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18/06/2024 | FRANCE | N°23/10712

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 18 juin 2024, 23/10712


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 18 JUIN 2024



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10712 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHZXC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 septembre 2022 rendu par le Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/02831





APPELANT



Monsieur [Z] [Y] né le 29 juillet 1962 à [Locali

té 6] (Maroc),



[Adresse 2]

[Localité 4]



représenté par Me Elvire GRAVIER de la SCP ABG Elvire GRAVIER-Claude GRAVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0269





INTIME ...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 18 JUIN 2024

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/10712 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHZXC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 septembre 2022 rendu par le Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 20/02831

APPELANT

Monsieur [Z] [Y] né le 29 juillet 1962 à [Localité 6] (Maroc),

[Adresse 2]

[Localité 4]

représenté par Me Elvire GRAVIER de la SCP ABG Elvire GRAVIER-Claude GRAVIER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0269

INTIME

LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté à l'audience par Madame Martine TRAPERO, avocat général

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 mai 2024, en audience publique, l' avocat de l'appelant et le ministère public ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Mme Marie LAMBLING, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière, présente lors de la mise à disposition.

M. [Z] [Y] et Mme [S] [V] se sont mariés le 23 avril 2001.

Le 25 mars 2003, M. [Z] [Y], né le 29 juillet 1962 à [Localité 6] (Maroc), a souscrit une déclaration de nationalité française devant le juge d'instance de Tours (Indre-et-Loire), sous le numéro de dossier 2003DX18024, sur le fondement de l'article 21-2 du code civil à raison de son mariage avec Mme [S] [V], laquelle a été enregistrée le 30 mars 2004 sous le numéro 09909/2004.

Le divorce des époux a été prononcé par jugement du 13 septembre 2004 du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Tours.

Par exploit d'huissier du 21 janvier 2020, le procureur de la République près le tribunal judicaire de Paris a fait assigner M. [Z] [Y] devant ce tribunal aux fins de voir annuler l'enregistrement la déclaration de nationalité française souscrite et de dire qu'il n'est pas de nationalité française.

Par jugement contradictoire du 16 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile, annulé l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 25 mars 2003 (dossier n°2003DX18024), sur le fondement de l'article 21-2 du code civil par M. [Z] [Y], né le 29 juillet 1962 à [Localité 6] (Maroc), devant le juge d'instance de Tours (Indre-et-Loire) et enregistrée sous le numéro 09909/2004 par le ministre chargé des naturalisations, jugé que M. [Z] [Y], né le 29 juillet 1962 à [Localité 6] (Maroc), n'est pas de nationalité française, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamné M. [Y] aux dépens, rejeté toute autre demande.

Le 16 juin 2023, M. [Z] [Y] a interjeté appel de cette décision.

Par dernières conclusions notifiées le 25 mars 2024, M. [Z] [Y] demande à la cour, à titre principal, de déclarer prescrite l'action du ministère public, à titre subsidiaire, d'infirmer le jugement de première instance dans toutes les dispositions, de dire que l'enregistrement de la déclaration de nationalité française souscrite le 25 mars 2003 est valable, dire que M. [Z] [Y] est de nationalité française et en tout état de cause, condamner l'Etat à payer à M. [Z] [Y] une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 13 mars 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement de première instance en tout son dispositif, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner M. [Z] [Y] aux dépens.

La clôture a été prononcée le 25 avril 2024.

MOTIFS

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1040 du code de procédure civile dans sa version applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 15 décembre 2023 par le ministère de la Justice.

Sur la recevabilité de l'action du ministère public

Moyens des parties

M. [Z] [Y] soulève la prescription de l'action du ministère public en soutenant qu'elle a été engagée près de 17 ans après la déclaration de nationalité française et plus de 15 ans après le jugement de divorce et que le courrier adressé au ministère public par le ministère de la Justice doit être considéré comme tardif compte tenu du nombre d'années écoulées et ce d'autant que dès le 4 janvier 2018 le ministère de l'intérieur considérait qu'il avait acquis la nationalité française « de manière présumée frauduleuse » puisqu'il avait refusé l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite par sa nouvelle épouse.

Le ministère public fait valoir que la prescription soulevée est une prétention nouvelle de M. [Z] [Y] et à ce titre irrecevable.

Sur le fond, il soutient que le délai biennal de prescription court à compter de la découverte de la fraude par le ministère public territorialement compétent et qu'en l'espèce, c'est par un bordereau du 9 janvier 2020 qu'il a été informé par le bureau de la nationalité de la fraude alléguée.

Réponse de la cour

Aux termes des articles 122 et 123 du code de procédure civile, la prescription constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause à moins qu'il n'en soit disposé autrement.

Si M. [Z] [Y] n'a pas soulevé la prescription en première instance, il peut néanmoins en cause d'appel faire valoir ce moyen.

L'article 26-4 alinéa 3 prévoit que l'enregistrement peut être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte.

Seul le ministère public territorialement compétent pouvant agir en annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité pour fraude, c'est à compter de la date à laquelle celui-ci l'a découvert que court le délai biennal d'exercice de l'action. (Civ 1ère, 26 septembre 2012, n°10-28032).

Le ministère public justifie que le procureur de la République, près le tribunal judiciaire de Paris, seul compétent pour assigner M. [Z] [Y] compte tenu de son domicile, a eu connaissance de la fraude alléguée par un bordereau qui lui a été adressé le 9 janvier 2020 par le bureau de la nationalité. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris ayant assigné M. [Z] [Y] le 21 janvier 2020, a agi dans le délai de deux ans de la découverte par lui du mensonge ou de la fraude alléguée. Dans ces conditions, ni le courrier du ministère intérieur du 4 janvier 2018 adressée à sa nouvelle épouse invoquant son acquisition de nationalité « de manière présumée frauduleuse » ni le nombre d'années écoulées depuis l'enregistrement de la déclaration de nationalité ne peuvent faire obstacle à la recevabilité de l'action.

Sur le fond

L'article 21-2 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce dispose que : « L'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai d'un an à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité. »

L'article 26-4 du code civil prévoit que l'enregistrement de la déclaration peut être contestée par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte et que la cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.

La présomption résultant de la cessation de la communauté de vie prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 26-4 ne saurait s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration. Dans les instances engagées postérieurement, il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoquée. Sous cette réserve, l'article 26-4, dans sa rédaction issue de la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, est conforme à la Constitution (Cons. const. 30 mars 2012, no 2012-227 QPC).

En l'espèce, l'enregistrement de la déclaration de nationalité est intervenu le 30 mars 2004 et l'action du ministère public a été introduite le 20 janvier 2020, de sorte que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que la présomption résultant de la cessation de la communauté de vie prévue par la seconde phrase du troisième aliéna de l'article 26-4 du code civil ne s'applique pas et qu'il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoquée. A cette fin, il doit établir qu'à la date de la déclaration de nationalité le 25 mars 2003, M. [Z] [Y] et Mme [S] [V] ne partageaient plus de vie commune affective et matérielle.

Il résulte du jugement de divorce rendu le 13 septembre 2004 par le tribunal de grande instance de Tours, que Mme [S] [V], autorisée par ordonnance de non conciliation du 30 janvier 2004, a assigné son époux en divorce pour faute sur le fondement de l'article 242 du code civil. Elle reprochait à son époux d'avoir abandonné le domicile conjugal. Le tribunal en s'appuyant sur deux attestations mentionnant « l'absence totale de M. [Z] [Y] au cours de l'année 2003 » a retenu que l'abandon du domicile conjugal constituait une faute justifiant le prononcé du divorce.

Mais, contrairement à ce que soutient le ministère public, cette motivation, très brève et imprécise quant à la date de l'absence de M. [Z] [Y] du domicile conjugal, ne peut suffire à établir qu'au 25 mars 2003, il n'existait plus de vie commune matérielle et affective entre M. [Z] [Y] et son épouse. Le ministère public, sur qui repose la charge de la preuve, ne produit aucune attestation permettant de dater la fin de la communauté de vie matérielle et affective, pas plus qu'il ne verse la requête en divorce déposée par Mme [S] [V] qui aurait été un indice de la fin de la communauté affective des époux.

Au contraire, M. [Z] [Y] produit de nombreux courriers et documents administratifs adressés aux deux époux ou à lui seul à l'adresse du domicile conjugal tels qu'un avis d'impôt sur les revenus pour l'année 2023, établi le 16 juillet 2004, ses différentes convocations adressées par les services de police le 8 octobre 2003 ou par le tribunal d'instance de Tours le 30 avril 2004 dans le cadre de l'étude de sa demande de nationalité française, ainsi que ses relevés de point retraite datés des 13 août 2003 et 25 juillet 2004. Il verse également des certificats de cession d'un véhicule aux termes duquel il a acquis et vendu un véhicule les 1er août 2003 et 31 janvier 2004 mentionnant qu'il est domicilié à [Localité 5] au domicile conjugal.

En conséquence, le ministère public échoue à démontrer qu'au 25 mars 2003, jour de la souscription de la déclaration de nationalité française, la communauté de vie tant affective que matérielle entre M. [Z] [Y] et Mme [S] [V] avait cessé. Il est débouté de sa demande. Le jugement est infirmé.

Le ministère public, succombant à l'instance, le Trésor public est condamné aux dépens.

En équité, le Trésor public est condamné à verser à M. [Z] [Y] une somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Constate l'accomplissement de la formalité prévue à l'article 1043 du code de procédure civile,

Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription,

Dit que l'action du ministère public est recevable,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Déboute le ministère public de sa demande d'annulation de la déclaration de nationalité française souscrite par M. [Z] [Y],

Ordonne la mention prévue à l'article 28 du code civil,

Condamne le Trésor public à verser à M. [Z] [Y] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Laisse les dépens à la charge du Trésor public.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 23/10712
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;23.10712 ?
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