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17/06/2024 | FRANCE | N°23/07362

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 17 juin 2024, 23/07362


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 17 Juin 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/07362 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPY7



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 28 Avril 2023 par M. [O], [Z]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 17 Juin 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/07362 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHPY7

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de Florence GREGORI, Greffière, lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 28 Avril 2023 par M. [O], [Z] [S] né le [Date naissance 2] 1998 à [Localité 3], élisant domicile au cabinet de Me Louise TORT - [Adresse 1] ;

Non comparant et représenté par Me Louise TORT, avocat au barreau de PARIS ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me Louise TORT représentant M. [O], [Z] [S],

Entendu Me Valentin DAGONAT, avocat au barreau de PARIS substituant Me Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Mme Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [O] [S], né le [Date naissance 2] 1998, de nationalité française, a été mis en examen des chefs de tentative de vol, de vol en bande organisée et d'association de malfaiteurs, le 11 octobre 2018, par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Paris. Le même jour, par ordonnance du juge des libertés et de la détention, il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 4]. Le 06 décembre 2018, le magistrat instructeur a rendu une ordonnance de mise en liberté assortie d'un contrôle judiciaire du requérant.

Le 03 juin 2021, le magistrat instructeur ordonnait le renvoi de M. [S] devant le tribunal correctionnel de Paris des chefs précités.

Par jugement du 14 novembre 2022, la 15e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a relaxé M. [S] des chefs poursuivis et cette décision est devenue définitive à l'égard du requérant comme en atteste le certificat de non-appel du 25 avril 2023.

M. [S] a adressé une requête le 28 avril 2023 au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il demande dans celle-ci, soutenue oralement le 06 mai 2024, de :

- Dire qu'il est recevable et bien fondé en sa demande ;

- Lui allouer une somme de 11 200 euros en réparation de son préjudice moral ;

- Lui allouer la somme de 3 227,68 euros en réparation de son préjudice matériel ;

- Lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 18 septembre 2023, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de :

- Ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice matériel qui ne saurait excéder la somme de 2 000 euros ;

- Ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre de préjudice moral qui ne saurait excéder la somme e 7 500 euros ;

- Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 22 mars 2024 et soutenues oralement à l'audience de plaidoiries du 06 mai 2024, conclu :

- A la recevabilité de la requête pour une détention de 56 jours ;

- A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;

- A la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité de la demande

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [S] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 28 avril 2023. La décision de relaxe de la 15e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a été rendue le 14 novembre 2022. Cette décision est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 28 avril 2023. M. [S] a ainsi présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision d'acquittement n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure civile.

La demande de M. [S] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 56 jours.

Sur l'indemnisation

Sur l'indemnisation du préjudice moral

M. [S] soutient que la durée de sa détention provisoire constitue un facteur à prendre en compte dans l'indemnisation du préjudice moral subi à raison d'une détention provisoire injustifiée. La longévité de la peine encourue a été pour lui un important facteur d'angoisse. Il évoque également son éloignement familial et de ne pas avoir pu voir sa famille durant son placement en détention provisoire, et notamment sa grand-mère qui était malade et dont il s'est occupé. Le requérant évoque aussi le fait qu'il n'avait jamais été condamné ni incarcéré auparavant et que son choc carcéral a été particulièrement important. Il souligne aussi que son jeune âge au jour du placement en détention provisoire a été un facteur d'aggravation de son préjudice moral. Enfin, les conditions de détention particulièrement indignes au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4] ont été constatées par un rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, faisant état d'une importante surpopulation de près de 200%, des locaux sales et vétustes et des mauvaises conditions d'hygiène et de confort. C'est pourquoi, M. [S] sollicite une somme de 11 200 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat indique que le choc carcéral ne doit pas être majoré car le bulletin numéro 1 du casier judiciaire du requérant fait état d'aucune peine d'emprisonnement ferme, dans la mesure où cet élément ne constitue qu'un élément d'appréciation de base de ce choc carcéral. Il en est de même du jeune âge de M. [S]. Ce dernier ne produit aucun élément sur les conditions particulièrement difficiles de la détention car le rapport évoqué mais non produit du Contrôleur général des lieux de privation de liberté car ce rapport est relatif à une visite qui n'est pas concomitante à la date du placement en détention de M. [S]. Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d'injustice qu'a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire ni de la lourdeur de la peine encourue. C'est ainsi que l'agent judiciaire de l'Etat propose une somme de 7500 au titre de la réparation du préjudice moral du requérant.

Le Ministère Public rappelle que le préjudice moral ne doit être apprécié qu'au regard de l'âge du requérant, 19 ans en l'espèce, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures, soulignant l'absence d'une précédente incarcération, le casier judiciaire faisant uniquement état d'une condamnation en mars 2022 à une peine d'emprisonnement avec sursis. Le choc carcéral a donc été plein et entier.

Encourant une peine d'emprisonnement correctionnelle et non criminelle, il ne pourra pas être tenu compte de la lourdeur de la peine encourue comme facteur d'aggravation du choc carcéral ni de son sentiment d'injustice. Le fait que le requérant s'occupait de sa grand-mère malade dont l'état de santé s'est aggravé n'est pas démontré dès lors qu'il n'est pas justifié que Mme [I] est bien la grand-mère de M. [S]. Il y a lieu de rejeter le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans la mesure où il n'est pas produit aux débats et qu'il n'est pas contemporain à la date de détention du requérant.

En l'espèce, M. [S], était âgé de 19 ans, célibataire et sans enfant, au jour de son placement en détention provisoire. Il demeurait alors au domicile de ses parents.

Le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire porte trace d'une condamnation en janvier 2017 à une dispense de peine pour usage illicite de stupéfiants et vol aggravé par deux circonstances. C'est ainsi que le choc carcéral peut être considéré comme important.

M. [S] fait état de conditions de détention difficile en citant un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté qui est relatif à une visite de la maison d'arrêt de [Localité 4] du 27 mars 2017, alors que M. [S] a été incarcéré du 11 octobre au 6 décembre 2018. C'est ainsi qu'il ne peut pas être tenu compte de ce rapport, au demeurant non fourni, pour établir une aggravation du choc carcéral du requérant.

De même, il n'est pas justifié que Mme [I] est bien la grand-mère du requérant, alors que le document produit indique que l'état de santé de cette dame a nécessité une hospitalisation au sein du service de médecine interne et que sa famille est souvent venue pour l'accompagner, sans établir de lien de parenté ni de citer le nom de M. [S].

Le sentiment d'injustice face au caractère, selon lui, particulièrement grave des faits reprochés, n'est pas en lien avec la détention provisoire, mais avec le fond de l'affaire et ne peut donc être retenu. L'importance de la peine encourue est également toute relative s'agissant d'une peine correctionnelle et non pas criminelle.

C'est ainsi, qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [S] une somme 8 500 euros en réparation de son préjudice moral.

Sur l'indemnisation du préjudice matériel

Sur la perte de revenus :

Le requérant soutient qu'il exerçait un emploi de serveur dans un établissement de restauration rapide pour lequel il percevait entre 491,31 euros et 717,37 euros par mois et verse aux débats ses différents bulletins de paie. Il explique avoir ainsi perdu deux mois de revenus et sollicite en réparation de son préjudice moral une somme de 1 227,68 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que le requérant ne travaillait plus au jour de son placement en détention provisoire en octobre 2018, dans la mesure où il a quitté l'entreprise dans laquelle il travaillait depuis le 23 septembre 2018. Il n'y a donc aucune perte de revenus durant la période de détention provisoire ni perte de chance réelle et sérieuse de pouvoir travailler pendant le temps de détention. Le requérant a d'ailleurs indiqué durant la procédure pénale être sans emploi. Il y a donc lieu de rejeter la demande.

Le Ministère Public considère que le requérant ne justifie pas d'avoir effectivement perdu des revenus du fait de l'incarcération subie dans la mesure où il ressort de son bulletin de paie du mois de septembre 2018 qu'il s'agit d'un bulletin de sortie avec une date de sortie le 23 septembre 2018. Il convient de rejeter cette demande, ainsi que celle d'une perte de chance de percevoir des revenus.

En l'espèce M. [S] verse aux débats ses bulletins de paie pour les mois d'octobre 2017 à septembre 2018. Il ressort de ces derniers que le requérant a travaillé comme serveur dans un établissement de restauration rapide à compter du mois d'octobre 2017 et ce, jusqu'au 23 septembre 2018, date de sortie de cet établissement, pour un salaire moyen de 604,34 euros. C'est ainsi que M. [S] n'exerçait aucun emploi au jour du son placement en détention provisoire le 11 octobre 2018. Cela est d'ailleurs confirmé par le fait que les bulletins postérieurs à cette date ne sont pas produits, pas plus que des bulletins de paie postérieurement à la remise en liberté du requérant. C'est ainsi qu'il n'a eu aucune perte de revenus.

M. [S] sollicite oralement et subsidiairement une perte de chance de pouvoir percevoir des revenus durant sa détention. Pour être indemnisable, cette perte de chance doit être réelle et sérieuse. Il n'est pas démontré que M. [S] ait travaillé antérieurement au mois d'octobre 2017, ni postérieurement au mois au 23 septembre 2018. Il indiquait d'ailleurs lors de son audition par le magistrat instructeur qu'il ne travaillait pas. Il n'est pas d'avantage justifié que le requérant ait eu un emploi à la suite de sa remise en liberté le 06 décembre 2018.

C'est ainsi qu'il n'est pas démontré que M. [S] ait présenté une chance réelle et sérieuse de pouvoir travailler durant sa période de détention. Sa demande en ce sens sera donc rejetée.

Sur les frais de défense :

Le requérant indique que les honoraires qu'il a réglés à son conseil sont en rapport avec les démarches accomplies par ce dernier pour faire cesser sa détention provisoire se sont élevés à la somme 2 000 euros TTC dont il sollicite aujourd'hui le remboursement.

L'agent judiciaire de l'Etat précise être d'accord sur ce montant qui résulte de la facture d'honoraire du 26 novembre 2018 et propose d'indemniser le requérant à hauteur de 2 000 euros.

Le Ministère Public indique qu'il convient de tenir compte de la facture produite aux débats, à l'exception des deux visites en détention qui ne paraissent pas être en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire et qui doivent donc être exclues du montant des honoraires de son conseil indemnisables.

En l'espèce, il est produit aux débats une note d'honoraires détaillées des diligences effectuées par le conseil du requérant en lien avec le contentieux de la détention en date du 26 novembre 2018 d'un montant de 2 000 euros TTC. Ces diligences consistent en une visite en détention le 02 novembre 2018, une demande de mise en liberté du 12 novembre 2018 : rédaction de la demande et dépôt, et la visite en détention du 23 novembre 2023.

Ces différentes diligences sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention et une somme de 2 000 euros sera ainsi allouée à M. [S] en réparation de son préjudice matériel lié aux frais de défense.

Sur les frais irrépétibles :

Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu'il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS,

Statuant par décision contradictoire,

Déclarons recevable la requête de M. [O] [S] pour une détention d'une durée de 56 jours ;

Allouons à M. [O] [S] :

La somme de 8 500 euros en réparation de son préjudice moral ;

La somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice matériel ;

La somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejetons le surplus des demandes de M. [O] [S] ;

Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l'agent judiciaire de l'Etat.

Décision rendue le 17 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/07362
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;23.07362 ?
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