Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 5
ARRET DU 02 JUILLET 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/18702 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CER4Q
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 avril 2021 rendu par le tribunal judiciaire de Paris - RG n° 18/12829
Après arrêt du 14 novembre 2023 rendu par la Cour de céans ordonnant la réouverture des débats
APPELANT
Monsieur [C] [U] né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc)
[Adresse 2]
MAROC
représenté par Me Anaïs PLACE, avocat au barreau de PARIS
INTIME
LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté à l'audience par Madame M.-D. PERRIN, substitut général
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 mai 2024, en audience publique, l'avocat de l'appelant et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie LAMBLING, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Hélène FILLIOL, présidente de chambre
Madame Marie LAMBLING, conseillère
Madame Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Madame Mélanie PATE, greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire du 16 avril 2021 du tribunal judiciaire de Paris qui a dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, déclaré l'action de M. [C] [U] recevable, débouté M. [C] [U] de l'ensemble de ses demandes, jugé que M. [C] [U], né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc) n'est pas de nationalité française, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamné ce dernier aux dépens ;
Vu la déclaration d'appel du 26 octobre 2021 de M. [C] [U] ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 11 janvier 2023, par M. [C] [U] qui demande à la cour de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris du 16 avril 2021 signifié le 2 août 2021 en ce qu'il a jugé l'action régulière et recevable, infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de reconnaissance de sa nationalité française et statuant à nouveau, de déclarer que M. [C] [U], né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc) est français, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner le procureur général aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 10 mai 2023 par le ministère public qui demande à la cour de :
A titre principal :
- Juger que M. [C] [U], se disant né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc), n'est pas de nationalité française,
- Confirmer le jugement du 16 avril 2021 du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a déclaré que M. [C] [U] n'est pas de nationalité française,
A titre subsidiaire :
- Infirmer le jugement rendu le 16 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a jugé que M. [C] [U] n'a pas perdu la nationalité française en application de l'article 30-3 du code civil,
- Débouter M. [C] [U] de ses demandes et juger qu'il n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation la nationalité française,
- Juger que M. [C] [U], se disant né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc) a perdu la nationalité française le 16 juillet 2000,
En tout état de cause :
- Débouter M. [U] de l'ensemble de ses demandes,
- Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil,
- Condamner ce dernier aux entiers dépens ;
Vu l'arrêt du 14 novembre 2023 rendu par la cour d'appel de Paris qui a, notamment, ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats en l'attente de l'avis de la Cour de cassation sollicité par décision en date du 24 octobre 2023 ;
Vu l'avis de la Cour de cassation n° 23-70.016 en date du 14 février 2024 ;
Vu l'absence de conclusions en réponse à cet avis ;
Vu l'ordonnance de clôture du 25 avril 2024 ;
MOTIFS
Sur la formalité prévue à l'article 1040 du code de procédure civile
Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1040 du code de procédure civile dans sa version applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 10 février 2022 par le ministère de la Justice.
Sur la désuétude
Invoquant l'article 18 du code civil, M. [C] [U] revendique la nationalité française par filiation maternelle pour être né le 6 juillet 1982 à [Localité 6] (Maroc) de Mme [G] [K], née le 15 juillet 1950 à [Localité 4] (Maroc), elle-même française par filiation maternelle, pour être née de [L] [F], française par double droit du sol, comme née le 5 décembre 1929 à [Localité 8] (Manche) de deux parents également nés en France.
Comme en première instance, le ministère public lui oppose toutefois à titre subsidiaire les dispositions de l'article 30-3 du code civil selon lequel : « Lorsqu'un individu réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, cet individu ne sera plus admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français.
Le tribunal doit dans ce cas constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 du code civil en déterminant la date à laquelle la nationalité française a été perdue».
La présomption irréfragable de perte de la nationalité française par désuétude édictée par l'article 30-3 du code civil suppose que les conditions prévues par le texte précité soient réunies de manière cumulative. L'article 30-3 du code civil interdit, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude. Édictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir (Civ 1ère, 13 juin 2019, pourvoi n°18-16.838).
Il résulte de l'avis de la Cour de cassation n° 23-70.016 susvisé que c'est nécessairement sans méconnaître l'objet du litige que le juge saisi de l'action déclaratoire, retenant à bon droit que la présomption irréfragable de perte de la nationalité française, prévue à l'article 30-3 du code civil, interdit au demandeur de rapporter la preuve contraire qui lui incombe conformément à l'article 30, alinéa 1er, du même code, décide d'examiner, à titre liminaire, si les conditions d'application du premier texte sont satisfaites.
Dès lors que l'article 30-3 ne suppose pas que la nationalité de l'intéressé soit établie préalablement mais seulement qu'elle soit revendiquée par filiation, la désuétude est examinée à titre principal.
A cet égard, c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu, après avoir relevé qu'il était justifié de la résidence habituelle en France de la grand-mère maternelle de l'intéressé, [L] [F], entre 1987 et 2013, soit pendant le délai cinquantenaire visé par le texte, ayant commencé à courir à la date de son installation au Maroc au plus tard le 15 juillet 1950, que l'une des conditions posées par l'article 30-3 susvisé, tenant à la condition de résidence à l'étranger de plus d'un demi-siècle de l'un des ascendants français n'était pas remplie, de sorte que la désuétude ne pouvait être invoquée.
Contrairement à ce qu'indique le ministère public devant la cour, cette condition s'apprécie en effet, comme le soutient M. [C] [U], en la personne du ou des ascendants dont le il revendique la nationalité, et non uniquement en la personne de son ascendant direct.
Il s'ensuit que M. [C] [U] est recevable à apporter la preuve de sa nationalité française.
Le jugement est en conséquence confirmé sur ce point.
Sur la nationalité française
Conformément à l'article 30 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom en vertu des articles 31 et suivants du code civil.
M. [C] [U] n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité.
La nationalité française de [L] [F], née le 5 décembre 1929 à [Localité 8] (Manche) de [T], [B], [Y] [F], né le 27 octobre 1893 à [Localité 11] (Manche) et de [Z], [J], [W] [R], née le 25 août 1897 à [Localité 9] (Manche), n'est pas contestée devant la cour.
Il appartient donc à M. [C] [U] de justifier de la nationalité française de sa mère au jour de sa naissance et d'un lien de filiation légalement établi à son égard durant sa minorité et de son identité au moyen d'acte d'état civil fiable et probant au sens de l'article 47 du code civil selon lequel « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ».
Pour justifier de l'état civil de sa mère, M. [C] [U] produit notamment trois copies intégrales délivrées les 26 mai 2014, 6 septembre 2018 et 18 février 2020 d'acte de naissance de Mme [G] [K] (pièces 1, 3 et 38 ), desquelles il résulte qu'elle est née le 15 juillet 1950 à [Localité 5] fils de [A], de nationalité marocaine, né le 1er mai 1922 à [Localité 7], exerçant la profession de militaire et qui a choisi le nom de famille de [K], et de [L] [F], née le 5 décembre 1929, domiciliés à [Localité 10]. Il est indiqué que l'acte a été dressé le 9 avril 1953 sur déclaration du père, et qu'il a été transcrit le 19 décembre 1953.
Les copies délivrées les 6 septembre 2018 et 11 février 2020 comportent en leur marge mention du mariage de l'intéressée avec M. [N] [U] ainsi que l'indication selon laquelle « suivant jugement d°1194 dossier n°1272/2018 du 4 septembre 2018 rendu par le tribunal de 1ère instance d'Oujda, les données consignées dans l'acte de naissance de Mme [G] [K] sont authentiques ». L'original de ce jugement, ainsi que sa traduction, sont versés au dossier de la cour (pièces 2 et 27).
M. [C] [U] ne conteste pas que coexistaient au Maroc en 1950 deux régimes de règles en matière d'état civil, l'un applicable aux français et européens, et l'autre aux sujets marocains. Il fait toutefois valoir que l'acte de naissance de sa mère a été valablement établi en application des dispositions applicables aux sujets marocains, et que les règles concernant les français et européens ne peuvent lui être opposées dès lors que si sa grand-mère était française, son grand-père ne l'était pas, de sorte que sa mère était de double nationalité. Il indique que rien ne justifie dans cette situation de faire prévaloir la nationalité française d'un enfant sur sa nationalité marocaine, précisant qu'il ne peut s'agir de faire prévaloir la loi du for, dès lors que les deux lois concernées sont marocaines. Il ajoute qu'en l'absence de son grand-père, engagé comme militaire en Indochine, personne ne pouvait en tout état de cause déclarer la naissance de sa mère selon les modalités prévues par les dispositions applicables aux français et européens, l'article 22 du dahir du 4 mars 1915 permettant de faire déclarer la naissance par un tiers n'étant applicable qu'aux enfants nés de père inconnu.
Mais c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont retenu que l'acte de naissance de Mme [G] [K] n'était pas probant dès lors qu'il a été dressé le 19 décembre 1953 sur déclaration de son père en violation de l'article 21 du dahir du 4 septembre 1915 constituant un état civil dans la zone française de l'Empire Chérifien, applicables aux sujets français, prévoyant que les déclarations de naissance étaient faites dans le mois de l'accouchement à l'officier de l'état civil du lieu ou de la circonscription, et du dahir du 8 mars 1950, qui précise que les naissances qui n'avaient pas été déclarées dans les délais légaux ne pourraient être enregistrées qu'en vertu d'un jugement rendu par le tribunal régional du lieu de naissance.
En premier lieu, si M. [C] [U] se prévaut d'un jugement du 4 septembre 2018 aux termes duquel le tribunal de première instance d'Oujda, relevant que le père de Mme [G] [K] était de nationalité marocaine et n'était pas soumis au régime de l'état civil issu du dahir de 1915, avait valablement pu déclarer la naissance de sa fille directement auprès de l'officier de l'état civil en 1953, presque trois ans après sa naissance, il ne peut comme le relève justement le ministère public, invoquer d'une part l'application à la situation de sa mère des règles d'état civil propres aux marocains, et revendiquer d'autre part la nationalité française de cette dernière, pour être née de Mme [L] [F]. Il est en outre souligné que les règles issues du dahir de 1915 pouvaient être appliquées pour les sujets marocains, de façon facultative. Le jugement du 4 septembre 2018 est en conséquence inopérant.
En second lieu, l'absence de son grand-père maternel revendiqué au jour de la naissance de sa mère n'est pas une circonstance justifiant la violation des règles d'établissement de l'acte de naissance applicables aux français et européens. A supposer que l'officier de l'état civil n'ait pas accepté de recevoir la déclaration de la naissance de Mme [G] [K] par un tiers ayant assisté à l'accouchement, son père étant seulement absent et non inconnu, il appartenait au père de Mme [G] [K] de saisir le tribunal afin de pouvoir faire enregistrer la naissance de sa fille ainsi que le prévoit le dahir du 8 mars 1950. Les règles applicables aux personnes de nationalité française permettaient ainsi d'établir l'acte de naissance de Mme [G] [K] nonobstant l'absence de son père au jour de sa naissance.
Ainsi, au regard des dispositions légales applicables aux Français résidant au Maroc en 1950, l'acte de naissance de [G] [K] est manifestement irrégulier et ne peut faire foi au sens de l'article 47 du code civil.
Il s'ensuit que M. [C] [U] ne justifiant pas de l'état civil certain de sa mère revendiquée dont il prétend tenir la nationalité française, échoue à justifier de sa filiation à l'égard d'un parent français, et en conséquence de sa nationalité française.
Le jugement qui a dit qu'il n'est pas français est en conséquence confirmé.
M. [C] [U], succombant en son action, assumera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
Dit que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré et que la procédure est régulière,
Confirme le jugement,
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
Condamne M. [C] [U] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE