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11/06/2024 | FRANCE | N°23/05505

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 11 juin 2024, 23/05505


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 16



ARRET DU 11 JUIN 2024



(n° 55/2024 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05505 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHKY4



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris le 22 novembre 2022, sous l'égide de la Chambre Arbitrale Internationale de PARIS, par le Tribunal Arbitral composé de Monsieur le Professeur

[P] [F], en qualité d'Arbitre Unique.





DEMANDERESSE AU RECOURS :



EARL DES MARAIS

[Adresse 7] [Localité 1]

prise en la personne de ses repr...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 16

ARRET DU 11 JUIN 2024

(n° 55/2024 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/05505 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHKY4

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris le 22 novembre 2022, sous l'égide de la Chambre Arbitrale Internationale de PARIS, par le Tribunal Arbitral composé de Monsieur le Professeur [P] [F], en qualité d'Arbitre Unique.

DEMANDERESSE AU RECOURS :

EARL DES MARAIS

[Adresse 7] [Localité 1]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Nathalie BOUDE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant : Me Nicolas SERVOS, avocat au barreau de LYON

DEFENDERESSE AU RECOURS :

S.A.S. AGROTRADE

[Adresse 3] [Localité 2]

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat : Me Irina GUERIF, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère, faisant fonction de présidente lors des débats et Mme Marie LAMBLING, conseillère, chargées du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

Mme Marie-Catherine GAFFINEL, conseillère

Mme Marie LAMBLING, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Najma EL FARISSI, greffière, présente lors de la mise à disposition.

* *

*

La SAS Agrotrade a signé plusieurs confirmations d'achat de maïs produits et vendus par l'EARL des Marais, pour des quantités et des montants relativement variables :

- le 13 janvier 2021 pour l'achat de 30 tonnes au prix de 200€ la tonne métrique ;

- le 3 mars 2021 pour l'achat de 30 tonnes au prix de 215 euros la tonne métrique ;

- le 8 mars 2021 pour l'achat de 400 tonnes au prix 180 euros la tonne métrique ;

- le 21 avril 2021 pour l'achat de 210 tonnes au prix de 200 euros la tonne métrique

- le 4 mai 2021 pour l'achat de 150 tonnes au prix de 210 euros la tonne métrique ;

- le 7 juillet 2021 pour l'achat de 60 tonnes au prix de 240 euros la tonne métrique ;

- le 16 septembre 2021 pour la vente de 100 tonnes au prix de 220 euros la tonne métrique.

Aux termes de plusieurs courriers électroniques des 13 janvier, 3 mars, 8 mars, 21 avril, 4 mai, 7 juillet, 6 septembre, 17 septembre 2021, la SAS Agrotrade a adressé à l'EARL des Marais ces confirmations d'achat de maïs dont la livraison était prévue à des dates s'échelonnant entre le 1er février 2021 et le 30 juin 2022.

Ces confirmations d'achat se référaient à la Formule Incograin n°19 et comprenaient une clause compromissoire ainsi rédigée : « ARBITRAGE : Toute contestation sera jugée par le Chambre Arbitrale de Paris ([Adresse 5] [Localité 6]) qui statuera en dernier ressort, conformément à son règlement que les parties déclarent connaître et accepter ».

La formule Incograin n°19 comprenait un article XXI intitulé « clause compromissoire » ainsi libellée « Toute contestation survenant entre acheteur, vendeur, et/ou courtier (s) ayant conclu la présente affaire, même celle concernant son existence et sa validité sera jugée en dernier ressort par l'arbitrage organisé par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris ([Adresse 4] [Localité 8], France') selon la procédure arbitrale dotée d'un double degré de juridiction conformément au règlement d'arbitrage de celle-ci que les parties déclarant connaître et accepter, sauf accord des parties pour utiliser la procédure à un seul degré. En tout état de cause, ceci n'exclut pas l'utilisation par les parties des dispositions relatives aux procédures PAR, PARAD, et d'Urgence FLAIR ainsi que celles relatives à la médiation prévues dans ce règlement».

Le 8 avril 2022, le transporteur a fait savoir à la SAS Agrotrade que l'EARL des Marais lui avait indiqué ne plus avoir de maïs en stock pour charger dix camions.

Par lettre recommandée du 22 avril 2022, la SAS Agrotrade a mis l'EARL des Marais en demeure d'exécuter les confirmations d'achat n° A202104219 et n° A202109239 des 21 avril et 16 septembre 2021 conformément aux stipulations contractuelles. La lettre de mise en demeure ayant été retournée par les services postaux avec la mention « non réclamé », la SAS Agrotrade en a adressé une copie à l'EARL des Marais par mail du 25 avril 2022.

Par courrier daté du 20 juin 2022, la SAS Agrotrade a mis en demeure l'EARL des Marais de régler les factures impayées d'un montant de 42 299€ dans un délai de 10 jours.

C'est dans ce contexte que la SAS Agrotrade a saisi le 27 juillet 2022 la chambre arbitrale internationale de Paris (ci-après la CAIP) d'une demande d'arbitrage tendant à voir organiser une instance arbitrale suivant les règles de procédure d'arbitrage rapide, conformément à l'article 3.4-b) et au titre III du règlement d'arbitrage.

Par sentence du 22 novembre 2022, l'arbitre unique, M. [P] [F], statuant en premier et dernier ressort et en équité, s'est déclaré compétent, a condamné l'EARL des Marais à payer à la SAS Agrotrade les sommes de 39.850€ au titre de la différence de prix augmentée des intérêts légaux à compter de la demande d'arbitrage formée par la SAS Agrotrade et jusqu'à complet paiement de cette somme, de 444€ au titre du remboursement de l'attestation de prix, de 2000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais d'arbitrage ainsi que les frais éventuels de la sentence, le tout assorti de l'exécution provisoire.

Le 17 mars 2023, l'EARL des Marais a introduit le recours en annulation de ladite sentence.

Par dernières conclusions notifiées le 14 mars 2023, l'EARL des Marais demande à la cour de :

- A titre principal, annuler la sentence en ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ;

- A défaut, annuler la sentence en ce que le tribunal arbitral a statué sans se conformer à sa mission et sans respecter au surplus le principe du contradictoire ;

- En tout état de cause, annuler la sentence en ce que le tribunal a statué en violation de l'ordre public procédural, débouter la société Agrotrade de toute autre demande et la condamner au paiement d'une somme de 10.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 29 mars, la SAS Agrotrade demande à la cour de :

- Juger non fondés l'ensemble des griefs invoqués par l'EARL des Marais ;

- En conséquence, rejeter le recours en annulation formé par l'EARL des Marais devant la cour d'appel de Paris à l'encontre de la sentence arbitrale du 22 novembre 2022 rendue sous l'égide de la CPAI ;

- Confirmer l'ordonnance d'exequatur de la sentence du 22 novembre 2022, rendue le 15 février 2023 par le président du tribunal judiciaire de Paris ;

- En tout état de cause, débouter l'EARL des Marais de l'intégralité de ses demandes, la condamner au paiement de la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens du recours.

Par ordonnance du 22 juin 2023, le premier président de la cour d'appel de Paris a arrêté l'exécution provisoire de la sentence arbitrale du 22 novembre 2022 revêtue de l'exequatur par ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 15 février 2023.

MOTIFS

Sur le moyen tiré de ce que le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent (article 1492, 1° du code de procédure civile)

Moyens des parties

Pour conclure à l'incompétence du tribunal arbitral, l'EARL des Marais soutient en substance, se prévalant notamment des dispositions des articles 2061 et 1113 alinéa 2 du code civil, 1443 du code de procédure civile, que la sentence doit être annulée dès lors qu'aucune convention d'arbitrage ne donnait compétence au tribunal arbitral pour statuer.

Elle rappelle que la convention d'arbitrage doit être écrite, qu'il appartient à celui qui s'en prévaut de démontrer que l'autre partie y a consenti et que le principe d'autonomie de la convention d'arbitrage ne saurait dispenser le demandeur de démontrer que le défendeur a bien consenti, par écrit, à une convention d'arbitrage. Elle considère ainsi que si elle a bien consenti à 5 reprises par téléphone à la vente de tonnages de maïs à la société Agrotrade, elle n'a accepté aucune des conventions d'arbitrage qui lui ont été transmises après la concrétisation de ces 5 ventes par voie électronique comme en atteste le fait qu'elle n'a jamais retourné les contrats signés. Elle souligne sur ce point qu'elle a l'habitude de vendre ses productions aux coopératives locales avec lesquelles «'une poignée de main suffit à nouer l'accord'», qu'elle n'a en tout état de cause jamais eu conscience d'être liée à la société Agrotrade par une clause compromissoire. Elle ajoute qu'elle n'est pas un professionnel du négoce de céréales, étant seulement producteur de celles-ci. Elle relève par ailleurs que les clauses compromissoires qu'elles auraient prétendument acceptées se contredisent puisque celle figurant dans les confirmations d'achat donnent compétence à la chambre arbitrale de Paris qui statue en dernier ressort tandis que la clause figurant dans la formule incograin rain n°19 prévoit la compétence de la chambre d'arbitrage internationale qui statue en premier ressort. Elle estime que l'arbitre ne pouvait considérer que ces clauses lui sont opposables par application d'usages professionnels qu'elle ne connaissait pas et alors que la relation contractuelle avec Agrotrade avait été de courte durée.

La SAS Agrotrade réplique au regard de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage est autonome par rapport au contrat principal qui la contient ; que les deux confirmations d'achat du 21 avril et du 16 septembre 2021 contenaient une clause d'arbitrage et se référaient également à la formule Incograin n°19 qui comprend une clause d'arbitrage'; que lesdites clauses étaient compatibles entre elles désignant l'une et l'autre la CAIP et conformes aux usages de la profession du commerce de grains ; qu'elles ont été valablement conclues entre des parties professionnelles du négoce de céréales et que le silence de l'EARL des Marais, compatible avec les usages de la profession de soumettre les différends à l'arbitrage de la CAIP, valait acceptation tacite de la clause d'arbitrage'; que la voie électronique a été utilisée pour toutes les confirmations antérieures qui ont été exécutées par l'EARL des Marais ; que celle-ci a accepté tacitement la clause compromissoire puisque dans le cas contraire elle aurait exprimé son refus'; que cette acceptation tacite correspond à l'usage suivi par les parties durant leur relation antérieure'; que la clause compromissoire est parfaitement valable et répond aux exigences de l'article 1443 du code de procédure civile, pouvant apparaître dans un document signé par une seule partie, tant qu'elle a été acceptée par l'autre partie.

Règles applicables

L'article 1492, 1° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation est ouvert si le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

Il résulte de ce texte que, sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties, le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage. Ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence.

Selon l'article 1443 du code de procédure civile la convention d'arbitrage est, à peine de nullité, écrite. Elle peut résulter d'un échange d'écrits ou d'un document auquel il est fait référence dans la convention principale.

Il résulte de l'article 1447 du code de procédure civile que la convention d'arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte et qu'elle n'est pas affectée par la seule inexistence de celui-ci.

L'article 2061 du code civil précise par ailleurs que la clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l'oppose, à moins que celle-ci n'ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l'a initialement acceptée. Lorsque l'une des parties n'a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée.

Réponse de la cour

Pour conclure à l'existence d'une clause compromissoire liant les parties, le tribunal arbitral a justement retenu que la clause d'arbitrage dont se prévalait la SAS Agrotrade figurait à la fois dans les confirmations d'achat n°202104219 et n° 202109239 des 21 avril et 16 septembre 2021 adressées par courriers électroniques par la SAS Agrotrade à l'EARL des Marais, et dans la formule Incograin n°19 à laquelle ces confirmations d'achat faisaient référence et que si ces confirmations d'achat n'avaient pas été signées par l'EARL des Marais, celles-ci n'avaient pas été contestées par cette dernière dans le délai prévu par la formule Incograin n°19. Le tribunal a par ailleurs également relevé à juste titre que la société Agrotrade démontrait l'existence d'un courant d'affaires ayant existé entre les parties depuis le 13 janvier 2021, celles-ci ayant conclu cinq contrats d'achat de maïs ayant donné lieu à des confirmations écrites portant la signature et le cachet de la seule demanderesse comportant des clauses d'arbitrage identiques de sorte que l'EARL des Marais ne pouvait prétendre que l'absence de signature portée sur ces dernières confirmations aurait une incidence sur les clauses d'arbitrage qui y sont contenues.

En premier lieu, les développements de l'EARL des Marais sur l'inopposabilité des confirmations d'achat contenant les clauses compromissoires au motif que la société Agrotrade ne rapporte pas la preuve que lesdites clauses compromissoires ont été régulièrement portées à sa connaissance et acceptées dans les conditions prévues par les dispositions des articles 1126 et 1127-4 du code civil sont inopérants, ces dispositions du code civil propres au contrat conclu par voie électronique n'étant pas applicables en l'espèce.

En second lieu, contrairement à ce que soutient l'EARL des Marais, il ne peut être reproché au tribunal d'avoir retenu qu'elle avait accepté la clause compromissoire contenue dans les deux confirmations d'achat litigieuses. En effet, comme ci-dessus rappelé, l'arbitre s'est fondé sur les confirmations d'achat des 21 avril et 16 septembre 2021 et la formule Incograin n°19 à laquelle celles-ci font référence. Lesdites confirmations d'achat qu'elle a reçues par voie électronique les 21 avril et 17 septembre 2021, sur l'adresse email [Courriel 9] correspondant à son adresse électronique, comme celle-ci l'indique page 19 de ses conclusions, comprenaient dans la rubrique « conditions », un premier paragraphe se référant à la formule Incograin n°19 qui comporte un article XXI « clause compromissoire'» et un second paragraphe relatif à la clause compromissoire, dont le contenu estrappelé dans l'exposé du litige. A réception de ces deux confirmations d'achat, si l'EARL des Marais n'a pas renvoyé les contrats signés, elle n'a pas émis de contestation dans le délai d'un jour ouvrable fixé par l'article 1 de la formule Incograin n°19. L'EARL des Marais ne peut valablement expliquer cette absence de contestation par le fait qu'elle n'est pas «'un professionnel du négoce de céréales'» alors qu'elle est spécialisée dans le secteur d'activité de la culture des céréales et que le contrat porte sur la vente de maïs qui fait partie de celui-ci. En qualité de professionnel du monde agricole, elle ne pouvait ignorer les règles Incograin n°19 et l'existence d'une clause d'arbitrage visée en des termes identiques par les 5 contrats précédemment conclus entre les parties et ce d'autant que la confirmation d'achat se référait à celles-ci et qu'il existait comme l'a justement retenu l'arbitre, un courant d'affaires depuis le 13 janvier 2021. Dans ces circonstances, il importe peu qu'elle n'applique pas ces règles avec les coopératives locales ou qu'elle n'ait signé aucun des contrats précités.

En troisième lieu, comme retenu justement par l'arbitre, l'indication de la chambre arbitrale de Paris dans les confirmations d'achat doit être interprétée comme désignant la CAIP, à laquelle se réfère expressément la clause compromissoire contenue dans la formule Incograin n°19 et ce en application de l'article 38-1 du règlement CAIP qui énonce notamment qu'en présence de toute clause compromissoire « qui désignerait encore la chambre arbitrale de Paris ancienne dénomination de la chambre le présent règlement s'applique ». En outre, contrairement aux allégations de l'EARL des Marais les deux clauses précisent que la chambre arbitrale statue en dernier ressort. L'argument tiré d'une contradiction entre la clause compromissoire contenue dans les confirmations d'achat et la clause compromissoire visée par l'article XXI de la formule Incograin n°19 est en conséquence inopérant.

Enfin, au regard de ce qui précède, le fait que l'EARL des Marais n'ait pas exécuté les deux confirmations d'achat litigieuses est sans incidence sur la validité de la clause compromissoire.

La clause compromissoire ainsi prévue remplit les conditions prévues par l'article 1443 du code de procédure civile.

Dès lors, la SA Agrotrade peut opposer à l'EARL des Marais la clause compromissoire visée par les confirmations d'achat des 21 avril et 16 septembre 2021.

Le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral doit être rejeté.

Sur le moyen d'annulation tiré du non-respect par l'arbitre de sa mission et de la violation du principe de la contradiction (article 1492, 3° 4°)

Moyens des parties

L'EARL des Marais, se prévalant des conséquences procédurales différentes attachées à la clause compromissoire contenue d'une part dans les confirmations d'achat et d'autre part dans la formule Incograin n°19, reproche à l'arbitre de ne pas avoir respecté sa mission au motif qu'il a choisi à la demande de la SA Agrotrade la procédure d'arbitrage rapide (ci-après PAR) en dernier ressort qui prévoit que l'arbitre statuera sur pièces et en équité et non la procédure ordinaire à double degré de juridiction qui garantissait le respect des droits de la défense alors d'une part que cette procédure rapide n'était pas visée par la clause compromissoire contenue dans les confirmations d'achat qui mentionnaient uniquement la procédure ordinaire qui seule devait donc être retenue et que cette procédure prévue dans l'article XXI de la formule Incograin n°19 ne pouvait être appliquée qu'avec son accord.

L'EARL des Marais reproche également à l'arbitre une violation du principe de contradiction relevant que la demande d'arbitrage ne lui a pas été signifiée par huissier, ce que prévoyait la procédure ordinaire mais seulement adressée par courrier électronique du 3 août 2022 et par courrier AR du 2 septembre 2022 à l'adresse du siège social de l'entreprise alors que M. [Y] [V], gérant de l'EARL, du fait de son état de santé, n'a pu retirer ce courrier qui est revenu à l'expéditeur avec la mention non réclamé. Elle relève en outre que son conseil s'était manifesté auprès de la demanderesse pour obtenir les éléments du dossier et ce par courrier du 27 juillet 2022 sans qu'il ne soit donné suite à ce courrier. Elle en conclut que le tribunal arbitral aurait dû « d'avantage s'assurer du respect du principe de contradiction « soulignant par ailleurs qu'une sentence rendue par défaut ne peut faire l'objet d'aucune opposition ce qui porte atteinte à ses droits.

La société intimée réplique que le tribunal arbitral a respecté sa mission définie par la clause compromissoire acceptée par les parties ayant appliqué les règles contenues dans ladite clause et en particulier les règles de la procédure PAR et statué en équité comme le prévoit également l'article 50 desdites règles de procédures.

Elle fait valoir que le tribunal arbitral a pris l'ensemble des mesures nécessaires afin de garantir le principe de contradiction, la demande d'arbitrage ayant été transmise au siège de l'entreprise dans les formes prévues par le règlement d'arbitrage par deux lettres recommandées des 2 août et 3 septembre 2022 non réclamées.

Textes applicables

Aux termes de l'article 1492, 3°du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « le tribunal arbitral a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée ».

En outre, l'article 1478 du même code dispose : « Le tribunal arbitral tranche le litige conformément aux règles de droit, à moins que les parties lui aient confié la mission de statuer en amiable composition ».

L'article 1492, 4° du code de procédure civile dispose que le recours en annulation n'est ouvert que si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

Le principe de la contradiction permet d'assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu'une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l'autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d'office sans que les parties aient été appelées à les commenter.

Réponse de la cour

Sur le non-respect par l'arbitre de sa mission

Si les clauses compromissoires visées par les confirmations d'achat et la Formule Incograin n°19 dont le contenu est rappelé dans l'exposé du litige, ne sont pas rédigées de façon identique, celle contenue dans les confirmations d'achat ne faisant notamment pas référence expressément à la procédure PAR, elles renvoient toutes les deux au règlement d'arbitrage de la CPAI et emportent ainsi les mêmes conséquences procédurales.

Le règlement de la CPAI dispose en son article 3.4 « Il appartient à la partie demanderesse de choisir, parmi les procédures d'arbitrage prévues au présent règlement, celle qu'elle entend voir appliquer à sa cause, la Chambre ne pouvant être tenue pour responsable des conséquences résultant d'un tel choix :

a) s'agissant de litiges présentant une situation d'urgence, les parties peuvent solliciter l'application des règles de la Procédure d'Urgence, figurant au Titre II.

b) s'agissant de litiges d'un montant limité, les parties peuvent solliciter l'application des règles de la Procédure P.A.R. figurant au Titre III.

L'article 3.5 précise «'A défaut d'indication par l'une ou l'autre des parties concernant la procédure qu'elles souhaitent voir mise en 'uvre, la Procédure Ordinaire visée au Titre I du présent règlement est applicable. »

L'article 46.1 de ce même règlement contenu dans le titre III relatif aux règles de procédure PAR énonce que « sauf réserve de l'article 3.4, la procédure PAR est mise en 'uvre pour tout arbitrage dont le montant en principal est inférieur ou égal à 100.000€, ou équivalent à la contre-valeur en devise au jour de la demande d'arbitrage. »

En l'espèce, compte-tenu du montant de la demande inférieur à 100.000€, la procédure PAR en dernier ressort devait donc être mise en 'uvre en application de l'article 46-1 précité.

La SA Agrotrade, ayant sur le fondement de l'article 3.4 du règlement, choisi la procédure PAR, l'arbitre devait respecter cette procédure, sans pouvoir appliquer la procédure ordinaire, ni avoir à «'s'assurer de l'accord'» de l'EARL des Marais, comme le soutient à tort cette dernière, l'article 3-4 précité ne prévoyant pas que le choix de la procédure par le demandeur doive être accepté par le défendeur.

En outre, le fait que la « clause compromissoire » contenue dans la Formule Incograin n°19 mentionne en son dernier alinéa «'En tout état de cause, ceci n'exclut pas l'utilisation par les parties des dispositions relatives aux procédures PAR'» ne signifie pas, comme le soutient l'EARL des Marais page 44 de ses conclusions, que le choix d'une procédure dérogatoire implique le consentement des deux parties, ledit consentement n'étant pas prévu par l'article 3.4 précité.

Enfin, l'EURL des Marais ne peut valablement soutenir, se prévalant de l'article XX de la formule Incograin n°19 qui dispose que «'sauf convention contraire, la loi applicable est la loi française'», que la sentence devait intervenir en droit et que son accord était nécessaire pour que l'affaire soit jugée en équité alors que lorsque la procédure appliquée est la procédure PAR, l'article 50 du règlement dispose que l'arbitre statuera en équité et définitivement à moins que les parties n'aient convenu de lui confier la mission de statuer en droit, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce.

L'arbitre ayant respecté les règles impératives imposées par le règlement d'arbitrage auquel renvoient les clauses compromissoires précitées, le moyen tiré du non-respect par ce dernier de sa mission doit être rejeté.

Sur la violation du principe de la contradiction

L'article 4-1 du règlement de la CPAI dispose que «'Sauf disposition contraire prévue par le présent règlement et à moins que les parties ou le tribunal arbitral n'aient fait le choix d'appliquer les règles de procédure écrite «'de l'annexe 1 à la procédure d'arbitrage, toutes les notifications ou communications de la chambre et du tribunal arbitral sont faites à l'adresse électronique de la partie qui en est le destinataire ou de son représentant, telle que communiquée par celle-ci ou par l'autre partie le cas échéant. Tout changement d'adresse électronique doit être notifié à la Chambre et à la partie adverse.'».

En l'espèce, il résulte des éléments de la procédure que la demande d'arbitrage du 27 juillet 2022 accompagnée de 19 pièces, de la déclaration d'acceptation, d'indépendance et d'impartialité de l'arbitre ainsi que des date, heure et lieu d'examen de l'affaire, a été envoyée par courrier électronique à l'adresse email de l'EARL des Marais (roland146@aol.com) le 3 août 2022 et par lettres recommandées en date des 3 août et 2 septembre 2022 au siège social de l'EARL des Marais ([Adresse 7], [Localité 1] France), lesquelles ont été retournées à la CPAI par les services postaux avec la mention « pli avisé et non réclamé ».

Il résulte également des éléments de la cause que l'adresse email roland146@aol.com est l'adresse électronique de M. [Y] [V], gérant de l'EURL des Marais et que l'adresse du siège social de l'entreprise est bien l'adresse figurant sur les deux lettres recommandées précitées.

Par ailleurs, contrairement aux allégations de l'EURL des Marais, la mise en demeure du 14 avril 2022 qui fait partie des pièces communiquées par la société Agrotrade à l'arbitre, produite devant la cour en pièce n°12 ne mentionne pas expressément que «'toute correspondance concernant l'EURL des Marais devait lui être adressée à son domicile'» mais contient en son en-tête l'adresse du siège social de l'entreprise, l'adresse de M. [V] précédée de la mention «'Chez'M. [R] [V]», ses coordonnées téléphoniques et son adresse email précitée.

Au regard de ces constatations, il ne peut être reproché à l'arbitre de ne pas avoir signifié la demande d'arbitrage par voie de commissaire de justice, le règlement d'arbitrage ne prévoyant aucune disposition en ce sens, la notification ayant été faite dans les formes requises par les dispositions de l'article 4-1 précité à l'adresse électronique de l'EURL des Marais, celle-ci ayant ainsi été informée dès le 3 août 2022 de l'instance arbitrale mais ne s'étant toutefois pas manifestée auprès du tribunal arbitral.

La circonstance que le gérant de l'EARL des Marais n'a pas retiré les deux lettres recommandées précitées du fait de son état de santé ou le fait que la société Agrotrade n'a pas transmis au tribunal arbitral une lettre du conseil de l'EURL des Marais datée du 27 juillet 2022 , soit datée du même jour que la demande d'arbitrage, aux termes de laquelle, ce dernier demande à l'avocat de la société Agrotrade de lui transmettre les contrats n° A202104219 et n° A202109239 visés dans sa lettre de mise en demeure du 20 juin 2022 et fait état de la saisine de la chambre arbitrale internationale de Paris, sont inopérants. Il en est de même de l'argument tiré de ce que le conseil de la société Agrotrade n'a pas donné suite au courrier du 27 juillet 2022.

Enfin, comme le relève justement la SA Agrotrade, la procédure par défaut ne porte pas atteinte au principe de contradiction et aux droits de la défense dès lors qu'une partie s'abstient de participer à la procédure arbitrale alors qu'elle a été régulièrement appelée à l'arbitrage, ce qui a été le cas en l'espèce.

La violation du principe du contradictoire alléguée ne saurait dès lors être retenue.

Le moyen est rejeté.

Sur le moyen d'annulation tiré de la violation de l'ordre public procédural (article 1492, 5°)

Moyens des parties

L'EARL des Marais soutient en substance que la violation de l'ordre public procédural découle de la violation par l'arbitre des droits de la défense et de l'exigence du procès équitable au regard de l'atteinte au principe de l'égalité des armes et des parties.

La société intimée estime qu'aucune violation de l'ordre public procédural n'est démontrée.

Règles applicables

Aux termes de l'article 1492, 5° du code de procédure civile, le recours en annulation d'une sentence arbitrale est ouvert si « la sentence est contraire à l'ordre public ».

Le contrôle de la conformité de la sentence à l'ordre public ne doit pas tendre à une révision au fond de la sentence, interdite au juge de l'annulation.

L'annulation de la sentence n'est encourue que lorsque la solution donnée au litige, et non le raisonnement suivi par les arbitres, heurte concrètement l'ordre public.

Réponse de la cour

Le moyen développé par l'EARL des Marais de ce chef reprend, sous couvert de la violation de l'ordre public procédural, les griefs déjà invoqués au titre du non-respect de la mission et du non-respect de la contradiction.

Les mêmes considérations que celles relevées précédemment conduisent à rejeter le moyen, l'EARL des Marais ne démontrant aucune atteinte au principe de la contradiction ou à l'égalité des armes, l'EARL des Marais ayant été informée de l'instance arbitrale mais ne s'étant toutefois pas manifestée auprès du tribunal arbitral.

Ce moyen ne saurait donc prospérer.

Sur la confirmation de l'ordonnance d'exequatur du 15 février 2023

Si la SA Agrotrade mentionne cette prétention dans le dispositif de ses écritures, elle n'invoque aucun moyen au soutien de cette demande, étant au surplus relevé que la cour n'est pas saisie d'un appel de l'ordonnance du 15 février 2023. En application de l'article 954 alinéa 3 code de procédure civile, cette demande doit en conséquence être rejetée.

En tout état de cause, l'exequatur ayant été déjà accordée à la sentence, l'ordonnance du président du tribunal judiciaire de Paris du 15 février 2023 produit son plein effet.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'EARL des Marais, succombant à l'instance, est condamnée aux dépens et à verser à la SAS Agrotrade la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette le recours en annulation formé par l'EARL des Marais,

Rejette la demande de confirmation de l'ordonnance d'exequatur du 15 février 2023,

Condamne l'EARL des Marais à verser à la SAS Agrotrade la somme de 4000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'EARL des Marais aux dépens.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 23/05505
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.05505 ?
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