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17/06/2024 | FRANCE | N°23/09620

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 17 juin 2024, 23/09620


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 17 Juin 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/09620 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWQN



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 26 Mai 2023 par M. [T] [L] né...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 17 Juin 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/09620 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHWQN

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 26 Mai 2023 par M. [T] [L] né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 4] (BANGLADESH), élisant domicile chez Me Joseph HAZAN - [Adresse 2] ;

Non comparant et représenté par Me Joseph HAZAN, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Elise DELAHAYE, avocat au barreau de PARIS ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me Elise DELAHAYE représentant M. [T] [L],

Entendu Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [T] [L], né le [Date naissance 1] 1979, de nationalité Bangladaise, a été mis en examen du chef de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 5] le 25 mars 2015 et ce, jusqu'au 15 juillet 2015, date à laquelle il a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Par arrêt du 18 novembre 2022, la cour d'assises de Paris a acquitté le requérant au motif qu'il se trouvait en état de légitime défense au moment des faits en application de dispositions de l'article 122-5 du code pénal. M. [L] a produit un certificat de non appel de la décision de première instance en date du 23 mai 2023 qui a un caractère définitif à son égard.

Le 26 mai 2023, M. [L] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci qu'il a soutenu oralement lors de l'audience de plaidoiries du 06 mai 2024 :

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 23 000 euros au titre de son préjudice moral

* 880 euros au titre de son préjudice matériel,

* 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 20 juillet 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

- Rejeter la demande d'indemnisation du préjudice matériel ;

- Allouer à M. [L] la somme de 11 000 euros en réparation du préjudice moral

- Rejeter le surplus des demandes ;

- Réduire à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder la somme de 1 000 euros le montant de l'indemnité octroyée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 14 mars 2024, conclut à :

- La recevabilité de la requête pour une détention de cent-douze jours,

- La réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées,

- Au rejet de la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [L] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 26 mai 2023, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision d'acquittement de la cour d'assises de Paris est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non appel en date du 23 mai 2023.

La requête de M. [L] est donc recevable pour une durée indemnisable de 112 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [L] considère qu'il a subi un choc carcéral important car il a été injustement privé de liberté, qu'il n'a aucun antécédent figurant sur son casier judiciaire et qu'il n'avait jamais été incarcéré auparavant. Il estime avoir subi des conditions de détention particulièrement difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 5] qui est notoirement connue pour présenter des conditions de détention difficiles et indignes, qui sont d'ailleurs attestées par deux rapports des mois de janvier 2010 et novembre 2018 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui font état de bâtiments vétustes et dans un état très délabré plaçant les personnels et les détenus dans des situations difficiles, une hygiène déplorable, un taux d'occupation de 146% et un manque de place et une promiscuité. Ces conditions de détention difficiles sont également attestées par la condamnation de la France par la CEDH pour avoir une surpopulation carcérale structurelle, dans un arrêt du 30 janvier 2020. Encourant un peine de 15 ans de réclusion criminelle, cela a été pour le requérant un facteur important d'angoisse.

Par ailleurs, il a été soumis pendant 7 ans, 4 mois et 3 jours à un contrôle judiciaire contraignant qui a considérablement restreint sa liberté d'aller et venir et qui mérite spécifiquement une indemnisation à hauteur de 6 000 euros. C'est ainsi qu'il sollicite au total une somme de 23 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que le requérant doit démontrer qu'il a personnellement souffert des conditions de détention difficiles dont il se plaint, ce qu'il ne fait pas. Les deux rapports du Contrôleur général qu'il évoque ne sont pas contemporains à la période de détention provisoire subie. Le placement sous contrôle ne constitue pas une détention est n'est pas indemnisable au titre des dispositions de l'article 149 du code de procédure civile. C'est pourquoi, l'AJE propose une somme de 11 000 euros en réparation du préjudice moral du requérant.

Le procureur général partage l'analyse de l'agent judiciaire de l'Etat en considérant que le bulletin numéro 1 du casier judiciaire de M. [L] est vierge, de sorte que son choc carcéral a été plein et entier. Par contre, le deux rapports évoqués du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ne sont pas concomitants à la période de détention subie et ne peuvent constituer une aggravation relative aux conditions de détention. L'angoisse liée à la peine encourue est réelle s'agissant d'une peine criminelle de 15 ans et constitue une circonstance aggravante du choc carcéral. Par contre, les dispositions de l'article 149 du code de procédure civile ne permet une indemnisation qu'en cas de détention provisoire ou de placement sous surveillance électronique, ce qui n'est pas le cas d'un placement sous contrôle judiciaire qui n'est pas indemnisable sur ce fondement-là.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [L] était âgé de 36 ans au moment de son incarcération, célibataire et sans enfant. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation pénale, de sorte que le requérant n'avait jamais ni été condamné ni été incarcéré avant son placement en détention provisoire. Son choc carcéral a donc été important.

La durée de la détention provisoire, 112 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

S'agissant de ses conditions de détention, la surpopulation de la maison d'arrêt de [Localité 5], la vétusté et la saleté des installations et des cellules, ainsi que la promiscuité et le manque de place sont attestés par deux rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui sont de janvier 2010 et de novembre 2018, soit antérieur de 5 ans pour le premier et postérieur de 3 ans pour le second. Aucun des rapports n'étant concomitant à la date de détention de M. [L], ces éléments ne peuvent être retenus au titre de l'aggravation du choc carcéral en raison des conditions de détention.

Selon la jurisprudence de la Commission National de la Réparation des Détentions, l'angoisse liée à l'importance de la peine encourue peut être retenue dès lors qu'elle a aggravée le conditions de détention, ce qui est le cas en l'espèce puisque M. [L] encourrait 15 ans de réclusion criminelle pour des faits de violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente.

Par contre, la longue durée du placement sous contrôle judiciaire et ses obligations contraignantes ne sont pas indemnisables sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale qui est relatif au placement en détention provisoire. Aucune somme ne sera donc allouée à ce titre.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [L] une somme de 13000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

M. [L] indique qu'il travaillait régulièrement depuis plusieurs années en qualité de plongeur pour le même restaurant parisien et qu'il n'a pu percevoir son salaire durant son incarcération. Il était payé sur la base de 80 euros par semaine. C'est ainsi qu'il sollicite la somme de 880 euros en réparation de son préjudice matériel.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public, M. [L] exerçait un emploi stable depuis plusieurs années pour lequel il n'était pas déclaré, étant en situation irrégulière sur le territoire national et la jurisprudence ne permet pas d'indemniser un salarié qui exerce une activité non déclarée et donc illicite. Ils concluent tous les deux au rejet de la demande de réparation d'un préjudice matériel.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [L] travaillait depuis plusieurs années en qualité de plongeur au restaurant '[3]' à [Localité 6] où il était rémunéré 80 euros par semaine. Il avait fait l'objet d'une promesse d'embauche de la part de son employeur le 06 juin 2016, mais sous réserve de la régularisation de sa situation administrative, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

C'est ainsi que le requérant exerçait une activité non déclarée, ce qui constitue d'ailleurs une infraction pénale, et la jurisprudence n'admet pas qu'une activité illicite puisse faire l'objet d'une indemnisation.

C'est ainsi qu'il y a lieu de rejeter la demande de réparation du préjudice matériel présentée par M. [L].

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [L] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Déclarons la requête de M. [T] [L] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 13 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [T] [L] de sa demande au titre de la réparation de son préjudice matériel.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/09620
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;23.09620 ?
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