Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 5
ARRET DU 02 JUILLET 2024
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/16928 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWDT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 novembre 2020 rendu par le tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 16/07094
Après arrêt du 14 novembre 2023 rendu par la Cour de céans ordonnant un sursis à statuer
APPELANT
LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté à l'audience par Madame M.-D. PERRIN, substitut général
INTIME
Monsieur [P] [J] né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde),
[Adresse 2]
[Adresse 12]
[Localité 3]
INDE
représenté par Me Roland PIROLLI, avocat au barreau de PARIS, toque : D0161
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 mai 2024, en audience publique, le ministère public et l'avocat de l'intimé ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie LAMBLING, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Hélène FILLIOL, présidente de chambre
Madame Marie LAMBLING, conseillère
Madame Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Madame Mélanie PATE, greffière, présente lors de la mise à disposition.
Vu le jugement contradictoire rendu le 19 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Paris qui a déclaré la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, rejeté la fin de non-recevoir tirée de la désuétude, jugé que M. [P] [J], né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde), est français, ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil, rejeté le surplus des demandes et laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Vu la déclaration d'appel du 20 novembre 2020 du ministère public ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 9 octobre 2023 par M. [P] [J] qui demande à la cour de dire le ministère public mal fondé en son appel, l'en débouter, confirmer entièrement le jugement dont appel, dire que M. [P] [J], né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde) est français, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et dire que le ministère public, ès-qualités et représentant de l'Etat, aura la charge des dépens, ainsi que la charge d'une indemnité de 2.500 euros à payer à M. [P] [J] en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu l'arrêt du 14 novembre 2023 rendu par la cour d'appel de Paris qui a, notamment, ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture et la réouverture des débats en l'attente de l'avis de la Cour de cassation sollicité par décision en date du 24 octobre 2023 ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 mars 2024 par le ministère public qui demande à la cour d'infirmer le jugement de première instance et statuant à nouveau, dire que M. [P] [J], se disant né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde), n'est pas français, en l'absence de caractère probant de son acte de naissance et de celui de sa mère, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner M. [P] [J] aux entiers dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture du 25 avril 2024 ;
MOTIFS
Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1040 du code de procédure civile dans sa version applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 19 février 2021 par le ministère de la Justice.
Invoquant l'article 18 du code civil, M. [P] [J], né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde) fait valoir qu'il est français par filiation maternelle pour être né de Mme [E] [J], elle-même française pour s'être mariée le 31 janvier 1962 avec un sujet français. Il soutient que née le 28 janvier 1936 à [Localité 9], soit en dehors des établissements français de l'Inde, sa mère n'a pas été saisie par les dispositions du traité de cession franco-indien et a ainsi conservé la nationalité française lors de la rétrocession des Etablissements de l'Inde.
Pour dire que M. [P] [J] est français le tribunal a jugé d'une part que la désuétude ne pouvait lui être opposée, ce dernier établissant sur la production d'un acte de décès valablement apostillé que sa mère était décédée avant l'expiration du délai cinquantenaire visé par l'article 30-3 du code civil. D'autre part, il a retenu que M. [P] [J] justifiait d'un état civil certain et d'une filiation établie à l'égard de sa mère, de nationalité française, la circonstance que les âges de ses parents tels que mentionnés sur l'acte de naissance d'une de ses s'urs ne correspondent pas à ceux indiqués sur l'acte de mariage de Mme [E] [J], étant inopérante dès lors que l'identité des époux n'était pas contestée.
Le ministère public ne conteste plus dans ses dernières écritures que M. [P] [J] est recevable à faire la preuve de sa nationalité française.
Conformément à l'article 30 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom en vertu des articles 31 et suivants du code civil.
M. [P] [J] n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité. Il lui appartient donc d'apporter la preuve de la nationalité française de sa mère au jour de sa naissance, d'un lien de filiation légalement établi à son égard durant sa minorité et de son identité au moyen d'actes d'état civil fiables et probants au sens de l'article 47 du code civil selon lequel « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française'.
En outre, conformément aux stipulations de la Convention de la Haye du 5 octobre 1961, les actes d'état civil indiens doivent êtres apostillés. Aux termes des articles 3 à 5 de la convention, cette apostille permet d'attester la véracité de la signature, la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi et, le cas échéant, l'identité du sceau ou du timbre dont cet acte est revêtu. Elle doit être conforme au modèle annexé à la convention.
Le « Manuel Apostille » élaboré par le bureau permanent de la Conférence de La Haye de droit international privé, dans sa première édition de l'année 2013, énonçait dans son paragraphe 217 que lorsqu'une « autorité compétente » désignée pour l'apostille dans un Etat donné ne peut vérifier l'origine de tous les actes publics, cette autorité « peut estimer opportun de prendre des dispositions pour qu'une autorité intermédiaire vérifie et certifie l'origine de certains actes publics, avant d'émettre elle-même une apostille pour la certification de cette autorité intermédiaire ».
Dans sa deuxième édition de 2023, ledit Manuel constate que certains Etats Parties à la Convention « exigent toujours l'authentification de certains, voire de tous les actes publics, par une ou plusieurs autorités (par ex. par des organismes d'authentification professionnels ou régionaux) avant qu'ils ne soient apostillés. C'est habituellement le cas lorsque l'Autorité compétente n'a pas la capacité de vérifier l'origine de tous les actes publics qu'elle est habilitée à apostiller. »
Au sujet de cette pratique, tant la nouvelle que l'ancienne édition indiquent que 'Si la procédure en plusieurs étapes n'est pas nécessairement contraire à la Convention, elle fait perdurer certains des aspects de la chaîne de légalisation que la Convention avait vocation à supprimer et peut entraîner une confusion quant à l'acte auquel l'Apostille se rapporte ».
Tirant les conséquences de cette constatation, l'édition de 2023 invite les Etats parties concernés à abandonner cette procédure, reprenant à cet égard, dans ses paragraphes 15 et 196, le point n°12 des Conclusions et Recommandations sur le fonctionnement pratique de la Convention Apostille s'étant réunie du 5 au 8 octobre 2021, qui « rappelle que l'objectif de la Convention est de simplifier le processus d'authentification et encourage ainsi les Parties contractantes à supprimer, dans la mesure du possible, la certification intermédiaire d'un acte public avant qu'une Apostille soit délivrée ».
Par ailleurs, le Manuel Apostille rappelle également, tant dans l'ancienne que dans la nouvelle édition, qu'il est « indispensable que l'Autorité compétente s'assure de l'origine de l'acte pour lequel elle émet une Apostille » (paragraphe 194 de l'édition 2023), la certification des trois points suivants étant exigée (paragraphe 193) :
a) l'authenticité de la signature figurant sur l'acte public sous-jacent,
b) la qualité en laquelle le signataire de l'acte a agi ; et
c) l'identité du sceau ou du timbre dont est revêtu l'acte.
Il s'en déduit que, si l'intervention d'une autorité intermédiaire n'est pas exclue cette pratique ne saurait en aucun cas justifier l'amoindrissement, voire la suppression de tout ou partie des contrôles exigés par la Convention quant à l'origine de l'acte.
Pour justifier de l'état civil de sa mère revendiquée, M. [P] [J] produit :
- deux copies conformes de l'acte de naissance de [E] [J], délivrées les 15 mars 2017 (pièce 4, traduction pièce 5) et 30 mai 2022 (pièce 20, traduction pièce 21) ;
- une autre copie conforme de l'acte de naissance de sa mère revendiquée, délivrée le 29 mars 2023 (pièce 30) ainsi qu'une traduction, versée en pièce 31, présentée comme se rapportant à cet acte de naissance.
- une copie conforme de l'acte de décès de celle-ci, assortie de sa traduction, délivrée le 29 mars 2023 aux termes de laquelle [E] épouse de [T] [J], est décédée le 23 décembre 2002 à l'âge de 66 ans à [Localité 6], [Localité 10] (pièces 32 et 33) ;
- une copie conforme de l'acte de mariage de ses parents revendiqués, délivrée le 9 mars 2017 par [F] [B] [I], officier de l'état civil de la municipalité de [Localité 8] (pièce 2) faisant état du mariage, le 31 janvier 1962 à 16 heures de [T] [J], né le 3 mai 1930 à [Localité 7] ([Localité 8]) et de [E] née [W], née le 28 janvier 1936 à [Localité 11] ;
Comme le relève justement le ministère public, les deux copies d'acte de naissance de [E] [J], versées en pièces 4 et 20 (traductions en pièces 4 et 21) ne sont pas valablement apostillées.
En effet, ces deux copies ont été respectivement délivrée les 15 mars 2017 et 30 mai 2022 par le co-officier et l'officier de l'état civil de [Localité 10], sans que les identités de ces derniers ne soient précisées, alors que les apostilles authentifient les signatures d'un « under secretary» sans autre précision. Ainsi, les apostilles n'authentifient pas, comme en convient l'intimée, les signatures des officiers d'état civil ayant émis la copie ou vérifié la signature de ces derniers. Contrairement à ce qu'affirme l'intimée, la constatation du caractère irrégulier de l'apostille dans la présente procédure ne saurait être subordonnée à la preuve par le ministère public que les autorités gouvernementales françaises ont sollicité auprès de leurs homologues indiens une modification de leurs pratiques dans ce domaine, le texte de la Convention n'imposant aucunement une telle exigence et chacune des parties à la Convention étant tenue de respecter les termes de la Convention. Or, en l'espèce, ainsi que l'indique le ministère public, les apostilles apposées sur les certificats de naissance de la mère de l'intimé ne sont pas valables.
En outre, la cour relève que la dernière copie d'acte de naissance, versée en pièce 30, a été délivrée (« date of issue ») le 29 mars 2023, et qu'elle porte en son verso un carré d'apostille selon lequel le ministère des affaires étrangères a certifié le 26 avril 2023 la signature de [D] [Y], « sub registrar », avec le sceau et le cachet de « SDM HQ [Localité 5] ». Or, le document présenté en pièce 31 comme une traduction de cette copie d'acte de naissance porte en réalité sur une copie délivrée le 30 mars 2023 et non le 29 mars 2023, et fait également référence à une apostille, non conforme comme le relève le ministère public, apposée le 5 avril 2023 et non le 29 mars 2023, certifiant la signature d'une autorité différente, soit la signature de l'« Officier de l'état civil », avec le sceau et cachet du « juge près le tribunal de New Delhi ». L'acte de naissance indien versé en pièce 30 n'est ainsi pas assorti de sa traduction en langue française, alors que ne sont compréhensibles sur cet acte, pour être mentionnées en langue anglaise, que la nature de l'acte, la date de naissance de la personne concernée soit le 28.01.36 et la date d'enregistrement de l'acte le 30.01.1936.
Il s'ensuit que M. [P] [J] ne produit devant la cour aucun acte de naissance probant de [E] [J], étant précisé que ni la copie conforme de l'acte de décès de cette dernière, délivrée le 29 mars 2023 (pièces 32 et 33), ni celle son acte de mariage (pièce 2 de l'intimé), toutes deux régulièrement apostillées, ne peuvent pallier cette carence.
M. [P] [J], qui ne justifie pas de l'état civil de [E] [J] dont il revendique la nationalité, ne peut ainsi prétendre à la nationalité française.
Le jugement qui a dit qu'il était français est en conséquence infirmé. Son extranéité doit être constatée.
M. [P] [J], qui succombe, est débouté de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et assumera la charge des dépens.
PAR CES MOTIFS
Dit que le récépissé prévu par l'article 1040 du code de procédure civile a été délivré et que la procédure est régulière,
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Dit que M. [P] [J], né le 14 juin 1971 à [Localité 8] (Inde), n'est pas de nationalité française,
Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,
Déboute M. [P] [J] de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [P] [J] aux dépens.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE