Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRET DU 12 JUIN 2024
(n° 2024/ , 9 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09627 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2VS
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Avril 2022 - Tribunal judiciaire de PARIS - RG n° 19/08836
APPELANTES
Madame [N] [I] veuve [P], qui agissait ès qualités de mandataire de [S] [I] veuve [R] selon mandat de protection future reçu le 19/01/2018 par acte authentique de Maitre [T] [A], Notaire
née le [Date naissance 7] 1934 à [Localité 12] (95)
[Adresse 3]
représentée avant le décès de [S] [I] par Me Marie-Dominique GAUVRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0642
Madame [S] [M] [I], appelante initiale, qui agissait par son mandataire Mme [N] [I] veuve [P], décédée le [Date décès 10]2023 à [Localité 13] (17)
née le [Date naissance 7] 1934 à [Localité 12] (95)
[Adresse 9]
représentée avant son décès par Me Marie-Dominique GAUVRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0642
INTIMEES
Madame [F] [R]
née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 14]
[Adresse 6]
représentée par Me Cyrielle DUFLOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : D0356
ayant pour avocat plaidant Me Alexandra SEBAG, avocat au barreau de PARIS
Madame [G] [Z] [R], intimée initiale et désormais appelante comme reprenant l'instance suite au décès de [S] [I] veuve [R]
née le [Date naissance 5] 1967 à [Localité 18] (78)
[Adresse 2]
représentée et plaidant par Me Marie-Dominique GAUVRIT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0642, substituant Me Marie-Laure CADILLON TOULLEC, avocat plaidant au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
M. Bertrand GELOT, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier, présente lors de la mise à disposition.
***
EXPOSE DU LITIGE :
[E] [R] et [S] [I] se sont mariés le [Date mariage 11] 1960, sans contrat de mariage préalable. Deux enfants sont issus de leur union : [F] et [G] [R].
Par acte du 23 septembre 1996, [E] [R] et [S] [I] ainsi que leurs deux filles Mmes [G] et [F] [R] ont acquis les lots n° 89 et 10 (un appartement et une cave) de l'immeuble sis [Adresse 6], placé sous le régime de la copropriété. Les parents acquérant l'usufruit et les deux filles la nue-propriété.
Par acte du 26 octobre 1989, [E] [R] avait consenti à [S] [I] une donation au dernier vivant, au choix exclusif de cette dernière, portant soit sur la pleine propriété de la quotité disponible ordinaire, soit d'un quart en pleine propriété et de trois quart en usufruit, soit de l'usufruit de tous les biens composant sa succession.
Suivant acte du 10 juillet 1999, homologué par le tribunal de grande instance de Bourges le 15 décembre 1999, les époux ont modifié leur régime matrimonial initial pour celui de la communauté universelle avec clause d'attribution de la communauté au dernier vivant.
Par acte du 6 mars 2004, [E] [R] et [S] [I] ont consenti une donation-partage au bénéfice de leurs filles communes, portant sur la nue-propriété des biens immobiliers sis à [Localité 13] (17) et à [Localité 17] (17).
Mme [F] [R] occupe depuis 2006 l'appartement sis [Adresse 6].
[E] [R] est décédé le [Date naissance 8] 2014, laissant pour lui succéder :
-[S] [I], son épouse avec laquelle il s'était marié sous le régime de la communauté universelle,
-ses filles : Mmes [G] et [F] [R].
Au décès de [E] [R], [S] [I], qui s'est vue attribuer la communauté, est devenue la seule usufruitière du bien immobilier sis [Adresse 6].
Par testament olographe du 26 novembre 2017, [S] [I] a légué à Mme [G] [R] la pleine propriété de la quotité disponible qui compose sa succession, soit le tiers de tous ses biens meubles et immeubles.
Par acte authentique du 19 janvier 2018, [S] [I] a désigné suivant mandat de protection future sa s'ur Mme [N] [I] ès qualités de mandataire de sa personne et de ses intérêts patrimoniaux.
Par actes des 8 et 15 juillet 2019, Mme [N] [I], agissant en son nom et ès qualités de mandataire de [S] [I], a fait assigner Mmes [F] et [G] [R] à verser à [S] [I] une indemnité mensuelle de 1 500 euros, outre la prise en charge des charges de copropriété, pour l'occupation du logement sis [Adresse 6], et ce à compter du 1er mai 2014.
Par jugement réputé contradictoire en l'absence de comparution de Mme [G] [R] prononcé le 14 avril 2022, le tribunal judiciaire de Paris a statué dans les termes suivants :
-rejette la demande de Mme [S] [I] et de Mme [N] [I] en condamnation de Mme [F] [R] à payer à [S] [I] une indemnité mensuelle pour l'occupation du bien sis [Adresse 6] depuis le 1er mai 2014,
-condamne in solidum Mme [S] [I] et Mme [N] [I] aux dépens,
-dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit n'y avoir lieu au prononcé de l'exécution provisoire.
Mmes [N] et [S] [I] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 16 mai 2022.
Les appelantes ont fait signifier la déclaration d'appel ainsi que leurs premières conclusions par actes de commissaire de justice du 2 septembre 2022 à Mme [G] [R] et du 6 septembre 2022 à Mme [F] [R].
Mme [F] [R] a constitué avocat le 15 septembre 2022.
Les appelantes ont remis leurs premières conclusions 25 juillet 2022.
Mme [F] [R] a remis ses premières conclusions le 5 décembre 2022.
[S] [I] est décédée en cours d'instance, le [Date décès 10] 2023.
Les opérations de compte, liquidation et partage de la succession de [S] [I] ont été confiées à Me [T] [A], notaire à [Localité 17] (17).
Mme [G] [R], en qualité d'héritière de [S] [I], est intervenue volontairement aux fins de poursuivre l'action engagée par cette dernière.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 26 mars 2024, Mme [G] [I], venant aux droits de [S] [I], appelante, demande à la cour de :
-juger Mmes [N] [I] ès qualités et [S] [I] recevables et bien fondées en leur appel à l'encontre du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 14 avril 2022,
-juger Mme [G] [R] bien fondée et recevable, en sa qualité d'héritière réservataire saisie de [S] [I] décédée le [Date décès 10] 2023, à reprendre la procédure engagée par cette dernière de son vivant à l'encontre de Mme [F] [R],
-réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 14 avril 2022,
statuant à nouveau,
-déclarer irrecevable Mme [F] [R] en ses demandes nouvelles en cause d'appel,
-juger que Mme [F] [R] n'a pas bénéficié de la part de ses parents [E] [R] et [S] [I], ensemble ou séparément, d'une donation de l'usufruit de l'appartement du [Adresse 6] dont elle demeure à ce jour uniquement nue propriétaire en indivision avec Mme [G] [R], quand [S] [I] en a été usufruitière en communauté avec son époux, puis la seule usufruitière jusqu'à son décès survenu le [Date décès 10] 2023,
-juger que Mme [F] [R] n'apporte pas la preuve qui lui incombe de l'intention libérale de [E] [R] et [S] [I] de la faire bénéficier de l'occupation gratuite de l'appartement du [Adresse 6] ainsi qu'elle l'invoque pour s'opposer au règlement d'une indemnité d'occupation à [S] [I] qui en est la seule usufruitière depuis le décès de [E] [R] en 2014,
-condamner Mme [F] [R] à verser à la succession de [S] [I], au titre de l'occupation de l'appartement du [Adresse 6], à compter rétroactivement du 30 août 2017, une indemnité de 1 500 euros par mois avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019 puis anatocisme,
-condamner Mme [F] [R] à verser à la succession de [S] [I], au titre de l'occupation de l'appartement du [Adresse 6], à compter rétroactivement du 30 août 2017, les charges de toute nature récupérables sur l'occupant listées par l'article 18 de la loi du 23 décembre 1986 et le décret n°2013-1296 du 27 décembre 2013 avec intérêts au taux légal à compter du 15 juillet 2019 puis anatocisme,
-condamner Mme [F] [R] aux entiers dépens de la procédure tant en première instance qu'en appel et ce avec distraction au bénéfice de Me Marie-Dominique Gauvrit, avocat au barreau de Paris, sur son affirmation de droit en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
-condamner Mme [F] [R] à verser à la succession de [S] [I] une indemnité de 3 000 euros et à Mme [G] [R] une indemnité de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 29 mars 2024, Mme [F] [R], intimée, demande à la cour de :
-confirmer le jugement du 14 avril 2022 en toutes ses dispositions,
-débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et prétentions,
-condamner Mme [G] [R] à régler à Mme [F] [R] la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 avril 2024.
L'affaire a été appelée à l'audience du 7 mai 2024.
Le 6 juin 2024, l'avocat de Mme [F] [R] a remis greffe un courrier contenant une pièce en original.
La cour n'ayant pas autorisé la remise de note en délibéré après la clôture des débats, il n'en sera pas tenu compte.
MOTIF DE LA DECISION
Il est rappelé qu'en vertu de l'alinéa 2 de l'article 954 du code de procédure civile les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. En application de son alinéa 3, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils ont été invoqués dans la discussion.
En application de cet article, les chefs des conclusions qui sont la reprise de moyens et qui n'élèvent pas une prétention au sens de l'article 4 du code de procédure civile ne donneront pas lieu à mention au dispositif du présent arrêt ; il sera répondu aux moyens dans les motifs de l'arrêt.
Mme [G] [R], qui n'avait pas comparu devant le tribunal et n'avait pas constitué avocat, a, suite au décès de [S] [I] veuve [R], valablement repris l'instance en sa qualité d'héritière de la défunte.
Sur l'appel principal
Mme [F] [R] n'ayant pas formé appel incident, la cour n'est saisie que de l'appel principal tendant à la réformation du jugement qui a rejeté la demande présentée par [S] [I] veuve [R] et par Mme [N] [I] veuve [P] en qualité de mandataire de cette dernière constituée à cet effet par un acte authentique reçu le 18 janvier 2018; cette demande dirigée contre Mme [F] [R] tendait à la voir condamner au paiement d'une indemnité au titre de son occupation du bien immobilier qui est un appartement de deux pièces dépendant d'un immeuble soumis au régime de la copropriété situé à [Adresse 15].
Le premier juge a débouté [S] [I] veuve [R] et Mme [N] [I] veuve [P] ès qualités de cette demande aux motifs que Mme [F] [R] établissait l'intention libérale de ses deux parents de lui avoir donné définitivement l'usufruit de l'appartement susvisé, que le moyen tenant au caractère librement révocable de cette donation contredisait la lettre de l'article 894 du code civil, que le changement de la situation économique de la donatrice n'était pas une cause de révocation, qu'il n'avait pas été saisi de demandes en nullité de la donation faute d'avoir été consentie par acte authentique et tendant à voir écarter des débats pour faux les documents en défense produits par Mme [F] [R].
Alors que la recevabilité de l'action engagée par [S] [I] veuve [R] et Mme [N] [I] veuve [P] en sa qualité de mandataire de cette dernière en vertu du mandat de protection future souscrit par celle-ci n'avait pas été discutée devant le premier juge, c'est vainement que Mme [F] [R] soutient que Mme [N] [I] veuve [P] aurait surpassé des termes de son mandat ; en l'espèce, la régularité de ce mandat reçu par acte authentique n'a jamais été contestée ; ce mandat a pris effet au vu d'un certificat médical établi par un médecin inscrit sur la liste établie par le Procureur de la République en matière de mesures de protection, médecin qui a constaté que [S] [I] veuve [R] ne pouvait plus pourvoir seule à ses intérêts.
Il sera simplement rappelé que l'objet du mandat de protection future est de représenter la personne qui est dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison notamment d'une altération médicalement constatée de ses facultés mentales; en l'espèce, ce mandat porte sur la protection de la personne de [S] [I] veuve [R] et de ses intérêts patrimoniaux.
Par ailleurs, Mme [F] [R] ne tire aucun moyen, ni même aucune conséquence de l'influence qu'elle allègue de Mme [N] [I] veuve [P] sur Mme [G] [R] afin de l'inciter à reprendre l'instance en sa qualité d'héritière de sa mère. Cet argument est donc inopérant.
L'existence d'une donation portant sur la jouissance du bien immobilier du [Adresse 6] est ainsi le moyen de défense invoqué par Mme [F] [R] pour s'opposer à la demande en paiement d'une indemnité d'occupation ; elle y consacre tout un développement dans ses écritures.
Aux termes de l'article 894 du code civil, « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l'accepte. »
La donation se distingue notamment du testament du fait de son caractère irrévocable; le moyen soutenu devant le tribunal selon lequel [S] [I] veuve [R] avait entendu révoquer cette donation qui contredisait la lettre l'article 894 du code civil ne pouvait à l'évidence prospérer. Si certaines exceptions sont apportées par la loi au caractère irrévocable d'une donation entre vifs, la modification dans les conditions de vie ou la situation économique du donateur n'en font pas partie. Le premier juge a donc rejeté à bon droit le moyen tenant à la révocation de la donation.
Il résulte de l'acte de vente du bien immobilier de la rue Turgot que [E] [R] et [S] [I] veuve [R] en ont acquis l'usufruit tandis que leurs deux filles en acquéraient la nue-propriété.
Il est rappelé à l'acte de vente qu'il est fait remploi d'un bien immobilier si à [Localité 16], [Adresse 4] qui appartenait à l'acquéreur (les époux [R] et [F] et [G] [R]) et a été vendu le 19 juin 1996 au prix de 1 850 000 Frs, et que ce bien appartenait en nue-propriété à Mlles [R] pour l'avoir reçu pour cette quotité suivant acte contenant donation-partage par M. et Mme [R], leurs parents, reçu le 15 février 1994.
Il est alors repris à l'acte de vente une clause de la donation-partage ainsi libellée : « les donateurs font réserve expresse à leur profit et au profit du survivant d'eux, pour en jouir leur vie durant et celle du survivant d'eux, sans réduction au décès du prémourant, de l'usufruit de tout les biens compris dans la présente donation. Et dès maintenant, chacun d'eux fait donation à son conjoint qui accepte, pour le cas où il lui survivrait, de l'usufruit des biens par lui donnés, à compter du décès du prémourant et jusqu'au décès du survivant ».
L'acte de vente stipule en conséquence : « l'acquéreur entend que tous les effets de la donation-partage précitée soient reportés sur les biens présentement acquis ».
L'article 578 du code civil définissant l'usufruit comme le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à charge d'en conserver la jouissance, la donation de jouissance alléguée par Mme [F] [R] aboutit donc à une renonciation ou, selon une autre terminologie, à un abandon par [E] [R] et [S] [I] de leur droit de jouissance que leur conférait l'usufruit dont ils disposaient sur le bien immobilier de la rue Turgot depuis leur acquisition.
Ce droit de jouissance étant l'objet même de l'usufruit dont [E] [R] et [S] [I] ont fait l'acquisition, il ne peut survivre à l'extinction de cet usufruit ; si en vertu de la clause de réversion d'usufruit prévue à la donation-partage du 15 février 1994 et que reprend l'acte de vente, au décès de [E] [R], son usufruit a été transmis à [S] [I] veuve [R], au décès de celle-ci, l'usufruit dont elle disposait sur l'intégralité du bien immobilier de la rue Turgot s'est éteint en application de l'article 617 du code civil.
Il en résulte que la donation de jouissance alléguée par Mme [F] [R] a pris fin au décès de [S] [I] veuve [R] ; l'existence de la donation invoquée par Mme [F] [R] se heurte donc directement au caractère essentiellement temporaire de l'usufruit. L'auraient-ils voulu, les époux [R] ne pouvaient pas modifier le régime de l'usufruit et notamment son caractère temporaire puisqu'il s'éteint notamment à la mort de l'usufruitier.
De plus, il est constant que la donation alléguée n'a pas été consentie par acte authentique alors que l'article 931 du code civil impose que toute donation entre vifs soit passée devant notaire à peine de nullité.
Certes, Mme [G] [R], devant la cour, ne demande pas la nullité de cette donation ; pour autant, elle en conteste l'existence même, invoquant à l'appui de cette inexistence l'absence d'acte notarié exigé à peine de nullité, s'agissant d'une nullité absolue.
La jurisprudence a admis qu'il pouvait être dérogé à l'obligation d'un acte notarié dans l'hypothèse d'un don manuel ; cependant, le don manuel suppose une dépossession du donateur par la tradition au sens du transfert matériel de la chose donnée ; or, force est de constater que l'abandon d'usufruit portant sur un bien immobilier rend impossible l'existence d'un tel transfert.
Il est relevé que la déclaration de succession de [E] [R] signée par [S] [I] veuve [R], après avoir rappelé que les époux [R] avaient acquis pour l'usufruit le bien immobilier de la rue Turgot, mentionne que suite au décès, l'usufruit de [E] [R] portant sur ce bien immobilier a été transmis à cette dernière. Si cette déclaration de succession fait mention d'une donation-partage consentie par les époux [R] à leurs deux filles selon acte reçu le 6 mars 2004, il n'y est fait nulle mention de l'existence d'une donation consentie à Mme [F] [R] portant sur la jouissance du bien immobilier de la rue Turgot. Toutefois, ce document étant à destination essentiellement fiscale, il convient de ne pas surestimer sa valeur probatoire dans le cadre du présent litige.
Pour justifier de la donation qu'elle allègue, Mme [F] [R] se fonde sur un courrier dactylographié daté du mois de décembre 2013 que lui a adressé [E] [R] (sa pièce 5) et un document qui porte comme intitulé « testament partage » (sa pièce 6).
Ainsi, [E] [R] écrivait à sa fille « en attendant nous avons tout noté avec ta mère et allons bien spécifier dans cette nouvelle attestation partage que toi et [B] pourrez toujours jouir de l'appartement de Paris gratuitement et sans rien devoir à personne ». Ce courrier exprime seulement une intention de [E] [R] qui pour avoir une effectivité, doit se matérialiser ultérieurement ; ce courrier ne peut donc constituer la donation dont se prévaut Mme [F] [R] ; de plus, à plusieurs reprises, [E] [R] ayant indiqué que [S] [I] n'était pas au courant de l'envoi ni de la teneur de ce courrier, celui-ci ne saurait d'aucune manière engager cette dernière.
S'agissant de la pièce intitulée testament partage, elle est entièrement dactylographiée, écrite à la première personne du pluriel, [E] [R] et [S] [I] se présentant comme en étant les rédacteurs et signée par eux deux.
Outre que cette dernière pièce est affectée de vices substantiels pour constituer un testament valable, le testament étant un acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout ou partie de ses biens ou de ses droits et qu'il peut révoquer, Mme [F] [R] ne saurait donc asseoir l'existence d'une donation entre vifs par un testament qui est une disposition à cause de mort.
Ces documents ne sauraient donc emporter la preuve d'une donation consentie par [E] [R] et [S] [I] veuve [R] portant sur la jouissance du bien immobilier de la rue Turgot.
Pour justifier de l'existence de cette donation, Mme [F] [R] a également produit devant le tribunal un courrier daté du premier juin 2015 que lui a adressé sa mère et que produit devant la cour Mme [G] [R].
Ainsi, [S] [I] veuve [R] écrivait le 1er juin 2015 à sa fille : « tu es bien la propriétaire du [Adresse 6] locataire de 2006 à 2009, puis occupante à titre exclusif et gratuit depuis le 1er avril 2009 pour une durée indéterminée avec notre accord à ton père et à moi (en tant qu'usufrutiers) ». Il ressort ainsi de ce courrier que [S] [I] se considérait usufruitière de ce bien immobilier qu'occupe Mme [F] [R] à titre exclusif et gratuit depuis le 1er avril 2009 ; [S] [I] veuve [R] n'invoque nullement l'existence d'une donation portant sur la jouissance mais une occupation à titre exclusif et gratuit par Mme [F] [R] de ce bien immobilier, qui ne confère pas à celle-ci un droit réel, mais tout au plus un droit personnel qui peut être révoqué à tout moment du fait de l'absence de terme convenu.
Par un courrier du 30 août 2017, [S] [I] veuve [R] a entendu mettre fin au caractère gratuit de cette occupation en réclamant à Mme [F] [R] de s'« acquitter du devoir d'un locataire jouissant seule d'un appartement de près de 40m² et de me verser dès maintenant un loyer mensuel de 450 € dans lequel je tiens compte des charges locatives payées par toi ». [S] [I] veuve [R] réitérait cette demande par un courrier du 21 septembre 2017.
Il suit donc que [S] [I] veuve [R] a ainsi pu mettre mettre valablement fin au caractère gratuit de l'occupation par Mme [F] [R] du bien immobilier de la rue Turgot.
Mme [G] [R], reprenant l'action introduite par [S] [I] veuve [R], alors dûment représentée par sa mandataire en vertu du mandat de protection future, et agissant exclusivement en sa qualité d'héritière, est recevable à demander une indemnité d'occupation à Mme [F] [R]. Cette dernière n'étant pas du vivant de sa mère titrée pour continuer à occuper ce bien immobilier à titre gratuit, la demande de Mme [G] [R] ès qualités est fondée en son principe.
Alors que [S] [I] veuve [R] avait demandé personnellement à sa fille une indemnité d'occupation d'un montant de 450 €, montrant ainsi qu'en raison de la situation, elle n'entendait pas aligner le montant de cette indemnité sur la valeur locative, cette indemnité sera fixée à la somme mensuelle de 450 €, Mme [F] [R] devant par ailleurs s'acquitter des charges dites récupérables.
Partant, infirmant le jugement entrepris, il est mis à la charge de Mme [F] [R] une indemnité d'occupation à compter du 30 août 2017 d'un montant mensuel de 450 € au profit de la succession de [S] [I] veuve [R], et la condamne en tant que de besoin.
La créance de la succession de [S] [I] veuve [R] sur Mme [F] [R] étant seulement fixée par la présente décision, les intérêts ne courront qu'à compter du prononcé du présent arrêt.
A compter du décès de [S] [I] veuve [R], Mme [F] [R] et Mme [G] [R] sont toutes deux devenues coïndivisaires en pleine-propriété du bien immobilier de la rue Turgot.
En tant que coïndivisaire, Mme [F] [R] dispose en application de l'article 815-9 d'un droit à user et à jouir du bien indivis. Son occupation est en conséquence titrée, ce qui n'empêche pas qu'en vertu de ce même article, il peut être mis à sa charge une indemnité au titre de sa jouissance privative du bien indivis ; cependant, Mme [G] [R] qui agit seulement en sa qualité d'héritière de [S] [I] veuve [R] qui avait un droit d'usufruit sur le bien immobilier de la rue Turgot, et non à titre personnel, ne fonde pas sa demande sur la situation d'indivision et les règles qui lui sont applicables.
Par conséquent, Mme [G] [R] se voit déboutée du surplus de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation pour la période postérieure au décès de [S] [I] veuve [R] et au titre des charges dites locatives.
Sur les demandes accessoires
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
Il résulte de la solution apportée au litige que chacune des parties succombe partiellement en ses demandes ; il n'y a donc pas de partie perdante au sens de l'article 695 du code de procédure civile. Chacune des parties conservera en conséquence la charge de ses dépens de première instance et d'appel.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.
Du fait de la répartition des dépens, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire et dans les limites de l'appel,
Dit que Mme [G] [R] a valablement repris l'instance engagée par [S] [I] veuve [R] après le décès de cette dernière ;
Infirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de [S] [I] veuve [R] et de Mme [N] [I] veuve [P] en condamnation de Mme [F] [R] à payer à [S] [I] veuve [R] une indemnité mensuelle pour l'occupation du bien immobilier dépendant d'un immeuble sis [Adresse 6] et en ce qu'il a condamné in solidum [S] [I] veuve [R] et Mme [N] [I] veuve [P] aux dépens ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Dit que Mme [F] [R] est redevable à l'égard de la succession de [S] [I] veuve [R] d'une indemnité au titre de l'occupation de ce bien immobilier d'un montant mensuel de 450 € à compter du 30 août 2017 jusqu'au décès de [S] [I] veuve [R] survenu le [Date décès 10] 2023 ainsi que pendant cette période des charges récupérables mensuelles et la condamne en tant que de besoin au paiement de cette indemnité d'occupation et au montant de ces charges ;
Déboute Mme [F] [R] du surplus de ses demandes ;
Dit que chaque partie supportera les dépens de première instance qu'elle a engagés ;
Y ajoutant :
Déboute Mme [F] [R] et Mme [G] [R] de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens d'appel.
Le Greffier, Le Président,