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11/06/2024 | FRANCE | N°22/12494

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 11 juin 2024, 22/12494


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 11 JUIN 2024



(n° 54 /2024 , 25 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12494 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGC5N



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris, le 3 novembre 2021, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la réf

érence n°23929/DDA/AZO





DEMANDEURS AU RECOURS :



ETAT DU SENEGAL,

représenté par le Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances,

[Adress...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 11 JUIN 2024

(n° 54 /2024 , 25 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12494 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGC5N

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à Paris, le 3 novembre 2021, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence n°23929/DDA/AZO

DEMANDEURS AU RECOURS :

ETAT DU SENEGAL,

représenté par le Ministre d'État, Ministre de l'Économie et des Finances,

[Adresse 3] (SENEGAL)

Représenté par l'Agent Judiciaire de l'État du Sénégal sis [Adresse 2] (SENEGAL)

UNITE DE COORDINATION DE LA GESTION DES DECHETS SO LIDES (UCG) Ministère de la gourvernance locale, du developpement et de l'Amenagement du Territoire, venant aux droits de l'Entente CADAK-CAR par Décret n°2015-1703 du 26 octobre 2015 (article 1er) [Adresse 1] (SENEGAL)

Représentée par l'Agent judiciaire de l'Etat du Sénégal,Rond Point Washington, BP 14451, DAKAR, (SENEGAL)

Ayant pour avocat postulant : Me Audrey LAZIMI de la SELEURL AUDREY LAZIMI AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0245

Ayant pour avocat plaidant : Me Benoît LE BARS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0184

DEFENDERESSE AU RECOURS :

S.A. GTA ENVIRONNEMENT

[Adresse 4] (SENEGAL)

Ayant pour avocat postulant : Me Jacques-Alexandre GENET de la SELAS ARCHIPEL, avocat au barreau de PARIS, toque : P0122

Ayant pour avocats plaidants : Me Anzhela TOROSYAN et Me Michaël SCHLESINGER, de la SELAS ARCHIPEL avocats au barreau de PARIS, toque : P0122

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par M. Daniel BARLOW dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à Paris le 3 novembre 2021, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (CCI), dans un litige opposant la société GTA Environnement à l'Etat du Sénégal et à l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides du ministère de la gouvernance locale, du développement et de l'aménagement du territoire (UCG), venant aux droits de l'Entente CADAK-CAR.

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur l'exécution d'une convention de concession conclue le 15 juillet 2010 entre, d'un côté, les sociétés de droit italien Gicos et Tirrenoamiente, de l'autre, la Communauté des Agglomérations de Dakar dite « CADAK » et la Communauté des Agglomérations du Rufisque dite « CAR », toutes deux regroupées au sein de l'Entente CADAK-CAR, et l'État du Sénégal, représenté par son ministre d'État, ministre de l'économie et des finances.

3. Conclue à la suite de la fermeture du dépotoir de Mbeubeuss à Dakar pour des raisons de santé publique et de protection de l'environnement, cette convention porte sur la réalisation et l'exploitation d'installations destinées au traitement et à l'élimination des déchets autorisés de la région de Dakar, comprenant un centre de transfert et de tri à Mbao, un centre d'enfouissement technique sur le territoire des communautés rurales de Diass et Sindia, et un système de transfert entre ces deux centres. Elle prévoit, à son article 12, la constitution d'une société d'exploitation locale et comporte une clause compromissoire au profit de la CCI pour le règlement des différends.

4. En application de ces stipulations, Gicos et Tirrenoambiente ont créé, le 21 juillet 2010, la société de droit sénégalais GTA Environnement qui a débuté son activité le 1er janvier 2012.

5. En janvier et février 2012, la réalisation du projet s'est trouvée perturbée par une série d'évènements. Des transferts de déchets vers le centre de tri de Sindia ont été interrompus par des manifestants, l'un des camions a été brûlé et le personnel de GTA Environnement a fait l'objet de menaces. Après s'être introduites dans le centre de Sindia, des personnes y ont détruit du matériel et des stocks.

6. À la suite de ces évènements, GTA Environnement a arrêté la réalisation du projet et rapatrié son personnel étranger en invoquant la force majeure.

7. Le 18 septembre 2018, cette société a engagé une procédure d'arbitrage devant la CCI en vue d'obtenir une indemnisation et la résiliation de la convention aux torts des défendeurs.

8. Le tribunal de commerce hors-classe de Dakar a, sur saisine de l'Etat du Sénégal, prononcé la liquidation judiciaire de GTA Environnement le 13 août 2021 et a désigné le cabinet Isma Dadis Sagna en qualité de syndic. GTA Environnement a interjeté appel de cette décision.

9. Par une ordonnance de procédure n° 31, le tribunal arbitral a dit que le jugement de liquidation ne produira pas ses effets dans la procédure arbitrale.

10. Puis, par la sentence querellée du 3 novembre 2021, le tribunal arbitral a statué à l'unanimité en ces termes :

- Retient sa compétence ;

- Rejette l'exception soulevée par les Défendeurs ;

- Dit que les écritures et pièces contestées sont admises dans la procédure ;

- Dit que la Demanderesse a qualité pour agir ;

- Dit que la Convention de Concession prend fin à la date de la présente sentence ;

- Dit que les Défendeurs sont responsables du dommage subi par la Demanderesse, et les condamne à lui payer 7 247 191 384 FCA avec intérêts aux taux légal sénégalais à partir de la présente sentence, capitalisables annuellement jusqu'à parfait paiement ;

- Condamne les Défendeurs à payer à la Demanderesse 753 523 996 FCFA avec intérêts aux taux de 7% à compter du 18 septembre 2018, capitalisés annuellement jusqu'à parfait paiement ;

- Dit la demande reconventionnelle recevable, mais la rejette comme non fondée ;

- Condamne les Défendeurs à payer à la Demanderesse, au titre des frais de l'arbitrage tels que fixés par la Cour, 327 500 USD et au titre des frais de défense 1 132 609, 45 EUR, avec intérêts aux taux légal sénégalais depuis la présente sentence, capitalisés annuellement jusqu'à parfait paiement ;

- Rejette toutes autres demandes des Parties.

11. L'État du Sénégal et l'UCG ont formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 4 juillet 2022.

12. Par arrêt du 29 août 2022, la cour d'appel de Dakar a infirmé le jugement de liquidation de GTA Environnement et dit que cette société n'était pas en cessation des paiements.

13. La clôture a été prononcée le 20 février 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 11 mars 2024 au cours de laquelle les conseils des parties ont été entendus.

14. L'Etat du Sénégal et l'UCG ont déposé des conclusions aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats, le 30 avril 2024, auxquelles GTA Environnement a répondu par conclusions du 14 mai 2024.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

A. Conclusions de procédure

15. Dans ses conclusions aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats du 30 avril 2024, l'Etat du Sénégal et l'UCG demandent à la cour, au visa des articles 802, 803, 122, 444, 31, 1457, 1460, 1492, 1506 et 1520 et 1527 du code de procédure civile, 1240 du code civil, 699 et 700 du code de procédure civile, du Règlement d'arbitrage de la CCI et de la Sentence rendue le 3 novembre 2021 à Paris, de bien vouloir :

- Constater le défaut d'intérêt et la qualité à agir de la société GTA Environnement étant dépourvue de la personnalité morale ;

- Constater que la cause grave est justifiée ;

Et par conséquent,

- Révoquer l'Ordonnance de clôture intervenue le 20 février 2024 afin de permettre aux parties de faire connaître leurs arguments sur la question soulevée par la disparition de la partie Défenderesse du fait de sa radiation par Ordonnance n° 286/2024 du 25 mars 2024 ;

- Ordonner la réouverture des débats pour permettre un débat contradictoire entre les parties et la jonction de tout actionnaire de la société GTA Environnement ;

- Débouter la société GTA Environnement de toutes ses demandes et annuler la sentence ;

- Ordonner au demandeur d'attraire les entités compétentes à la procédure à savoir les actionnaires de la société GTA

- Fixer tout calendrier d'échange d'écritures entre les Parties afin de permettre un débat contradictoire sur les questions soulevées par la radiation de la société GTA Environnement ;

- Fixer toute nouvelle audience pour permettre aux Parties de s'exprimer contradictoirement et de débattre des écritures et pièces qu'elles auront pu produire ;

- Fixer, le cas échéant, toute nouvelle date de clôture qu'il plaira après que les débats aient pu avoir lieu ;

Le tout sans préjudice des demandes formées par l'État au titre de son recours en annulation qui demeurent intégralement maintenues et sont reprises aux présentes ci-dessous conformément aux dernières écritures déposées par la Demanderesse, lesquelles sollicitaient de la Cour d'appel de Paris de :

- Constater que le principe de l'ordre public international tel qu'il s'impose au Tribunal arbitral n'a pas été respecté (i) en raison de violations des règles impératives du droit des procédures collectives, (ii) au regard d'une procédure de faillite (insolvabilité) qui ne méconnaissait pas elle-même les exigences de l'ordre public international, (iii) au regard du principe d'égalité des armes, (iv) envers le principe d'après lequel « nul ne plaide par procureur », (v) en raison de la prolongation par le Tribunal arbitral par sa Sentence de la fraude procédurale d'une partie et de ses conseils représentant GTA, (vi) par violation à l'ordre public procédural et (vii) un autre manquement à l'ordre public procédural par le calcul de dommages et intérêts sur la base d'un rapport d'expert ([U]) contenant des documents d'expertise non conformes aux règles de procédure ;

- Constater que le principe de la contradiction n'a pas été respecté par l'utilisation aux motifs de la Sentence (i) d'une Convention de coopération judiciaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars 1974 jamais débattue avec les Parties et (ii) de mécanismes d'anatocisme jamais débattus avec les Parties dont la loi appliquée n'est pas précisée par la Sentence ;

- Constater que la Sentence ne s'est pas conformée à la mission confiée par (i) l'absence totale de décision des arbitres quant aux incidences des fraudes commises par GTA et ses conseils, (ii) l'absence de délimitation appropriée de l'objet du litige et (iii) le non-respect des impératifs formels résultant des règles de procédure CCI induisant une violation de la mission ;

En conséquence,

- Recevoir le recours en annulation introduit par l'État ;

- Annuler intégralement la sentence arbitrale attaquée, rendue à Paris le 3 novembre 2021 par le Tribunal arbitral composé de MM. Paolo MARZOLINI, Nicolas MOLFESSIS et Ibrahim FADLALLAH (Président) ;

A titre subsidiaire,

- Annuler partiellement la sentence arbitrale attaquée, rendue à Paris le 3 novembre 2021, quant à l'ensemble des décisions financières adoptées en matière de calcul des dommages, dont la motivation est viciée pour violation de l'article 1520, 3° CPC, le Tribunal s'étant prononcé en équité sans en avoir reçu mission de la part des parties ;

- Condamner GTA au paiement à l'État de la somme de 2.800.000 euros au titre de son préjudice résultant des dommages subis par l'État au titre de la procédure arbitrale engagée et des effets de la Sentence rendue ;

- Condamner GTA au paiement à l'État de la somme de 360.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens et ses suites.

16. Dans ses conclusions en réponse du 14 mai 2024, la société GTA Environnement demande à la cour, au visa des articles 803 et suivants du code de procédure civile, de :

- Rejeter la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 20 février 2024 ;

- Déclarer irrecevables les conclusions et pièces déposées par la République du Sénégal postérieurement au 20 février 2024.

B. Conclusions au fond

17. Dans ses dernières conclusions au fond notifiées par voie électronique le 24 janvier 2024, l'État du Sénégal et l'UCG demandent à la cour, au visa des articles 1457, 1460, 1492, 1506 et 1520 du code de procédure civile, de l'article 1240 du code civil, des articles 699 et 700 du code de procédure civile, du règlement d'arbitrage de la CCI, et de la sentence rendue le 3 novembre 2021 à Paris, de bien vouloir :

- Constater que le principe de l'ordre public international tel qu'il s'impose au Tribunal arbitral n'a pas été respecté en raison de violations des règles impératives du droit des procédures collectives, au regard d'une procédure de faillite (insolvabilité) qui ne méconnaissait pas elle-même les exigences de l'ordre public international, au regard du principe d'égalité des armes, envers le principe d'après lequel « nul ne plaide par procureur », en raison de la prolongation par le Tribunal arbitral par sa sentence de la fraude procédurale d'une partie et de ses conseils représentant GTA, par violation à l'ordre public procédural et un autre manquement à l'ordre public procédural par le calcul de dommages et intérêts sur la base d'un rapport d'expert ([U]) contenant des documents d'expertise non conformes aux règles de procédure ;

- Constater que le principe de la contradiction n'a pas été respecté par l'utilisation aux motifs de la sentence d'une Convention de coopération judiciaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars 1974 jamais débattue avec les Parties et de mécanismes d'anatocisme jamais débattus ave les Parties dont la loi appliquée n'est pas précisée par la sentence ;

- Constater que la sentence ne s'est pas conformée à la mission confiée par l'absence totale de décision des arbitres quant aux incidences des fraudes commises par GTA et ses conseils, l'absence de délimitation appropriée de l'objet du litige et le non-respect des impératifs formels résultant des règles de procédure CCI induisant une violation de la mission ;

En conséquence,

- Recevoir le recours en annulation introduit par l'État ;

- Annuler intégralement la sentence arbitrale attaquée, rendue à Paris le 3 novembre 2021, par le Tribunal arbitral composé de MM. Paolo MARZOLINI, Nicolas MOLFESSIS et Ibrahim FADLALLAH (Président) ;

- À titre subsidiaire, Annuler partiellement la sentence arbitrale attaquée, rendue à Paris le 3 novembre 2021, quant à l'ensemble des décisions financières adoptées en matière de calcul des dommages, dont la motivation est viciée pour violation de l'article 1520, 3° CPC, le Tribunal s'étant prononcé en équité sans en avoir reçu mission de la part des parties ;

- Condamner GTA au paiement à l'État de la somme de 2.800.000 euros au titre de son préjudice résultant des dommages subis par l'État au titre de la procédure arbitrale engagée et des effets de la sentence rendue ;

- Condamner GTA au paiement à l'État de la somme de 360.000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens et ses suites.

18. Dans ses dernières conclusions au fond notifiées par voie électronique le 9 février 2024, la société GTA Environnement demande à la cour, au visa des articles 1520, 1527 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- Rejeter le recours en annulation ;

- Débouter la République du Sénégal de l'ensemble de ses demandes ;

- Rappeler qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet de l'appel ou du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

- Condamner la République du Sénégal aux dépens ;

- Condamner la République du Sénégal au paiement de la somme de 100 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

A. Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats

19. L'Etat du Sénégal et l'UCG invoquent des circonstances exceptionnelles nécessitant la réouverture des débats en faisant valoir que :

- par décision du 25 mars 2024, le tribunal de commerce hors-classe de Dakar du 25 mars 2024 a ordonné « à l'administrateur des Greffes du RCCM de radier d'office la société GTA Environnement S.A. du RCCM pour cessation d'activité » ;

- il y a lieu dans ces circonstances d'adresser le sujet de la disparition par radiation d'office de la partie défenderesse, dont il avait déjà été exposé qu'elle constituait depuis longtemps une coquille vide, et de la nécessité d'identifier ses représentants ;

- une réouverture des débats sur la question de la recevabilité des demandes formées par la défenderesse au recours ainsi que sur la représentation de cette société désormais radiée s'impose ;

- par soucis d'effectivité de l'arrêt à venir et de son caractère exécutoire pour l'ensemble des parties, il apparaît nécessaire d'attraire les actionnaires à la cause, la radiation de la société pour inactivité depuis trois ans maintenant, constatée par un acte des autorités judiciaires du siège de la société, constituant un motif suffisamment grave pour devoir apprécier les effets du recours en annulation qui touche la sentence rendue le 3 novembre 2021 ;

- l'intérêt à agir ainsi que la qualité à agir de la partie défenderesse semble faire défaut puisque la société GTA est considérée n'avoir plus d'existence juridique pour les juridictions sénégalaises compétentes en vertu du droit du for et du siège de la société considérée ;

- il apparaît évident que la sentence arbitrale du 3 novembre 2021 doit être annulée puisqu'elle concerne notamment une société GTA aujourd'hui considérée comme inexistante.

20. La société GTA Environnement s'oppose à la révocation de l'ordonnance de clôture et à la réouverture des débats en soutenant que :

- la décision invoquée par les demandeurs au recours ne constitue pas un motif grave au sens de l'article 804 du code de procédure civile ;

- cette décision est incomplète, les demandeurs ne produisant pas la « requête et les motifs y exposés » et les pièces jointes qu'elle vise expressément ;

- elle aurait pu être sollicitée avant la clôture, rien ne justifiant que la radiation soit intervenue après le 24 février 2024 ;

- elle a été rendue sans que GTA Environnement eut été entendue ou appelée, et n'a pas été notifiée à la société ;

- elle procède d'une fraude, plusieurs éléments ayant manifestement été dissimulés au tribunal de commerce, en particulier l'implication de GTA Environnement dans plusieurs procédures conduites en France et au Sénégal, la demande de radiation ayant été introduite pour faire échec à la décision à intervenir ;

- elle n'est pas définitive, GTA Environnement ayant formé un recours ;

- elle est contredite par les pièces versées aux débats qui établissent que la société poursuit son activité ;

- elle n'a pas fait l'objet d'un exequatur en France.

SUR CE :

21. Il est relevé à titre liminaire que, contrairement à ce qu'affirment les demandeurs au recours dans leurs courriers des 15 mai et 3 juin 2024, la cour n'a pas révoqué l'ordonnance de clôture ensuite de leurs conclusions de procédure du 30 avril 2024, mais a autorisé la société défenderesse à répondre à ces conclusions en fixant pour ce faire un calendrier de procédure. Il ne sera en conséquence pas tenu compte de ces courriers qui, non autorisés, tendent à voir évoquer des questions touchant au fond et voir fixer un calendrier de mise en état.

22. En vertu des articles 802 et 803 du code de procédure civile, une partie peut, sans encourir l'irrecevabilité, produire des conclusions et des pièces après l'ordonnance de clôture pour en solliciter la révocation, cette dernière ne pouvant être prononcée que s'il se révèle une cause grave après que cette ordonnance a été rendue.

23. En l'espèce, les conclusions et pièces déposées par l'Etat du Sénégal et l'UCG en cours de délibéré, le 30 avril 2024, tendent à la révocation de l'ordonnance de clôture et à la réouverture des débats. Elles doivent, comme telles, être déclarées recevables.

24. Les demandes ainsi formulées reposent sur la radiation d'office de la société défenderesse du registre du commerce et des sociétés, prononcée par décision du tribunal de commerce de Dakar du 25 mars 2024.

25. S'il est constant que cette radiation est intervenue après le prononcé de la clôture, elle ne peut être regardée comme constitutive d'une cause grave propre à justifier la révocation de cette décision et la réouverture des débats dès lors que, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, cette mesure n'entraîne pas la disparition de l'intimée, pas plus qu'elle ne remet pas en cause la capacité à agir en justice de la société GTA Environnement, dont la personnalité morale demeure. Elle est donc sans incidence sur la représentation de cette société dans le cadre de la présente instance et sa capacité à défendre.

26. La cour relève au surplus que GTA Environnement précise avoir formé opposition contre cette décision de radiation qui n'est dès lors pas définitive et n'a fait l'objet d'aucun exequatur en France.

27. Il y a lieu, dans ces conditions, de rejeter les demandes procédurales de l'État du Sénégal et de l'UCG tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture et à la réouverture des débats.

B. Sur le recours en annulation de la sentence arbitrale

28. Les demandeurs au recours invoquent trois moyens d'annulation, tirés de la contrariété de sa reconnaissance ou de son exécution avec l'ordre public international (1), d'une atteinte au principe de la contradiction (2) et du non-respect par le tribunal arbitral de sa mission (3).

1. Sur le premier moyen d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international

29. L'État du Sénégal et l'UCG soutiennent que la sentence a été rendue en violation des règles impératives du droit des procédures collectives. Ils font valoir à ce titre que :

- les effets impératifs de procédures collectives en matière d'arrêt des poursuites et de dessaisissement du représentant légal du débiteur relèvent de l'ordre public international ;

- la conception française de l'ordre public international impose toujours aux tribunaux arbitraux de recevoir les effets d'une décision d'ouverture d'une liquidation directe lorsqu'elle se présente en cours d'arbitrage ;

- en déterminant sans fondement qu'une décision étatique de liquidation était contraire à l'ordre public international, le tribunal arbitral a violé ce même ordre public ;

- l'infirmation en appel du jugement d'ouverture de la procédure ne remet pas en cause la violation alléguée, qu'il convient d'apprécier au regard du principe d'actualité de l'ordre public international ;

- les effets négatifs, pour le Sénégal, du mépris par le tribunal arbitral du jugement d'ouverture de la procédure collective continuent d'affecter sa situation juridique aujourd'hui, de sorte que la violation d'hier conserve toute son actualité et ce, d'autant plus, qu'un pourvoi en cassation est en cours contre l'arrêt ayant infirmé la liquidation de la société ;

- il appartient au juge de l'annulation de vérifier que la sentence reflète une bonne application par les arbitres de l'ordre public international aux différends dont ils sont saisis et de sanctionner toute méconnaissance éventuelle.

30. Ils ajoutent que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal arbitral, la procédure de liquidation directe ne méconnaissait pas les exigences de l'ordre public international dès lors que :

- l'affirmation selon laquelle une décision d'ouverture de la procédure collective risque de déstabiliser un arbitrage est insuffisante en elle-même, une telle décision produisant nécessairement des effets directs dans le cadre de l'arbitrage ;

- la décision de liquidation ne remplit pas les critères d'une violation de l'ordre public international, la procédure judiciaire ayant été conduite dans le respect des délais et principes des procédures collectives ;

- l'appréciation par le tribunal arbitral de l'ouverture de la procédure collective au regard de l'ordre public international est défaillante et viole les impératifs d'ordre public quant au respect des droits du syndic et de son conseil de s'exprimer et faire valoir leurs droits dans une procédure arbitrale en cours ;

- l'État du Sénégal n'a pas fait preuve de mauvaise foi procédurale car il a signalé, dans sa réponse à la demande d'arbitrage, que ce dernier était frauduleux et abusif et qu'une procédure collective serait engagée si GTA Environnement se trouvait en cessation des paiements ;

- GTA Environnement a été représentée dans la procédure collective par un avocat local et a pu faire valoir ses droits.

31. Les demandeurs au recours soutiennent par ailleurs que le tribunal arbitral a violé le principe d'égalité des armes. Ils exposent sur ce point que :

- ce principe implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire ;

- en l'espèce, l'adoption de l'ordonnance n° 31 et de la sentence par le tribunal arbitral est contraire à l'égalité de traitement ;

- le Sénégal a vainement tenté, à plusieurs reprises, d'initier une discussion sur les effets du jugement du tribunal de commerce de Dakar, sans avoir la possibilité de s'exprimer au sujet des arguments de GTA Environnement ;

- contrairement à ce qui est prétendu, il n'y avait pas d'urgence à rendre cette ordonnance ni de situation « qui aurait conduit à une nouvelle et grave perturbation dans la procédure, privant GTA d'une décision sur le point d'être rendue » , le tribunal n'ayant pas expliqué cette affirmation ;

- le tribunal arbitral a par ailleurs refusé de prendre en compte l'impact du Covid sur la capacité de l'État du Sénégal à se défendre dans des conditions normales, en l'espèce non remplies ;

- l'État du Sénégal a présenté une demande de rectification de la sentence légitime à laquelle il n'a pas été fait droit ;

- en faisant perdurer la sentence revêtue de défauts et inconsistances majeurs, le tribunal arbitral a violé l'égalité des parties quant à l'accès au juge ;

- ce principe a enfin été méconnu en ce que la CCI a réclamé à l'État du Sénégal le paiement de frais supplémentaires pour que soit rendue une sentence rectificative.

32. Ils considèrent que le tribunal arbitral a violé le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur » et avancent à ce titre que :

- ce principe implique d'assurer l'exactitude de la correspondance entre la personne devant respecter l'impératif de l'intérêt à agir/intérêt à se défendre et l'identification des parties au procès ;

- or, en l'espèce, GTA Environnement n'était pas représentée par le bon interlocuteur, soit le syndic nommé par le tribunal de commerce de Dakar, mais par une partie non légitime, à savoir Maître [R], son ancien conseil qui avait été révoqué par le syndic ;

- ce conseil a pris une décision abusive en ignorant la nomination de syndic et en continuant à agir au nom de GTA Environnement.

33. Ils soutiennent que la sentence a prolongé les effets d'une fraude procédurale commise par GTA Environnement dès lors que :

- le tribunal arbitral n'a pas laissé, au moment de l'adoption de l'ordonnance n°31, le syndic et l'État du Sénégal s'exprimer sur la demande de mesures provisoires de GTA Environnement qui contenaient de fausses affirmations ;

- il a repris dans son ordonnance ces affirmations fausses et mensongères qui ont été incorporées à la sentence ;

- en ne permettant pas au syndic de s'exprimer, le tribunal a laissé perdurer une incertitude sur la représentation d'une partie, créant un conflit de représentation ;

- par respect pour la règle d'ordre public imposant au tribunal arbitral de prendre en considération les effets d'un jugement de liquidation, celui-ci aurait pu inviter le syndic à se joindre à la procédure sans nécessairement évincer totalement le représentant légal initial ayant perdu son pouvoir de représentation du fait de la nomination du syndic.

34. Ils exposent enfin que la sentence arbitrale viole l'ordre public procédural en ce que :

- le tribunal arbitral a tenu compte d'éléments produits au titre d'un rapport d'expert formulé par une personne non-indépendante ;

- il a tenté de justifier son appréciation du dommage en prétendant utiliser des pièces comptables fournies par GTA Environnement à cet expert sans expliquer, dans la motivation, comment il était parvenu à ces appréciations par une citation des pièces comptables spécifiques ;

- le rapport d'expert n'a pas été produit en original ni communiqué dans une langue parlée par l'expert, la sentence ne répondant pas sur ce point dans sa motivation ;

- le calcul de dommages et intérêts sur la base d'un rapport d'expert et à partir de documents d'expertise non-conformes aux règles de procédure n'est pas conforme aux exigences de l'ordre public procédural.

35. La société GTA Environnement réplique que le jugement de liquidation a été infirmé en appel et ne doit par conséquent pas être pris en compte par les juridictions françaises dans leur appréciation de la conformité de la sentence arbitrale à l'ordre public international français. Elle expose à ce titre que :

- la conformité à l'ordre public international s'apprécie au jour où le juge statue et non au jour où les arbitres ont statué ;

- ce qui importe dans cette appréciation, c'est le résultat concret de la reconnaissance et de l'exécution de la sentence dans l'ordre juridique français et pas tant l'éventuelle violation, par les arbitres de telle ou telle règle ;

- le jugement invoqué par les demandeurs au recours a été infirmé par la cour d'appel de Dakar, ce qui anéantit rétroactivement la liquidation ;

- le pourvoi formé contre ce jugement le 13 juin 2023, soit postérieurement aux premières conclusions déposées dans le cadre de la présente procédure, est inopérant car n'a pas pour effet de remettre en cause l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Dakar ;

- il a été irrecevable pour avoir été formé hors délai et mal fondé.

36. Elle ajoute que le jugement de liquidation est contraire à l'ordre public international et donc inopposable, en faisant valoir que :

- si par extraordinaire la cour entendait tenir compte de l'existence du jugement de liquidation, elle devrait au préalable examiner sa régularité internationale et notamment sa conformité à l'ordre public français ;

- la cour d'appel de Paris a déjà rejeté un recours en annulation formé par un État contre une sentence arbitrale ayant déclaré qu'était contraire à l'ordre public international et partant inopposable à la procédure arbitrale la liquidation prononcée à l'encontre du demandeur pendant l'instance arbitrale ;

- en l'espèce, les arbitres se sont scrupuleusement conformés à cette jurisprudence en considérant que le jugement de liquidation avait été obtenu dans des conditions méconnaissant gravement les droits de la défense et qu'il constituait une violation caractérisée de la bonne foi ;

- la liquidation a été prononcée alors que les arbitres étaient sur le point de rendre leur sentence, alors que la créance invoquée n'était nullement exigible, que l'acte introductif d'instance a été délivré à l'insu de GTA, à son ancien siège social alors que le transfert de siège avait été publié deux ans auparavant de sorte que GTA a donc appris l'existence de cette procédure que lorsque les débats ont été clôturés et n'a pas pu faire valoir ses droits ;

- comme l'a admis le conseil du Sénégal, cette liquidation n'était en réalité qu'une stratégie mise en place pour bloquer la procédure d'arbitrage.

37. Elle soutient que le tribunal arbitral a bien respecté le principe d'égalité des armes en ce que :

- le tribunal arbitral a donné la possibilité à l'État du Sénégal de faire valoir ses observations et de discuter des éléments de preuves utiles ;

- l'État du Sénégal savait que le jugement était contraire à l'ordre public international et ne s'en est servi qu'à des fins dilatoire et pour obtenir l'annulation de la sentence ;

- le fait qu'il n'ait pu obtenir une seconde sentence rectificative n'est en rien contraire à l'ordre public international, le Sénégal ne pouvant se prévaloir de sa propre carence ;

- sur la demande de mesures provisoires déposée le 15 septembre 2021, le Sénégal a pu demander le rejet de cette demande au motif que les conseils de GTA agissaient sans mandat et a eu la possibilité de formuler des observations supplémentaires mais s'est abstenu de le faire, le tribunal arbitral ayant statué en l'état des observations des parties ;

- la demande de mesures provisoires ne contient pas de nouveaux arguments ou débat sur le fond ;

- ces mesures, dont la cause est survenue après la clôture, ont été rendues dans l'urgence dans le respect du règlement d'arbitrage de la CCI.

38. Elle expose que le tribunal arbitral n'a pas porté atteinte à la règle selon laquelle « nul ne plaide par procureur » dès lors que :

- le risque de confusion invoqué est nul, GTA Environnement ayant été représentée dans la procédure arbitrale par son représentant légal en exercice et non par le syndic désigné par le jugement de liquidation ;

- la règle « nul ne plaide par procureur » n'est pas une règle d'ordre public justifiant l'annulation d'une sentence arbitrale.

39. Elle fait valoir que le tribunal arbitral n'a pas commis de fraude en permettant à GTA Environnement de poursuivre la procédure représentée par son représentant légal en exercice et non par le syndic en ce que :

- le dessaisissement du débiteur est un effet substantiel du jugement de faillite étranger ;

- en l'espèce, le jugement de liquidation n'est pas reconnu ni vêtue de l'exequatur. Il ne peut donc avoir aucun effet de dessaisissement du débiteur et GTA peut être représentée par son représentant légal en exercice et non par les syndics ;

- les allégations du Sénégal ne sont corroborées par aucune preuve.

40. Elle expose enfin que le tribunal arbitral a souverainement apprécié les éléments de preuve qui lui étaient présentés en relevant que :

- dans le cadre d'un recours en annulation, le contrôle de la cour ne doit pas porter sur l'appréciation que l'arbitre fait des droits des parties, mais sur la solution concrète donnée au litige par le tribunal arbitral ;

- en l'espèce, le tribunal arbitral a parfaitement apprécié les éléments de preuve qui lui ont été soumis ;

- le rapport [U] a été amplement discuté par les parties dans le cadre de l'instance arbitrale ;

- il a été produit en version française et non en italien, aucune règle applicable à la procédure d'arbitrage n'imposant que le rapport de l'expert soit produit en langue originale ;

- en tout état de cause, pour le calcul des dommages-intérêts, le tribunal arbitral n'a pas utilisé le critère proposé par l'expert dans son rapport.

SUR CE :

41. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.

42. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

43. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

(i) Sur la violation des règles du droit des procédure collectives

44. Il est en l'espèce constant que :

- alors que la procédure arbitrale était en cours, le tribunal de commerce hors-classe de Dakar a, par jugement du 13 août 2021, prononcé la liquidation judiciaire de la société GTA Environnement et désigné un syndic ;

- par ordonnance de procédure n° 31, le tribunal arbitral a dit que ce jugement ne produirait pas ses effets dans la procédure arbitrale ;

- il s'est, à cette fin, estimé pleinement compétent pour se prononcer sur les conséquences de la décision de liquidation, qu'il a jugée contraire à l'ordre public international ;

- dans sa sentence finale du 3 novembre 2021, le tribunal arbitral a confirmé sa compétence et son refus de prendre en considération le jugement de liquidation invoqué par l'État du Sénégal et l'UCG ;

- par arrêt du 29 août 2022, la cour d'appel de Dakar a infirmé ce jugement en toutes ses dispositions et dit que la société GTA Environnement n'était pas en cessation des paiements ;

- l'État du Sénégal a, le 13 juin 2023, formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, dont l'examen est en cours.

45. Il est acquis que les principes de suspension des poursuites individuelles, de dessaisissement du débiteur et d'interruption de l'instance en cas de faillite sont d'ordre public international.

46. La conformité de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence à cet ordre public doit toutefois être appréciée au moment où le juge de l'annulation statue.

47. Au cas présent, il ressort du rappel des faits que le jugement de liquidation dont se prévalent les demandeurs au recours a été infirmé en appel en toutes ses dispositions, cette infirmation ayant pour conséquence l'anéantissement de la décision.

48. Ce jugement étant ainsi dénué de toute portée, il ne saurait être considéré que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence qui, après en avoir écarté les effets, s'est prononcée sur les demandes formées par GTA Environnement, violerait les principes et valeurs de l'ordre public international.

49. L'existence d'un pourvoi formé par l'État du Sénégal contre l'arrêt d'appel est à cet égard indifférente, cette voie de recours n'ayant pas d'effet suspensif.

50. Le moyen pris dans sa première branche est dès lors inopérant et doit comme tel être écarté.

(ii) Sur la violation du principe de l'égalité des armes

51. L'égalité des armes constitue un élément du procès équitable protégé par l'ordre public international. Elle implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris les preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à la partie adverse.

52. Si les demandeurs au recours dénoncent à ce titre les conditions dans lesquelles l'ordonnance de procédure n° 31 a été rendue et soutiennent n'avoir pas été en mesure de faire valoir leurs arguments sur les effets du jugement de liquidation sur la procédure arbitrale, cette assertion se trouve démentie par les pièces versées aux débats.

53. La transcription de l'audience des plaidoiries du 31 mars 2021 fait en effet apparaître qu'à l'issue des débats, le tribunal arbitral a expressément autorisé les parties à produire de nouvelles pièces se rapportant à la procédure de liquidation, le président du tribunal invitant leurs conseils à les commenter dans leurs post hearing briefs, ce qu'ont fait l'État du Sénégal et l'UCG dans leurs mémoires post-audience n° 1 et 2. Le premier de ces documents fait notamment état des « très nombreuses conséquences [de la mise en liquidation de GTA Environnement] sur la capacité des demandeurs à représenter leur client et sur le simple intérêt à agir » et renvoie sur ce point aux arguments avancés par leurs conseil pendant l'audience. Le second consacre plusieurs paragraphes à la liquidation de la demanderesse à l'arbitrage et ses conséquences sur la procédure, évoquant notamment le défaut de pouvoir de ses conseils (§§ 22 à 28).

54. Dans son ordonnance de procédure n° 28 du 21 juillet 2021, le tribunal arbitral a en outre accordé à l'État du Sénégal et à l'UCG un délai supplémentaire afin de répondre au second mémoire post-audience de GTA Environnement, précisant à cet égard vouloir « rétablir l'équilibre entre les parties ». Il relève dans son ordonnance de procédure n° 30 que « Les Défendeurs ont choisi de ne produire aucun commentaire relatif aux productions de GTA sur la procédure de liquidation », sans que cette assertion soit en rien contredite par les pièces versées aux débats.

55. L'ordonnance de procédure n° 31, qui statue sur les conséquences du jugement de liquidation, reproduit quant à elle in extenso la réponse de l'État du Sénégal et de l'UCG à la requête de GTA Environnement à l'origine de cette décision. Contrairement à ce que soutiennent les recourants, cette réponse, dont le caractère succinct, voir lapidaire, ne saurait être imputé à faute aux arbitres, et dont l'original n'est pas produit par les recourants, ne réserve en rien le droit de leurs auteurs de commenter la demande de GTA Environnement sur le fond. Elle ne comporte aucune demande tendant à faire valoir des arguments supplémentaires ou visant à s'exprimer davantage sur la question de la liquidation.

56. Les demandeurs au recours, qui ont ainsi été mis à même de défendre leur position sur la liquidation de GTA Environnement et ses conséquences au regard de la procédure, ne sauraient dans ces conditions valablement faire grief au tribunal arbitral d'avoir fait échec à leurs tentatives de discussion et d'avoir « confisqué le débat » en ne leur permettant pas de s'exprimer sur ce point après que le jugement de liquidation eut été rendu, le tribunal arbitral ayant en tous points respecté l'égalité des armes entre les parties.

57. Les arguments tirés du refus par les arbitres d'examiner la demande de rectification et d'interprétation de la sentence faute de paiement de frais supplémentaires par l'État du Sénégal et l'UCG sont quant à eux sans emport, le refus allégué n'affectant pas la procédure ayant conduit au prononcé de la sentence objet du présent recours mais visant une demande postérieure dont les conditions d'examen présentent un caractère distinct.

58. Le non-respect de l'égalité des armes entres les parties n'est dès lors pas établi.

(iii) Sur la violation du principe selon lequel « nul ne plaide par procureur »

59. Le principe invoqué par les demandeurs au recours selon lequel « nul ne plaide par procureur » n'a d'autre but que la protection des droits de la défense auxquels porterait atteinte la dissimulation de l'identité véritable d'une partie en privant l'autre de la possibilité d'opposer des moyens personnels.

60. Outre que ce principe n'est pas d'ordre public international, l'État du Sénégal et l'UGC ne sauraient ici tirer argument d'une quelconque atteinte à cette règle du fait de l'admission par le tribunal arbitral de la représentation de GTA Environnement par son conseil plutôt que par le syndic désigné par le tribunal de commerce hors-classe de Dakar. Le débat ayant opposé les parties devant les arbitres sur les conséquences sur la procédure arbitrale de la liquidation de GTA Environnement et sur sa représentation dans ce contexte était en effet sans incidence sur l'identité de cette société et sa qualité de partie, seule étant en question sa représentation, les termes du débat étant connus de tous et le risque de confusion inexistant

61. Cette branche du moyen est dès lors inopérante.

(iv) Sur la fraude procédurale

62. La fraude procédurale commise dans le cadre d'un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l'ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise.

63. Les demandeurs au recours font à ce titre grief au tribunal arbitral d'avoir laissé la procédure se poursuivre en permettant à GTA Environnement d'être représentée après le jugement prononçant sa liquidation, non par le syndic désigné par le tribunal hors-classe de Dakar, mais par son représentant légal et son conseil initial.

64. Force est toutefois de constater que le jugement de liquidation était parfaitement connu des parties et du tribunal arbitral, qui s'est explicitement prononcé sur ses conséquences quant à la poursuite de l'arbitrage, après avoir recueilli les positions respectives des parties sur ce point.

65. Il ne saurait, dans ces conditions, être considéré que la sentence arbitrale querellée aurait été surprise par la fraude, les demandeurs au recours critiquant, sous couvert de fraude, la solution retenue par les arbitres dont ils cherchent la révision.

66. En quoi le moyen doit être rejeté.

(v) Sur l'ordre public de procédure

67. Les demandeurs au recours reprennent à ce titre les griefs précédemment invoqués concernant le non-respect de l'égalité des armes par le tribunal arbitral lors de l'adoption de son ordonnance de procédure n° 31, auxquels la cour a déjà répondu. Il est, sur ce point, renvoyé à la motivation développée aux paragraphes 48 et suivant de la présente décision.

68. S'ils dénoncent par ailleurs l'absence d'audition par les arbitres du syndic désigné par le tribunal hors-classe de Dakar et de son conseil, il résulte des pièces versées aux débats que le tribunal arbitral s'est prononcé sur les conséquences du jugement de liquidation et sur la représentation de la société GTA Environnement dans la procédure arbitrale après que les parties aient eu la possibilité de faire valoir leurs positions respectives, dans le respect de l'égalité des armes, la cour relevant que la représentation de GTA Environnement par le syndic et son conseil était soutenue par l'État du Sénégal et l'UCG, et que le syndic, qui n'avait pas la qualité de partie et dont la nomination est en toute hypothèse devenue caduque après que le jugement de liquidation eut été infirmé, n'a pris l'attache du tribunal arbitral qu'après le prononcé de l'ordonnance statuant sur la représentation de GTA Environnement, de sorte que l'atteinte alléguée à l'ordre public de procédure n'est pas caractérisée.

69. Les demandeurs au recours estiment enfin que « la motivation retenue par la sentence quant à son appréciation de la valeur du dommage doit être sanctionnée » dès lors que le tribunal arbitral a pris en considération des éléments produits au titre du rapport d'un expert dont ils dénoncent l'incompétence et de manque d'indépendance. Ils soulignent que ce rapport n'a pas été produit en original mais communiqué dans une version française, langue non-parlée par l'expert.

70. La cour rappelle qu'il appartient aux arbitres d'apprécier la validité, la pertinence et la portée des éléments de preuve qui leur sont soumis, le juge de l'annulation n'ayant pas le pouvoir de se prononcer sur cette appréciation, pas plus qu'il ne lui appartient de sanctionner ou de réviser la motivation retenue.

71. L'examen de la sentence querellée et des pièces versées aux débats fait au surplus apparaître que le rapport litigieux a fait l'objet de discussions nourries entre les parties durant la procédure arbitrale, tant dans leurs productions écrites qu'à l'oral, l'expert ayant été entendu et interrogé par les conseils des parties comme par les arbitres.

72. La société GTA Environnement relève enfin, à juste titre, qu'aucune règle de la procédure arbitrale n'imposait la production du rapport dans sa version en langue en originale, l'ordonnance de procédure n° 1 prévoyant la traduction en langue française de tout document rédigé dans une autre langue, à l'exception des pièces en langue anglaise, étant en outre relevé que le tribunal arbitral ne s'est pas fondé sur le rapport lui-même.

73. Dans ces conditions, aucune violation de l'ordre public de procédure n'est démontrée par l'État du Sénégal et L'UCG.

74. Il résulte de l'ensemble de ces considérations que le premier moyen d'annulation soutenu par les demandeurs ne peut prospérer.

2. Sur le deuxième moyen d'annulation tiré de l'atteinte au principe de la contradiction

75. L'État du Sénégal et l'UCG font grief au tribunal arbitral de n'avoir pas pris en compte la présence du syndic dans la procédure et d'avoir grossièrement ignoré les demandes de récusation, en faisant preuve d'une célérité excessive.

76. Ils ajoutent que le tribunal arbitral a motivé sa sentence par des éléments non rattachés à un ordre juridique consenti par les parties et non débattus entre elles, en exposant que :

- plusieurs motifs de la sentence ne font pas mention du droit appliqué et relèvent de déclarations générales non appuyées de références spécifiques à des textes de loi, de jurisprudence ou de doctrine, de sorte qu'il est impossible de déterminer si le droit applicable, en l'espèce le droit sénégalais, a bien été appliqué par les arbitres ;

- la sentence fait référence à des sources non choisies par les parties et non débattues, comme l'équité mais aussi la convention de coopération judiciaire entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars 1974, le tribunal arbitral s'étant basé sur cette convention pour retenir que le jugement de liquidation étant frappé d'appel ne peut produire des effets sur la procédure arbitrale ;

- l'utilisation de cette convention était un moyen de contourner la règle d'ordre public international d'après laquelle les arbitres sont tenus de considérer avec immédiateté les effets d'une décision d'ouverture d'une procédure collective ;

- la sentence a appliqué des mécanismes d'anatocisme qui n'ont pas été débattus par les parties, sans que la loi appliquée soit précisée, la motivation de la sentence sur les intérêts n'indiquant ni les textes servant de base à ces calculs ni les règles de droit appliquées.

77. La société GTA Environnement réplique que :

- le moyen d'annulation soutenu par les demandeurs n'est légalement pas opérant, le juge de l'annulation n'ayant pas à contrôler la qualité ou le contenu de la motivation ;

- la convention de coopération judiciaire entre a République française et le gouvernement de la République du Sénégal n'a été utilisée par le tribunal arbitral qu'à titre surabondant ;

- l'application de cette convention a été mise dans les débats par GTA Environnement qui l'a invoquée, le Sénégal et l'UCG ayant eu l'occasion de répondre sur ce point ;

- le tribunal arbitral a appliqué à juste titre des intérêts et le mécanisme d'anatocisme, conformément au contrat et au droit sénégalais ;

- en tout état de cause, si la cour devait estimer le contraire, la sentence ne pourrait faire l'objet que d'une annulation partielle.

SUR CE :

78. L'article 1520, 4°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation si le principe de la contradiction n'a pas été respecté.

79. Ce principe veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu'elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.

80. Le tribunal arbitral n'est pas tenu de soumettre aux parties l'argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués.

(i) Sur la non prise en compte de la présence du syndic dans la procédure et la demande de récusation

81. Il résulte des pièces versées aux débats et des développements qui précèdent que la prise en considération de la nomination d'un syndic à la suite du jugement prononçant la liquidation de la société GTA Environnement a fait l'objet d'échanges contradictoires entre les parties, chacune ayant été mise à même de faire valoir ses demandes et moyens, la célérité dénoncée par les demandeurs au recours dans la prise de décision du tribunal arbitral n'ayant pas porté atteinte au principe de la contradiction.

82. Il en va de même de la demande de récusation du tribunal arbitral formée par l'État du Sénégal et l'UCG le 14 octobre 2021, qui a donné lieu à échanges contradictoires entre les parties, récapitulés par la sentence arbitrale (§§ 350 à 378) et attestés par les pièces produites dans la présente procédure, chacune ayant, là encore, été en état de développer ses arguments, le conseil du syndic ayant lui-même produit des écritures auprès de la CCI, chargée de se prononcer sur la récusation, sans d'ailleurs les communiquer toutes au tribunal arbitral qui ne les a reçues que par l'intermédiaire du secrétariat de la CCI.

83. Aucune atteinte au principe de la contradiction ne saurait dès lors être retenue de ces chefs.

(ii) Sur la prise en considération d'éléments de motivation rattachés à un ordre juridique non-consenti et non-débattu par les parties

84. Les demandeurs au recours font ici grief au tribunal arbitral de ne s'être pas appuyé sur le droit sénégalais en différents points de sa sentence, les motifs correspondants ayant selon eux été retenus sans que les parties en aient débattu. Ils citent à ce titre des phrases ou membres de phrases extraits de la décision qu'ils indiquent être non-étayés au regard du droit applicable au litige.

85. La cour relève, à titre liminaire, que la non-application alléguée de la loi choisie par les parties pour le règlement de leur différend ne relève pas du respect de la contradiction mais du respect par le tribunal de sa mission, en quoi le moyen manque en droit.

86. Il apparaît par ailleurs que les passages cités par les demandeurs au recours, qui ne sauraient être considérés isolément mais doivent être replacés dans leur contexte et au sein la motivation dans laquelle ils s'insèrent, portent sur des questions amplement débattues par les parties, en fait comme en droit, qu'il s'agisse de la caractérisation de la force majeure et de ses conséquences sur l'exécution de la convention, de la résiliation ou de la suspension du contrat, de la responsabilité de l'État, du quantum des pertes invoquées par GTA Environnement ou de son indemnisation.

87. Aucun de ces extraits, dont certains sont de simples membres de phrases, ne fait référence à un texte ou un principe de droit dont les parties n'auraient pas été à même de débattre, les demandeurs au recours se bornant à dénoncer l'imprécision de la motivation, sa teneur ou l'impossibilité de « déterminer si le droit applicable a bien été appliqué par les arbitres », qui ne relèvent pas du contrôle opéré par la cour.

88. En quoi, l'atteinte alléguée au principe de la contradiction n'est pas démontrée.

(iii) Sur la référence à Convention de coopération judiciaire entre la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal du 29 mars 1974

89. Le paragraphe 576 de la sentence querellée comporte une référence expresse à cette Convention, le tribunal arbitral estimant qu'elle « ne permet pas de donner un effet international à une décision qui est soumise à un recours ordinaire ou à un pourvoi en cassation », tout en relevant que le jugement de liquidation est frappé d'appel et que le siège de l'arbitrage est Paris.

90. Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs au recours, l'application de cet instrument international a bien été débattue par les parties, pour avoir été invoquée par GTA Environnement dans ses observations sur la demande de récusation du 22 octobre 2021 (par. 44 et sq.) auxquelles l'État du Sénégal et l'UCG se sont vus accorder la possibilité de répondre par la CCI, bénéficiant à cette fin d'un délai supplémentaire jusqu'au 26 octobre 2021 ' droit dont ils ont usé en produisant des commentaires additionnels dont le paragraphe 40 évoque, sans mentionner la convention, l'argument tiré du défaut d'exequatur du jugement de liquidation en indiquant que « ce n'est pas le sujet ».

91. Il y a lieu de relever à cet égard que le motif tiré de cette convention n'a été retenu par le tribunal arbitral qu'après ce débat. L'ordonnance de procédure n° 31, qui statue sur les suites devant être réservées au jugement de liquidation et dont les motifs sont repris par la sentence finale, n'en fait pas état. Ce n'est donc qu'à titre surabondant et après que les parties aient débattu sur ce point que le tribunal a ajouté dans sa décision finale une référence à cette convention qui ne saurait dès lors être regardée comme portant atteinte au principe de la contradiction.

92. Le moyen développé à ce titre est dès lors infondé.

(iv) Sur l'anatocisme et le calcul des intérêts

93. Les demandeurs au recours font grief au tribunal arbitral d'avoir octroyé à GTA Environnement des intérêts sur les intérêts en justifiant cette condamnation par les règles sur l'anatocisme. Ils soutiennent que le paragraphe 635 de la sentence, qui retient cette condamnation, n'indique ni les textes servant de base au calcul retenu, ni les règles de droit appliquées, estimant que ces questions n'ont pas été débattues par les parties.

94. Il résulte toutefois de la lecture de la sentence que son paragraphe 657 d, auquel renvoie le passage incriminé par l'État du Sénégal et l'UCG, précise le fondement retenu pour la capitalisation des intérêts, par référence à l'article 101 du code des obligations de l'administration, qui avait été expressément invoqué par GTA Environnement dans ses mémoires post-audience n° 1 et 2, de sorte qu'aucun atteinte au principe de la contradiction ne peut être retenue.

95. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le deuxième moyen d'annulation doit être écarté.

3. Sur le troisième moyen d'annulation tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral

96. L'État du Sénégal et l'UCG reprochent au tribunal arbitral d'avoir statué en équité pour le calcul des dommages et intérêts, s'érigeant ainsi en amiable compositeur sans que les parties lui aient confié une telle mission. Ils exposent à ce titre que :

- les parties n'ont pas octroyé au tribunal arbitral le pouvoir de se prononcer en équité ou en amiable composition, son mandat indiquant qu'il devait se prononcer en droit, ce qu'il a fait mais sans donner les motifs de sa décision ;

- le tribunal arbitral, qui se réfère expressément à l'équité, n'a pas recherché dans le détail les méthodes de droit sénégalais d'évaluation du gain manqué ;

- ce défaut majeur relatif à la motivation du quantum du dommage doit au moins entraîner l'annulation partielle de la sentence.

97. Ils ajoutent que le tribunal arbitral ne s'est pas prononcé sur les incidences des fraudes commises par GTA Environnement et ses conseils, en exposant que :

- au cours de la procédure arbitrale, l'État du Sénégal et l'UCG ont fait valoir que la demanderesse à l'arbitrage avait été financée sur la base de fonds obtenus au titre d'infractions pénales ;

- le tribunal arbitral n'a pas vérifié l'origine des fonds et ne s'est pas prononcé sur leurs effets sur la procédure arbitrale, ce qui était pourtant impératif pour assurer son impartialité.

98. Ils considèrent que le tribunal arbitral n'a pas délimité de manière appropriée l'objet du litige en ce que :

- le tribunal arbitral est sorti du cadre de sa mission en intervenant sur le fond de la procédure de liquidation, plus précisément en appréciant les motivations de l'Agent judiciaire ayant initié cette procédure ainsi que la question de l'existence d'une dette fiscale de GTA ;

- le tribunal arbitral devait simplement vérifier si le tribunal de commerce de Dakar était bien indépendant et impartial et non exercer une influence sur l'issue de la procédure de liquidation ;

- le tribunal arbitral a également outrepassé sa mission en excluant le syndic de toute capacité de faire valoir ses arguments ainsi qu'en maintenant le conseil initialement nommé par un directeur général dont les pouvoirs avaient cessé par effet de dessaisissement en vertu de la loi sénégalaise applicable.

99. Ils soutiennent enfin que le tribunal arbitral n'a pas respecté les impératifs formels résultant du règlement de procédure, en exposant que :

- la liste de vérification des sentences CCI prévoit que toute sentence doit comporter un résumé précis des étapes de la procédure, ce qui n'est pas le cas dans la motivation de la sentence en l'espèce ;

- la sentence omet de présenter un rappel des faits concernant les étapes essentielles de la procédure après l'ordonnance n°31, cette omission n'étant pas un simple manquement formel mais une véritable violation de la mission ;

- les exigences formelles prévues par la liste précitée ne sont pas de simples recommandations, mais d'une véritable obligation de résultat, celui de produire une sentence administrée se donnant les meilleures chances d'être exécutée ;

- lorsqu'il a rendu l'ordonnance n° 31, le tribunal arbitral a statué sans rouvrir les débats pour déclarer ensuite qu'il les avait réouvert de manière implicite, une telle réouverture étant contraire à l'article 27 du règlement de la CCI, le tribunal arbitral ayant ainsi violé sa mission par l'abus de ses droits procéduraux.

100. La société GTA Environnement réplique que le tribunal arbitral n'a pas statué en amiable compositeur en ce que :

- l'évaluation d'un dommage en équité n'implique pas que l'arbitre unique ait excédé ses pouvoirs en s'attribuant ceux d'un amiable compositeur ;

- le tribunal arbitral ne s'est pas référé à aucun moment à une quelconque notion d'équité, ni n'a indiqué qu'il s'écartait de la règle de droit, ou qu'il s'était vu confier la possibilité de statuer en amiable compositeur :

101. Elle ajoute que le tribunal arbitral n'avait pas à se prononcer sur les prétendues fautes de gestion commises dans son administration dès lors que :

- le litige portait sur l'exécution d'un contrat de concession, il ne s'agissait pas d'un litige entre actionnaires et/ou dirigeants de GTA autour de la gestion de la société, ni d'un litige de nature fiscale ou pénale ;

- il n'a jamais été allégué que la résiliation de la convention de concession était en lien avec la question de savoir si la société avait rempli ses obligations fiscales au regard de la législation sénégalaise, ni celle de savoir si elle avait versé le produit des factures payés par l'État à GTA ;

- les allégations selon lesquelles les frais de la procédure arbitrale ont été payés par des fonds provenant d'actes de fraudes sont fantaisistes, ces frais ayant été payés avec le produit du chiffre d'affaires réalisé par GTA, par apport en compte courant de l'un de ses associés et par le recours à un prêt auprès d'un tiers, ce qui n'est pas de nature à entraîner l'annulation de la sentence.

102. Elle retient qu'il appartenait au tribunal devait se prononcer sur l'effet du jugement de liquidation sur la procédure arbitrale en exposant que :

- le Sénégal est à l'initiative de l'introduction de cette question dans la procédure arbitrale et reproche d'ailleurs aux arbitres de ne pas en avoir tenu compte ;

- les arbitres ne se sont pas prononcés sur l'opportunité de placer GTA en liquidation judiciaire ni n'ont pas prononcé celle-ci, mais ont retenu que la question de la liquidation ne relevait pas de leur compétence ;

- il ne se sont intéressés qu'aux effets du jugement de liquidation afin d'en pour vérifier la régularité internationale et les effets sur la procédure arbitrale.

103. Elle considère enfin que le tribunal arbitral a respecté les exigences formelles de rédaction de la sentence en faisant valoir que :

- aucune justification jurisprudentielle ou doctrinale n'est fournie par le Sénégal sur l'existence de devoirs quant aux aspects formels de la sentence ni en quoi ils constitueraient un cas d'ouverture de recours en annulation ;

- la liste de vérifications invoquée par le Sénégal précise qu'elle a pour objet de fournir aux arbitres des conseils relatifs à la rédaction des sentences et qu'elle n'est pas exhaustive, impérative ou obligatoire.

SUR CE :

104. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

105. Cette mission, définie par la convention d'arbitrage, est délimitée principalement par l'objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu'il y ait lieu de s'attacher uniquement à l'énoncé des questions figurant dans l'acte de mission.

(i) Sur l'amiable composition

106. L'amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et bénéfice de la règle de droit, en vertu de laquelle les parties perdent la prérogative d'en exiger la stricte application, les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences de cette règle dès lors que l'équité ou l'intérêt commun bien compris des parties l'exige.

107. À défaut d'une telle mission, l'arbitre ne peut s'arroger le pouvoir de statuer en amiable composition. Il ne s'écarte toutefois pas de sa mission s'il use de la liberté d'appréciation que lui confère le droit applicable au litige pour statuer sur une demande.

108. Il est acquis qu'en l'espèce, les parties n'ont pas investi le tribunal arbitral du pouvoir de statuer en amiable composition, la convention à l'origine de la procédure prévoyant expressément, à son article 35.1, l'application du droit sénégalais.

109. Si au paragraphe 653 in fine de sa motivation, le tribunal arbitral qualifie son évaluation du gain manqué d'« équitable pour les deux parties », il ne saurait pour autant être déduit de cette mention que les arbitres auraient excédé leurs pouvoirs en s'érigeant en amiables compositeurs dès lors que :

- l'examen de la sentence révèle que le tribunal arbitral a motivé sa décision par référence au droit sénégalais, rappelant à cette fin, aux paragraphes 646 et 647, le « fondement légal de la responsabilité de l'État » en citant les dispositions du code sénégalais des obligations de l'administration soutenant son raisonnement, en particulier le principe d'indemnisation intégrale postulé à l'article 96 de ce code, tout en précisant faire application de ces règles en l'espèce ;

- après avoir constaté qu'aucune des méthodes proposées par la demanderesse à l'arbitrage n'était pertinente pour la détermination du gain manqué, il souligne la nécessité de tenir compte du risque accepté par GTA Environnement au regard des circonstances particulières de l'affaire et de l'investissement effectué, précisant exercer « son pouvoir souverain d'appréciation du préjudice, reconnu par la loi sénégalaise » (§ 653) ;

- loin de s'affranchir de la loi choisie par les parties, le tribunal arbitral a ainsi fondé sa décision sur ce droit, en usant des pouvoirs qu'il lui conférait, la qualification du caractère équitable de la solution n'étant pas de nature à remettre en cause cette démarche, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la pertinence de la motivation retenue au regard du droit sénégalais.

110. Le moyen pris dans cette première branche est dès lors infondé.

(ii) Sur l'absence de décision relative aux fraudes imputées à GTA Environnement et à ses conseils

111. L'État du Sénégal et l'UCG font grief au tribunal arbitral de ne s'être pas prononcé sur les fraudes qu'ils imputaient à GTA Environnement et à ses conseils au cours de la procédure arbitrale. Ils citent à ce titre trois passages de la sentence reprenant ces allégations. Dans le premier, le tribunal arbitral relève que les « Défendeurs ont souligné que l'utilisation de fonds [provenant du paiement de factures] par les Conseils de la Demanderesse constitue une fraude fiscale et se sont réservés le droit d'exercer toutes diligences pour faire respecter le droit sénégalais » (§260). Le deuxième fait état de la renonciation de la demanderesse à certaines pièces qu'elle « se devait de produire ['] afin de réfuter les accusations de fraude fiscales portée à son encontre par la Partie Défenderesse » (§316). Dans le troisième, le tribunal arbitral expose que, selon l'État du Sénégal et l'UCG, la situation financière de GTA Environnement « se double d'une fraude fiscale avérée car l'audience a permis de confirmer que les sommes versées à la Demanderesse en paiement des dernières factures qui lui étaient dues ['] n'ont pas été utilisées pour payer les taxes exigibles au niveau local, mais ont été envoyées directement aux actionnaires » (§492).

112. Si le rappel de ces passages fait apparaître que les demandeurs à l'arbitrage ont invoqué des allégations de fraude dans les moyens développés au soutien de leurs positions, il ne résulte ni de la sentence ni autres pièces versées aux débats que le tribunal arbitral aurait été saisi par eux d'une demande lui imposant de statuer sur ce point, les prétentions respectives des parties, qui définissent l'objet du litige au regard duquel doit être apprécié le respect par les arbitres de leur mission, ne portant pas sur l'existence d'une fraude fiscale liée à l'utilisation de sommes issues du paiement de factures.

113. Cette branche du moyen ne peut dès lors prospérer.

(iii) Sur la délimitation de l'objet du litige

114. Il est constant que l'État du Sénégal et l'UCG se sont prévalus devant le tribunal arbitral de la procédure de liquidation engagée contre GTA Environnement, notamment dans leurs mémoires post-audience n° 1 et 2.

115. Cette société a de son côté saisi le tribunal arbitral d'une requête visant à voir déclarer que le syndic nommé par le tribunal hors-classe de Dakar à la suite de sa liquidation n'avait pas qualité pour la représenter dans l'arbitrage. Elle sollicitait en outre du tribunal arbitral qu'il ne tire pas les conséquences de sa mise en liquidation dans le cadre de l'arbitrage.

116. Il ne saurait, dans ces conditions, être fait grief aux arbitres d'avoir « débordé » l'objet du litige en se prononçant sur ces questions, la cour relevant qu'il appartenait en toute hypothèse au tribunal arbitral de statuer sur les conséquences du jugement de liquidation sur la procédure arbitrale.

117. Il apparaît en outre que, contrairement à ce qu'affirment les demandeurs au recours, les arbitres ne se sont pas immiscés dans la procédure collective, pas plus qu'ils n'ont statué sur la liquidation de la société demanderesse, leur décision portant sur « les effets de cette liquidation sur la procédure arbitrale en cours », l'ordonnance de procédure n° 31, reprise dans le sentence finale, rappelant expressément que « le tribunal arbitral n'a pas compétence pour statuer sur la liquidation de GTA ».

118. La méconnaissance de la mission alléguée n'est dès lors pas établie.

(iv) Sur le respect des impératifs formels résultant du règlement d'arbitrage

119. L'État du Sénégal et l'UCG font grief au tribunal arbitral d'avoir omis des éléments dans le rappel des faits concernant des étapes essentielles de la procédure après l'ordonnance n° 31.

120. Ils invoquent à ce titre une violation du règlement d'arbitrage de la CCI, sans toutefois préciser les dispositions de ce règlement fondant leur argumentation.

121. Or, l'examen dudit règlement fait apparaître qu'il n'impose en matière de formalisation de la sentence aucune autre exigence que celle tirée de l'obligation de la motiver (article 32.2), qui a bien été respectée en l'espèce par le tribunal arbitral.

122. La « liste de vérification des sentences CCI », que les recourants citent au soutien de leur position n'est pas intégrée au règlement d'arbitrage et ne présente aucun caractère impératif, ainsi que le précise ce document, le processus d'examen de la sentence évoqué par la « Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l'arbitrage selon le règlement d'arbitrage CCI » n'ayant ni pour objet ni pour effet de lui conférer un caractère obligatoire.

123. Il ne saurait dans ces conditions être considéré que le tribunal arbitral aurait méconnu les impératifs de sa mission de ce chef.

124. Les demandeurs au recours reprochent par ailleurs aux arbitres d'avoir violé le règlement d'arbitrage en statuant sans rouvrir les débats, pour déclarer ensuite qu'il les avait rouvert alors qu'une telle réouverture n'était plus possible à ce stade de la procédure.

125. La cour constate qu'aucune disposition du règlement d'arbitrage n'interdit la réouverture des débats par le tribunal après clôture, ni ne se prononce sur les formes que devrait prendre cette réouverture, l'article 27 du règlement se bornant à interdire les productions post-clôture, sauf à la demande ou avec l'autorisation du tribunal, qui avait été expressément accordée en l'espèce afin de tirer les conséquences de la procédure de liquidation sur la procédure, ainsi qu'il résulte de l'ordonnance n° 28.

126. Le moyen tiré de la méconnaissance de sa mission par le tribunal arbitral est dès lors infondé en toutes ses branches.

C. Sur la demande de dommages et intérêts

127. L'État du Sénégal et l'UCG sollicitent la condamnation de GTA Environnement à les indemniser des frais engagés pour leur défense mais également dans des procédures parallèles à l'arbitrage. Ils invoquent le caractère frauduleux des thèses développées par cette société et ses conseils ainsi que le caractère abusif de la procédure arbitrale.

128. La société GTA Environnement conclut au rejet de cette demande en faisant valoir que ses auteurs ne démontrent aucune faute, aucun préjudice et aucun lien de causalité.

SUR CE :

129. Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à autrui oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

130. En l'espèce, l'État du Sénégal et l'UCG, dont le recours en annulation de la sentence est rejeté, ne démontre aucune faute imputable à la société GTA Environnement, la procédure arbitrale engagée par cette société ne pouvant être qualifiée d'abusive.

131. La demande d'indemnisation formée de ce chef ne peut donc qu'être rejetée.

D. Sur les frais et dépens

132. Les demandeurs au recours, qui succombent en leurs prétentions, seront condamnés au dépens, les demandent qu'ils forment en application de l'article 700 du code de procédure civile étant rejetées.

133. Ils seront en outre condamnés à payer à la société GTA Environnement la somme de 100 000 euros en application du même article.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Déclare recevables les conclusions et pièces produites par l'État du Sénégal et l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides du ministère de la gouvernance locale, du développement et de l'aménagement du territoire le 30 avril 2024 ;

2) Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats ;

3) Rejette le recours en annulation ;

4) Déboute l'État du Sénégal et l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides du ministère de la gouvernance locale, du développement et de l'aménagement du territoire de l'ensemble de leurs demandes ;

5) Rappelle qu'en application de l'article 1527 du code de procédure civile, le rejet du recours en annulation confère l'exequatur à la sentence arbitrale ;

6) Condamner l'État du Sénégal et l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides du ministère de la gouvernance locale, du développement et de l'aménagement du territoire aux dépens ;

7) Condamner l'État du Sénégal et l'Unité de coordination de la gestion des déchets solides du ministère de la gouvernance locale, du développement et de l'aménagement du territoire à payer à la société GTA Environnement la somme de cent mille euros (100 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 22/12494
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;22.12494 ?
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