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20/06/2024 | FRANCE | N°22/07874

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 20 juin 2024, 22/07874


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 20 JUIN 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07874 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLBS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 20/00980





APPELANTE



Madame [LC] [X]

[Adresse 1]

[Localité

3]



Représentée par Me Cécile REYBOZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0303







INTIMÉE



Société FRANS BONHOMME venant aux droits de la société DISTRIBUTION DE MATERIAUX POUR LES ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 20 JUIN 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07874 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGLBS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 20/00980

APPELANTE

Madame [LC] [X]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Cécile REYBOZ, avocat au barreau de PARIS, toque : L0303

INTIMÉE

Société FRANS BONHOMME venant aux droits de la société DISTRIBUTION DE MATERIAUX POUR LES TRAVAUX PUBLICS (DMTP)

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Olivier JOSE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : NAN751

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [LC] [X] a été engagée le 2 novembre 1992 par la société Point P Développement, en qualité de chargée de missions, statut cadre, par contrat à durée indéterminée daté du 19 octobre 1992.

Le contrat de travail a été transféré, en premier lieu le 1er octobre 1998 à la société Point P Ile-de-France, les fonctions d'adjointe du directeur des ressources humaines étant attribuées à la salariée, puis le 12 avril 2010 à la société Distribution de matériaux pour les travaux publics (DMTP) qui lui a confié le poste de directrice des ressources humaines.

Par courrier recommandé du 10 mars 2020, la société DMTP, appartenant au groupe Frans Bonhomme, a convoqué Mme [X] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, qui s'est déroulé le 18 mars 2020.

Par courrier recommandé du 25 mars 2020, elle lui a notifié son licenciement pour faute simple.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [X] a saisi le 19 mai 2020 le conseil de prud'hommes de Bobigny qui, par jugement du 27 mai 2022 :

- l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,

- a débouté la société DMTP de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné Mme [X] aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 2 septembre 2022, Mme [X] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 14 novembre 2022, Mme [X] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- le déclarer fondé,

- infirmer le jugement dont appel sur chaque chef de demande,

Statuant à nouveau,

- dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société DMTP à lui verser les sommes suivantes :

- 161 424 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour déloyauté de l'employeur,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 24 janvier 2023, la société Frans Bonhomme, venant aux droits de la société DMTP par suite d'une fusion absorption du 30 septembre 2022, demande à la cour de :

- confirmer intégralement le jugement déféré en ce qu'il a débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [X] à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2024 et l'audience de plaidoiries s'est tenue le 26 avril 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement (longue de quatre pages) du 25 mars 2020 adressée à Mme [X] lui reproche, d'une part, " l'absence de remise au Comité social et économique (CSE) de la société DMTP de l'assignation visant à contester la désignation du cabinet d'expert Métis Expertise-Comptable ", d'autre part, " un désengagement depuis l'annonce de la cession de la société DMTP ".

Mme [X] soutient que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, qu'elle a en réalité été victime d'un licenciement " économique déguisé " en lien avec une vaste restructuration consécutive à l'absorption de la société DMTP par la société Frans Bonhomme. Elle conteste les griefs qui lui sont reprochés, et affirme que la remise tardive d'une assignation du CSE devant le tribunal judiciaire de Bobigny ne lui est pas imputable. En outre, elle se défend d'un quelconque désengagement professionnel et prétend avoir toujours donné entière satisfaction à son employeur, sans qu'aucun dossier ne soit négligé. Elle affirme que son licenciement a en réalité été motivé par le rachat de la société et la volonté de supprimer son poste.

Au contraire, la société DMTP soutient que le licenciement de Mme [X] est bien-fondé et motivé par l'absence de remise au CSE d'une assignation devant le tribunal judiciaire de Bobigny, ainsi que par le manque d'investissement de la salariée dans son travail, griefs qui sont établis.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Sur le grief relatif à" l'absence de remise au Comité social et économique (CSE) de la société DMTP de l'assignation visant à contester la désignation du cabinet d'expert Métis Expertise-Comptable "

Au sujet de ce grief, il est, d'une part, rappelé, dans la lettre de licenciement signée par M. [C], directeur groupe des ressources humaines sécurité environnement, que le 22 novembre 2019 le comité d'entreprise a définitivement disparu au profit du CSE, qu'à l'occasion d'une nouvelle réunion le 9 décembre 2019, le CSE a adopté une délibération visant à mandater le cabinet Métis Expertise, que la société DMTP a entendu contester la régularité de cette désignation, qu'elle a ainsi confié à un huissier le soin de délivrer au CSE une assignation devant le tribunal judiciaire de Bobigny, d'autre part, indiqué " qu'il s'avère que l'huissier a, par erreur, délivré cette assignation à Mme [Z] [D], assistante ressources humaines en alternance, placée sous votre responsabilité ", que "pour autant, et alors même que vous avez immédiatement récupéré la première expédition de cette assignation, vous ne l'avez jamais remise à la secrétaire du CSE, Mme [H] [T], ou à tout le moins à un autre de ses membres."

Il est en outre précisé aux termes de la lettre de licenciement :

" Ce n'est que le jour de l'audience, le 26 février 2020, que vous avez informé la secrétaire du CSE, de manière incidente dans le fil de la réunion ordinaire qui se tenait ce jour-là, de l'existence de cette assignation et de la tenue de l'audience, ce dont elle s'est plainte directement auprès de M. [N] [L] et de M. [S] [C] par email du 28 février 2020. La secrétaire du CSE s'est ainsi déclarée choquée par cette rétention, a rappelé qu'elle l'estimait préjudiciable aux intérêts du CSE et a laissé planer la menace d'une action pour faire valoir ses droits.

En votre qualité de directrice des ressources humaines, il vous appartenait de vous assurer que le CSE avait bien été rendu destinataire d'un document aussi important qu'une assignation du CSE devant une juridiction.

Lors de l'entretien vous avez reconnu la matérialité des faits tout en cherchant à vous exonérer de toute responsabilité, ce, malgré votre formation juridique. "

La salariée explique que le 25 février 2020 elle n'a pu mentionner qu'une audience avait lieu le même jour, dès lors qu'elle n'en était pas informée et n'avait pas eu l'assignation entre les mains, que Mme [D] lui avait remis, la veille, une enveloppe non libellée au nom du CSE ou de sa secrétaire, qu'elle n'avait pas eu le temps d'ouvrir, que d'ailleurs le tribunal judiciaire a reconnu qu'il s'agissait d'une erreur d'adressage qui ne lui était pas imputable et qu'il n'y a eu aucune conséquence préjudiciable.

Cependant, dans une attestation du 26 février 2020, M. [NJ] [R], responsable des relations sociales, explique avoir décidé en décembre 2019, avec Mme [X], de déposer une requête en référé devant le tribunal judiciaire dans le cadre d'une expertise votée par l'instance " comité d'entreprise " de la société DMTP, que le 26 février 2020, Mme [X] lui a transmis par email " une assignation de l'expert devant le tribunal judiciaire, dans le cadre de cette même expertise ", qu'en parallèle elle a tenté de le joindre en lui demandant de la contacter de toute urgence, ce qu'il a fait, qu'à cette occasion, elle lui a indiqué " n'avoir jamais transmis l'assignation de l'entreprise au CSE et qu'elle avait conservé celle-ci dans son tiroir pensant que c'était son exemplaire ".

Ce témoignage est corroboré par l'échange de courriels des 19 et 20 décembre 2019 entre M. [R] et Mme [X], dont il ressort que cette dernière a été mise en copie, pour information, des courriels adressés à l'huissier, qu'elle était informée qu'un huissier était sur le point de délivrer une assignation " pour le 26 février prochain ", M. [R] précisant notamment " je mets [LC] [X] en copie afin qu'elle dispose des éléments de la requête et puisse approcher de nouveau la secrétaire du CSE pour l'informer de la notification prochaine de l'instance, des principaux arguments repris, de la volonté de l'entreprise de se positionner en partenaire de l'instance (')", Mme [X], répondant dans un mail en réponse du 20 décembre 2019 : " Bonjour, bien qu'en déplacement hier, j'ai bien reçu le document ".

L'huissier de justice a quant à lui indiqué dans un courriel du 19 décembre 2019 à 16h02 adressé à M. [R] en copie notamment à Mme [X] : " Comme convenu un huissier est en route pour délivrer l'assignation. Il va se rendre à l'agence service au Blanc-Mesnil pour ce faire ; vous serait-il possible de vous assurer que cette agence sera bien ouverte au moment de sa venue. Il s'est engagé à arriver avant 18h. Je vous informe par ailleurs que l'audience a été fixée au 26 février prochain ; cela devrait nous laisser le temps nécessaire à l'obtention d'un accord avec les élus. "

Il ressort du procès-verbal de la réunion du CSE du 25 février 2020 que Mme [X] a informé le CSE de la mise en 'uvre d'une action judiciaire par l'entreprise à la suite du vote par l'instance d'une expertise sur la décision de l'autorité de la concurrence quant à l'opération de concentration, M. [S] [C], directeur des ressources humaines, ayant quant à lui annoncé que dans le cadre de l'audience devant " se tenir le mercredi 26 février, aucune des parties n'a jugé utile de déposer des conclusions (ni le CSE, ni l'expert). "

Dans un courrier du 28 février 2020 envoyé à M. [N] [L], président de la société DMTP, par mail et en recommandé avec accusé de réception, Mme [H] [T] fait part de sa stupéfaction après l'annonce d'une assignation délivrée au CSE et indique que Mme [X] " lui a fait comprendre que l'assignation avait été délivrée à une assistante des ressources humaines (en contrat d'alternance) ", " qu'elle avait eu connaissance du passage de l'huissier ", mais n'avait pas " pris le soin de l'ouvrir " . Mme [T] précise qu'après avoir obtenu l'assignation elle a constaté qu'elle avait effectivement été délivrée par erreur à Mme [D], non habilitée à recevoir ce document pour le CSE, mais surtout que ce document n'avait jamais été transmis par les ressources humaines, " alors que Mme [X] avait cette information depuis le début ", ce qui est établi par l'attestation de M. [R], et les courriels qu'il a échangés avec Mme [X] et l'huissier de justice en décembre 2019.

Il résulte des délégations de pouvoir des 20 juin 2013 et 1er septembre 2016 données par l'employeur à Mme [X], en sa qualité de directrice des ressources humaines, qu'il lui appartenait notamment de faire le nécessaire pour la gestion des ressources humaines de la société, pour l'administration de son personnel et la représentation de la société auprès des instances représentatives du personnel, notamment à l'effet de s'assurer du respect des obligations de la société en matière de représentation du personnel et notamment d'organiser les élections des instances représentatives du personnel, en assurer le fonctionnement normal et régulier et, le cas échéant, la présidence, de prendre toutes dispositions pour faire appliquer les dispositions légales et réglementaires en matière de droit du travail, de représenter la société et concilier au nom et pour le compte de la société auprès des juridictions compétentes en matière de litiges individuels et collectifs du travail, de sécurité sociale, et de toutes instances relatives à la législation du travail.

S'il est établi que l'audience du 26 février 2020 a pu être renvoyée et qu'aux termes de l'ordonnance du 17 août 2020 la demande d'annulation de l'assignation délivrée le 19 décembre 2019 a été rejetée, il n'en demeure pas moins qu'il résulte de ce qui précède, que la salariée n'a informé le CSE de la procédure mise en 'uvre par la société DMTP que très tardivement, alors qu'elle en avait connaissance depuis le 20 décembre 2019, date à laquelle elle a accusé réception des documents en lien, que si l'assignation a été remise par erreur à Mme [D], celle-ci lui a néanmoins remis l'enveloppe qui la contenait en décembre 2019 et que Mme [X] n'a pas évoqué le sujet avant la réunion du 25 février 2020, alors qu'il lui avait été expressément demandé " d'approcher de nouveau la secrétaire du CSE pour l'informer de la notification prochaine de l'instance, des principaux arguments repris " et " de la volonté de l'entreprise de se positionner en partenaire de l'instance ", cette mission relevant des tâches confiées à la salariée aux termes des délégations de pouvoir précédemment rappelées.

En conséquence, ce premier grief est établi, le jugement déféré devant être confirmé de ce chef.

Sur le grief relatif au "désengagement depuis l'annonce de la cession de la société DMTP"

A ce sujet, la lettre de licenciement adressée à Mme [X] est ainsi rédigée :

" Il nous a été remonté que le 5 février 2020, à l'occasion de la préparation de la table ronde RH, la veille de la convention manager du 6 février 2020, vous avez fait part de votre incapacité à vous projeter dans les valeurs du Groupe Frans Bonhomme, allant jusqu'à sous-entendre que ce dernier ne plaçait pas le respect au nombre de celles-ci. Cette critique était faite en présence de plusieurs personnes de la direction des ressources humaines du groupe qui me sont directement rattachées et en mon absence. Ce faisant, plusieurs personnes se sont retrouvées déstabilisées à un moment où il importait, dans votre rôle de manager, de maintenir la cohésion des équipes et de les motiver dans le nouveau format du groupe.

Force est de constater que, malheureusement, vos présupposés sur le groupe Frans Bonhomme ont généré chez vous une défiance et un désengagement professionnel qui n'ont cessé de croître au point d'être visibles dans votre comportement professionnel ce qui nuisait profondément à la qualité de celui-ci et à sa portée managériale.

Il nous [a] ainsi été remonté que, entre le 13 février 2020 et le 24 février 2020, vous avez totalement pris à la légère l'accompagnement d'un directeur de territoire, Monsieur [G] [O], dans la préparation de l'entretien préalable puis de la lettre de licenciement d'un salarié de la société. Cette absence de suivi et d'aide n'ont pas manqué de surprendre le directeur de territoire, qui s'attendait légitimement à davantage de soutien de la part de la directrice des ressources humaines.

De même, il nous a été remonté que le 24 février 2020, alors que Mme [B] vous a interrogée sur le montant de la rémunération d'un salarié, Monsieur [U] [I], dans le cadre de sa promotion d'ATC vers le poste de directeur des ventes, vous avez adopté un ton agressif et excédé envers elle, alors qu'il s'agissait de traiter une demande on ne peut plus basique et ressortissant pleinement de ses (sic) fonctions de directrice des ressources humaines. "

Il est précisé en " conclusion " : " compte tenu de ce qui précède, il apparaît que votre attitude n'a cessé de se dégrader, ce au préjudice de la relation avec vos différents interlocuteurs, qu'ils soient salariés ou représentants du personnel.

Ceci n'est pas acceptable à votre niveau de poste et de responsabilités.

Nous sommes donc contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. "

La salariée explique qu'elle a assisté, début janvier 2020 au licenciement brutal conduit par M. [C] de nombreux cadres de la direction de DMTP et principalement des cadres de grande ancienneté à qui rien n'avait jamais été reproché, que dans ce contexte elle a légitimement exprimé son trouble sur les intentions exactes de la société Frans Bonhomme vis-à-vis des salariés de la société DMTP, alors qu'aucun plan social n'était à l'ordre du jour et qu'elle a été elle-même licenciée pour des motifs fallacieux, son poste ayant été supprimé et redistribué.

A l'appui de ce grief, l'employeur communique plusieurs témoignages.

Ainsi, dans une attestation du 8 mars 2020, Mme [P] [M], directrice sécurité environnement, explique " qu'à l'occasion de la préparation de la table ronde RH, la veille de la convention manager le 6 février " Mme [X] "est restée très en retrait durant la première demi-heure, puis, au moment de valider la partie qu'elle avait en commun avec [NJ] [R]", elle " a fait part de son incapacité à se projeter dans les valeurs du groupe en précisant que pour elle la première valeur était le respect ", ajoutant qu'elle "ne se retrouvait pas dans le groupe, qu'elle ne trouvait pas sa place, " que nous allions trop vite ", et que " dans ces conditions elle ne prendrait pas la parole le lendemain. "

Mme [V] [FU], responsable ressources humaines, explique quant à elle, dans une attestation du 11 juin 2021, qu'une réunion a été organisée le 7 janvier 2020 pour organiser son remplacement durant son congé maternité, que " durant cette réunion, Mme [X] n'a cessé de dénigrer l'entreprise Frans Bonhomme, mon poste, ainsi que nos méthodes de travail ", qu'alors qu'elle lui expliquait l'état d'avancement des dossiers, elle lui a répondu " qu'elle n'allait pas faire ces tâches-là, que ce n'était pas à elle de réaliser ces missions ", qu'elle a même précisé que " le poste RH chez Frans Bonhomme était inintéressant et que le poste tel qu'il était organisé chez DMTP était bien plus riche et valorisant ". Elle ajoute que devant son constat, M. [C] lui a demandé d'organiser une deuxième réunion de travail pour permettre à Mme [X] d'avoir tous les éléments en sa possession pour conduire ces missions, qu'elle a eu lieu le 9 janvier 2020, et que l'attitude de Mme [X] a été tout aussi négative à l'égard de l'entreprise et des membres de la direction, " n'hésitant pas à expliquer qu'elle n'appliquerait pas ce qu'on lui demandait, car elle n'était pas d'accord avec la politique Frans Bonhomme. "

Concernant la procédure de licenciement relative à M. [A], salarié dans l'entreprise, M. [G] [O], directeur de territoire, explique, dans une attestation du 27 février 2020, qu'il " a été choqué par le dénigrement dont Mme [X] a fait preuve contre le groupe Frans Bonhomme ", qu'il a eu face à lui " une personne qui n'adhérait pas au groupe, qu'elle lui a transmis dans un mail du 26 février 2020, un projet de notification de licenciement à M. [A] motivé " sur quatre lignes seulement ", qu'il lui a demandé par courriel du 27 février 2020 s'il était possible de détailler les motifs, et que lors d'un appel du même jour, il a dû lui dicter tous les arguments présentés lors de l'entretien du 24 février 2020 puisqu'elle n'avait pas pris la peine de prendre des notes lors de l'entretien, ces éléments étant corroborés par la communication aux débats des courriels échangés à ce sujet entre M. [O] et Mme [X] les 26 et 27 février 2020.

S'agissant du montant de la rémunération de M. [I] à propos de laquelle des propositions ont été faites à Mme [X] par Mme [W] [B] par courriel du 24 février 2020, cette dernière, déplorant la colère manifestée par Mme [X], indique dans une attestation du même jour qu'elle l'a appelée, qu'elle était énervée, lui a dit " comme d'habitude vous allez trop vite " et qu' " agacée, elle a validé la proposition sur le salaire fixe et a proposé une rémunération variable équivalente à celle pratiquée chez Frans Bonhomme. "

Aucun des éléments de la procédure ne permet de remettre en cause la sincérité et l'objectivité de ces témoignages qui établissent la réalité des faits reprochés par l'employeur à la salariée pour illustrer le grief de " désengagement depuis l'annonce de la cession de la société DMTP ".

Le fait qu'elle ait été nommée directrice des ressources humaines en 2010, ait toujours perçu des primes et bonus de 2010 à 2018, que Mme [IV] [K], responsable administrative et comptable Ile de France au sein de la société DMTP jusqu'en 2021, et M. [J] [Y], chargé d'affaires au sein de la société DMTP de 2008 à 2022 et délégué syndical Force Ouvrière, élu au sein du CSE et du CHSCT, n'aient jamais entendu de propos désobligeant de la part de Mme [X] sur la nouvelle organisation ou à l'égard de la direction, ne sont pas de nature à invalider les propos rapportés dans les attestations de Mme [M], de Mme [FU], de M. [O] et de Mme [B] qui révèlent son désaccord avec la politique de la société Frans Bonhomme, la réorganisation mise en place à compter de fin 2019, et les refus et réticences en lien, d'accomplir certaines tâches.

Dans son témoignage en date du 18 octobre 2022, M. [Y] explique que lors de la réunion du CSE du 9 décembre 2019, tous les participants ont pu constater que Mme [X] " était mise sur la touche ", que son départ brutal en mars 2020 s'explique par le fait que " M. [C] n'avait plus besoin d'elle ", ce qui a été la " même chose pour la quasi-totalité du comité de direction de DMTP ", tous ces postes étant " en doublon avec ceux du groupe FB ".

Cependant, ces déclarations ne sont corroborées par aucune attestation de participants à la réunion du CSE du 9 décembre 2019, et aucun propos pouvant révéler une volonté de mise à l'écart de la salariée ne ressort des procès-verbaux de réunion du CSE comprenant celui du 9 décembre 2019. Au contraire, il résulte de ce qui précède que Mme [X] a été pleinement associée notamment à la procédure judiciaire mise en place fin 2019 par l'entreprise.

Cette volonté de mise à l'écart ne résulte pas davantage de la note relative à l'organisation générale du groupe communiquée le 9 mars 2020 par Mme [E] [F], " chargée de communication et de missions RH " au sein du groupe Frans Bonhomme, dès lors que Mme [X] apparaît dans l'organigramme de ce groupe en qualité de directrice des ressources humaines " DMTP&IDF ".

Quant au procès-verbal de la réunion du CSE du 20 janvier 2021, il met certes en exergue que l'année 2020 a été très difficile pour l'entreprise et qu'elle a été marquée par 90 démissions, 29 licenciements et 11 ruptures conventionnelles, mais la salariée ne communique aux débats que deux jugements aux termes desquels deux licenciements ont été jugés sans cause réelle et sérieuse, aucun élément n'étant produit sur les autres licenciements et départs. Ce procès-verbal de réunion fait par ailleurs état d'un plan de relance solide mis en place par le groupe Frans Bonhomme, et aucune pièce de la procédure ne révèle qu'il aurait échoué ou que la société Frans Bonhomme serait en difficulté économique et financière. Au contraire il résulte de l'article du 15 juillet 2022 versé aux débats par Mme [X] que " la fusion des entités Frans Bonhomme et DMTP est achevée ", qu'il s'agit de la " dernière étape d'un rapprochement déjà opérationnel depuis près de trois ans " , mais qui avait dû être " repoussée en raison du contexte sanitaire ", que le président du groupe évoque " un désendettement significatif et le renforcement de la structure financière à l'issue d'une ultime cession-bail, et que le chiffre d'affaires du groupe en France est passé de 520M€ en 2020 à 639,6 M€ en 2021."

Il s'ensuit que le grief de " désengagement depuis l'annonce de la cession de la société DMTP " est également établi, la salariée ne démontrant pas que son licenciement est fondé sur un motif économique ou fallacieux.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse et a rejeté la demande de dommages-intérêtsformulée à ce titre par la salariée.

Sur la demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire et déloyauté de l'employeur:

Mme [X] soutient, d'une part, qu'elle a découvert brutalement par la note relative à l'organisation générale adressée le 9 mars 2020 que son poste était devenu celui d'une simple " RH " rattachée à M. [C] parmi dix autres collaborateurs, qu'elle était désormais délestée de diverses tâches, d'autre part que la motivation réelle de son licenciement est une volonté de réduire les effectifs de la société DMTP, sans mise en 'uvre d'un plan social.

Au contraire, l'employeur soutient qu'il a parfaitement respecté son obligation de loyauté, qu'il n'a jamais été question de se séparer de Mme [X] en raison " d'un doublon de poste ", que le licenciement de Mme [X] est motivé par des éléments personnels, et conteste toute accusation de licenciement pour motif économique déguisé. Il ajoute que la salariée n'apporte la preuve d'aucun préjudice.

Toute demande d'indemnisation suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

Il résulte de ce qui précède, d'une part, que la note relative à l'organisation générale du groupe Frans Bonhomme communiquée le 9 mars 2020 par Mme [E] [F] mentionne Mme [X] en qualité de directrice des ressources humaines " DMTP&IDF "et non en qualité de "simple RH ", d'autre part, que le licenciement de la salariée est fondé sur une cause réelle et sérieuse, aucun motif économique ou fallacieux n'étant démontré.

Par ailleurs, aucun des éléments de la procédure ne révèle que Mme [X] a été déchargée de certaines de ses missions pendant l'exécution du contrat de travail.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [X] de sa demande de dommages-intérêts pour rupture vexatoire et déloyauté de l'employeur.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La salariée, qui succombe, doit être tenue aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Pour des raisons tirées de l'équité, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et il ne sera pas fait droit à ses demandes au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

DÉBOUTE la société Frans Bonhomme venant aux droits de la société Distribution de matériaux pour les travaux publics (DMTP) de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE Mme [LC] [X] aux dépens d'appel,

REJETTE les autres demandes des parties.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/07874
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.07874 ?
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