société intimée fait valoir essentiellement que :

- la notion d'interdiction d'accès doit être interprétée dans des termes favorables à l'assuré et dans le respect de l'économie du contrat, à savoir : indemniser une interdiction d'accès qui provoque une interruption ou réduction d'activité qui entraine elle-même des pertes pécuniaires ;

- le fait que le personnel et les livreurs aient accès à l'établissement est indifférent ; la perte de chiffre d'affaires ou de revenus de la société, objet de la garantie perte d'exploitation souscrite, n'est pas fonction de l'accès à l'établissement du personnel ou de la direction ; c'est bien de l'accès de la clientèle que dépend le chiffre d'affaires de la société ;

- les conditions de l'article 17.1 alinéa 3 du contrat sont réunies en l'espèce ; si tant est qu'il existe un doute sur le sens à donner à cet article, il convient de faire application de l'article 1190 du code civil, les ACM étant seuls responsables de la rédaction du contrat ; s'ils avaient voulu que la notion de « mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives » soit entendue comme une fermeture d'établissement, ils auraient dû clairement le stipuler ce qu'ils n'ont pas fait ; ils doivent assumer les conséquences de la mauvaise rédaction des clauses de leur contrat ;

- s'agissant de l'appel incident,

* la clientèle de l'établissement HONOR était quasi exclusivement constituée d'une clientèle étrangère ; or, cette dernière ne pouvait plus voyager non seulement pendant les périodes de confinement mais également par la suite ; l'activité de restauration sur place et la vente de café de l'établissement HONOR était en conséquence fortement impactée pendant les périodes de confinement ; HONOR n'a pas pu reprendre son activité après le second confinement pour des raisons économiques ; il n'a pas rouvert car la société D&A n'avait plus la trésorerie suffisante après 11 mois de fermeture au total pour assumer les charges de cet établissement (loyer, personnel'); il est demandé à la cour de réformer le jugement et de condamner les ACM à indemniser l'établissement HONOR de sa perte d'exploitation, et ce au titre des deux confinements;

* l'établissement NEIGHOURS a ré-ouvert le 19 mai 2021 jusqu'au 18 juillet 2021, date à laquelle il a vendu son fonds de commerce ; l'activité a été reprise au sens de l'article 17.2 du contrat ; le fait que l'établissement NEIGHBOURS ait été vendu le 18 juillet 2021, soit presque deux mois après la fin du secondconfinement, est indifférent ; les conditions générales des ACM ne contiennent aucune exclusion en cas de vente du fonds de commerce par l'assuré ; l'article 17.2 ne vise que l'hypothèse d'une cessation d'activité de l'assuré, ce qui n'est pas le cas en l'espèce ; la perte d'exploitation se chiffre au global pour la société au titre des 2 périodes de fermeture imposées à 155 984 euros et se répartit par période de fermeture et par établissement ;

* elle demande le débouté des ACM de leur demande tendant à la voir non saisie de l'appel incident formé par la société D&A.

Sur ce,

En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention.

Aux termes de l'article 1103 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, issue de l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, 'les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits'.

L'article 1104 de ce même code ajoute que 'Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi . Cette disposition est d'ordre public'.

Par ailleurs, l'article 1353 du code civil dispose que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement qui a produit l'extinction de son obligation.

En matière d'assurance, il appartient à l'assuré, qui sollicite l'application de la garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de cette garantie et notamment de démontrer qu'il est survenu dans les circonstances de fait conformes aux prévisions du contrat. Il appartient par ailleurs à l'assureur, qui invoque une clause d'exclusion de garantie, d'établir que le sinistre répond aux conditions de l'exclusion.

Sur les conditions de garantie des pertes d'exploitation

L'article 17.1 du contrat stipule la clause de garantie suivante :

« Nous garantissons les pertes pécuniaires que vous pouvez subir du fait de l'interruption ou de la reduction de votre activité résultant soit :

. d'un dommage matériel garanti,

. d'une impossibilité ou d'une difficulté d'accès à vos locaux professionnels, et/ou d'une impossibilité ou d'une difficulté pour les exploiter consecutive à un évènement accidentel ayant entraîne des dommages matériels survenant a moins de 500 mètres de vos locaux, des lors que ceux-ci auraient été garantis par le présent contrat s'ils avaient atteint les biens assures,

. d'une mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires, prises à la suite d'un évènement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez,

. d'une carence d'approvisionnement de vos fournisseurs ayant leur établissement situé dans le territoire de l'Union Européenne résultant de dommages matériels survenant dans leurs locaux, des lors que ces dommages auraient été couverts au titre de votre contrat d'assurance si ces dommages étaient survenus dans les locaux assurés »

C'est la ' mesure d'interdiction d'accès émanant des autorités administratives ou judiciaires prises

prises à la suite d'un évènement extérieur à votre activité et aux locaux dans lesquels vous l'exercez', qui est invoquée en l'espèce par l'assuré.

Cette mesure ne se confond pas avec 'l'impossibilité ou la difficulté d'accès ou d'exploitation' laquelle est soumise à la condition 'qu'elle soit consécutive à un évènement accidentel ayant entraîné des dommages matériels survenant à moinsd de 500 mètres des locaux dès lors que ceux-ci auraient été garantis par le présent contrat s'ils avaient atteint les biens assurés'.

L'article 1192 du code civil interdit la dénaturation des clauses claires.

L'article 17.1 du contrat opère une distinction entre les évènements susceptibles d'entraîner la garantie des ACM en imposant des conditions de garantie différentes :

- la mesure d'interdiction d'accès au local,

- la difficulté ou l'impossibilité d'accès aux locaux consécutifs à un dommage matériel préalablement garanti,

- l'impossibilité ou la difficulté d'exploiter le local professionnel et donc les difficultés d'exercice de l'activité, consécutifs à un dommage matériel préalablement garanti. Ces distinctions doivent être respectées sous peine de dénaturation.

La « mesure d'interdiction d'accès » est une notion juridique (article 17.1, al.4). Pour que les conditions de cette garantie soient remplies, il est nécessaire d'établir l'existence d'une mesure administrative ou judiciaire qui fait défense de pénétrer dans les locaux assurés. Une mesure administrative qui aurait seulement pour effet de restreindre l'accès ou de rendre l'exploitation impossible est insuffisante si elle n'interdit pas l'accès dans les locaux assurés. En effet, dans ce cas l'accès demeure légalement autorisé même si factuellement il est restreint.

Le terme interdiction d'accès est suffisamment clair dès lors qu'il n'existe aucune ambiguïté au regard de la définition courante. Une mesure administrative ou judiciaire d'interdiction d'accès est une mesure qui fait défense absolue de pénétrer ou d'atteindre le local assuré. La clause ne doit pas être interprêtée sauf à dénaturer le contrat et à assimiler le terme «interdiction » à une simple restriction ou à une difficulté d'accès.

Une telle situation aurait pu être couverte au titre de la garantie impossibilité ou difficulté d'accès

et/ou d'exploiter le local (article 17.1 al.3), mais une condition préalable est requise dans ce cas : l'existence d'un dommage matériel préalable.

Les mesures gouvernementales invoquées par l'assurée (arrêtés des 14 et 15 mars 2020 puis le décret du 29 octobre 2020) n'ont ordonné aucune interdiction d'accès. Elles n'ont pas fait défense de pénétrer dans les locaux assurés. Elles ont pu avoir pour effet de restreindre l'exploitation des ERP de la catégorie N « restaurant » en fonction des caractéristiques de l'établissement mais n'ont jamais interdit l'accès puisque les locaux demeuraient accessibles aux dirigeants, salariés, prestataires et même aux clients. L'accueil du public était autorisé pour la livraison et la vente à emporter.

En conséquence, l'évènement invoqué par la société D&A n'est pas démontré et la condition de garantie n'est donc pas remplie. La société D&A sera déboutée de sa demande de garantie.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la SA ACM à garantir la SAS D&A de sa perte d'exploitation pour le compte de l'établissement NEIGHBOURS au titre de la période allant du 15 mars au 15 juin 2020 telle qu'elle sera déterminée à l'issue de l'expertise, ordonné le versement par la SA ACM à la SAS D&A INDUSTRIES de la somme de 10 000 euros à titre de provision à ce titre et nommé un expert judiciaire.

Compte tenu des termes de la décision, il n'y a pas lieu de répondre aux autres moyens notamment ceux relatifs à la validité de la clause d'exclusion, devenus sans objet.

Sur les autres demandes

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la SA ACM à payer à la SAS D&A INDUSTRIES la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la SAS D&A INDUSTRIES, qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer à la SA ACM une indemnité de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle sera déboutée de sa propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Déboute la SAS D&A INDUSTRIES de toutes ses demandes ;

Condamne la SAS D&A INDUSTRIES aux entiers dépens de première instance et d'appel;

Condamne la SAS D&A INDUSTRIES à payer à la SA ASSURANCES DU CREDIT MUTUEL IARD une indemnité de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Déboute la SAS D&A INDUSTRIES de sa propre demande de ce chef.

Rejette toutes autres demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/08601
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;22.08601 ?
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