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17/06/2024 | FRANCE | N°23/08382

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 17 juin 2024, 23/08382


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 17 Juin 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/08382 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSS3



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors de

s débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 16 Mai 2023 par M. [Y] [T]

né le [Date naissance 1] 1982 à [Loca...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 17 Juin 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/08382 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSS3

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Florence GREGORI, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 16 Mai 2023 par M. [Y] [T]

né le [Date naissance 1] 1982 à [Localité 6], demeurant [Adresse 2];

Non comparant et représenté par la SCP ARAKELIAN-MARTINI

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 13 Mai 2024 ;

Entendu la SCP ARAKELIAN-MARTINI représentant M. [Y] [T],

Entendu Me Rosa BARROSO, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [Y] [T], né le [Date naissance 1] 1982, de nationalité française, a été mis en examen par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nanterre des chefs de viol commis par le conjoint et de violences volontaires habituelles sur le conjoint le 18 mai 2018. Le même jour, par ordonnance du juge des libertés et de la détention il a été placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de [Localité 5]. Le 10 août 2018, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de mise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire à son égard.

Le 06 mars 2020, une décision de non-lieu partiel du chef de viol et de renvoi devant le tribunal correctionnel pour les violences habituelles a été prononcée par ce magistrat instructeur.

Par jugement du 18 novembre 2022, la 11e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre a renvoyé M. [T] et cette décision est devenue définitive à l'égard du requérant comme en atteste le certificat de non-appel du 10 juillet 2023.

Le 16 mai 2023, M. [T] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci qu'il a soutenu oralement le 13 mai 2024 :

Dire qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;

Lui allouer une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Lui allouer la somme de 960,04 euros en réparation de son préjudice matériel ;

Lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Laisser les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 30 août 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

Ramener l'indemnité allouée à M. [T] en réparation de son préjudice moral à la somme de 9 500 euros ;

Fixer l'indemnité allouée à M. [T] en réparation de son préjudice matériel à la somme de 960,04 euros ;

Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 26 mars 2024 et soutenues oralement à l'audience de plaidoiries du 13 mai 2024, conclu :

A la recevabilité de la requête pour une détention de 84 jours ;

A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;

A la réparation du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [T] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 16 mai 2023. La décision de relaxe de la 11e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Nanterre a été rendue le 18 novembre 2022. Cette décision est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 10 juillet 2023. M. [T] a ainsi présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure civile.

La demande de M. [T] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 84 jours.

Sur l'indemnisation

Sur l'indemnisation du préjudice moral

M. [T] soutient qu'il a été placé en détention provisoire pour des infractions de nature criminelle pour lesquelles il encourrait une peine de réclusion criminelle particulièrement importante Il considère qu'il doit être pris en considération l'aggravation de son préjudice moral, résultant notamment d'une stigmatisation carcérale en lien avec les faits pour lesquels il était mis en examen. Il évoque également son éloignement familial et de ne pas avoir pu voir sa fille alors âgée d'un an pendant plus de 4 mois car, même remis en liberté son contrôle judiciaire lui a interdit de rencontrer sa fille, alors qu'il avait l'habitude de s'en occuper au quotidien car sa compagne travaillait. Le requérant évoque également le fait qu'il n'avait jamais été condamné ni incarcéré auparavant que son choc carcéral a été particulièrement important Il souligne enfin ses conditions de détention particulièrement indignes au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5], constatées par deux rapports successifs du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, en octobre 2016 et novembre 2019, faisant état d'une importante surpopulation, des locaux sales et vétustes et des mauvaises conditions d'hygiène et de confort. C'est pourquoi, M. [T] sollicite une somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public rappellent que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant l'existence d'une précédente incarcération.

Il convient de rappeler que la réparation provisoire n'a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention. Le requérant ne peut non plus invoquer la lourdeur de la peine encourue comme facteur d'aggravation de son préjudice moral car celle-ci est liée à sa mise en examen et au déroulement de la procédure. En effet, conformément à la jurisprudence de la [4] ([4]) ces éléments ne peuvent être pris en considération dans le cadre d'une indemnisation au titre de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d'injustice qu'a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire. C'est ainsi que l'agent judiciaire de l'Etat propose une somme de 9 500 euros au titre de la réparation du préjudice moral du requérant.

En l'espèce, M. [T], âgé de 36 ans au moment de son incarcération, vivait en couple et était père d'une fille âgée d'un an dont il s'occupait au quotidien et à laquelle il était très attaché, comme le démontre les courriers et les photographies produites aux débats. Il a donc souffert de la séparation avec cette dernière.

Il s'agissait d'une première incarcération pour lui, car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire ne mentionne qu'une condamnation en 2011 pour des faits d'usage illicite de stupéfiants à une peine d'amende. C'est ainsi que le choc carcéral peut être considéré comme important.

M. [T] était mis en examen des chefs de viol et de violences volontaires habituelles sur conjoint pour lesquelles il encourrait une peine de réclusion criminelle. Pour autant, il ne démontre pas en quoi ces éléments ont eu une incidence sur ses conditions de détention.

Il ne peut pas non plus être tenu compte des deux rapports établis par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui, certes, font état de conditions de détention indignes au sein de la maison d'arrêt de [Localité 5], mais ne sont pas contemporains de la période de détention de M. [T]. L'un des rapports est antérieur à son placement en détention d'un an et l'autre est postérieure d'un an également.

C'est ainsi, qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [T] une somme de 10 200 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur l'indemnisation du préjudice matériel

Le requérant soutient avoir bénéficié du revenu de solidarité active (RSA) avant son incarcération et dont le montant mensuel s'élevait à 480,02 euros. Ce montant ne lui a pas été versé pendant deux mois, durant son incarcération et c'est pourquoi il sollicite la somme de 960,04 euros en réparation de son préjudice matériel.

L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général indiquent que le requérant produit les pièces qui sont de nature à justifier le montant du préjudice sollicité et qu'il convient de faire droit à sa demande.

En l'espèce M. [T] produit une attestation de la [3] couvrant la période de janvier à août 2018 démontrant qu'il était bénéficiaire du RSA et que ce revenu ne lui a pas été payé pendant les mois de juillet août 2018, durant son placement en détention provisoire.

C'est ainsi qu'il sera alloué à M. [T] une somme de 960,04 euros en réparation de son préjudice matériel.

Sur les frais irrépétibles 

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant par décision contradictoire,

Déclarons recevable la requête de M. [Y] [T] pour une détention d'une durée de 84 jours ;

Allouons à M. [Y] [T] :

La somme de 10 200 euros en réparation de son préjudice moral ;

La somme de 960,04 euros en réparation de son préjudice matériel ;

La somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/08382
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;23.08382 ?
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