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25/06/2024 | FRANCE | N°23/09497

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 25 juin 2024, 23/09497


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 25 JUIN 2024



(n° 58/2024 , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09497 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWFZ



Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 23 mai 2023 sous le numéro de RG 20/07239





APPELANTES



Société [J]

[L] ISTRA'IVANJE D.D.

(Bankrutcy estate ISTRA'IVANJE D.D.), anciennement GEOTEHNIKA,

ayant son siège social : [Adresse 3] (CROATIE)

prise en la personne de ses représentants lég...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 25 JUIN 2024

(n° 58/2024 , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/09497 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWFZ

Décision déférée à la Cour : ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 23 mai 2023 sous le numéro de RG 20/07239

APPELANTES

Société [J] [L] ISTRA'IVANJE D.D.

(Bankrutcy estate ISTRA'IVANJE D.D.), anciennement GEOTEHNIKA,

ayant son siège social : [Adresse 3] (CROATIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société INGRA ENGINEERING & CONSTRUCTION CO

en tant que fondateur et titulaire de INGRA GROUP,

ayant son siège social : [Adresse 7] (CROATIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société LANI'TE DOO (LTD)

successeur légal universel de GEOTEHNIKA LTD

membre d'INGRA GROUP et filiale à 100% d'Ingra

ayant son siège social : [Adresse 6] (CROATIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Maryline LUGOSI de la SELARL Selarl MOREAU GERVAIS GUILLOU VERNADE SIMON LUGOSI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0073

Ayant pour avocat plaidant : Me Xavier DELPLANQUE-BATAILLE DE MANDELO, avocat au barreau de PARIS, toque : C0202

INTIMEES

LA RÉPUBLIQUE DU SOUDAN

représentée par le Ministère de la Justice de la République du Soudan,

ayant son siège : [Adresse 2] (SOUDAN)

prise en la personne de ses représentants légaux,

NATIONAL CORPORATION FOR DEVELOPMENT OF RURAL WATER RESOURCES

représentée par le Ministère de la Justice de la République du Soudan,

ayant son siège : [Adresse 2] (SOUDAN),

prise en la personne de ses représentants légaux,

MINISTERE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES DE LA REPU BLIQUE DU SOUDAN

représenté par le Ministère de la Justice de la République du Soudan,

ayant son siège : [Adresse 2] (SOUDAN),

pris en la personne de ses représentants légaux,

LA BANQUE CENTRALE DE LA RÉPUBLIQUE DU SOUDAN

représentée par le Ministère de la Justice de la République du Soudan,

ayant son siège : [Adresse 2] (SOUDAN),

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Ayant pour avocats plaidants : Me Diane LAMARCHE et Me Félix THILLAYE du cabinet WHITE AND CASE LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J002

CHAMBRE DE COMMERCE INTERNATIONALE

association loi de 1901,

ayant son siège: [Adresse 1] (FRANCE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Harold HERMAN, de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

Ayant pour avocats plaidants : Me Carole MALINVAUD, Me Sacha WILLAUME et Me Vincent CARRIOU de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL AARPI, avocats au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 30 Janvier 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [E] [R] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie de l'appel interjeté le 6 juin 2023 par les sociétés [J] [L] ISTRA'IVANJE d.d. (liquidateur de la société anciennement GEOTEHNIKA d.d.) (ci-après « ISTRA'IVANJE »), INGRA ENGINEERING & CONSTRUCTION CO. (ci-après « INGRA »), et LANI'TE doo (LTD), (ci-après « [B] ») (ensemble, « les appelantes »), contre une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris rendue le 23 mai 2023, par laquelle celui-ci a :

« déclaré le tribunal judiciaire incompétent pour connaître des demandes formées par ces sociétés à l'encontre de l'Etat de la République du Soudan, du ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources, et de la Banque centrale de la République du Soudan représentés par le Ministère de la Justice de la République du Soudan. »

et

« les a renvoyées à se pourvoir devant la juridiction soudanaise compétente. »

2. Par cette même ordonnance, le juge de la mise en état a :

« débouté les parties soudanaises de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive »

« et a condamné les appelantes aux dépens de la procédure incidente et à payer la somme de 5.000 euros aux parties soudanaises au titre de l'article 700 du code de procédure civile. »

3. Les sociétés appelantes [P], Ingra et [B] ont été autorisées à assigner l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, le National Corporation for Development of Rural Water Resources, et la Banque centrale de la République du Soudan, représentés par le Ministère de la Justice de la République du Soudan (ci-après « les intimés » ou « les entités soudanaises »), à jour fixe par ordonnance du 20 juin 2023, pour l'audience du 30 janvier 2024.

4. Le litige à l'origine de cette saisine fait suite à la signature le 12 mai 1998 d'un protocole d'accord et d'un addendum audit protocole le 20 mai 1998 (ci-après ensemble : le « Protocole ») entre le Ministère des Finances de la République du Soudan et la société croate Geotehnika dd, en présence de représentants de la République de Croatie, relatif au projet « El-Obeid Water Supply » portant sur quatre contrats de développement de projets hydrauliques signés en 1984, 1986, 1988 et 1989 (« les contrats d'origine »).

5. Ledit protocole prévoyait la reprise du projet d'approvisionnement en eau et le rééchelonnement des arriérés dus à Geotehnika d.d., pour un montant total de 45.154.537 dollars américains ainsi que la constitution d'un groupe de travail pour la résolution des différends en cours et le développement de nouveaux projets.

6. Les échéances du protocole n'ayant pas été payées, la société Geotehnika dd, placée sous procédure collective en 2003, a cédé une partie de ses actifs à la société Ingra qui a chargé sa filiale, la société Geotehnika ltd, de poursuivre le recouvrement de sa créance contre les entités soudanaises.

7. Après diverses tentatives de recouvrement amiables restées vaines, la société Geotehnika ltd, a introduit le 8 septembre 2017 une requête en arbitrage contre le Ministre des Finances et de l'Economie Nationales de la République du Soudan sur le fondement du Protocole se substituant aux contrats et demandait l'homologation dudit protocole pour une somme de USD 45.154.537 et d'ordonner le paiement de la somme de 45.024.537 USD après déduction d'une somme de 130.000 USD déjà payée.

8. Le 18 décembre 2017, Ingra et Geotehnika Ltd ont fusioné avec la société croate [B] qui a repris par fusion absorption l'ensemble des actifs.

9. Le 25 février 2019, la société [B] a informé la République du Soudan qu'une partie de la créance de Geotehnika avait été cédée au gouvernememnt de la Croatie le 1er septembre 1999, le solde de la créance des appelantes étant ramené à la somme de USD 14.447.104.

10. En l'absence de paiement par [B] de l'intégralité de la provision pour frais d'arbitrage suite au non-paiement par le Soudan de sa part des frais d'arbitrage en défense, le secrétariat de la CCI a procédé au retrait des demandes de Geotehnika Ltd/[B] le 14 avril 2020, décision notifiée le 30 avril 2020.

11. Par acte introductif d'instance du 10 juillet 2020, les sociétés [P], Ingra et [B] ont assigné la CCI, la République du Soudan et le National Corporation for Development of Rural Water Ressources devant le tribunal judiciaire de Paris, en formation collégiale, pour voir :

« - Condamner l'Etat de la République du Soudan et le National Corporation for Development of Rural Water Resources au paiement de la somme de USD 14 447 537 plus les intérêts sur ces sommes avec intérêts égal au taux applique par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points au profit de l'ayant droit de la société GEOTEHNIKA dd,

- Homologuer la transaction intervenue conformément à la phase amiable de règlement du litige prévalent sur l'arbitrage lui-même et dire qu'elle aura autorité de chose jugée à l'encontre de 1'Etat du Soudan. (')

- Dire et juger que la décision de forclusion de la procédure par le secrétariat général de l'Association de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale pour le compte de l'Association de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale constitue une violation des règles de l'ordre public international de l'urgence sanitaire et de la loi du 20 mars 2020,

- Dire et juger que l'Association de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale sera jugée responsable de toutes les conséquences préjudiciables que devraient subir les demanderesses en raison de la décision abusive de la forclusion de la procédure d'homologation du protocole transactionnel et du déni de justice dont elle est responsable,

- Dire et juger que l'Association de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale a violé la mission juridictionnelle en violation des dispositions de l'article 1505 du code de procédure civile,

- Dire et juger que ce déni de justice relève de l'application abusive de l'artile 37.6 du règlement d'arbitrage qui autorise la cour d'arbitrage de la CACCI à se substituer au tribunal arbitral dans l'appréciation de l'ordre public international par une décsion non motivée et anonyme qui contrevient en conséquence aux dispositions d'ordre public précitées prévoyant que le tribunal arbitral assume seul la compétence juridictionnelle. En conséquence annuler cet article dans sa rédaction actuelle.

- Condamner l'Association de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale à indemniser les demanderesses des préjudices subis.

- Condamner les défenderesses in solidum aux dépens et au paiement de 20000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile»

12. Par acte du 27 mai 2021, la République du Soudan et le National Corporation for Development of Rural Water Ressources ont assigné le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan et la Banque centrale de la République du Soudan afin de les voir tenus solidairement responsables des condamnations pécuniaires sollicitées.

13. Saisi de diverses demandes d'incompétence du tribunal judiciaire de Paris et de fins de non-recevoir, le juge de la mise en état a, par l'ordonnance querellée du 6 juin 2023, déclaré le tribunal judiciaire incompétent pour connaître des demandes des sociétés croates à l'égard des entités soudanaises, maintenant sa compétence pour les demandes de [B] à l'égard de la CCI. Cette demande a fait l'objet d'un sursis à statuer.

14. L'appel a été formé le 6 juin 2023.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

15. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 décembre 2023, les sociétés croates appelantes demandent à la cour de bien vouloir, au visa des articles 85, 643 et 126 du code de procédure civile, 12, 16, 42, 81 et 455 du même code, 1464, 1505 et s. du même code et 1104, 1193, 1194, 1200, 1217, 1227, 1228 et 1231 du code civil :

- Annuler et subsidiairement réformer l'ordonnance du juge de la mise en état en date du 23 mai 2023 en toutes ses dispositions ;

- L'infirmer sur le fondement des articles 42 alinéa 2 et 46 du code de procédure civile, [Localité 4] étant non seulement le lieu du siège social de la CCI mais en outre le lieu d'exécution de la clause de règlement des litiges et notamment le lieu convenu de l'arbitrage litigieux et statuant à nouveau :

- Déclarer le tribunal judiciaire de Paris compétent pour connaître des demandes de condamnation formées par les sociétés [B], [P], INGRA à l'encontre de l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources et de la Banque centrale de la République du Soudan représentés par la ministère de la Justice de la République du Soudan aux fins d'indemnisation des préjudices subis du fait de l'inexécution du contrat d'organisation de l'arbitrage par le refus de statuer sur la demande d'homologation de la transaction de 1998 ;

- L'infirmer pour avoir retenu sans débat contradictoire en violation de l'article 16 du code de procédure civile une qualification délictuelle en s'appuyant sur des motifs d'ordre général alors [que] la demande porte sur la responsabilité contractuelle relevant de l'arbitrage qui est une justice contractuelle qui relève de la juridiction de droit commun du lieu d'exécution de l'arbitrage en application de la jurisprudence de la cour de cassation au visa de l'article 1505 du code de procédure civile (Chambre civile 1, Audience publique du 13/12/2017, n° de pourvoi 16-22131) ;

- L'infirmer sur le fondement de l'art 81 du code de procédure civile pour avoir renvoyé les demandeurs devant les juridictions soudanaises en outre sans égard de la guerre civile et de l'inexistence de toute justice impartiale ainsi que de sa nature contra legem au regard de l'article 12 du code de procédure civile ;

- Infirmer la condamnation au titre de l'art 700 ;

- Infirmer la décision qui a décidé d'enjoindre les demanderesses de faire des conclusions récapitulatives avant le 6 juin 2023 sans attendre la fin du délai d'appel, et sans même avoir notifié les parties de la décision rendue avant cette date ;

- Déclarer irrecevables et subsidiairement infondées les demandes d'irrecevabilité [de] l'État du Soudan, [du] ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, représenté par le Ministre de la Justice de la République du Soudan, le National Corporation for Development of Rural Water Resources, la République du Soudan, représentée par le ministère de la Justice de la République du Soudan ainsi que la Banque centrale de la République du Soudan et les en débouter ;

- Déclarer infondées les demandes fins et conclusions de la CCI et l'en débouter ;

- Déclarer irrecevables et infondées les demandes fins et conclusions de Le National Corporation for Development of Rural Water Resources, qui en première instance n'était pas constitué ;

- Déclarer irrecevables et infondées les demandes fins et conclusions de l'État du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, représenté par le Ministre de la Justice de la République du Soudan, ainsi que la Banque centrale de la République du Soudan et les en débouter ;

- Condamner l'État du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan aux dépens ainsi que chacune au paiement de la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700 ;

- Condamner la CCI aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 25.000 euros sur le fondement de l'article 700.

16. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 janvier 2024, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, le National Corporation for Development of Rural Water Resources, la République du Soudan et la Banque centrale de la République du Soudan demandent à la cour de bien vouloir :

A titre principal :

' Juger irrecevable l'appel formé par les sociétés [P], INGRA et [B] à l'encontre de l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 23 mai 2023 ;

A titre subsidiaire :

' Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris du 23 mai 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a « débout[é] l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources et de la Banque centrale de la République du Soudan représentés par la ministère de la Justice de la République du Soudan de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive » ;

Et, statuant à nouveau,

' Condamner les sociétés [P], INGRA et [B] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources, du ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan et de la Banque centrale de la République du Soudan ;

A titre infiniment subsidiaire :

' Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire du 23 mai 2023 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a « débout[é] l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources et de la Banque centrale de la République du Soudan représentés par la Ministère de la Justice de la République du Soudan de leurs demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive » et « renvo[yé] [J] [L] [P] d.d., Ingra Engineering & Construction co. et [B] doo à se pourvoir devant la juridiction soudanaise compétente » ;

Et, statuant à nouveau,

' Condamner les sociétés [P], INGRA et [B] au paiement de la somme de 10.000 euros au profit de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources, du ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan et de la Banque centrale de la République du Soudan ;

' Renvoyer les sociétés [P], INGRA et [B] à mieux se pourvoir ;

A titre très infiniment subsidiaire :

' Juger irrecevables les demandes des sociétés [P], INGRA et [B] formées à l'encontre de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources, du ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan et de la Banque centrale de la République du Soudan en ce qu'elles visent à :

o « Condamner l'Etat de la République du Soudan , le National Corporation for Development of Rural Water Resources dument représentés légalement par Monsieur le Ministre des Finances et de l'Economie Nationales de la République du Soudan et la banque centrale du Soudan au paiement de l'équivalent en euros au jour du jugement de la somme de USD 14 447 537 plus les intérêts sur ces sommes avec intérêts égal au taux appliqué par la Banque Centrale Européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 points au profit de l'ayant droit de la société GEOTEHNIKA dd c'est-à-dire à titre principal la société [B] ltd si le droit croate est applicable, et à titre subsidiaire si le droit soudanais est applicable dans le contenu indiqué par l'État du Soudan condamner ce dernier à payer à la société en liquidation [J] [L] ISTRA'IVANJE d.d. (le Bankrutpcy Estate ISTRA'IVANJE d.d.) (anciennement GEOTEHNIKA d.d.) de Zagreb (CROATIE), Kupska 2, enreg. N ° (MBS) 080036850, représentée par son représentant légal, M. [U]', 'ime Dev'i'a 3, Zagreb, CROATIE, [Localité 5] (OIB) : 58227850404, la somme en euros de 30 707 000. US dollars + USD 14 447 537 soit au total 45 154 535 $ US.

o Homologuer la transaction intervenue conformément à la phase amiable de règlement du litige prévalant sur l'arbitrage lui-même et dire qu'elle aura autorité de chose jugée à l'encontre de l'État du Soudan » ;

- Juger irrecevables les demandes des sociétés [P], INGRA et [B] formées à l'encontre de la République du Soudan en ce qu'elles visent à la condamnation in solidum de cette dernière avec la Chambre de commerce internationale à l'indemnisation :

o « De la somme de 125.000 euros accaparée illicitement ;

o De tous les frais et pertes causées par la violation de sa mission ;

o Des conséquences préjudiciables des délais générés ;

o De dommages et intérêts pour la faute commise ayant fait obstacle au paiement de l'équivalent en euros au jour du jugement de la somme de USD 14 447 537 reconnu par le protocole d'accord de 1998 » ;

En tout état de cause :

' Débouter les sociétés [P], INGRA et [B] de l'ensemble de leurs demandes, fins, prétentions et conclusions ;

' Condamner solidairement les sociétés [P], INGRA et [B] à payer à la République du Soudan, au National Corporation for Development of Rural Water Resources, au ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan et à la Banque centrale de la République du Soudan la somme de 20.000 euros à chacun d'entre eux sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

' Condamner les sociétés [P], INGRA et [B] aux entiers dépens.

17. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 23 janvier 2024, la CCI demande à la cour de bien vouloir :

' Débouter les sociétés [B], [P] et INGRA de leur appel visant à obtenir l'annulation, l'information et/ou la réformation de l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 mai 2023 ;

' Confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 mai 2023 ;

A défaut,

' Confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 mai 2023 en ce qu'elle a déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent ;

' Réformer l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 mai 2023 uniquement en ce qu'elle a précisé la juridiction qu'elle estimait compétente, ajout non nécessaire à la lumière de l'article 81 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau sur ce seul point, après avoir confirmé l'incompétence du tribunal judiciaire de Paris :

' Renvoyer les sociétés appelantes à mieux se pourvoir ;

En tout état de cause,

' Condamner les sociétés [B], [P] et INGRA aux entiers dépens au titre de l'article 699 du code de procédure civile, et

' Condamner les sociétés [B], [P] et INGRA au paiement de la somme de 25.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur l'irrecevabilité de l'appel

18. Les entités soudanaises soutiennent que l'appel de l'ordonnance du juge de la mise en état formé le 6 juin 2023 est irrecevable sur le fondement des dispositions des articles 83 et suivants du code de procédure civile, l'article 85 indiquant que la déclaration d'appel doit être motivée soit dans la déclaration d'appel elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

19. Elles font valoir qu'en l'espèce :

- la déclaration d'appel enregistrée par RPVA le 6 juin 2023 n'est pas motivée en violation des prescriptions des articles 83 et suivants du code de procédure civile ;

- la déclaration d'appel n'a pas été régularisée dans le délai imparti, les conclusions d'appel ayant été enregistrées le 6 septembre 2023, soit après l'expiration du délai d'appel qui est intervenue le 23 août 2023, la copie exécutoire de l'ordonnance du 23 mai 2023 ayant été délivrée par le greffe le 8 juin 2023, comme indiqué sur la copie exécutoire de l'ordonnance, et le délai d'appel courant à compter de cette date.

20. Les sociétés croates appelantes font valoir en réponse que :

- l'appel contre une ordonnance sur la compétence peut être régularisé par le dépôt au greffe avant l'expiration du délai d'appel d'une nouvelle déclaration d'appel motivée, d'une assignation ou de conclusions comportant la motivation du recours ;

- l'ordonnance dont appel a été expédiée le 21 juin 2023 pour notification à l'avocat des concluantes et reçue le 22 juin 2023 et non le 8 juin 2023, faisant courir le délai d'appel de 15 jours augmenté de deux mois à compter du lendemain de la réception soit le 23 juin 2023, délai qui expirait donc le 7 septembre 2023 ;

- le délai a été interrompu par la signification des assignations devant la cour d'appel le 7 juillet 2023, placées le 21 juillet 2023 et par la régularisation des conclusions le 6 septembre 2023.

La CCI n'a pas conclu sur ce point.

Sur ce,

21. L'appel d'une décision rendue sur la compétence uniquement est soumis aux dispositions des articles 83 et suivants du code de procédure civile.

22. Il résulte de l'article 84, alinéa 1er, de ce code, que le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement, délai auquel s'ajoute le délai de distance de deux mois prévu à l'article 643 du même code. Le greffe procède à cette notification adressée aux parties par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Il notifie également le jugement à leur avocat, dans le cas d'une procédure avec représentation obligatoire. En cas d'appel, l'appelant doit, à peine de caducité de la déclaration d'appel, saisir, dans le délai d'appel, le premier président en vue, selon le cas, d'être autorisé à assigner à jour fixe ou de bénéficier d'une fixation prioritaire de l'affaire.

23. Aux termes de l'article 85 du code de procédure civile, outre les mentions prescrites selon le cas par les articles 901 ou 933, la déclaration d'appel précise qu'elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence et doit, à peine d'irrecevabilité, être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration.

24. Par un arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de cassation a précisé que « les conclusions au fond annexées à la requête, qui sont adressées au premier président et non à la cour d'appel, ne peuvent constituer la motivation requise ». Elle a toutefois admis que « le défaut de motivation du recours, susceptible de donner lieu à la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel du jugement statuant sur la compétence, pouvait être régularisé, en matière de procédure avec représentation obligatoire par avocat, par le dépôt au greffe, avant l'expiration du délai d'appel, d'une nouvelle déclaration d'appel motivée ou de conclusions comportant la motivation du recours, adressées à la cour d'appel ».

25. Les sociétés croates [B], [P] et Ingra ont interjeté appel de l'ordonnance querellée le 6 juin 2023 sans joindre leurs conclusions au fond, qui ont été régularisées le 6 septembre 2023.

26. Les entités soudanaises soutiennent qu'à cette date le délai d'appel était expiré et ce, depuis le 23 août 2023, comme ayant couru depuis le 8 juin.

27. Il apparaît toutefois que cette dernière date est celle de l'envoi de la signification de l'ordonnance par le greffe et non celle de sa réception par les sociétés croates. La preuve de cette réception n'étant pas rapportée, le délai d'appel ne peut être considéré comme ayant couru à leur endroit.

28. La date de réception par leurs avocats n'étant par ailleurs pas contestée, les conclusions régularisées le 6 septembre rendent l'appel recevable.

29. Suivant les termes de la déclaration d'appel, les sociétés appelantes demandent l'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état en ce qu'il a déclaré le Tribunal judiciaire de Paris incompétent pour connaître des demandes formées par les sociétés croates à l'encontre des entités soudanaises et les a renvoyées à mieux se pourvoir devant la juridiction soudanaise compétente, et en ce qu'il a condamné les sociétés croates aux dépens et à payer aux entités soudanaises la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et donc obtenir la réformation de l'ordonnance aux fins de retenir la compétence du tribunal judiciaire de Paris et évoquer le fond du dossier conformément au principe d'indivisibilité.

2. Sur la compétence du Tribunal judiciaire

30. Les sociétés croates soutiennent tout d'abord que le tribunal judiciaire est compétent en tant que juridiction de droit commun pour statuer sur l'exécution, par une institution d'arbitrage, du contrat d'organisation de l'arbitrage.

31. Elles font valoir qu'en l'espèce :

- le tribunal judiciaire de Paris est compétent rationae materiae pour statuer sur la demande visant à obtenir l'indemnisation du refus fautif d'accès au tribunal arbitral imputable tant à l'Etat du Soudan qu'à la CCI ;

- l'impossibilité pour une partie d'accéder au juge, fût-il arbitral, chargé de statuer sur sa prétention et d'exercer un droit qui relève de l'ordre public international consacré par les principes de l'arbitrage international, constitue un déni de justice qui fonde la compétence internationale du juge français ;

- le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la clause compromissoire et le refus d'accéder au tribunal arbitral reproché aux défendeurs ;

- le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur la clause de règlement du litige dans son ensemble en ce compris la phase de conciliation qui était prévue antérieurement, et donc sur l'homologation d'un protocole qui a été signé à l'issue de la phase de conciliation préalable, compte tenu de l'interdépendance entre la phase préalable de conciliation et la phase contentieuse de l'arbitrage ;

- cette compétence ouvre à la juridiction saisie la possibilité de statuer sur les conséquences préjudiciables du refus d'homologuer une transaction signée par les parties.

32. Elles ajoutent que :

- L'action fondée sur le contrat d'arbitrage est une action contractuelle et que c'est à tort, et sans respecter le principe du contradictoire, et sans aucune motivation, que le juge de la mise en état a qualifié la faute reprochée à l'Etat du Soudan de délictuelle et s'est déclaré incompétent ;

- Cette erreur de qualification a abouti à fonder inexactement la décision pour rejeter le lien de connexité, s'agissant de l'inexécution contractuelle d'un contrat d'arbitrage tripartite ;

- La demande est fondée sur la déloyauté contractuelle au sens de l'article 1104 du code civil, et le contrat d'arbitrage est soumis à ces dispositions, les parties et l'institution arbitrale devant respecter et faire respecter l'obligation de loyauté et de bonne foi lesquelles sont d'ordre public.

33. Elles fondent leur demande sur la compétence internationale de la juridiction française au visa des articles 42 al2 et 46 al1 du code de procédure civile et font valoir que :

- Les demandes en paiement de la somme de USD 14.447.537 font l'objet d'une demande de condamnation de l'Etat du Soudan et de la CCI et présentent un lien de connexité entre elles, celles-ci tendant aux mêmes fins, à savoir l'indemnisation du préjudice subi du fait du refus de juger, la demande conjointe ayant ensuite fait l'objet d'une demande de condamnation in solidum ;

- L'Etat du Soudan et la CCI étaient parties au contrat d'arbitrage dont l'inexécution fautive relève de la compétence du tribunal judiciaire de Paris ;

- Le lieu d'exécution du contrat donne compétence au tribunal judiciaire de Paris,

- La demande au fond porte sur l'inexécution du contrat d'arbitrage en raison du retrait litigieux d'une demande d'homologation du protocole d'accord signé en exécution de la clause de règlement des litiges contenant la clause compromissoire.

34. Les sociétés croates contestent l'interprétation que font les entités soudanaises du principe selon lequel « la compétence s'apprécie au jour de l'introduction de l'instance ». Elles font notamment valoir que :

- Leurs conclusions au fond du 5 mai 2022 ne faisaient que compléter la motivation sur le fondement additionnel de l'article 1464 du code de procédure civile ;

- La demande en paiement in solidum des deux demandes de condamnation préexistantes ne constitue pas une demande nouvelle mais l'ajout d'une modalité de paiement des demandes préexistantes de condamnation, désormais in solidum au lieu d'être conjointes.

35. Les entités soudanaises soutiennent en réponse que le tribunal judiciaire de Paris est incompétent pour connaître des demandes formées à leur encontre au titre du Protocole et de la Garantie et qu'il est incompétent pour connaitre des demandes nouvelles formées en cours d'instance au titre du déni de justice.

36. Elles font notamment valoir que :

- Selon le principe dit de « perpétuation de la compétence », la compétence s'apprécie au jour de l'introduction de l'instance, l'acte introductif d'instance fixant la saisine du tribunal et déterminant la compétence pendant la durée de l'instance, indépendamment de l'évolution du litige ;

- L'ajout ou la modification de demandes ne peuvent modifier, a posteriori, la compétence de la juridiction saisie, qui est figée au jour de l'introduction de l'instance ;

- Les articles 42 et 46 du code de procédure civile permettent d'apprécier la compétence internationale des tribunaux français lorsque le défendeur de nationalité étrangère est attrait devant les tribunaux français et n'est pas domicilié sur le territoire d'un état membre de l'Union européenne ; l'option permettant, en cas de pluralité de défendeurs, de saisir la juridiction du lieu où demeure l'un d'entre eux est subordonnée à des conditions strictes et cumulatives de l'existence d'un lien étroit de connexité entre les demandes formées contre les différents défendeurs, et le caractère sérieux des demandes formées à l'encontre du défendeur dont le domicile fonde la compétence des tribunaux français, ces conditions étant appréciées au vu des seules demandes formées aux termes de l'acte introductif d'instance ;

- Le siège de l'arbitrage ne constitue qu'un chef de compétence territoriale extrêmement résiduel, à savoir la compétence du juge d'appui et du juge du recours en annulation formé contre une sentence arbitrale, mais n'a pas d'effet sur la compétence territoriale du juge étatique de droit commun.

37. La CCI sollicite également la confirmation de l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré le Tribunal judiciaire incompétent à l'égard des entités soudanaises.

38. La cour renvoie aux écritres susvisées des parties pour le détail de leurs arguments et moyen, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

Sur ce

39. En présence d'un litige de caractère international dont le juge français est saisi, il convient de déterminer la compétence juridictionnelle en application du règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit « Bruxelles 1 bis », applicable à toutes les actions intentées après le 10 janvier 2015.

40. L'article 6§1 de ce Règlement dispose que « si le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l'application de l'article 18, paragraphe 1, de l'article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25 ».

41. L'appréciation de la compétence relève par conséquent des dispositions françaises applicables à la détermination de la compétence internationale lorsque le défendeur n'est pas domicilié sur le territoire d'un Etat membre.

42. En l'espèce, la compétence de la juridiction française saisie n'étant contestée qu'à l'égard des entités soudanaises, non domiciliées sur le territoire d'un Etat membre, il y a lieu de faire application des dispositions du code de procédure civile régissant la compétence internationale des juridictions françaises.

43. Aux termes de l'article 42 de ce code, la juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur. S'il y a plusieurs défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l'un d'eux.

44. Ce texte, applicable dans l'ordre international, permet d'attraire devant une juridiction française un défendeur demeurant à l'étranger lorsque la demande formée contre lui et un codéfendeur domicilié en France présente, à l'égard de ce dernier, un caractère sérieux et que les diverses demandes, dirigées contre les défendeurs différents, présentent un lien étroit de connexité.

45. En vertu de l'article 46 du même code, le demandeur peut, en matière contractuelle, saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur, celle du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service, et, en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi.

46. En l'espèce, les assignations par lesquelles les sociétés croates ont saisi le tribunal judiciaire de Paris comme juridiction de droit commun, ont fixé les limites du litige pour l'appréciation de la compétence de cette juridiction à l'égard des entités soudanaises assignées, et de la CCI, et elles ont été complétées par l'assignation des autres entités soudanaises en intervention forcée par exploit du 27 mai 2021, lesdites demandes étant :

- une demande de condamnation de l'Etat du Soudan et du National Corportation for Development of Rural Water Resources au paiement d'une somme de USD 14.447.537 avec intérêts sur cette somme, et d'une demande d'homologation de la transaction intervenue conformément à la phase amiable de règlement du litige prévalant sur l'arbitrage lui-même, et dire qu'elle aura autorité de chose jugée à l'encontre de l'Etat du Soudan,

Et

- une demande de dire et juger la CCI responsable des conséquences préjudiciables de la décision de la cour d'arbitrage d'avoir décidé la forclusion de la procédure d'homologation du protocole transactionnel et du déni de justice commis et de condamner la CCI à indemniser les demanderesses des préjudices subis.

47. Les prétentions ainsi formées dans la même assignation à l'encontre de l'Etat du Soudan d'une part et de la CCI d'autre part sont distinctes, n'ont pas le même objet et ne sont assorties d'aucune demande de solidarité, à l'exception de la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

48. S'agissant des demandes elles-mêmes, l'assignation d'origine et les assignations subséquentes distinguent très clairement les prétentions contre les entités soudanaises portant sur le non-paiement et l'inexécution par celles-ci de leur obligation de paiement de la transaction intervenue, à hauteur de 14.447.537 dollars à titre principal et subsidiairement à hauteur de 45.154.535 dollars, et la demande non chiffrée d'indemnisation en raison de la violation par la CCI de sa mission juridictionnelle, les sociétés croates lui reprochant d'avoir procédé abusivement au retrait des demandes de Geotehnika Ltd/[B] le 14 avril 2020, décision notifiée le 30 avril 2020 pour non-paiement des frais d'arbitrage, les sociétés croates invoquant une faute de la CCI s'apparentant à un déni de justice.

49. Le fait que les parties aient été liées par le contrat d'arbitrage destiné à l'organisation de l'arbitrage par la CCI qui a donné lieu au retrait suite au non-paiement par l'Etat du Soudan et par les sociétés croates des frais d'arbitrage incombant au défendeur est totalement indépendant du non-respect par les entités soudanaises du Protocole dont l'exécution et l'homologation étaient demandées.

50. Le fait que par conclusions au fond n°2 en date du 12 octobre 2022, les demanderesses aient modifié leurs demandes en cours d'instance et sollicité la condamnation in solidum de la CCI à payer les sommes demandées en exécution du Protocole aux entités soudanaises, au motif qu'elles auraient une responsabilité commune, que toutes les demandes seraient liées par les mêmes contrats d'origine, et que le refus de payer les frais d'arbitrage qui a donné lieu au retrait serait en réalité à l'origine du refus d'homologuer le protocole et du déni de justice allégué dont la CCI serait responsable est inopérant.

51. En effet, les fautes alléguées peuvent être appréciées indépendamment, la revendication d'une condamnation in solidum, apparue en cours d'instance pour justifier la compétence après qu'un incident eut été élevé à ce sujet ne présentant pas un caractère sérieux propre à fonder l'extension de compétence revendiquée dès lors que les fautes reprochées sont distinctes et de nature différente.

52. Ces demandes ne sont dès lors pas interdépendantes et peuvent être jugées séparément sans qu'il y ait un risque d'inconciliabilité ou de contrariété.

53. C'est dès lors à juste titre que le juge de la mise en état a retenu que les demandes d'homologation du Protocole et de l'Addendum et de condamnation de l'Etat de la République du Soudan, du ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, du National Corporation for Development of Rural Water Resources, et de la Banque centrale de la République du Soudan au paiement de l'équivalent en euros au jour du jugement de la somme de USD 14.447.537, sont sans lien de connexité avec la demande de réparation pour faute contractuelle formée à l'encontre de la CCI.

54. La compétence de la juridiction française n'est pas établie au regard des règles de compétence internationale.

55. De plus, la juridiction collégiale du fond saisie du litige, en l'espèce le tribunal judiciaire de Paris agissant comme juridiction de droit commun, compétente pour statuer sur la demande en responsabilité formée contre la CCI, est distincte du « président du tribunal judiciaire » statuant comme « juge d'appui », dont la compétence est limitée aux seuls cas prévus par l'article 1505 du code de procédure civile, et elle n'a pas été saisie pour statuer en l'espèce comme juge d'appui, la décision du juge de la mise en état sur ce point devant être confirmée.

56. Il n'y a enfin pas lieu de retenir la compétence du tribunal judiciaire de Paris, juridiction civile de droit commun, sur d'autres motifs que ceux rappelés ci-dessus issus de la compétence internationale des juridictions françaises, le choix du lieu du siège de l'arbitrage n'étant pas un critère de compétence de la juridiction civile de droit commun, le fait que le Protocole querellé soit issu de la phase amiable préalable à l'arbitrage étant indifférent dès lors que le tribunal judiciaire est saisi au fond d'une demande en paiement issue dudit Protocole dont seule l'exécution est contestée et qui ne contient pas de clause compromissoire.

57. S'agissant enfin de la demande fondée sur l'article 81 du code de procédure civile aux termes duquel, lorsque le juge estime que l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive, administrative, arbitrale ou étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir, la décision du juge de la mise en état devra infirmée en ce qu'elle a désigné les juridictions soudanaises.

3. Sur le risque de déni de justice

58. Les sociétés croates soutiennent que leur accès à une juridiction indépendante et impartiale n'est pas garantie au Soudan en raison des conséquences sur le Pays et sur son organisation du coup d'état et de la répression militaire depuis 2021 et de la guerre civile depuis mai qui font peser non seulement l'impossibilité de se faire juger mais en tout état de cause font peser un soupçon légitime de partialité, en application de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

59. Les parties soudanaises font valoir en réponse que les sociétés croates avaient saisi le tribunal judiciaire de Paris à titre principal d'une action contractuelle basée sur l'exécution du protocole d'accord au visa de l'article 1559 du code de procédure civile qui ne relève pas de sa compétence. Elles ajoutent subsidiairement qu'elles bénéficient d'une immunité de juridiction et que le simple soupçon des Appelantes quant à l'absence d'impartialité des juridictions soudanaises n'est pas de nature à priver les Intimées du bénéfice de leur immunité.

Sur ce

60. Le droit d'accès au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'est pas atteint dans son effectivité par l'immunité de juridiction dont bénéficie un Etat étranger dès lors que la partie demanderesse ne se voit pas interdire de porter son action devant les juridictions de l'Etat défendeur et que le manque d'indépendance et d'impartialité de ces dernières ne peut être présumé a priori.

61. Le risque de déni de justice constitue une cause autonome de compétence des tribunaux français à condition toutefois que le litige présente certains liens avec la France et que l'impossibilité de saisir une juridiction étrangère soit établie.

62. En l'espèce, outre le fait que le litige opposant les sociétés croates et les entités soudanaises ne présente aucun lien de rattachement avec la France au regard de l'absence de connexité précédemment mise en évidence, les sociétés croates ne démontrent pas, à supposer établie leur mise en cause de l'indépendance et l'impartialité des tribunaux soudanais, être dans l'impossibilité de saisir les juridictions d'un autre Etat, comme leur Etat d'origine, de sorte que le risque de déni de justice invoqué n'est pas caractérisé.

63. Par conséquent, l'incompétence retenue par le juge de la mise en état sera également confirmée sur ce point.

4. Sur l'appel incident et la demande de dommages intérêts pour procédure abusive

64. Aux termes de l'article 32-1 du code de procédure civile, celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.

65. L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.

66. En l'espèce, les entités soudanaises seront déboutées de leur demande à ce titre, à défaut pour elles de rapporter la preuve d'une quelconque faute ou légèreté blâmable de la part des sociétés croates, qui ont pu légitimement se méprendre sur l'étendue de leurs droits, quand bien même elles ont tenté de corriger leurs demandes afin de soutenir différemment leur action, et faute d'établir l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour leur défense.

67. En l'absence de toute faute ou de tout abus de procédure caractérisé, la demande de condamnation au paiement de dommages intérêts pour procédure abusive manque en droit et sera rejetée.

5. Sur les frais irrépétibles et les dépens

68. Il y a lieu de condamner les sociétés croates, partie perdante, aux dépens.

69. En outre, elles doivent être condamnées à verser à la CCI attraite en la cause alors qu'elle n'est pas concernée par l'incompétence soulevée, et aux entités soudanaises qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 10.000 euros pour la CCI et à 40.000 euros en tout pour les entités soudanaises.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour

1. Dit l'appel formé par les sociétés [P], Ingra et [B] contre l'ordonnance du 23 mai 2023 recevable,

2. Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du 23 mai 2023, en toutes ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'elle a renvoyé les parties à se pourvoir devant les juridictions du Soudan ;

L'infirmant sur ce point et statuant à nouveau, renvoie les parties à mieux se pourvoir ;

Y ajoutant,

3. Dit les autres demandes des sociétés [P], Ingra et [B] sans objet,

4. Condamne les sociétés [P], Ingra et [B] à payer à l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, le National Corporation for Development of Rural Water Resources, et la Banque centrale de la République du Soudan représentés par le Ministère de la Justice de la République du Soudan la somme de 40.000 euros à titre d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

5. Condamne les sociétés [P], Ingra et [B] à payer à la CCI la somme de 10.000€ à titre d'indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;

6. Dit l'appel incident formé par l'Etat de la République du Soudan, le ministère de l'Economie et des Finances de la République du Soudan, le National Corporation for Development of Rural Water Resources, et la Banque centrale de la République du Soudan représentés par le Ministère de la Justice de la République du Soudan recevable,

7. Le déclare mal fondé et les déboute de leur demande à ce titre,

8. Condamne les sociétés [P], Ingra et [B] aux dépens de l'instance d'appel.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 23/09497
Date de la décision : 25/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-25;23.09497 ?
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