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13/06/2024 | FRANCE | N°22/07779

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 13 juin 2024, 22/07779


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 13 JUIN 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07779 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKKL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 21/03954





APPELANTE



S.E.L.A.R.L. [I] - YANG-TING prise en la personne d

e Me [Z] [I] ès qualités de liquidateur de la société M&C TRAVEL FOOD

[Adresse 2]

[Localité 5]



Représentée par Me Sandrine ZARKA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0260

...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 13 JUIN 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07779 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKKL

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 21/03954

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. [I] - YANG-TING prise en la personne de Me [Z] [I] ès qualités de liquidateur de la société M&C TRAVEL FOOD

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Sandrine ZARKA, avocat au barreau de PARIS, toque : E0260

INTIMÉS

Monsieur [K] [S]

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représenté par Me Laurence IMBERT, avocat au barreau de MELUN

Association UNÉDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Sabine SAINT SANS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0426

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Avril 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, Présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Nathalie FRENOY, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [K] [S] et la société M Family ont créé le 30 mars 2016 la société M&C Travel Food - ayant pour activité l'exploitation des droits et licences de marque et concepts, achat et vente de produits alimentaires, plats cuisinés notamment-, Monsieur [S] détenant 666 parts de cette société et la société M Family 9 334 parts.

Le 7 décembre 2016, la société M&C Travel Food et Monsieur [S] ont conclu un contrat de travail, ce dernier exerçant les fonctions de directeur commercial.

Lors de l'assemblée générale extraordinaire du 23 janvier 2017, Monsieur [S] a été désigné président de la société M&C Travel Food.

Par jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 22 janvier 2020, la société a fait l'objet d'une liquidation judiciaire, la juridiction désignant la SELARL [I] - Yang-Ting, en la personne de Maître [Z] [I], ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur ; la date de cessation des paiements a été fixée au 12 novembre 2018.

Par courrier en date du 23 janvier 2020, le liquidateur judiciaire a convoqué Monsieur [S] à un entretien préalable et lui a notifié son licenciement pour motif économique, par courrier du 5 février 2020.

Par courrier du 4 mars 2020, Maître [I] lui apprenait que l'AGS avait refusé de lui reconnaître la qualité de salarié.

Invoquant son contrat de travail et réclamant diverses sommes, Monsieur [S] a saisi le 17 mai 2021 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 24 juin 2022, lui reconnaissant la qualité de salarié, a:

- fixé sa créance au passif de la société M&C Travel Food dont Maître [I] est mandataire liquidateur, en présence de l'AGS CGEA IDF Ouest, aux sommes suivantes :

- 13 800 € au titre des salaires impayés entre le mois d'août 2019 et le mois de janvier 2020 avec intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2020, date du refus de l' AGS de lui retenir la qualité de salarié,

- 1 380 € au titre des congés payés afférents,

- 2 300 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 230 € au titre des congés payés afférents,

- 1 773 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- ordonné à Maître [Z] [I] ès qualités de mandataire liquidateur de la société M&C Travel Food de remettre à Monsieur [S] les documents sociaux conformes au jugement,

- déclaré les créances opposables à l'AGS CGEA IDF Ouest dans les limites des articles L.3253-6 et suivants du code du travail,

- dit que les dépens seront inscrits au titre des créances privilégiées conformément à l'article L.622-17 du code du commerce,

- débouté Monsieur [S] du surplus de ses demandes,

- débouté l'AGS CGEA IDF Ouest et Maître [I] ès qualités de liquidateur de la société M&C Travel Food de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis la totalité des dépens au passif de la société M&C Travel Food.

Par déclaration du 23 août 2022, la SELARL [I] ' Yang-Ting en la personne de Maître [Z] [I], mandataire judiciaire liquidateur de la société M&C Travel Food, a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 22 novembre 2022, la SELARL [I] ' Yang-Ting, mandataire judiciaire liquidateur de la société M&C Travel Food, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 24 juin 2022, en ce qu'il a :

- reconnu à Monsieur [K] [S] la qualité de salarié,

- fixé la créance de Monsieur [K] [S] au passif de la société M&C Travel Food aux sommes suivantes :

- 13 800 € au titre des salaires impayés entre le mois d'août 2019 et le mois de janvier 2020

avec intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2020 date du refus de l'AGS de retenir la qualité de salarié de Monsieur [S]

- 1 380 € au titre des congés payés afférents

- 2 300 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 230 € au titre des congés payés afférents

- 1 773 € à titre d'indemnité légale de licenciement

- ordonné à Maître [Z] [I] ès qualités de mandataire liquidateur de la société M&C Travel Food, de remettre à Monsieur [K] [S] les documents sociaux conformes au jugement,

- dit que les dépens seront inscrits au titre des créances privilégiées conformément à l'article L. 622-17 du code de commerce,

- débouté Maître [I] ès qualités de mandataire liquidateur de la société M&C Travel Food de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis la totalité des dépens au passif de la société M&C Travel Food représentée par la SELARL [I]-Yang-Ting, en la personne de Maître [I] ès qualités de mandataire liquidateur, ainsi que les éventuels frais d'huissier en cas d'exécution forcée par voie extra judiciaire,

statuant à nouveau :

- débouter Monsieur [K] [S] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner Monsieur [K] [S] à verser à la SELARL [I] ' Yang-Ting ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société M&C Travel Food, la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- le condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2023, l'AGS ' CGEA Ile-de-France Ouest demande à la cour de :

à titre principal,

- juger qu'aucun lien de subordination n'est démontré,

- juger par conséquent qu'aucun contrat de travail n'a existé entre Monsieur [S] et la société M&C Travel Food,

- débouter par suite Monsieur [S] de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire

- juger que Monsieur [S] ne prouve et ne justifie aucune de ses prétentions,

- débouter Monsieur [S] de sa demande de rappels de salaire,

sur la garantie de l'AGS

- juger que s'il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale,

- juger que s'il y a lieu à fixation, conformément aux dispositions de l'article L.3253-20 du code du travail, la garantie de l'AGS n'est due qu'à défaut de fonds disponibles permettant le règlement des créances par l'employeur,

- juger qu'en tout état de cause la garantie de l'AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis aux articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail,

- juger qu'en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l'article L.3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution ou pour cause de rupture du contrat de travail au sens dudit article L. 3253-8 du code du travail, l'article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclu de la garantie,

- statuer ce que de droit quant aux frais d'instance sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS,

en tout état de cause :

- condamner Monsieur [S] à verser à l'AGS CGEA IDF Ouest la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 17 janvier 2023, Monsieur [S] demande à la cour de :

- confirmer les dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 24 juin 2022 en ce qu'il lui a reconnu la qualité de salarié,

- confirmer les dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'elles ont fixé sa créance au passif de la société M&C Travel Food dont Maître [I] est mandataire liquidateur et en présence de l'AGS CGEA IDF Ouest aux sommes suivantes :

- 13 800 euros bruts au titre des salaires impayés pour la période du mois d'août 2019 au mois de janvier 2020 avec intérêts au taux légal sur lesdites sommes à compter du 4 mars 2020

- 380 euros bruts au titre des congés payés afférents

- 2 300 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 230 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- infirmer partiellement les dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'elles ont fixé l'indemnité légale de licenciement à la somme de 1 773 euros,

- allouer au titre de l'indemnité légale de licenciement à Monsieur [S] la somme de

1 820 euros bruts, somme qu'il conviendra de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la société M&C Travel Food,

- juger que la position des AGS ainsi que du liquidateur de la société M&C Travel Food a causé un préjudice financier à Monsieur [S] qui sera convenablement indemnisé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- fixer en conséquence la créance de Monsieur [S] [K] au passif de la société M&C Travel Food au titre des dommages et intérêts pour résistance abusive à la somme de 10 000 euros,

- confirmer pour le surplus l'ensemble des dispositions du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris,

- débouter la SELARL [I] - Yang-Ting de sa demande tendant à voir condamner le concluant à lui régler la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 février 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 25 avril 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la qualité de salarié:

Le mandataire liquidateur de la société M&C Travel Food soutient que Monsieur [S] n'a pas la qualité de salarié, en dépit de la conclusion d'un contrat de travail peu de jours avant sa nomination en qualité de président de ladite société, dès lors qu'il ne justifie pas d'un travail effectif dans le cadre d'un lien de subordination. Il précise à cet égard que les décisions d'associés prises en assemblée générale ne sont pas génératrices d'un tel lien, que les bulletins de paie versés aux débats ne sont constitutifs que d'une présomption de salariat, que contrairement à ce que les premiers juges ont indiqué, il n'est pas établi que Monsieur [B], actionnaire principal, ait été le seul à répondre aux questions de l'expert-comptable quant à la comptabilité de la société, Monsieur [S] ayant également été entendu et qu'il ne peut être déduit du rapport de l'expert-comptable, relevant que ce dernier se déplaçait pour exercer ses fonctions de directeur commercial et était remboursé de ses factures dans ce cadre, qu'il occupait des fonctions techniques de directeur commercial.

L'AGS soutient de même que le contrat de travail produit par Monsieur [S] est fictif et ne résulte que d'un montage entre associés, exclusif de tout lien de subordination véritable, indiquant que l'intéressé fait partie des associés fondateurs de l'entreprise, qu'à ce titre il avait la signature bancaire de la société, faculté jamais révoquée, et que le 23 janvier 2017, l'intimé a été nommé président de la société, cette qualité d'associé président étant incompatible avec tout lien de subordination.

Le CGEA ajoute que si Monsieur [S] a pu effectivement exercer des tâches commerciales pour l'entreprise, il ne les a pas réalisées en étant subordonné et considère donc que c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il existait un lien de subordination au motif que Monsieur [B], actionnaire principal, était le seul à répondre sur la comptabilité de la société, que les décisions étaient prises collégialement et qu'il importait peu que Monsieur [S] ait été associé minoritaire.

M. [S] fait valoir la réalité de son contrat de travail, rappelant que le cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail n'est pas interdit, qu'il n'existe pas d'incompatibilité légale entre les fonctions de salarié et celles de président d'une société et qu'en vertu des dispositions de l'article 1353 du code civil, il appartient à celui qui soutient qu'un contrat de travail apparent est fictif de le prouver. Il invoque qu'en l'espèce, ni l'AGS, ni Maître [I] ne rapportent cette preuve, qu'il produit lui-même au contraire de multiples attestations établissant qu'en qualité de directeur commercial, il se déplaçait régulièrement chez les clients pour le démarchage et la vente des produits commercialisés par la société M&C Travel Food, ainsi que ses bulletins de salaire et ses avis d'imposition. Il relève qu'il ressort du rapport d'examen de la comptabilité de la société M&C Travel Food que toutes les transactions financières et apports en compte courant ont été réalisées sous le contrôle de Monsieur [B], actionnaire principal, lui-même n'étant qu'actionnaire minoritaire sans pouvoir décisionnaire et dans l'incapacité de fournir des informations sur la gestion de la société.

Le contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination de leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail.

Il se caractérise par trois critères cumulatifs, à savoir une prestation de travail, une rémunération et un lien de subordination juridique, critère décisif.

Le lien de subordination est lui-même caractérisé par l'exécution d'un contrat sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Si l'existence d'un mandat social n'est pas exclusive de celle d'un contrat de travail, le cumul des deux suppose toutefois que le contrat de travail corresponde à un emploi réel répondant aux conditions du salariat et implique la réalité d'une fonction technique exercée par lui, distincte du mandat social, dans un rapport de subordination par rapport aux instances dirigeantes.

La charge de la preuve de la co-existence d'un contrat de travail et d'un mandat social revient en principe à celui qui s'en prévaut; toutefois, lorsque la conclusion du contrat de travail est antérieure à la nomination comme mandataire social, il incombe à la partie qui soutient qu'il n'y a pas de cumul du contrat de travail et du mandat social postérieur d'en rapporter la preuve.

En l'espèce, le mandataire liquidateur et le CGEA qui invoquent le caractère fictif du contrat de travail de Monsieur [S] - conclu le 7 décembre 2016 - et contestent son cumul avec le mandat social postérieur, produisent respectivement la déclaration de cessation des paiements de la société établie par l'intimé ainsi qu'une attestation bancaire.

Ce dernier document, loin de constituer la 'signature bancaire' alléguée, consiste en une attestation d'un représentant de la Banque Populaire de Bourgogne Franche-Comté certifiant du dépôt dans l'agence de [Localité 7] d'une somme de 1000 € au titre du capital de la société M & C Travel Food, en cours de formation, et en une liste des souscripteurs, à savoir la société M Family à hauteur de 934 € et Monsieur [S] à hauteur de 66 €.

Il n'est donc pas établi que l'intimé ait bénéficié de la signature bancaire de la société.

Par ailleurs, si la déclaration de cessation des paiements de la société M&C Travel Food a été effectivement établie et signée par Monsieur [S], il ne saurait en être déduit de conséquences quant à l'existence ou non d'un lien de subordination.

Le CGEA fait état également de ce que l'intimé a renoncé au paiement de ses salaires d'août 2019 à janvier 2020 ; cependant, non seulement cette allégation n'est corroborée par aucun élément objectif, mais encore le caractère fictif du contrat ne peut résulter de l'absence de réclamation ou d'action en paiement des salaires.

Au surplus, il ressort du jugement du tribunal de commerce en date du 5 décembre 2023 qui a dit n'y avoir lieu à sanction contre M. [S], dirigeant de droit et retenu des fautes de gestion de la part de Monsieur [J] [B], dirigeant de fait, qu' interlocuteur au nom de M&C Travel Food au cours de la procédure de liquidation judiciaire, ce dernier a avoué avoir été l'animateur principal des sociétés du groupe [B], dont fait partie la société M Family, et de la société M&C Travel Food, tentant de développer son produit innovant, avoir été à l'origine des recrutements, avoir assumé et pris toutes les décisions de gestion de l'entreprise.

Par ailleurs, les différentes attestations, dont certaines reprises dans le respect des dispositions de l'article 202 du code de procédure civile, ainsi que le rapport de l'expert-comptable de l'entreprise faisant état de divers frais professionnels montrent des fonctions techniques de directeur commercial - qui ne sont pas valablement critiquées par le CGEA comme se confondant avec les responsabilités de président - exercées par Monsieur [S] dans le cadre de déplacements dans différentes régions de France, parallèlement à son mandat social.

Le mandataire liquidateur et le CGEA échouant dans la preuve qui leur incombait, il convient de confirmer le jugement de première instance qui a reconnu à Monsieur [S] la qualité de salarié.

Sur le rappel de salaire:

Face à Monsieur [S] qui réclame la somme de 13 800 € à titre de rappel de salaire pour la période comprise entre le 1er août 2019 et le 5 février 2020, date de son licenciement, le CGEA relève que l'intéressé ne produit aucun élément permettant de retenir qu'il s'est maintenu à la disposition de l'employeur durant près de six mois et qu'il a effectué un travail. Relevant surprenant qu'il soit resté sans paiement de sa créance alimentaire pendant autant de mois sans mettre en demeure la société, il critique l'absence de relevé bancaire pour établir qu'il n'a pas perçu de revenus autres. Il considère que sa créance a perdu son caractère salarial et ne peut être garantie par l'AGS.

Le mandataire liquidateur conclut au rejet de la demande, l'absence de réclamation des salaires pendant plusieurs mois ayant opéré novation de la créance salariale en créance civile qui ne peut être fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société. En ce qui concerne le montant réclamé, il relève que l'intéressé a fait état dans la déclaration de cessation des paiements d'un rappel de salaire pour la période de septembre à décembre 2019.

Selon l'article 1329 du code civil, la novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. Elle peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier.

Selon l'article 1330 du même, la novation ne se présume pas ; la volonté de l'opérer doit résulter clairement de l'acte.

Il résulte de ces dispositions que la novation du contrat doit être certaine et il doit donc être recherché s'il est acquis, sans doute possible, que les parties au contrat et, particulièrement Monsieur [S], ont entendu renoncer définitivement au versement des salaires sur la période considérée.

Or, la remise de bulletins de salaires jusqu'en janvier 2020 contredit la volonté des parties de renoncer définitivement au versement des salaires.

Par ailleurs, si le salarié n'a pas réclamé le paiement de ses salaires, cette abstention ne caractérise pas une volonté non équivoque d'éteindre l'obligation en paiement de la rémunération résultant du contrat de travail pour lui substituer une obligation nouvelle.

Ainsi, à défaut d'actes positifs, l'intention du salarié de nover sa créance n'est pas établie.

Le moyen tiré d'une novation de la créance salariale en créance civile sera donc rejeté.

Conformément à l'article 1353 du code civil, c'est à l'employeur, débiteur de l'obligation, de rapporter la preuve du paiement des salaires afférents au travail effectivement accompli.

La délivrance par l'employeur du bulletin de paie n'emporte pas présomption de paiement des sommes mentionnées. L'employeur est donc tenu, en cas de contestation, de prouver le paiement des salaires notamment par la production de pièces comptables.

En l'espèce, le liquidateur de la société M&C Travel Food ne produit aucune pièce justifiant du paiement des salaires réclamés par l'intimé.

En ce qui concerne le montant de la créance, il résulte de la déclaration de cessation des paiements établie par Monsieur [S] lui-même que le 16 septembre 2019 est la date à laquelle l'entreprise a cessé ses paiements.

Par ailleurs, il résulte de la lecture des bulletins de salaire, dont la teneur n'est pas contestée par le salarié, que différents arrêts maladie ont suspendu le contrat de travail à compter de novembre 2019 et jusqu'en janvier 2020.

Il convient donc d'accueillir la demande à hauteur de la somme de 5 369,46 €, correspondant aux droits du salarié, ainsi que celle relative aux congés payés y afférents. Ces sommes seront fixées au passif de la société M&C Travel Food.

Sur les indemnités de rupture:

Le licenciement intervenu ouvre droit pour le salarié à une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 2 300 € correspondant à un mois de salaire, eu égard à l'ancienneté de l'intéressé, ainsi qu'aux congés payés y afférents.

Par ailleurs, Monsieur [S] réclame la somme de 1 820 € à titre d'indemnité de licenciement , prenant en considération le calcul fait par la juridiction de première instance qui n'a retenu que la somme initialement réclamée de 1 773 €.

Si le droit à l'indemnité de licenciement naît à la date où le licenciement est notifié, l'évaluation du montant de l'indemnité est faite en tenant compte de l'ancienneté à l'expiration du contrat, c'est-à-dire à l'expiration normale du préavis -même s'il y a eu dispense de l'exécuter-.

Il y a lieu également de fixer au passif de la société M&C Travel Food la somme de 1 820 € à titre d'indemnité légale de licenciement, M. [S] ayant 3 ans et deux mois d'ancienneté.

Le jugement de première instance devra donc être infirmé de ce dernier chef.

Sur la résistance abusive :

Face au salarié -qui considère que la position de l'AGS et du liquidateur judiciaire lui a causé un préjudice financier, sa situation intenable l'ayant contraint à vendre son véhicule pour subvenir à ses besoins et à accepter un emploi d'aide conducteur, et qui sollicite la somme de 10'000 € en réparation-, le mandataire liquidateur conclut au rejet de la demande.

La cour constate que cette demande est nouvelle en cause d'appel, mais doit être déclarée recevable car constituant l'accessoire des demandes initialement présentées par Monsieur [S].

La demande d'indemnisation de l'espèce suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

Alors que l'AGS, assurant la gestion du fonds de garantie des salaires alimenté par les cotisations des acteurs du monde du travail, a vocation à avancer au mandataire judiciaire les sommes nécessaires au règlement des créances des salariés si l'entreprise n'a pas une trésorerie suffisante pour ce faire, cette association se doit de prendre des précautions pour vérifier que les conditions requises pour déclencher sa garantie sont bien réunies.

Par ailleurs, l'exercice d'une action en justice ou d'un recours constitue en son principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages et intérêts que s'il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, aucun élément n'est produit par le salarié permettant de caractériser une faute de la part de ses adversaires, et ce d'autant que plusieurs indices permettant de douter de la réalité de la relation salariale ont été mis en exergue par le CGEA et le mandataire liquidateur qui pouvaient à juste titre, dans ces circonstances, investiguer sur ce point, attendre la décision de la juridiction à ce sujet et former un recours.

La démonstration d'une faute ou d'un abus dans l'exercice de la voie de recours contre le jugement de première instance n'est donc pas faite ; en conséquence, la demande de réparation doit être rejetée.

Sur la remise de documents:

La remise d'une attestation Pôle Emploi ( France Travail), d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur de la décision s'impose. Le jugement de première instance doit donc être confirmé de ce chef.

Sur la garantie de l'AGS :

Il convient de rappeler que l'obligation du C.G.E.A, gestionnaire de l'AGS, de procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail se fera dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 et L. 3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire.

Le présent arrêt devra être déclaré opposable à l'AGS et au CGEA d'Île-de-France Ouest.

Sur les intérêts:

Il convient de rappeler que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société M&C Travel Food a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels (en vertu de l'article L. 622-28 du code de commerce).

Sur les dépens:

La liquidation judiciaire de la société M&C Travel Food devra les dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Ces dépens ne comprendront pas en revanche les frais d'huissier en cas d'exécution forcée, compte tenu de leur caractère éventuel, dont l'appréciation en tout état de cause relève du juge de l'exécution.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement de première instance, sauf en ses dispositions relatives au montant du rappel de salaire, des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et aux frais d'exécution forcée,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

FIXE AU PASSIF de la société M&C Travel Food la créance de Monsieur [K] [S] à hauteur de :

- 5 369,46 € à titre de rappel de salaire,

- 536,94 € au titre des congés payés y afférents,

-1 820 € à titre d'indemnité de licenciement,

RAPPELLE que le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société M&C Travel Food a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels,

DIT la présente décision opposable au CGEA-AGS d'Ile de France Ouest,

DIT que l'AGS ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-19 et L. 3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

LAISSE les dépens d'appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société M&C Travel Food.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/07779
Date de la décision : 13/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 19/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-13;22.07779 ?
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