REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRET DU 19 JUIN 2024
(n° 2024/ , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04651 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFMQZ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Décembre 2021 -Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 19/01243
APPELANTE
Madame [YS], [R] [K] veuve [V]
née le [Date naissance 7] 1966 à [Localité 18] (60)
[Adresse 5]
[Localité 16]
représentée et plaidant par Me Frédérique THOMMASSON, avocat au barreau de PARIS, toque : D1009
INTIMEE
Madame [ET] [V]
née le [Date naissance 8] 1988 à [Localité 11] (92)
[Adresse 6]
[Localité 9]
représentée et plaidant par Me Corinne ARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0549
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
M. Bertrand GELOT, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Bertrand GELOT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
[LA] [V] et Mme [YS] [K] se sont mariés le [Date mariage 2] 2009 à [Localité 14] (60) après avoir établi le 28 mai 2009 un contrat de mariage de séparation de biens reçu par Me [BN], notaire à [Localité 10] (93).
De cette union n'est issu aucun enfant.
[LA] [V] est décédé le [Date décès 4] 2016.
Il laisse pour lui succéder :
-son conjoint survivant Mme [YS] [K],
-sa fille Mme [ET] [V], née le [Date naissance 8] 1988, issue de sa précédente union.
Par acte authentique du 28 avril 2011, les époux ont acquis en indivision, à raison de la moitié chacun, un bien immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 16] (93) moyennant le prix de 205 000 euros.
Par acte authentique du 22 avril 2015, [LA] [V] a établi une donation au profit de son épouse, portant, si le premier laisse un ou plusieurs descendants, au choix exclusif du conjoint, sur tout ou partie de l'une des quotités disponibles qui seront permises entre époux par la législation alors en vigueur au jour du décès du donateur, soit en toute propriété seulement, soit en toute propriété et usufruit, soit en usufruit seulement.
Par testament olographe du 29 juin 2016, remis à Me [G] [T], notaire à [Localité 17], il a légué à sa fille Mme [ET] [V] divers objets personnels, un véhicule et une moto « et la totalité de tous (ses) biens mobiliers et immobiliers ».
Malgré diverses tentatives, aucune résolution amiable du litige n'a abouti.
Suivant exploit d'huissier du 13 novembre 2018, Mme [YS] [K] a fait assigner Mme [ET] [V] devant le tribunal de grande instance de Bobigny en nullité du testament olographe du 29 juin 2016 rédigé par le défunt et en partage de la succession de ce dernier.
Par ordonnance du 9 mai 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bobigny a ordonné une médiation qui a été confiée au Centre de médiation des notaires de Paris.
Par ordonnance du 9 mars 2020, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bobigny a renouvelé la médiation, à compter du 17 janvier 2020 et jusqu'au 17 avril 2020, date limite prorogée de plein droit au 23 septembre 2020, en application de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période.
Cette tentative de médiation n'a pas abouti.
Par jugement contradictoire rendu le 13 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Bobigny a notamment :
-dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de constater la validité du testament olographe du 29 juin 2016 émanant de [LA] [V],
-débouté Mme [YS] [K] veuve [V] de ses demandes de nullités du testament olographe du 29 juin 2016 émanant de [LA] [V] pour vices de fond et de forme,
-ordonné qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage du régime matrimonial ayant existé entre [LA] [V] et Mme [YS] [K] veuve [V] et de la succession de [LA] [V],
-désigné, pour procéder aux opérations de comptes liquidation partage :
*Me [X] [Z], notaire, de la SELARL [Z], notaire associé, [Adresse 3], tél [XXXXXXXX01], [Courriel 13],
*ou tout autre notaire de l'étude en cas d'indisponibilité,
-désigné tout magistrat de la chambre 1 section 2, en qualité de juge commis pour surveiller le déroulement des opérations de liquidation,
-dit qu'une copie de la présente décision sera transmise au notaire désigné qui, en cas d'indisponibilité, fera informer sans délai le juge commis de l'identité du notaire de l'étude procédant à la mission,
-dit qu'il appartiendra au notaire de :
*convoquer les parties et leur demander la production de tous les documents utiles à l'accomplissement de sa mission,
*fixer avec elles un calendrier comprenant les diligences devant être accomplies par chacune d'elles et la date de transmission de son projet d'état liquidatif, étant précisé que ce calendrier sera communiqué par le notaire aux parties et au juge commis,
*dresser, dans un délai d'un an à compter de l'envoi de la présente décision, un état liquidatif qui fixe la date de jouissance divise, établit les comptes entre copartageants, la masse partageable, les droits des parties et la composition des lots à répartir, étant précisé que ce délai est suspendu dans les cas visés à l'article 1369 du code de procédure civile,
-dit que sous réserve des points déjà tranchés, les parties justifieront auprès du notaire de leurs créances à inscrire au compte de l'indivision ou des créances entre elles,
-dit que le notaire commis pourra, si nécessaire, interroger les fichiers FICOBA et FICOVIE,
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
-débouté Mme [YS] [K] veuve [V] de sa demande au titre des dépens,
-débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leur part dans l'indivision.
Mme [YS] [K] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 28 février 2022.
Par acte d'huissier de justice du 25 avril 2022, l'appelante a fait signifier la déclaration d'appel à Mme [ET] [V].
Mme [ET] [V] a constitué avocat le 2 mai 2022.
L'appelante a notifié ses premières conclusions par RPVA le 24 mai 2022.
L'intimée quant à elle a notifié ses premières conclusions par RPVA le 3 juillet 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 décembre 2023, Mme [YS] [K], appelante, demande à la cour de :
-infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Bobigny en ce qu'il a débouté Mme [YS] [K] veuve [V] de ses demandes de nullités du testament olographe du 29 juin 2016 émanant de [LA] [V],
statuant de nouveau,
-prononcer la nullité du testament olographe du 29 juin 2016 pour vice de fond, les facultés mentales de [LA] [V] étant altérées et son consentement à tout le moins vicié au moment de sa rédaction,
en tout état de cause,
-condamner Mme [ET] [V] à payer à Mme [YS] [K] épouse [V] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner Mme [ET] [V] aux entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 30 novembre 2023, Mme [ET] [V], intimée, demande à la cour de :
-confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
subsidiairement,
-procéder à l'audition de Me [G] [T], notaire, afin qu'il témoigne de la conscience de son client lors de la remise du testament le 30 juin 2016,
-condamner Mme [YS] [K] à verser à Mme [ET] [V] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.
A la suite de la demande de collégialité de l'appelante, l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoiries du 28 février 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l'insanité d'esprit du testateur invoquée par Mme [K] :
Saisi d'une demande de nullité du testament olographe rédigé par [LA] [V] pour insanité d'esprit, le tribunal a débouté Mme [K] en estimant qu'aucune insanité d'esprit n'est démontrée chez le testateur, en précisant notamment, au vu des pièces médicales produites par chacune des parties :
-s'agissant du comportement du testateur, que la synthèse médicale mentionne, à la date du 29 juin 2016 à 5 h 26, un état confortable et non algique, sans trouble de la conscience relevé ni altération du discernement ;
-s'agissant du traitement administré le jour du testament, qu'il n'est évoqué aucune altération des facultés mentales et intellectuelles associées du de cujus ;
-que les pièces médicales versées aux débats par la demanderesse ne permettent pas de rapporter la preuve de l'insanité d'esprit du testateur au moment de la rédaction du testament ;
-que les différentes attestations produites par Mme [K], dont certaines sont illisibles et donc inexploitables, ne démontrent pas l'insanité d'esprit de ce dernier ;
-que le courrier de Me [T], notaire, indique notamment qu'il a rencontré le testateur le 30 juin 2016, lendemain de la rédaction du testament, et que ce dernier lui a paru avoir pleine et entière lucidité en lui remettant cette pièce ;
-que les attestations de deux personnes qui se sont rendues sur place pour servir de témoins pour le testament concluent à la pleine conscience de l'intéressé et à la pleine possession de toutes ses capacités intellectuelles.
Mme [K] demande à la cour l'infirmation de ce chef et de prononcer la nullité du testament olographe du 29 juin 2016 pour vice de fond, estimant que les facultés mentales de [LA] [V] étaient altérées et son consentement à tout le moins vicié au moment de sa rédaction.
Elle motive sa demande en alléguant préalablement que « si l'appréciation de l'insanité d'esprit du testateur relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, il n'en reste pas moins qu'elle est présumée ».
Par ailleurs, elle s'appuie sur le fait que les certificats médicaux délivrés entre le 19 mai et le 4 juillet 2016 révèlent que l'état général du de cujus s'est dégradé tant physiquement que psychologiquement, qu'il souffrait de troubles neurologiques graves entraînant des troubles amnésiques avec des accès de violence et d'angoisse.
Elle ajoute que le jour de la rédaction du testament, le relevé médical indique que [LA] [V] avait reçu 5 doses de Sufenta, avec l'annotation : « très douloureux à la mobilisation et réaction violente ».
Elle considère « qu'en d'autres termes », le de cujus a été, pendant toute la journée du 29 juin 2016, sous sédatifs et anesthésiques puissants, déréglant ses facultés mentales et que le dossier médical de l'intéressé relève un trouble de conscience et une altération du discernement à la date du testament.
Elle se fonde en outre sur la réponse écrite du docteur [L] [B], praticien à l'Hôpital [15], expliquant notamment que plusieurs médicaments psychoactifs qui ont été prescrits durant l'hospitalisation peuvent altérer l'état de conscience du patient et peuvent conduire à une altération de la vigilance pouvant aller jusqu'à la confusion mentale.
Elle cite une autre réponse émanant du docteur [YR], médecin coordonateur, évoquant en conclusion le fait que les effets majeurs des associations médicamenteuses dont a pu bénéficier le de cujus « aboutissent à la perte d'autonomie du patient, à la diminution massive de ses capacités intellectuelles et cognitives, de ses facultés de jugement ainsi qu'à son libre arbitre (') ».
Elle considère que le tribunal a fait une appréciation erronée de l'attestation de Mme [KY], aide-soignante, laquelle indique qu'elle a été amenée à prendre en charge M. [LA] [V] d'avril à fin juin 2016 et qu'au cours de cette période de prise en charge, elle a « pu constater l'incidence des traitements sur son état de conscience et de lucidité ».
Elle estime que l'état de « déficience mentale » dès le mois de juin 2016 est attesté par les propos de plusieurs visiteurs, à savoir M. [F] [P], lequel évoque l'absence de propos cohérents au réveil, M. [H] [Y], constatant des phases éveillées ne dépassant pas 15 minutes, M. [E] [D], déclarant avoir compris que la maladie et les traitements lui faisaient perdre le fil de la réalité, et Mme [A] [K], selon laquelle le de cujus parlait d'une manière complètement incohérente.
Elle prétend que le tribunal, à défaut d'avoir fait un examen attentif des pièces communiquées par Mme [ET] [V], n'a pas relevé les contradictions et incohérences des dires du notaire et des témoins, puisque le conseil de la partie adverse a pu indiquer que « le testament olographe a été reçu en présence de Me [G] [T] et de deux témoins », alors que le notaire a indiqué avoir juste récupéré le testament de [LA] [V] le 30 juin 2016, que les témoins instrumentaires n'ont pas pu constater « la parfaite conscience » de M. [V] alors qu'ils déclarent être restés dans la salle d'attente, qu'ils ne connaissaient pas personnellement ce dernier et n'ont pu jauger réellement ses capacités intellectuelles.
Elle ajoute enfin que l'incapacité de [LA] [V] d'appréhender le contenu et les conséquences juridiques du testament est corroborée par la mise en scène par sa fille de la signature du testament, notamment la prise de photographies, destinée à donner « une once de véracité au testament ».
Mme [ET] [V] répond à cette demande en estimant préalablement que la charge de la preuve de l'insanité d'esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament.
Elle déclare ensuite que les pièces médicales versées aux débats démontrent que [LA] [V] était, au cours des mois de mai, juin et juillet 2016, « conscient, cohérent et orienté ».
Elle fait état des attestations d'autres témoins, à savoir M. [KZ] [ES], M. [I] [S], Mme [YJ] [SF], Mme [BP] [SG], M. [U] [W], Mme [EU] [V], mère du de cujus et de Mme [N] [V], s'ur de ce dernier, déclarant tous avoir constaté sa lucidité ou ses capacités intellectuelles.
Elle souligne la teneur du courrier rédigé le 10 janvier 2019 par Me [T], notaire, détaillant les circonstances dans lesquelles il s'est présenté le 30 juin 2016 au chevet de [LA] [V] pour établir un testament authentique et s'est vu finalement remettre des mains du testateur, avec lequel il a échangé, le testament olographe que ce dernier avait établi la veille.
Elle sollicite, à titre subsidiaire, l'audition par le tribunal de Me [G] [T] afin de confirmer que son client lui est apparu sain d'esprit lors de la remise du testament.
Elle estime que la note médicale produite par l'appelante rédigée par le docteur [B] est rédigée en termes généraux et ne fait qu'énoncer que les médicaments de type neuroleptique ou antidouleurs « peuvent » altérer l'état de conscience du patient, et que la nouvelle pièce produite en appel émanant du docteur [YR] n'apporte pas non plus la preuve d'une insanité d'esprit à la date du 29 juin 2016.
***
Aux termes de l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
Par ailleurs, il est fermement établi que la charge de la preuve de l'insanité d'esprit du testateur incombe à celui qui agit en annulation du testament.
Dès lors, c'est à tort que l'appelante invoque une présomption d'insanité d'esprit du testateur.
Il convient également de rappeler que la sanité ou l'insanité d'esprit du testateur doit être appréciée au moment de la signature du testament, et qu'en conséquence les éléments de preuve seront d'autant plus déterminants qu'ils se référeront au 29 juin 2016 ou à la date la plus proche de celle-ci.
Concernant les certificats et relevés médicaux versés aux débats, la « synthèse transmissions ciblées » du dossier médical fait état, à la date précise du 29 juin 2016, en dehors des nombreux éléments relevant strictement du traitement médical, d'une « stabilisation du patient au niveau des douleurs et de sa souffrance morale », puis d'un ressenti « très douloureux à la mobilisation et réaction violente physique et verbale en fin de soin » ;
Le compte-rendu d'hospitalisation couvrant la période du testament mentionne le constat d'un patient « conscient » et « cohérent » à l'issue d'un examen neurologique et un « état psychique apaisé » en dépit de grandes souffrances endurées.
Ces éléments, s'ils traduisent certains effets de la pathologie et des traitements, n'établissent pas que le de cujus ne disposait pas de ses facultés intellectuelles et de son discernement à cette date.
S'agissant de la réponse médicale du docteur [B] à Mme [K], sa teneur révèle que si le médecin explique de manière détaillée les effets possibles d'un grand nombre de substances administrées aux patients atteints de pathologies comparables à celle du de cujus, il ne se prononce précisément à aucun moment sur la situation de ce dernier, évoquant de manière générale l'effet des traitements « pouvant altérer l'état de conscience du patient », ou « la vigilance (de ce dernier), pouvant aller jusqu'à la confusion mentale » et le phénomène de « vulnérabilité chimique ».
Quant à la réponse médicale du docteur [YR], médecin anesthésiste, si ce dernier fait état des effets amnésiants de certains traitements reçus en soins palliatifs et de « la perte d'autonomie du patient, de la diminution massive de ses capacités intellectuelles et cognitives, de ses facultés de jugement ainsi que de son libre arbitre », ces appréciations, portées près de 6 ans après les faits, sont formulées de manière générale pour des patients soumis à des traitements comparables, sans aucune précision sur le cas individuel et sans référence temporelle.
En conséquence, ces appréciations médicales ne renseignent pas sur une éventuelle perte des capacités intellectuelles du testateur à la date du 29 juin 2016.
Concernant les différents témoignages d'amis ayant rendu visite à [LA] [V] lors de son hospitalisation, si ceux produits par Mme [K] décrivent une dégradation progressive de l'état de santé de ce dernier et parfois des difficultés à communiquer avec lui, force est de constater que la plupart ne comporte pas d'indication temporelle, et qu'aucune ne se rapporte précisément à la période de la fin du mois de juin 2016.
L'aide-soignante s'étant occupée du de cujus évoque « l'incidence des traitements sur son état de conscience et de lucidité », mais n'apporte aucune précision sur les dates d'observation et sur l'ampleur des effets.
Au demeurant, les témoignages produits par Mme [ET] [V], en nombre comparable, aboutissent à des observations diamétralement opposées sur l'état de conscience et les facultés mentales de [LA] [V].
L'analyse de ces témoignages ne permet donc pas de mettre en évidence une éventuelle insanité d'esprit le jour du testament.
Concernant l'intervention et les déclarations du notaire, les précisions apportées par Me [T] sur les circonstances dans lesquelles il a recueilli le testament olographe, extraites de son courrier du 10 janvier 2019, sont les suivantes :
« Lorsque j'ai rencontré Monsieur [V], celui-ci qui m'a paru avoir pleine et entière lucidité, m'a remis un testament olographe qu'il avait d'ores et déjà rédigé et qui était daté de la veille 29 juin 2016, qui instituait sa fille pour sa légataire universelle.
Il m'a confirmé que nonobstant ce testament, il n'entendait pas priver son épouse du droit d'habitation viager sur le logement qu'il occupait ainsi qu'elle-même à titre de résidence principale, ainsi que du droit d'usage viager du mobilier le garnissant ».
Sans qu'une nouvelle audition soit nécessaire, ces constatations effectuées par l'officier public témoignent suffisamment, tant par leur précision que par leur caractère mesuré, d'une absence d'insanité d'esprit du testateur le lendemain de la rédaction du testament et d'une parfaite cohérence de la part du testateur avec les dispositions qu'il a prises la veille.
Quant aux deux témoins sollicités dans la perspective de la signature d'un testament authentique et dont le témoignage est donc du même jour, soit le lendemain de la date du testament, s'il n'est pas contesté qu'ils n'étaient pas des proches de M. [V], leurs déclarations peuvent d'autant plus être relevées qu'ils ne pouvaient s'abstenir, compte tenu de leur intervention, de porter attention aux facultés mentales de ce dernier. Or Mme [C] [YP], étudiante, déclare que M. [V] était conscient et en pleine possession de tous ses moyens intellectuels et M. [O] [J], retraité, précise que le testateur s'exprimait parfaitement bien, était très conscient de ses actes et en pleine possession de toutes ses capacités intellectuelles.
L'appelante prétend en outre que les déclarations de Me [T] sur la remise du testament olographe serait en contradiction avec un courrier officiel du conseil de Mme [ET] [V] daté du 6 février 2017, indiquant que le testament a été « reçu en présence de Me [G] [T], notaire à [Localité 17] et de deux témoins ».
Ce moyen doit être également écarté puisqu'aucun doute n'existe sur le fait que le testament est olographe, et que Me [T], qui a reçu ce dernier des mains du testateur et n'a pas constaté d'irrégularité, s'est expliqué sur le fait qu'il a estimé que la signature d'un testament authentique n'était pas nécessaire. L'inexactitude évidente des assertions du conseil de Mme [ET] [V], qui ne changent d'ailleurs pas le sens de son courrier, n'a donc aucune portée quant au présent litige.
S'agissant enfin des circonstances entourant la rédaction du testament et du rôle qu'aurait tenu Mme [ET] [V] pour mettre en scène la rédaction du testament, Mme [N] [V], s'ur du de cujus, apporte aux termes d'une attestation accompagnée d'une photographie (pièce n° 16 de l'intimée), des éléments probants contraires sur les motifs du testament rédigé en présence de sa s'ur et en l'absence de sa fille.
Les allégations de l'appelante à ce titre ne s'appuient donc sur aucun élément probant sur une supposée incapacité du de cujus à rédiger son testament le 29 juin 2016.
Enfin, il convient de constater, sur un plan formel, au vu de la copie du testament olographe versée aux débats, que ce document ne révèle, ni dans son contenu, ni dans son écriture, aucun signe évocateur d'une abolition ou d'une dégradation des facultés mentales de son auteur.
En conséquence, il résulte de l'analyse ci-dessus détaillée de l'ensemble des éléments du dossier que Mme [K] ne rapporte pas la preuve que [LA] [V] n'était pas sain d'esprit lors de la rédaction et de la signature du testament olographe du 29 juin 2019.
Sur les man'uvres dolosives qu'aurait utilisé Mme [ET] [V] pour contraindre le de cujus à rédiger le testament :
Pour débouter Mme [K] de sa demande en nullité du testament olographe, le tribunal a par ailleurs rejeté le moyen invoqué par cette dernière de l'existence de man'uvres dolosives qu'aurait utilisées Mme [ET] [V] pour contraindre son père de rédiger le testament, en considérant que les pièces produites par Mme [K] ne démontraient aucune man'uvre dolosive de la part de la fille du de cujus.
En appel, Mme [K] demande l'infirmation du jugement en estimant que le tribunal n'a pas fait une analyse approfondie des pièces.
Se fondant sur l'article 1137 du code civil, elle entend démontrer les man'uvres dolosives qu'aurait commises Mme [ET] [V] en affirmant successivement que :
-[LA] [V] n'aurait jamais voulu remettre en cause la donation au dernier vivant qu'il lui a consentie ;
-les attestations de l'expert-comptable de la société de M. et Mme [V], de deux amis et de l'aide-soignante, mentionnant des relations harmonieuses au sein du couple, corroborent le fait que [LA] [V] n'aurait jamais remis en cause la donation entre époux ;
-il existait cependant des tensions avec la fille du de cujus ;
-[ET] [V], avec l'aide de sa famille, a dicté à son père le testament contesté le 29 juin 2016, juste avant le transfert du patient dans l'unité de soins palliatifs du groupe hospitalier des [12] en début juillet 2016, alors que le testateur n'était pas en mesure d'appréhender avec le recul et la conscience nécessaire les conséquences juridiques de l'acte ;
-la preuve de ce mode opératoire est fournie par l'attestation fournie par Mme [N] [V], s'ur de [LA] [V], qui déclare « avoir conseillé à son frère de modifier ses volontés en rédigeant un testament tout en lui conseillant une personne de confiance » ;
-Mme [N] [V] déclare également avoir été présente lors de la rédaction du testament alors même qu'en raison de la prise de médicaments ce même jour, M. [V] ne pouvait être en possession de tous ses moyens ;
-« la mise en scène macabre relative à la rédaction du testament » ne fait qu'entériner cette man'uvre ;
-la communication tardive par l'intimée de l'attestation de Mme [SH], qui n'hésite pas à se définir comme la maîtresse de [LA] [V], confirme les man'uvres et manipulation de la famille de Mme [ET] [V] visant à l'évincer par tous les moyens ;
-sa belle-fille n'acceptait pas qu'elle puisse hériter d'une partie des biens appartenant à son père ;
-cette affirmation est confirmée par l'attitude de [ET] [V], qui après avoir obtenu ce qu'elle voulait et une fois son père décédé, n'a pas hésité à réclamer les biens meubles juste avant l'inhumation, ainsi que le confirment deux attestations de proches versées aux débats ;
-[LA] [V] a donc été influencé pour que la donation entre époux soit révoquée postérieurement par la rédaction d'un testament au profit de sa fille ;
-les attestations tentant de dédouaner Mme [ET] [V] en indiquant qu'elle n'aurait pas été présente lors de la rédaction du testament et qu'elle n'en avait pas connaissance sont en contradiction avec les termes du courriel officiel de son conseil, indiquant que « ma cliente qui a été présente auprès de son père durant de nombreux mois est en mesure de justifier de l'état de conscience de son père et de pleine possession de ses moyens intellectuels lors de l'établissement du testament » ; qu'une telle rédaction laisse implicitement penser qu'elle devait être présente lors de la rédaction du testament ;
-[ET] [V] avait nécessairement connaissance du testament lors des obsèques de son père, puisqu'elle demandait déjà des éléments mobiliers devant lui revenir ;
-en conséquence, la nullité du testament doit être prononcée en conséquence du dol commis.
Mme [ET] [V] répond qu'à aucun moment elle n'a pu connaître l'existence du testament et n'a été à l'origine d'une quelconque man'uvre dolosive, comme l'ont retenu les premiers juges.
Elle déclare qu'elle n'était alors âgée que de 26 ans et restait persuadée que les traitements médicaux pourraient guérir son père.
Elle précise que contrairement aux allégations de l'appelante, Mme [N] [V] n'a pas manipulé son frère mais rappelle par son attestation que ce dernier souhaitait laisser à sa conjointe la jouissance de la maison de [Localité 16], tout en faisant en sorte que sa fille hérite de sa quote-part car celle-ci avait été financée grâce à des fonds personnels provenant de la vente d'un autre bien immobilier.
Elle ajoute que les attestations produites par Mme [K] n'établissent aucune man'uvre dolosive de sa part, que les attestations qu'elle-même verse aux débats révèlent le comportement violent de Mme [K], y compris avec son époux, et que la situation du couple devenant ingérable, son père a souhaité la protéger en modifiant ses dernières volontés.
Elle estime qu'à la suite de la donation entre époux signée en 2015, le testateur n'a souhaité, l'année suivante, que rétablir les droits de sa fille unique dès lors que Mme [K] conservait son droit d'usage et d'habitation viager sur la résidence principale.
Elle considère que l'interprétation du courrier de son conseil, laissant entendre qu'elle aurait été présente lors de la rédaction du testament, est « inique » dès lors que ce dernier indiquait simplement et à juste titre que sa cliente, au chevet de son père durant de nombreux mois, pouvait justifier de ses capacités intellectuelles en juin 2016.
***
Selon l'article 901 du code civil, pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
En l'espèce, l'appelante doit établir les preuves du dol qu'elle allègue.
Le fait que [LA] [V] rédige finalement, après avoir gratifié son conjoint d'une donation à cause de mort, un testament en faveur de sa fille ne caractérise aucunement une man'uvre dolosive, dès lors que le bénéficiaire en est sa fille unique, que la dégradation des relations au sein du couple est établie en dépit d'attestations de personnes qui ne pouvaient avoir connaissance de la situation réelle et que le testateur n'a néanmoins pas souhaité priver son conjoint du droit viager d'usage et d'habitation sur le domicile conjugal.
La rédaction du testament quelques jours avant le transfert du de cujus en unité de soins palliatifs ne révèle pas en soi une man'uvre dolosive de sa fille, mais confirme plutôt la volonté du testateur de disposer lorsqu'il en avait encore les facultés.
L'attestation de Mme [N] [V], qui selon l'appelante constitue l'aveu des man'uvres familiales en usant de la faiblesse du testateur, comporte notamment l'explication selon laquelle, son frère lui ayant confié le souhait que sa fille hérite en cas de vente des biens immobiliers, « je lui ai alors conseillé de se renseigner par lui-même de quelqu'un de compétent et de confiance si cela était nécessaire, de sorte que le 29 juin 2016, alors qu'il était en pleine possession de ses facultés mentales, il a rédigé en ma présence un testament manuscrit afin de repréciser quelles étaient ses dernières volontés ».
Il ne peut être déduit de ces propos, comme le laisse entendre l'appelante, que la personne de confiance serait l'un des membres de la famille du de cujus, dans le souci de l'influencer dans ses dernières volontés. Il est en revanche établi que Me [T], notaire, est intervenu dans cette période afin de le conseiller, donnant ainsi cohérence aux explications fournies par Mme [N] [V].
Il a par ailleurs été précédemment répondu sur l'absence de preuve d'insanité d'esprit du testateur lors de la présence de sa s'ur et sur l'absence de preuve d'une man'uvre dolosive par le seul fait d'une photographie de ce dernier.
Concernant les deux attestations prouvant, selon Mme [K], que Mme [ET] [V] aurait eu connaissance du testament dès sa signature, celle de M. [P] (pièce n° 9) ne peut être retenue puisque les faits constatés sont très postérieurs tant au testament qu'au décès du de cujus, le témoin indiquant avoir dû « porter en urgence début décembre 2016 devant l'insistance des SMS envoyés par [ET] [V] ce trousseau (de clés) ».
S'agissant de l'attestation de M. [M] (pièce n° 16), ce dernier énonce que « lors des obsèques de M. [LA] [V], [YS] [K] [V] m'a montré un SMS sur son téléphone mobile qu'elle avait reçu quelques heures après l'inhumation, de [ET] [V] lui demandant déjà de récupérer la succession ». Or ces dires, d'une part, manquent de cohérence quant au moment exact de la constatation du message, d'autre part, n'établissent pas que Mme [ET] [V] avait alors connaissance du testament, étant en tout état de cause héritière réservataire de son père.
Enfin, le fait que le conseil de Mme [ET] [V] ait indiqué que sa cliente a été présente auprès de son père durant de nombreux mois et qu'elle soit en mesure de justifier de l'état de conscience de son père et de la pleine possession de ses moyens intellectuels lors de l'établissement du testament ne peut être interprété comme signifiant que celle-ci était nécessairement présente au moment de la rédaction de l'acte, mais bien plutôt qu'elle est restée proche de son père tout au long de son hospitalisation.
En conséquence, il résulte de l'analyse ci-dessus détaillée de l'ensemble des éléments du dossier que Mme [K] ne rapporte pas la preuve que des man'uvres dolosives aient vicié le consentement de [LA] [V] pour obtenir la rédaction du testament olographe du 29 juin 2019.
Mme [K] sera donc déboutée de sa demande sur ses deux moyens et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
Madame [YS] [K], qui échoue en ses prétentions, se voit déboutée de ses demandes et supportera en conséquence la charge des dépens du présent appel ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.
Supportant la charge des dépens d'appel, l'appelante sera déboutée de sa demande de condamnation de l'intimée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros sur ce même fondement.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, dans les limites de l'appel, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 13 décembre 2021 en son chef dévolu à la cour ;
Condamne Mme [YS] [K] à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [YS] [K] aux dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,