Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 8
ARRÊT DU 03 JUILLET 2024
(n° 2024/ 168 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04712 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIRB
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Janvier 2021 -Tribunal de Commerce de Bobigny - RG n° 2020f00590
APPELANTE
S.A.S. LE NINE, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 4]
Immatriculée au RCS de BOBIGNY sous le numéro : 804 695 526
représentée par Me Jean-Loïc TIXIER-VIGNANCOUR, avocat au barreau de PARIS, toque : D0428
INTIMÉE
S.A. AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 1]
[Localité 3]
Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 722 057 460
représentée par Me Florence MONTERET AMAR de la SCP MACL SCP d'Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0184
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Mme FAIVRE, Présidente de Chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Mme FAIVRE, Présidente de chambre
M. SENEL, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame POUPET
ARRÊT : Contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 22 mai 2024, prorogé au 19 juin 2024 puis au 03 juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Mme POUPET, greffière, présente lors de la mise à disposition.
*****
EXPOSÉ DU LITIGE
La SAS LE NINE exploite un commerce de crêperie, sous franchise CREPWAY, [Adresse 2] à [Localité 4] (93).
Elle est titulaire d'un contrat d'assurance multirisque Professionnelle n° 10134088804 souscrit auprès de la SA AXA FRANCE IARD à effet du 18 décembre 2017.
A la suite de la finale de la Coupe du monde de football qui s'est tenue le 15 juillet 2018, la société LE NINE a subi le saccage de son établissement dans la nuit du 15 au 16 juillet 2018.
La société LE NINE a déclaré à la société AXA le sinistre survenu, laquelle a mandaté un expert pour chiffrer les dommages survenus.
PROCÉDURE
La mise en demeure du 10 juillet 2019 d'être indemnisée étant restée sans réponse, la société LE NINE a fait citer AXA, devant le tribunal de commerce de Bobigny, par acte d'huissier du 13 mai 2020.
Par jugement du 12 janvier 2021, le tribunal de commerce du Bobigny a :
- Reçu la SAS LE NINE dans sa demande, l'a dit partiellement fondée et y a fait partiellement droit ;
- Condamné la SA AXA FRANCE IARD à payer la somme de 15 820,53 euros TTC à la SAS LE NINE au titre de la perte d'exploitation avec intérêts au taux légal a compter du 10 juillet 2019 ;
- Ordonné la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an dans les conditions de l'article 1343-2 à compter du 13 mai 2020, date de l'assignation ;
- Dit que l'exécution provisoire du présent jugement est de droit ;
- Condamné la SA AXA FRANCE IARD à payer à la SAS LE NINE la somme 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a débouté du surplus ;
- Condamné la SA AXA FRANCE IARD aux entiers dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile et liquidé les dépens .
Par déclaration électronique du 10 mars 2021, enregistrée au greffe le 16 mars 2021, la SAS LE NINE a interjeté appel des dispositions du jugement lui faisant grief.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2021, la SAS LE NINE demande à la cour :
« Vu les articles L.113-1 et suivants du code des assurances,
REFORMER le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bobigny le 12 janvier 2021 (RG 2020F00590) en que qu'il a :
Reçu la SAS LE NINE dans sa demande, la dit partiellement fondée et y a fait
partiellement droit ;
Condamné la SA AXA FRANCE IARD à payer la somme de 15.820,53€ TTC à la SAS LE NINE au titre de la perte d'exploitation avec intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2019;
Et statuant à nouveau :
DECLARER la société LE NINE recevable et bien fondée en ses demandes,
CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD à payer à la société LE NINE la somme de 85 814,39€ au titre de sa perte d'exploitation, avec intérêt au taux légal à compter du 10 juillet 2019 ;
A titre subsidiaire,
CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD à payer à la société LE NINE la somme de 44 556,30€ au titre de sa perte d'exploitation, avec intérêt au taux légal à compter du 10 juillet 2019 ;
En tout état de cause,
ORDONNER la capitalisation des intérêts ;
Y ajoutant,
CONDAMNER la société AXA FRANCE IARD à payer à la société LE NINE la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposé au titre de la procédure d'appel ;
La condamner en tous les dépens de l'instance.»
Par conclusions notifiées par voie électronique le 7 septembre 2021, la SA AXA FRANCE IARD demande à la cour :
'Vu les conditions générales et conditions particulières,
Vu l'article 1103 du code civil,
Vu le jugement rendu le 12 janvier 2021 par le tribunal de commerce de Bobigny,
Recevoir la compagnie AXA FRANCE IARD en ses écritures ;
Y faisant droit :
Confirmer la décision rendue par le tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'elle a alloué à la SAS LE NINE une somme de 15 820,53 € TTC au titre de sa perte d'exploitation, conformément à l'offre d'AXA FRANCE IARD ;
Subsidiairement,
Dire et juger qu'en tout état de cause la perte d'exploitation ne saurait être supérieure à :
Soit 21 094,04 € (si la date du 3 octobre 2018 devait être retenue comme point de départ du calcul de la perte d'exploitation) ;
Soit 59 446,84 € (si la date du 16 juillet 2018 devait être retenue comme point de départ du calcul de la perte d'exploitation) ;
En tout état de cause :
Condamner la SAS LE NINE à payer à la Compagnie AXA FRANCE IARD la somme de
2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
Condamner la SAS LE NINE aux entiers dépens.'
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 11 septembre 2023.
Il convient de se reporter aux dernières conclusions susvisées pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
I Sur la demande en paiement de l'indemnité d'assurance
A l'appui de son appel, la société LE NINE rappelle que AXA FRANCE IARD ne conteste pas le principe de sa garantie au titre des pertes d'exploitation et qu'elle-même ne remet pas en cause le chiffrage de la perte d'exploitation journalière effectué par l'expert amiable, que les parties sont seulement opposées sur la durée de la perte d'exploitation indemnisable. La société Le NINE fait valoir que l'assureur a très rapidement été rendu destinataire des pièces justifiant les préjudices matériels subis et que seules les pièces justifiant la perte d'exploitation ont nécessité davantage de temps. Elle estime que le délai supplémentaire pour l'envoi des pièces relatives aux pertes d'exploitation n'aurait pas dû retarder l'indemnisation de la société LE NINE au titre de ses préjudices matériels en application de l'article L. 113-5 du code des assurances. Elle estime que c'est en raison du retard d'AXA FRANCE IARD à l'indemniser de ses préjudices matériels qu'elle a été empêchée de reprendre son exploitation, faute de disposer des fonds pour faire l'avance des préjudices matériels subis.
En réplique, AXA FRANCE IARD fait valoir que la société LE NINE n'a jamais présenté de réclamation écrite au titre d'une perte d'exploitation avant le dépôt du rapport d'expertise, ni fait la moindre demande de provision. Elle déclare qu'elle n'a jamais contesté devoir le cas échéant sa garantie au titre des pertes d'exploitation mais elle rappelle que l'indemnisation des frais et pertes est exclue dès lors qu'un retard est imputable à l'assuré dans la reprise d'activité. Selon elle, ce n'est que le 19 novembre 2018 que l'expert a reçu l'ensemble des pièces lui permettant de finaliser son rapport pour règlement qu'il a adressé à l'assureur le 11 décembre 2018 et ce dernier a versé dix jours plus tard le montant prévu et accepté par l'assurée au titre du préjudice matériel. Elle estime que la durée de 179 jours sollicitée par l'assurée est imputable à celle-ci en raison de son manque de diligence.
Sur ce,
Vu les articles 1103 et 1104 du code civil ;
Vu l'article L. 113-5 du code des assurances ;
La réalité du sinistre subi par la société LE NINE et consistant dans le vandalisme du contenu de son local professionnel n'est pas contestée. Le montant de l'indemnité au titre du préjudice matériel ainsi que la date de son versement le 21 décembre 2018 ne sont pas non plus contestés.
Seul le montant de l'indemnité des pertes d'exploitation proposée par AXA FRANCE IARD à hauteur de 15 820, 53 euros correspondant à une durée de 33 jours de pertes d'exploitation est contestée par la société LE NINE qui estime que la durée des pertes d'exploitation s'est étendue de la date du sinistre jusqu'au versement de l'indemnité des pertes matérielles par AXA FRANCE IARD à laquelle elle rajoute deux semaines correspondant selon elle à la durée des travaux à réaliser.
Il ressort de la police d'assurance constituée des conditions particulières et des conditions générales que :
les conditions particulières prévoient la garantie du vandalisme du contenu et celle des pertes d'exploitation ;
les conditions générales stipulent à l'article 2.1 que «'les pertes d'exploitation sont garanties en cas d'interruption ou de réduction temporaire de l'activité professionnelle assurée, résultant directement d'un vandalisme'» et que «'la période d'indemnisation est la période qui commence le jour de la survenance de l'évènement concerné pendant laquelle les résultats de vos activités sont affectés par celui-ci. [...]'»
Dans le même article, dans un encadré grisé, il est stipulé «' En complément des exclusions communes (en gras), ne sont pas garantis les pertes et frais résultant:
[...]
- d'un retard qui vous serait imputable dans la reprise de votre activité,'
['] .'
Le règlement de l'indemnité est effectué dans les trente jours, soit de l'accord amiable, soit de la décision judiciaire définitive. »
Au vu des pièces communiquées et notamment des courriels de relance de l'expert amiable adressés à la société LE NINE en date des 3 septembre, 19 septembre et 11 décembre 2018, du rapport d'expertise amiable du 11 décembre 2018 évaluant le montant des pertes matérielles à 21 821 euros et du relevé de gestion de sinistre, il ressort que AXA FRANCE IARD a désigné un expert amiable le 25 juillet 2018 dont il n'est pas contesté qu'il s'est rendu dans l'établissement sinistré de l'assurée le 8 août 2018, que le 26 octobre 2018, à la suite de plusieurs relances téléphoniques de l'assurée, AXA FRANCE IARD a interrogé l'expert pour lui demander son avis sur le versement d'un acompte à valoir sur le préjudice matériel, que l'expert a émis des doutes sur la fiabilité des déclarations de l'assurée, qu'il n'a disposé à cette date, d'aucun élément commercial et comptable à l'exception de la facture et du devis portant sur le matériel et que le 21 décembre 2018, AXA FRANCE IARD a relevé à la suite du commentaire de l'expert amiable, qu'«'il n'y a pas de fraude réelle mais seulement une mauvaise gestion par l'assurée'» et qu'elle a versé l'indemnité immédiate pour le préjudice matériel et a attendu le retour de l'expertise sur les pertes d'exploitation.
Selon le contrat précité, «'la période d'indemnisation est celle qui commence le jour de la survenance de l'évènement concerné'» et sa durée est limitée à la période pendant laquelle les résultats des activités sont affectés par celui-ci.
Ainsi, il s'avère que la période d'indemnisation est celle qui est liée directement à l'évènement garanti : son point de départ est fixé à la date de survenance de l'évènement garanti et la date de son achèvement est déterminée par la fin des effets dudit événement sur l'exploitation du commerce. Il en résulte que le retard dans la prise en charge de l'indemnisation du sinistre n'est pas un élément de détermination de la durée de la période de garantie.
Dès lors, ni l'assurée, ni l'assureur ne sont fondés contractuellement à imputer le retard qu'ils se reprochent réciproquement sur la durée de la période de garantie.
En l'espèce, l'assureur a évalué à 33 jours la durée pendant laquelle les résultats des activités sont affectés. Il se déduit des conclusions de la société LE NINE qui estime à quinze jours la durée de remise en route de son activité après le versement de l'indemnité du préjudice matériel, que la durée de 33 jours n'est pas contestée.
Par ailleurs, le montant de l'indemnité journalière n'est pas non plus contestée par la société LE NINE.
Il y a donc lieu de fixer le montant de l'indemnité des pertes d'exploitation à la somme de:
33 x 479,41 = 15 820,53 euros.
S'agissant du retard que les parties se reprochent réciproquement, celui - ci est sanctionné s'il est imputable à l'assuré, par l'exclusion de garantie des pertes d'exploitation et s'il est imputable à l'assureur, par des intérêts moratoires et le cas échéant par des dommages et intérêts compensatoires, ces derniers n'étant pas demandés en l'espèce.
En l'occurrence, il résulte des pièces précitées que l'expert amiable a retardé le dépôt de son rapport sur le préjudice matériel tant qu'il ne disposait pas de toutes les pièces commerciales et comptables d'AXA FRANCE IARD, qu'il a reçu ses pièces au plus tard le 26 octobre 2018, à l'exception de l'état des pertes daté et signé, envoyé le 10 décembre 2018. Il ne saurait être reproché à l'assurée un retard au titre de l'envoi des documents commerciaux et comptables dont l'élaboration dépendait de son propre comptable.
En revanche, au vu de la chronologie rappelée précédemment, il s'avère que l'expert amiable disposait de tous les éléments factuels pour évaluer les préjudices matériels et analyser la situation commerciale et financière de l'entreprise sinistrée à la fin du mois d'octobre 2018 et qu'il n'a cependant déposé son rapport qu'un mois et demi plus tard et qu' AXA FRANCE IARD n'a versé l'indemnité que dix jours après .
Dans ces conditions, AXA FRANCE IARD n'est pas fondée à invoquer le retard imputable à l'assurée dans la reprise de son activité, pour refuser sa garantie au titre des pertes d'exploitation.
En revanche, le retard de l'assureur justifie qu'il verse à la société LE NINE, à titre de réparation des intérêts moratoires dus à compter du 10 juillet 2019 date de la mise en demeure, ainsi que le premier juge en avait à juste titre décidé.
En définitive, il y a lieu de condamner AXA FRANCE IARD à payer à la société LE NINE la somme de 15 820,53 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2019.
Le jugement déféré sera, en conséquence, confirmé sur ces points.
Ni l'appelante, ni l'intimée n'ont formé appel sur la capitalisation des intérêts : le jugement a donc acquis force de chose jugée en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an dans les conditions de l'article 1343-2 à compter du 13 mai 2020, date de l'assignation.
II Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Les dispositions du jugement relatives au paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles et aux dépens de première instance doivent être confirmées.
En revanche, partie perdante en appel, la société LE NINE sera condamnée aux dépens d'appel. Mais, pour des motifs d'équité, il ne sera pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice d'AXA FRANCE IARD.
La société LE NINE sera déboutée de sa demande formée de ce chef.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement, en dernier ressort, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Dit que le jugement a acquis force de chose jugée en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an dans les conditions de l'article 1343-2 à compter du 13 mai 2020, date de l'assignation ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la cour ;
Y ajoutant,
Condamne la société LE NINE aux dépens d'appel d'appel ;
Déboute les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE