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03/07/2024 | FRANCE | N°21/14724

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 03 juillet 2024, 21/14724


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 8



ARRÊT DU 03 JUILLET 2024



(n° 2024/ 170 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14724 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGNM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2021009743



APPELANTE



S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 1]

[Localité 5]

Immatriculée au RCS de N

ANTERRE sous le numéro : 722 057 460



Représentée par Me Juliette VOGEL de la SELAS HMN & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0581, plaidant par Me Christopher BREHM, avocat au barreau d...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 8

ARRÊT DU 03 JUILLET 2024

(n° 2024/ 170 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14724 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGNM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juillet 2021 -Tribunal de Commerce de Paris RG n° 2021009743

APPELANTE

S.A. AXA FRANCE IARD

[Adresse 1]

[Localité 5]

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro : 722 057 460

Représentée par Me Juliette VOGEL de la SELAS HMN & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0581, plaidant par Me Christopher BREHM, avocat au barreau de PARIS, toque P0581

INTIMÉE

S.A.R.L. BDRP, à l'enseigne LE PETIT RETRO, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,

[Adresse 2]

[Localité 4]

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 790 565 899

Représentée par Me Guillaume AKSIL de la SCP LINCOLN AVOCATS CONSEIL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0293, ayant pour avocat plaidant, Me Jean-Pierre TERTIAN, avocat associé au sein de la SCP TERTIAN-BAGNOLI-LANGLOIS-MARTINEZ- avocat au barreau de MARSEILLE, substitué à l'audience par Me Annabelle AYME, SCP TERTIAN-BAGNOLI-LANGLOIS-MARTINEZ, avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 23 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

Mme Laurence FAIVRE, Présidente de Chambre

M. Julien SENEL, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme FAIVRE, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame POUPET

ARRÊT : Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.

****

EXPOSÉ DU LITIGE

La société BDRP (l'assurée), exploitant un restaurant à l'enseigne «'Le Petit Retro'» a souscrit auprès de la société Axa France IARD (l'assureur), le 27 juin 2019 à effet du 1er mai 2019, par l'intermédiaire du courtier Groupement européen d'assurances (GEA), un avenant au contrat d'assurance « multirisque professionnelle » incluant une garantie « perte d'exploitation » .

Un arrêté publié au Journal officiel le 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, a notamment édicté, pour les établissements relevant de certaines catégories, l'interdiction d'accueillir du public du 15 mars 2020 au 15 avril 2020, prorogée jusqu'au 2 juin 2020 par décret du 14 avril 2020.

Soutenant avoir subi des pertes d'exploitation du fait de cette interdiction, l'assurée a effectué une déclaration de sinistre auprès de l'assureur afin d'être indemnisée pour laquelle AXA France IARD a proposé une indemnité transactionnelle en août 2020 de 66 803 euros qui a été refusée par BDRP ; cette dernière a mis en demeure AXA France IARD de payer ses pertes d'exploitation.

Une seconde déclaration de sinistre a été faite le 18 novembre 2020, sans réponse d'AXA France IARD.

PROCÉDURE

La société BDRP a assigné l'assureur devant le tribunal de commerce de Paris à fin de garantie.

Par jugement du 5 juillet 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture par les autorités administratives mobilisable,

- Ordonné à la SA AXA FRANCE IARD de payer à la SARL BDRP à l'enseigne " LE PETIT RETRO '' à titre de provision sur cette garantie la somme de 200.000 €,

- Nommé expert judiciaire M. [M] [O]

avec pour missions :

* Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utiles à sa mission et notamment:

" Les comptes annuels des 2017, 2018, 2019,

" La balance générale des 2017, 2018, 2019,

" Le grand livre général des 2017, 2018, 2019,

" Les chiffres d'affaires mensuels sur 2017, 2018, 2019,

" Les chiffres d'affaires mensuels du 1er janvier 2020 jusqu'à fin mars 2021,

" Le détail de toutes les aides relatives au Covid-19 obtenues avec les justificatifs jusqu'au 9 juin 2021,

* Entendre tout sachant,

* S'il l'estime nécessaire se rendre sur place,

* Donner son avis sur les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, en tenant compte de la tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,

* Donner son avis sur la marge sur coût variable (chiffre d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,

* Donner son avis sur le montant des aides publiques perçues par la demanderesse et notamment celles reçues du fonds de solidarité,

* Évaluer le montant des dommages constitués par la perte de marge brute pendant la période d'indemnisation,

* Mener de façon strictement contradictoire ses opérations d'expertise, en particulier en faisant connaître aux parties, oralement ou par écrit, l'état de ses avis et opinions à chaque étape de sa mission puis, son avant-dernier avis, en vue de recueillir leurs dernières observations, avant le dépôt du rapport,

* Rappeler aux parties, lors de l'envoi de ce document de synthèse qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de cette date ultime ainsi que de la date à laquelle il doit déposer son rapport

- Fixé à 2 000 euros le montant de la provision à consigner par la SARL BDRP à l'enseigne " LE PETIT RETRO '' avant le 30 juillet 2021 au greffe du tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du CPC,

- Dit qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque, et l'instance poursuivie,

- Dit que la première réunion devra se dérouler dans un délai maximum de 45 jours à compter de la consignation de la provision,

- Dit que l'expert devra après débat contradictoire avec les parties, soumettre au juge du contrôle des mesures d'instructions ce qu'il aura retenu pour ce qui concerne la méthodologie qu'il compte mettre en 'uvre, le calendrier détaillé de ses investigations d'où découlera la date de dépôt de son rapport, le montant prévisible de ses honoraires et de ses frais et débours, ainsi que la date de dépôt du rapport

- Dit que, lors de cette première réunion, l'expert fixera un délai pour les appels, éventuels, en intervention forcée, lesquels appels devront être au contradictoire, outre des appelés en intervention forcée, de toutes les parties dans la cause,

- Dit que, si les parties ne viennent pas à composition entre elles, le rapport de l'expert devra être déposé au greffe dans un délai de 4 mois à compter de la consignation de la provision fixée ci-dessus et, dans l 'attente de ce dépôt, inscrit la cause au rôle des mesures d'instruction

- Dit que le magistrat chargé du contrôle des mesures d'instruction suivra l'exécution de la présente expertise,

- Débouté la SARL BDRP à l'enseigne « LE PETIT RETRO » de sa demande au titre des honoraires de l'expert d'assuré,

- Condamné la SA AXA FRANCE IARD à payer à la SARL BDRP à l'enseigne « LE PETIT RETRO » la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- Ordonné au greffe de signifier le présent jugement à l'agent judiciaire de l'Etat, [Adresse 3],

- Réservé les dépens.

Par déclaration électronique du 27 juillet 2021, enregistrée au greffe le 19 août 2021, la SA AXA FRANCE IARD a interjeté appel des dispositions du jugement lui faisant grief.

Par conclusions d'appel n° 2 notifiées par voie électronique le 26 avril 2022, la SA AXA FRANCE IARD demande à la cour :

« Vu les articles 1103 et 1192 du code civil,

Vu les articles L. 112-4, L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances,

DECLARER recevable et bien-fondé l'appel interjeté par la société AXA FRANCE IARD et, y faisant droit :

A TITRE PRINCIPAL

INFIRMER le jugement du tribunal de commerce de Paris du 5 juillet 2021 en ce qu'il a:

Dit la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture par les autorités administratives mobilisable.

Ordonné à la SA AXA FRANCE IARD de payer à la SARL BDRP à l'enseigne " LE PETIT RETRO " à titre de provision sur cette garantie la somme de 200.000 €,

Nommé Monsieur [O] [M] en qualité d'expert judiciaire avec la mission décrite

Fixé à 2.000 € le montant de la provision à consigner par la SARL BDRP à l'enseigne " LE PETIT RETRO" avant le 30 juillet 2021 au greffe du tribunal, par application des dispositions de l'article 269 du code de procédure civile ,

Condamné la SA AXA FRANCE IARD à payer à la SARL BDRP à l'enseigne " LE PETIT RETRO" la somme de 7.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ,

Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;

INFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté AXA FRANCE IARD de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a débouté la société BDRP de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre d'AXA France IARD pour résistance abusive.

STATUANT A NOUVEAU

DECLARER que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;

- DECLARER que la clause d'exclusion respecte le caractère formel exigé par l'article L. 113-1 du code des assurances ;

DECLARER que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'AXA FRANCE IARD de sa substance ;

En conséquence :

DECLARER applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ;

DEBOUTER la société BDRP LE PETIT RETRO de l'intégralité de ses demandes formées à l'encontre d'AXA FRANCE IARD et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 5 juillet 2021 ;

ANNULER la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Paris;

A TITRE SUBSIDIAIRE -

INFIRMER le jugement du 5 juillet 2021 en ce qu'il a condamné AXA FRANCE IARD à verser à la société BDRP LE PETIT RETRO la somme de 200 000 euros à titre de provision et fixé la mission de l'Expert judiciaire sans se référer aux termes du contrat ;

STATUANT A NOUVEAU - -

DEBOUTER la société BDRP de sa demande en paiement d'une consignation complémentaire d'un montant de 200 000 euros.

ORDONNER la fixation de la mission de l'Expert désigné par le tribunal de commerce de Paris comme suit :

o Se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à

l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'Intimée et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années ;

o Entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations ;

o Examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable ;

o Donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées ;

o Donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée ;

o Donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020.

EN TOUT ETAT DE CAUSE -

CONDAMNER la société BDRP LE PETIT RETRO à payer à AXA FRANCE IARD la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel. »

Par conclusions récapitulatives d'intimée n° 2 notifiées par voie électronique le 31 janvier 2024, la SARL BDRP, à l'enseigne LE PETIT RETRO, demande à la cour :

« Vu les dispositions des articles L.112-4 et L 113-1 du code des assurances ;

Vu les dispositions de l'article 1231-1 du code civil ;

Vu le contrat d'assurance souscrit ;

Vu les pièces versées aux débats ;

CONFIRMER, au besoin par adjonction de motifs, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris du 5 Juillet 2021 en ce qu'il a condamné la Société AXA FRANCE IARD à garantir les pertes d'exploitation subies par la Société BDRP du 15 mars 2020 au 30 Juin 2021 à raison de la crise sanitaire liée au Covid-19, ;

CONFIRMER le jugement rendu en ce qu'il a condamné la Société AXA FRANCE IARD à payer à la Société BDRP une provision de 200c000 € à valoir sur les garanties ;

CONFIRMER le jugement en ce qu'il a ordonné une expertise judiciaire confiée à «'Monsieur [C] [X]'» (sic), expert, avec pour mission de déterminer les pertes d'exploitation subies par la Société BDRP dans la limite des 24 mois contractuellement définis, tout en excluant l'épidémie et le confinement des facteurs externes pouvant être retenus pour réduire la marge brute ;

INFIRMER le jugement et mettre à la charge d'AXA FRANCE les frais d'expertise et CONDAMNER la Société AXA FRANCE IARD à payer à la Société BDRP la somme de 17.520 €, montant des honoraires d'expertises, par elle avancés ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

INFIRMER Le jugement rendu et CONDAMNER la Société AXA FRANCE IARD à payer à la Société BDRP 50.000 € de dommages et intérêts en indemnisation du préjudice subi à raison de la faute commise par la Société AXA FRANCE IARD et de son manquement au devoir de loyauté consistant à avoir offert, à la Société BDRP, des sommes dérisoires eu égard à l'importance du préjudice et avoir subordonné leur versement à la renonciation des droits futurs par son cocontractants ;

TRES SUBSIDAIREMENT

CONDAMNER AXA FRANCE ARD à payer à la Société BDRP, 66 803 €, montant de l'offre d'indemnité qu'elle a formulé le 25 juin 2020 et au mois d'aout 2020, sans que celle-ci ne comporte une limitation de durée ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

CONDAMNER la Société AXA FRANCE IARD à payer à la Société BDRP 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNER La Société AXA FRANCE IARD aux entiers dépens de première instance et d'appel ».

Il convient de se reporter aux dernières conclusions susvisées pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 mars 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I Sur la demande d'indemnisation au titre de la garantie pertes d'exploitation

A l'appui de son appel, AXA FRANCE IARD ne forme aucune prétention au sujet de la disposition du jugement qui a décidé que la garantie pertes d'exploitation suite à la fermeture par les autorités administratives était mobilisable, limitant ses prétentions à l'exclusion de garantie qui assortit l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative en demandant de la déclarer applicable en l'espèce, débouter la société BDRP de l'intégralité de ses demandes et annuler l'expertise judiciaire et à titre subsidiaire, débouter de sa demande de provision et modifier la mission de l'expert judiciaire. Concernant la clause d'exclusion, AXA FRANCE IARD fait valoir qu'elle répond au formalisme de l'article L. 112-4 du code des assurances en ce qu'elle est rédigée en gras à l'issue du paragraphe relatif à la garantie abordée. Elle ajoute que cette clause d'exclusion est claire, dépourvue d'ambiguïté et ne nécessite pas d'interprétation.

Elle fait aussi valoir que la clause d'exclusion est limitée en ce qu'elle laisse dans le champ de la garantie toutes les fermetures individuelles de l'établissement assuré pour tout motif à l'exclusion des violations volontaires à la réglementation.

En réplique, la société BDRP fait valoir, à titre principal, que les conditions particulières composé par l'intercalaire édité par le courtier GEA, comporte deux garanties distinctes dont une garantie principale «' fermeture sur ordre des autorités'» figurant sur le tableau en page 7 qui ne comporte aucune exclusion, l'autre garantie «' fermeture administrative'imposée par les services de police d'hygiène ou de sécurité'» qui est une extension de la garantie principale, comporte une clause d'exclusion qui ne s'applique qu'aux fermetures imposées par les services de police d'hygiène ou de sécurité et non à la garantie principale du tableau page 7.

Subsidiairement, elle fait valoir que cette exclusion de garantie est nulle parce qu'elle n'est pas rédigée en caractères très apparents. Selon la société BDRP, elle n'est pas formelle non plus car elle nécessite d'être interprétée, ses critères d'application sont vagues et imprécis et sa rédaction implique que deux conditions cumulatives soient réunies or, en l'espèce, aucune de ces conditions n'est réunie.

Elle ajoute que la clause n'est pas non plus limitée en ce qu'elle ne précise pas le motif de la fermeture collective.

En conséquence, elle estime que cette clause qui n'est conforme ni dans sa forme ni dans son fond, n'est pas applicable et que AXA FRANCE IARD doit donc sa garantie.

Sur ce,

1) Sur la garantie

Il est relevé que AXA FRANCE IARD demande l'infirmation de la disposition du jugement ayant dit que la garantie fermeture administrative était mobilisable mais n'en tire aucune conséquence, demandant à la cour de statuer sur la clause d'exclusion.

Il résulte de l'extrait Kbis que la société BDRP exerce l'activité de restaurant-bar : du fait de la nature de son activité, l'interdiction administrative d' accueillir du public prescrite par l'arrêté du 15 mars 2020 et le décret du 29 octobre 2020, équivaut à la fermeture de l'établissement qui est empêché d'exercer l'activité déclarée.

C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que la garantie pertes d'exploitation suite à la fermeture par les autorités administratives était mobilisable.

Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.

2) Sur l'exclusion de garantie

En l'espèce, il ressort des pièces communiquées que la police d'assurance litigieuse se compose, ainsi que l'a constaté le tribunal, des documents suivants:

Les conditions générales de la police Multirisque professionnelle

n° 690200 O

Les conditions particulières intitulées Multirisque professionnelle éditées par GEA : cet intercalaire comprend en page 2 un sommaire qui énonce:

* les conditions particulières en page 1,

* le sommaire en page 2,

* le Tableau des garanties en pages 3 à 6,

* les Définitions en pages 7 et 8,

* les Conventions en pages 8 à 10,

A partir des pages 11 à 30, sont précisées les garanties dont « Les pertes financières » qui comprennent notamment les pertes d'exploitation (pages 19 à 22).

Ainsi il ressort de ce sommaire, que le tableau des garanties n'est qu'une présentation schématique des garanties, qui résume les risques souscrits par l'assuré et les limites de garanties et que ces garanties sont ensuite explicitées à partir de la page 11.

Le raisonnement de la société BDRP selon lequel il y aurait dans le «'tableau des garanties'», des garanties distinctes de celles énoncées à partir de la page 11 n'est donc pas fondé, comme ne l'est pas davantage, son affirmation selon laquelle l'expression employée dans le tableau de «'Fermeture de l'établissement sur ordre des autorités'» ne recouvrirait pas le même événement que celui énoncé dans les garanties page 22 à savoir «'fermeture administrative'».

Mais dans le vocabulaire courant, l'expression' «'les autorités'» renvoie soit à la puissance publique, soit à l'Administration. Ces deux notions recouvrent donc une situation identique.

Il en résulte que les dispositions contractuelles relatives à la «'fermeture administrative'» s'applique à la «' fermeture de l'établissement sur ordre des autorités'».

Il convient donc de vérifier si la clause d'exclusion applicable à l'évènement «' Fermeture administrative'» répond aux exigences des articles L. 112-4 et L.113-1 précités.

La clause «'Fermeture administrative'» est ainsi rédigée:

« La garantie est étendue à la fermeture administrative imposée par les services, de police ou d'hygiène ou de sécurité.

Demeure toutefois exclue:

la fermeture consécutive à une fermeture collective d'établissements dans une même région ou sur le plan national,

lorsque la fermeture est la conséquence d'une violation volontaire à la réglementation, de la déontologie ou des usages de la profession.'»

Cette clause se divise en deux parties ; en premier lieu, l'énoncé de l'extension de la garantie à l'évènement «'fermeture administrative'», en deuxième lieu, séparé par un alinéa, l'exclusion de garantie spécifique à cette extension de garantie, rédigée dans une police en caractère gras.

Ainsi la clause d'exclusion est rédigée en son entier en des caractères très apparents qui la distingue de la garantie proprement dite. Elle est ainsi conforme aux exigences de l'article L.112-3 du code des assurances .

En application de l'article L. 113-1 du code des assurances que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.

Il en résulte qu'une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.

En l'espèce, la clause d'exclusion précitée est rendue ambiguë par l'usage de la conjonction de subordination « lorsque », qui nécessite une interprétation de cette clause, de sorte qu'elle n'est pas formelle.

A défaut d'être formelle et sans qu'il y ait lieu d'examiner si cette clause d'exclusion est limitée, il s'en déduit que cette clause d'exclusion ne répond pas aux exigences de l'article

L. 113-1 précité.

Compte tenu de cette solution, il convient d'approuver le tribunal et de confirmer le jugement en ce qu'il a dit 'la garantie perte d'exploitation suite à la fermeture par les autorités administratives, mobilisable'.

3) Sur la provision

Concernant le montant de la provision sollicitée par la société BDRP, AXA FRANCE IARD fait valoir que le calcul de la marge brute basé sur le chiffre d'affaires qui aurait été réalisé en l'absence de fermeture administrative conduit nécessairement à un montant d'indemnisation réduit d'après le rapport de l'expertise judiciaire qui a évalué ce montant avant prise en compte des facteurs externes à 228 949 euros.

En réplique, la société BDRP demande la confirmation du jugement concernant le montant de la provision décidée par le tribunal.

Sur ce,

Il n'est pas contesté que l'expert judiciaire désigné par le tribunal a déposé son rapport le 31 octobre 2022.

Il ressort de la lecture de ce rapport que l'expert judiciaire a estimé la perte de marge brute sans facteur externe sur la période comprise entre mars 2020 et mai 2021 à 689 866 euros et la perte d'exploitation sans facteur externe sur les mois de fermeture administrative exclusivement, à 172 161 euros avant franchise et à 165 245 euros après franchise.

Dans ces conditions, il y a lieu de réduire à 100 000 euros, le montant de la provision à valoir sur l'indemnité d'assurance due par AXA FRANCE IARD à la société BDRP.

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a ordonné à la SA AXA FRANCE IARD de payer à la SARL BDRP à l'enseigne « LE PETIT RETRO » à titre de provision sur cette garantie la somme de 200 000 euros.

4) Sur l'expertise

AXA FRANCE IARD reproche au tribunal d'avoir fixé la mission de l'expert notamment sans aucune précision quant aux facteurs externes, elle demande donc la réforme de cette mission.

En réplique, la société BDRP demande la confirmation de l'expertise judiciaire.

Sur ce,

Il ressort de la lecture de la mission d'expertise décidée par le tribunal et du rapport d'expertise judiciaire communiqué en appel, que le tribunal a donné mission à l'expert judiciaire de donner son avis sur les pertes d'exploitation garanties contractuellement en tenant compte des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte ainsi que de donner son avis sur le montant des aides publiques perçues par la société BDRP et notamment celles reçues du fonds de solidarité.

Il ressort du rapport que l'expert a réalisé sa mission en procédant à ses estimations selon deux hypothèses, l'une en l'absence de facteurs externes et l'autre en tenant compte des facteurs externes, en retenant des taux d'imputation liés aux facteurs externes compris entre 10 % et 40 % (pages 24,25,26). L'expert a aussi pris en compte dans l'évaluation des frais, les différentes aides obtenues par la société BDRP (pages 33 et 34). Il a également effectué ces estimations à partir des pièces comptables de la société BDRP des années 2017 à 2020. (page 20)

Au vu de l'ensemble de ces constatations, il s'avère que le moyen soulevé par AXA FRANCE IARD au titre du caractère insuffisant des termes de la mission de l'expert, n'est pas fondé et doit être rejeté.

En conséquence, les dispositions du jugement déféré, relatives à la mission de l'expert judiciaire sont confirmées.

II Sur les dommage-intérêts pour résistance abusive

La société BDRP reproche à l'assureur d'avoir opposer une résistance abusive dans le versement de l'indemnité d'assurance et d'avoir proposé une transaction d'un montant trop faible.

Mais les circonstances de ce litige mettent en évidence les difficultés d'exécution de ce contrat compte tenu d'une clause ambigüe : elles ne permettent donc pas de caractériser à l'encontre de AXA FRANCE IARD une faute de nature à faire dégénérer en abus, le droit de s'opposer à l'exécution du contrat et de se défendre en justice.

Il ne sera donc pas fait droit à la demande de dommages-intérêts formée par la société BDRP à ce titre.

III Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La disposition du jugement relatives au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles et celle qui a réservé les dépens de première instance, incluant les frais d'expertise de 17 520 euros et les frais de greffe, doivent être confirmées.

Partie perdante en appel, AXA FRANCE IARD sera condamné aux dépens d'appel et à payer à la société BDRP, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 8 000 euros.

AXA FRANCE IARD sera déboutée de sa demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a ordonné à la SA AXA FRANCE IARD de payer à la SARL BDRP à l'enseigne « LE PETIT RETRO » à titre de provision sur cette garantie la somme de 200 000 euros ;

Statuant à nouveau sur le point infirmé,

Condamne AXA FRANCE IARD à payer à la société BDRP la somme de 100 000 euros de provision à valoir sur l'indemnité d'assurance au titre de la garantie pertes d'exploitation pour fermeture administrative ;

Y ajoutant,

Rejette le moyen soulevé par AXA FRANCE IARD au titre du caractère insuffisant des termes de la mission de l'expert judiciaire ;

Rejette la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Condamne AXA FRANCE IARD aux dépens d'appel ;

Condamne AXA FRANCE IARD à payer à la société BDRP la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute AXA FRANCE IARD de sa demande formée de ce chef ;

Rappelle que l'obligation de rembourser résulte de plein droit de la réformation du jugement de première instance ayant alloué des sommes d'argent.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 21/14724
Date de la décision : 03/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-03;21.14724 ?
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