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17/06/2024 | FRANCE | N°23/09890

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 17 juin 2024, 23/09890


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 17 Juin 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/09890 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXFN



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 12 Juin 2023 par M. [R] [U] né ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 17 Juin 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/09890 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHXFN

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 12 Juin 2023 par M. [R] [U] né le [Date naissance 1] 2002 à [Localité 5], demeurant [Adresse 2] ;

Non comparant et représenté par Me Claude VINCENT, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Mohammed JAITE, avocat au barreau de Paris ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me [D] [J] représentant M. [R] [U],

Entendu Me Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [R] [U], né le [Date naissance 1] 2002, de nationalité française, a été déféré devant le procureur de la République puis traduit selon la procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs de vol avec violence aggravé et violences volontaires aggravées par deux circonstances. Cette juridiction a ordonné le renvoi de l'affaire à une audience ultérieure et a placé le requérant en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 4] le 17 septembre 2021.

Le 07 octobre 2021, cette même juridiction a remis en liberté M. [U] et l'a placé sous contrôle judiciaire.

La 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a, par jugement du 12 décembre 2022, renvoyé M. [U] des fins de la poursuite. Cette décision est désormais définitive, comme en atteste le certificat de non appel du 28 avril 2023.

Les 12 et 21 juin 2023, M. [U] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivants :

* 3 900 euros au titre de son préjudice moral,

*4 500 euros en réparation de son préjudice matériel,

* 720 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, notifiées par RPVA et déposées le 26 septembre 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

- Réduire à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder la somme de 3 500 euros l'indemnité au titre de son préjudice moral ;

- Rejeter la demande de M. [U] au titre de son préjudice matériel lié à la perte de chance de suivre une formation et obtenir un diplôme ;

- Rejeter la demande de M. [U] au titre de son préjudice matériel lié à ses frais de défense dans le cadre exclusif de la détention provisoire ;

- Réduire à de plus justes proportions l'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 26 mars 2024, conclut à titre principal à l'irrecevabilité de la requête faute pour celle-ci d'avoir été signée par le requérant ou son mandataire et à titre subsidiaire à la recevabilité de la requête pour une durée de 25 jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et au rejet de la réparation du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [U] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation les 12 et 21 juin 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 28 avril 2023 ; la requête du 21 juin 2023 est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

La demande de M. [U] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable d'une durée de 25 jours.

Sur l'indemnisation

-Le préjudice moral

M. [U] indique avoir subi un choc carcéral important car n'avait jamais comparu auparavant devant la moindre juridiction répressive, il a eu du mal à supporter l'éloignement de sa famille avec laquelle il vivait au moment de son incarcération et surtout de l'éloignement de son frère jumeau avec lequel il n'avait jamais été éloigné durant une aussi longue période. Il estime que son lieu de détention, le centre pénitentiaire de [Localité 4] constitue un facteur d'aggravation du choc carcéral en raison des mauvaises conditions d'hygiène et de confort, qui ont été relevées par un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2010 qui fait état de cellules vétustes ou l'intimité n'est nullement protégée, ou en hiver les températures chute fortement, et l'eau chaude n'arrive pas, les personne détenues vivent dans des conditions inacceptables, les règles de fonctionnement de la maison d'arrêt sont très strictes et les douches sont en très mauvais état. Il convient de prendre toutes les mesures pour destinées à faire cesser les atteintes à la dignité des détenus de la maison d'arrêt de [Localité 4] afin d'augmenter la superficie des cours de promenades, de les rénover et d'aménager leur sol afin de le nettoyer et de faire cesser la prolifération des rongeurs. Il considère en outre qu'il faut tenir compte de son jeune âge puisqu'il n'avait que 19 ans au jour de son incarcération, ainsi qu'il y a eu une atteinte à sa présomption d'innocence. C'est pourquoi il sollicite une somme de 3 900 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat rappelle que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant l'absence de condamnation et d'incarcération précédente de M. [U], ainsi que son jeune âge. Il estime que force est de constater que le rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté cité par le requérant date de 2010, soit 11 ans avant la date du placement en détention provisoire de celui-ci. L'agent judiciaire de l'Etat ajoute que M. [U] ne démontre pas avoir personnellement souffert de conditions particulièrement difficiles. Enfin, l'atteinte à la présomption d'innocence invoquée par le requérant n'est pas un préjudice indemnisable sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale, dès lors qu'il n'est pas lié au placement en détention provisoire. Par contre, l'éloignement familial pourra être retenu comme facteur d'aggravation, mais pas vis-à-vis de son frère jumeau qui a, lui aussi, été incarcéré. C'est pourquoi l'AJE propose l'allocation d'une somme de 3 500 euros en réparation du préjudice moral de M. [U].

Le ministère public indique que le jeune âge du requérant, son éloignement familial, et son absence de condamnations figurant au bulletin numéro un de son casier judiciaire peuvent être retenus au titre d'un choc carcéral plein et entier. S'agissant des conditions de détention difficiles, il convient de considérer que le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté faisant état des conditions de détention déplorables à la maison d'arrêt de [Localité 4] n'est pas contemporain de la période de détention de M. [U], mais antérieur de plus de 10 ans. Ce rapport ne sera donc pas retenu au titre de l'aggravation du choc carcéral. De même, l'atteinte invoquée à la présomption d'innocence ne peut être prise en compte au titre de l'aggravation du préjudice moral, dès lors qu'elle a trait au fond de l'affaire et non pas à la détention provisoire elle-même.

A la date de son incarcération, M. [U] était âgé de 19 ans seulement et vivait chez ses parents à [Localité 5], ville distante de plus de trois heures de route de la maison d'arrêt où il a été incarcéré. Le bulletin numéro un de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation ni incarcération. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été important.

Par contre, il ne peut pas être tenu compte du fait qu'il a été séparé de son frère jumeau durant sa détention provisoire, dès lors que ce dernier était également incarcéré dans le cadre de la même affaire, ce qui a trait au fond du dossier et non au placement en détention provisoire.

S'agissant des conditions de détention difficiles de M. [U] à la maison d'arrêt de [Localité 4], il y a lieu de noter que le rapport établi par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et qui fait état de conditions de détentions indignes a été rendu à une date qui ne correspond pas à celle du placement en détention provisoire du requérant, mais plus de 10 ans auparavant. Ce rapport ne peut donc être retenu au titre de l'aggravation de son choc carcéral.

Il ne peut pas non plus être tenu compte de l'atteinte à la présomption d'innocence invoquée par M. [U] qui considère que l'enquête a été menée à charge. En effet, ces éléments ont trait au fond de l'affaire et non pas au placement en détention provisoire du requérant.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, pour une durée de détention de 25 jours le préjudice moral de M. [U] sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 3 900 euros.

- Le préjudice matériel

Sur la perte de chance réelle et sérieuse de continuer sa formation scolaire

Le requérant affirme qu'il venait de redoubler sa deuxième année de BTS en négociation client et qu'il s'était donné les moyens de valider son année de BTS. Son incarcération ne lui a pas permis de valider son année scolaire et de pouvoir continuer dans cette voie afin d'obtenir son diplôme. Il sollicite donc 2 000 euros à ce titre.

Pour l'agent judiciaire de l'Etat, le requérant ne justifie pas qu'il s'était effectivement réinscrit en deuxième année de BTS ni que, dans l'affirmative, l'échec de cette deuxième année serait imputable à son placement en détention provisoire. Cette demande n'est pas documentée et ne peut donc prospérer.

Le Ministère Public conclut également au rejet de la demande dans la mesure où, même si le requérant produit bien une attestation de scolarité pour l'année 2021, il apparaît qu'il n'a été incarcéré que 25 jours et pouvait donc parfaitement poursuivre sa scolarité sans difficulté. Il y a donc lieu de rejeter sa demande qui n'est pas justifiée.

Il apparaît que M. [U] produit aux débats une attestation de scolarité de l'établissement au sein duquel il étudiait, pour la période du 1er septembre 2017 au 30 juin 2022. Sa scolarité en deuxième année de BTS négociation client a débuté le 1er septembre 2021 et M. [U] a été placé en détention provisoire du 17 septembre au 12 octobre 2021. C'est ainsi que le requérant n'a manqué que 25 jours de cours et pouvait donc poursuivre parfaitement sa scolarité, sans que cela ne lui cause de préjudice pour ses études. La production des bulletins de notes pour les 1er et 2e semestres de l'année démontre que les notes étaient quasiment toutes inférieures à la moyenne tout au long de l'année. Il n'est pas démontré l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre son échec d'une année qu'il redoublait déjà et son placement en détention provisoire pour une durée réduite. La demande en ce sens sera donc rejetée.

Sur les frais d'avocat

Le requérant demande à être remboursé des frais de défense exposés à hauteur de 2 500 euros correspondant l'audience de demande de mise en liberté, les audiences relais et au fond et l'audience de modification de son contrôle judiciaire.

L'agent judiciaire de l'Etat et le Ministère Public concluent au rejet de la demande dans la mesure où le requérant ne produit aucune note d'honoraire ni de facture acquittée pour justifier de ses prétentions.

Selon la jurisprudence de la [3] ([3]), seules peuvent être prises en considération les factures d'honoraires permettant de détailler et d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté, dès lors qu'il n'appartient pas au juge de l'indemnisation de la détention de procéder lui-même à cette individualisation.

En l'espèce, M. [U] ne produit aux débats aucune facture acquittée de la part de son avocate ni aucune note d'honoraires et il n'appartient pas au premier président ou à son juge délégué d'apprécier le coût de chacun des actes qui a été effectué, en l'absence de justificatifs. La demande sera donc rejetée.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [U] ses frais irrépétibles et une somme de 720 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déclarons la requête de M. [R] [U] recevable ;

Allouons à M. [R] [U] les sommes suivantes :

- 3 900 euros en réparation de son préjudice moral,

- 720 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [R] [U] du surplus de ses demandes,

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/09890
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;23.09890 ?
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