La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/06/2024 | FRANCE | N°22/14963

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 04 juin 2024, 22/14963


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 04 JUIN 2024



(n° 53 /2024 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/14963 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJT3



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 3], le 20 juin 2022, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la

référence CASE No. 24851/MHM/HBH





DEMANDERESSE AU RECOURS :



Société TODINI COSTRUZIONI GENERALI S.P.A.

société de droit ialien,

ayant son siège soc...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 04 JUIN 2024

(n° 53 /2024 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/14963 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGJT3

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 3], le 20 juin 2022, sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence CASE No. 24851/MHM/HBH

DEMANDERESSE AU RECOURS :

Société TODINI COSTRUZIONI GENERALI S.P.A.

société de droit ialien,

ayant son siège social : [Adresse 2] (ITALIE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LX PARIS-VERSAILLES-REIMS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocats plaidants : Me Marina MATOUSEKOVA et Me Alexandre REYNAUD, du cabinet SELARL TALMA DISPUTE RESOLUTION, avocats au barreau de PARIS, toque : D 1765

DEFENDERESSE AU RECOURS :

DEPARTEMENT DES [Localité 4] DU MINISTERE DU DEVELOPPEMENT REGIONAL ET DES INFRASTRUCTURES DE GEORGIE

entité étatique rattachée au Ministère du développement régional et des infrastructures de Géorgie

ayant son siège : [Adresse 1] (GEORGIE)

Ayant pour avocat postulant : Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0069

Ayant pour avocats plaidants : Me Charles NAIRAC, Me Yutty RAMEN et Me Pauline WEESS, du cabinet WHITE & CASE LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J 002

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Président de chambre

Mme Laure ALDEBERT, Conseillère de chambre

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme Laure ALDEBERT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Najma EL FARISSI

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 3] le 20 juin 2022, sous l'égide de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (affaire No.24851/MHM/HBH), dans un litige opposant le Département des [Localité 4] du ministère du développement régional et des infrastructures de Géorgie (ci-après : « le Département des [Localité 4] ») à la société de droit italien Todini Costruzioni Generali SPA (ci-après : « Todini »).

2. Le différend à l'origine de cette sentence porte sur la résiliation d'un contrat conclu le 27 juin 2017 entre Todini et le Département des [Localité 4] pour la construction d'un tronçon de route en Géorgie.

3. Par une sentence rendue le 20 juin 2022, le tribunal arbitral a statué en ces termes :

« Pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal Arbitral rend les ordonnances suivantes en application de la présente Sentence Finale. En ce qui concerne les demandes de réparation énoncées ci-dessous à l'Ordonnance n° 6 et à l'Ordonnance n° 7, elles correspondent aux demandes énoncées dans le MPA du Demandeur et la Duplique du Défendeur

1 DÉCLARE que le Tribunal est compétent pour toutes les questions soulevées dans l'arbitrage.

2 DÉCLARE que la demande de résiliation du contrat présentée par le Défendeur est prescrite et, en tout état de cause, sans fondement.

3 DÉCLARE que la résiliation du Contrat par le Demandeur était légale en raison du fait que le Défendeur (i) n'a pas respecté la Clause 4.2 du CGC, (ii) n'a pas respecté les Avertissements en vertu de la Clause 15.1 du CGC, et (iii) le défaut sans motif valable de poursuivre les Travaux conformément à la Clause 8 du CGC, mais pas en raison du prétendu abandon des Travaux par le Défendeur ou de la prétendue manifestation claire de son intention de ne pas poursuivre l'exécution de ses obligations contractuelles.

4 DÉCLARE que la prétendue résiliation du contrat par le Défendeur était irrégulière, inefficace et sans effet juridique.

5 DÉCLARE que le Demandeur avait le droit de retenir l'argent de la retenue de garantie mais seulement jusqu'à la date de la Sentence Finale.

6 REJETTE les demandes de l'indemnisation du Demandeur (e), (f), (g), (k), (m) et (s).

7 REJETTE les demandes de l'indemnisation no 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12(c), 12(d), 12(e), 12(f), 12(g), 13, 14 et 15 du Défendeur.

8 ORDONNE au Défendeur de rembourser au Demandeur le paiement anticipé d'un montant de 16 565 089,20 GEL, 2 099 584,17 EUR et 2 293 158,52 USD.

9 ORDONNE au Défendeur de payer au Demandeur la somme de 20.579.529,57 GEL pour les coûts d'achèvement des Travaux par un entrepreneur de remplacement et DÉCLARE que le Demandeur est en droit de réclamer les coûts d'achèvement des Travaux dans cette mesure.

10 ORDONNE au Défendeur de payer au Demandeur 1 507 475 GEL pour le coût de l'engagement prolongé de l'Ingénieur.

11 ORDONNE au Demandeur de payer au Défendeur 459 046,23 GEL en raison de la sous-évaluation des travaux entrepris par le Défendeur.

12 ORDONNE au Demandeur de payer au Défendeur 121 955,06 GEL, 15 457,50 EUR et 16 882,63 USD pour la Garantie retenue.

13 DÉCLARE que le Demandeur est, en principe, en droit de réclamer auprès du Défendeur tous les coûts que le Demandeur engage dans la recherche de financement pour les Travaux restants.

14 REJETTE la demande du Demandeur concernant les intérêts antérieurs et postérieurs à la sentence sur les montants accordés en vertu de la Sentence Finale au taux de 10 pour cent par an mais ORDONNE au Défendeur (i) de payer au Demandeur les intérêts cumulés d'un montant de 1 312 522,36 GEL, 59 122,71 EUR et 84 744 USD.38 pour la période comprise entre le 18 février 2019 et le 2 avril 2020 et (ii) de payer des intérêts sur les montants de 16 565 089,20 GEL, 2 099 584,17 EUR et 2 293 158,52 USD (aux taux annuels de 3,25 % sur la partie en USD, 2,5 % sur la partie en EUR et 7 % sur la partie en GEL), composés annuellement le 18 février, à compter du 3 avril 2020 jusqu'à la date de la Sentence Finale.

15 REJETTE toute autre demande de réparation, requête, demande et sollicitations des Parties. »

5. Par déclaration en date du 4 août 2022, Todini a formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour.

6. Par conclusions notifiées le 27 juillet 2023, le Département des [Localité 4] a opposé l'irrecevabilité d'un des moyens d'annulation. Cette fin de non recevoir fondée sur les dispositions de l'article 1466 du code de procédure civile a été d'un commun accord entre les parties renvoyée devant la cour.

7. Par ordonnance du 12 septembre 2023, il a été fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution de la sentence arbitrale sollicitée par la société Todini.

8. La clôture a été prononcée le 12 mars 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 26 mars 2024.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

9. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2023, la société Todini demande à la cour de bien vouloir au visa des articles 1520,699 du code de procédure civile, et de l'article 700 du code de procédure civile,

À titre principal :

- Déclarer que l'arbitrage litigieux est international ;

- Déclarer recevables les griefs de la Demanderesse tirés de la violation du principe de la contradiction ;

- Annuler la sentence arbitrale rendue le 20 juin 2020 par le Tribunal Arbitral composé de M. [W] [R], M. [G] [M], et Dr. [W] [C] ;

À titre subsidiaire :

- Annuler partiellement la sentence arbitrale rendue le 20 juin 2020 par le Tribunal Arbitral composé de M. [W] [R], M. [G] [M], et Dr. [W] [C] pour ce qui concerne sa déclaration selon laquelle « le Demandeur est, en principe, en droit de réclamer auprès du Défendeur tous les coûts que le Demandeur engage dans la recherche de financement pour les Travaux restants » ;

En tout état de cause :

- Condamner la Défenderesse à payer la somme de 50.000 (cinquante-mille) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la Défenderesse à payer les entiers dépens ;

- Déclarer qu'ils pourront être directement recouvrés par les conseils de la Demanderesse, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

10. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 4 mars 2024, le Département des [Localité 4] demande à la cour de bien vouloir en application des articles 1466 et 1520 du code de procédure civile,

- DECLARER irrecevable le troisième moyen d'annulation soumis par Todini ou, à défaut, le déclarer infondé ;

- DECLARER les premier, deuxième et quatrième moyens d'annulation soumis par Todini infondés ;

En conséquence,

- REJETER le recours en annulation de Todini ;

- Subsidiairement, si, par impossible, la Cour devait faire droit à la demande d'annulation formulée par Todini sur les griefs tirés (i) de la prétendue différence entre la décision du Tribunal arbitral et la demande du Département des Routes relative aux coûts engendrés par la recherche de financement pour les travaux restants et/ou (ii) du prétendu défaut de motivation de la Sentence quant à la demande du Département des Routes relative aux coûts engendrés par la recherche de financement pour les travaux restants ;

- PRONONCER l'annulation partielle de la Sentence en ce qui concerne la demande du Département des [Localité 4] relative aux coûts engendrés par la recherche de financement pour les travaux restants ;

En tout état de cause,

- CONDAMNER Todini à payer au Département des [Localité 4] la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER Todini aux entiers dépens.

III/ MOTIFS DE LA DECISION

11. Au soutien de son recours, Todini invoque quatre moyens d'annulation tirés de l'incompétence du tribunal arbitral (A), du non-respect de sa mission (B), de l'atteinte au principe de la contradiction (C), et de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence querellée avec l'ordre public international (D).

A. Sur le premier moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral

-sur le premier grief :

12. La société Todini fait valoir sur le fondement des clauses du Contrat, qui sont celles du contrat international des ingénieurs conseils (FIDIC), que le règlement des différends est prévu en plusieurs étapes.

13. Elle rappelle que les litiges sont d'abord soumis à un Dispute Board (ci-après : « DB ») avant d'être soumis au tribunal arbitral mettant en avant que la procédure devant le DB est une condition préalable obligatoire au lancement d'une procédure d'arbitrage.

14. Elle expose que le Département des Routes avait saisi le Dispute Board le 16 octobre 2019 et que c'est sans attendre sa décision, qu'il a introduit la procédure devant le tribunal arbitral en méconnaissance des dispositions précitées du Contrat. Elle en déduit que le tribunal arbitral aurait dû se déclarer incompétent ratione temporis pour connaître du litige, en application du droit français de l'arbitrage international et de la jurisprudence constante des tribunaux CCI.

15. En réponse le Département des [Localité 4] s'oppose à cette analyse au motif que le grief tiré du prétendu non-respect des conditions relatives à la procédure devant le DB porte sur la recevabilité de la demande et non sur la compétence arbitrale.

Sur ce,

16. L'article 1520, 1°, du code de procédure civile ouvre le recours en annulation lorsque le tribunal arbitral s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

17. Pour l'application de ce texte, il appartient au juge de l'annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu'il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage sans s'arrêter aux dénominations retenues par les arbitres ou proposées par les parties.

18. En vertu d'une règle matérielle du droit de l'arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s'apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international, d'après la commune volonté des parties, qui seule investit l'arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu'il soit nécessaire de se référer à une loi étatique.

19. Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l'annulation n'ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé.

20. Au cas présent, il n'est pas contesté que les stipulations du Contrat prévoient de soumettre au Dispute Board le litige comme étape préalable à l'arbitrage.

21. Selon la clause 20.2 dudit Contrat « les différends doivent être soumis à un DB pour décision conformément à la Clause 20.4 »

22. La clause 20.4 prévoit que :

« Si l'une des Parties n'est pas satisfaite de la décision du [Dispute Board], elle peut, dans les 28 jours suivant la réception de la décision, adresser à l'autre partie un Avis de Désaccord indiquant son mécontentement et son intention d'entamer une procédure d'arbitrage.

[...]

Cet Avis de Désaccord doit indiquer qu'il est communiqué en vertu de la présente clause, et doit exposer l'objet du litige et les raisons de désaccord.

Aucune des Parties n'a le droit d'entamer l'arbitrage d'un différend à moins qu'un Avis de Désaccord n'ait été donné conformément à la présente clause.

Si le [Dispute Board] a rendu sa décision sur un objet du litige entre les deux Parties et qu'aucun Avis de Désaccord n'a été émis par l'une ou l'autre des Parties dans les 28 jours suivant la réception de la décision du [Dispute Board], la décision devient définitive et contraignante pour Les deux Parties

La Clause 20.5 prévoit que : « lorsqu'un Avis de Désaccord est établi à l'encontre de la décision du DB en vertu de la Clause 20.4, les Parties doivent tenter de régler leur différend à l'amiable avant d'initier toute procédure d'arbitrage. Cependant, en l'absence d'accord contraire, la partie qui établit un tel avis devrait commencer l'arbitrage à l'expiration d'un délai de cinquante-six jours à compter du dépôt de cet avis. »

23. Selon l'article 20.6 du Contrat :

« [t]out différend entre les Parties découlant du Contrat ou en rapport avec celui-ci qui n'est pas réglé à l'amiable conformément à la Clause 20.5 ['] et pour lequel la décision du DB (s'il en existe) n'est pas devenue définitive et contraignante sera définitivement réglé par l'arbitrage »

24. C'est sur le fondement de cet article contenant la clause compromissoire que le tribunal arbitral dont la compétence est contestée par la recourante, a été saisi.

25. En l'espèce, il est établi et non contesté qu'en raison de différends opposant les parties, le Département des [Localité 4] a saisi préalablement le Dispute Board le 16 octobre 2019 aux fins de statuer sur la résiliation du contrat, la restitution d'acompte et le versement de dommages et intérêts.

26. Il a saisi dans le même temps, les tribunaux georgiens aux fins d'obtenir des mesures provisoires.

27. Contraint pour les besoins de cette procédure d'entamer à bref délai une procédure au fond, il a, le 25 octobre 2019, déposé une demande d'arbitrage à la CCI, sans attendre la décision du DB, ce que Todini lui reproche, comme elle l'a fait devant le tribunal arbitral.

28. Toutefois, le recours au Dispute Board détermine la possibilité pour une demande d'être examinée par le tribunal arbitral à un moment donné sans remettre en cause l'aptitude de la juridiction arbitrale à exercer son pouvoir de juger le litige de préférence à une autre.

29. La subordination de la demande à la mise en 'uvre d'un processus préalable de résolution du litige devant le Dispute Board n'affecte pas le consentement des parties à ce que leur litige soit soumis à une juridiction arbitrale.

30. Cette question ne se rapporte pas à la compétence du tribunal arbitral mais à la recevabilité des demandes, qui n'entre pas dans les cas d'ouverture du recours en annulation, de sorte que le grief tiré du fait que les procédures devant le Dispute Board et le tribunal arbitral se soient chevauchées temporairement n'est pas de nature à priver le tribunal arbitral de sa compétence.

- sur le second grief

31. La société Todini soutient que le tribunal arbitral a statué sur une partie du différend qui avait déjà été définitivement tranchée par le Dispute Board pour n'avoir pas été formellement visée dans l'avis de désaccord émis par chacune des parties.

32. Elle soutient que le Département des [Localité 4] n'était dès lors plus autorisé à contester toutes les conclusions de la décision du DB, notamment celles ayant trait à ses demandes de résiliation du contrat, et que la juridiction arbitrale a retenu à tort sa compétence sur ces demandes, en contravention avec les dispositions de l'article 20.6 du Contrat qui définissent les modalités de la saisine de la juridiction arbitrale.

33. Le Département des [Localité 4] répond que le caractère soi-disant définitif et obligatoire de la décision du Dispute Board constitue une question de recevabilité et non de compétence et qu'en tout état de cause son avis de désaccord visait la décision dans son intégralité.

34. Il soutient que le tribunal arbitral hérite du même litige que celui qui avait été examiné par le DB et qu'aucune partie de la décision n'était devenue définitive.

Sur ce,

35. La société Todini conteste le non-respect par le tribunal arbitral d'une modalité de la procédure préalable à l'arbitrage figurant à l'article 20.6 du Contrat précité au point 23 qui, pour les motifs exposés plus haut, concerne la possibilité pour le tribunal arbitral d'examiner la demande, autrement dit la recevabilité des demandes et non sa compétence.

36. L'appréciation de cette clause ne peut dès lors être examinée par le juge de l'annulation à l'occasion du contrôle de la compétence ou de l'incompétence du tribunal arbitral prévu par l'article 1520°1 du code de procédure civile.

37. Le moyen tiré de l'incompétence du tribunal arbitral sera en conséquence entièrement rejeté.

B. Sur le deuxième moyen tiré du non-respect de sa mission par le tribunal arbitral

38. Au soutien de ce moyen qui tend à la nullité, subsidiairement partielle, de la sentence, la société Todini reproche au tribunal arbitral de ne pas avoir respecté sa mission pour avoir rendu une décision différente de la demande formée devant lui, au demeurant non motivée, en déclarant dans le dispositif que « le Demandeur est, en principe, en droit de réclamer auprès du Défendeur tous les coûts que le Demandeur engage dans la recherche de financement pour les Travaux restants ».

39. Elle fait valoir que le tribunal arbitral en déclarant, qu'il était « en principe, en droit de réclamer auprès de [Todini] tous les coûts que [le Ministère] engage dans la recherche de financement pour les Travaux restants » lui a accordé autre chose par rapport à ce qui était demandé, rappelant que le Département des Routes demandait de rendre une sentence « déclarant qu'[il] est en droit de récupérer auprès de Todini tous les coûts qu'il encourt dans la recherche de financement pour les travaux restants, pour un montant qui sera quantifié ».

40. Elle reproche en substance au tribunal arbitral d'avoir statué ultra petita en répondant à une demande de compensation d'un dommage certain devant être quantifié ultérieurement, par une décision déclaratoire de principe visant à l'éventuelle compensation d'un dommage futur et incertain.

41. Elle ajoute que dans la sentence, le tribunal arbitral n'a pas exposé sa motivation d'accorder ce droit de principe lui reprochant d'avoir vaguement justifié sa décision.

42. En réponse, le Département des Routes soutient que le tribunal arbitral a accordé ce qu'il avait demandé, à savoir une déclaration qu'il serait en droit de recouvrer auprès de Todini les coûts qui seraient engendrés dans le futur par la recherche de financement pour les travaux restants, et que la décision dans la section dédiée à cette question est clairement motivée.

43. Il fait valoir en tout état de cause que ce grief limité à un chef du dispositif de la sentence, fût-il établi, ne pourrait être sanctionné que par la nullité partielle de la sentence.

Sur ce,

44. Selon l'article 1520, 3°, du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal a statué sans se conformer à la mission qui lui avait été confiée.

45. Il appartient ainsi au tribunal arbitral de statuer dans les limites des demandes qui lui sont soumises, de sorte que s'il accorde plus que ce qui avait été demandé, sa sentence est susceptible d'être annulée pour méconnaissance de sa mission.

46. Par ailleurs il n'entre pas dans la mission du juge de l'annulation de contrôler le contenu de la motivation de la décision arbitrale, ni son caractère convaincant, mais seulement l'existence de celle-ci.

47. Au cas présent, il ressort de l'un des chefs du dispositif de la sentence que le tribunal arbitral a retenu que « le Demandeur est, en principe, en droit de réclamer auprès du Défendeur tous les coûts que le Demandeur engage dans la recherche de financement pour les Travaux restants ».

48. Il est établi et non contesté que la Département des Routes dans son Mémoire en demande et en duplique demandait au tribunal arbitral de rendre une sentence « déclarant qu'il est en droit de recouvrer auprès de Todini les coûts qui seraient engendrés dans le futur par la recherche de financement pour les travaux restants pour un montant qui sera quantifié ultérieurement ».

49. Il ressort de la sentence dans la section consacrée à la demande de recouvrement des frais de financement supplémentaires, aux paragraphes 994 et suivants selon le résumé de la position des parties, que le Département des [Localité 4] soutenait être en droit de réclamer tous ces frais, qu'il n'était pas en mesure de chiffrer, ceux-ci ne pouvant être connus que plus tard, une fois l'entrepreneur de remplacement nommé ; quant à elle, la société Todini contestait le droit du Demandeur à une telle déclaration dont il sollicitait en tout état de cause le rejet, en raison de son caractère hypothétique, sur le fondement du droit géorgien.

50. Il ressort de ces dispositions que le Département des Routes a bien demandé au tribunal arbitral de rendre une décision lui permettant en principe de recouvrir les frais de financement qui seraient engendrés dans le futur, sans les quantifier, de sorte que le tribunal arbitral dans la partie du dispositif critiqué au point 47 a simplement fait droit à sa demande.

51. Le tribunal arbitral a par ailleurs expliqué dans un paragraphe intitulé « les considérations du tribunal », au paragraphe 1000 de la sentence, les raisons, se rapportant expressément à cette demande, qui l'ont conduit à y faire droit.

52. Le moyen d'annulation fondé sur les griefs du dépassement de sa mission et du défaut de motivation qui manquent en fait, est en conséquence écarté.

C. Sur le troisième moyen tiré de l'atteinte au principe de la contradiction

53. La société Todini soutient qu'en dépit de son objection et en violation du calendrier procédural, elle n'a pas pu répondre au mémoire en duplique et aux nouvelles pièces produites par le Département des [Localité 4] (50 nouvelles pièces et deux nouveaux rapports d'expertise), à seulement six semaines de la date de tenue des audiences.

54. Elle ajoute que le Département des [Localité 4], en violation du règlement CCI, a modifié la nature de sa demande portant sur les coûts de recherche de financement pour les travaux restants, en faisant valoir que la demande compensatoire est devenue déclaratoire dans le mémoire post-audience auquel elle n'a pas pu répondre, constituant une violation du principe du contradictoire.

55. Le Département des [Localité 4] oppose à la société Todini l'irrecevabilité des deux griefs sur le fondement de l'article 1466 du code de procédure civile en faisant valoir que la société Todini en connaissance de cause s'est abstenue d'invoquer ces prétendues irrégularités.

56. Il fait valoir, concernant le premier grief, que le tribunal arbitral a statué sur cet incident par ordonnance de procédure du 12 octobre 2021 en accordant à la société Todini des opportunités pour se défendre et qui n'ont plus soulevé aucune critique de sa part concernant le déroulé de la procédure.

57. Il ajoute que la nature déclaratoire de sa demande qui figurait dans son mémoire en demande, est restée inchangée sans donner lieu à contestation.

58. Le Département des [Localité 4] conteste en tout état de cause que les griefs sont constitués

Sur ce,

59. L'article 1466 du code de procédure civile prévoit que la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

60. En application de ce texte, il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d'une irrégularité, la partie qui s'en prévaut en avait connaissance alors que la procédure arbitrale était en cours, de sorte qu'elle aurait dû alors s'en prévaloir et à défaut est réputée y avoir renoncé.

61. En l'espèce, la question du droit de réponse de Todini au Mémoire en duplique du Département des [Localité 4] remis le 27 juillet 2021 a été traitée par une ordonnance de procédure le 12 octobre 2021 qui n'a fait l'objet d'aucune contestation ultérieure de la part de Todini.

62. Au terme de cette ordonnance, la société Todini a bénéficié de différents aménagements rappelés au paragraphe 153 de la sentence pour lui permettre de répondre à l'ensemble des éléments du Mémoire en duplique dont elle s'est emparée.

63. Il n'est en outre pas contesté que, selon le transcript de l'audience, elle a par la suite acquiescé en audience au fait que « le probléme était réglé » (procés verbal de l'audience du 12 novembre 2021).

64. Il résulte des ces constatations et énonciations que la société Todini a manifesté par son comportement procédural sa renonciation à se prévaloir de cette prétendue irrégularité.

65. Le second grief concernant le prétendu changement de la nature de la demande du Département des [Localité 4] portant sur les coûts futurs de recherche de financement, à laquelle au demeurant, Todini a répondu au cours de la procédure comme rappelé au point 49 de la présente décision, n'a fait l'objet d'aucune contestation de la part de Todini post audience de sorte que Todini est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir.

66. Pour ces motifs, le moyen d'annulation fondé surs ces deux irrégularités n'est pas recevable.

D. Sur le quatrième moyen tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international

67. La société Todini soutient que, pour les raisons déjà exposées relatives au défaut de motivation et à la violation du principe de la contradiction, la reconnaissance de la sentence est contraire à l'ordre public international, ce que le Département des [Localité 4] conteste par renvoi aux arguments qu'il a formulés précédemment.

68. La demande en nullité sur ce moyen, qui repose sur les griefs identiques à ceux que la cour a rejetés pour les motifs exposés plus haut, est mal fondée et sera en conséquence écartée.

69. L'ensemble des moyens invoqués au soutien du recours se trouvant ainsi écartés, il y a lieu de rejeter celui-ci.

E. Sur les frais et dépens

70. Todini qui succombe, sera condamnée aux dépens, la demande qu'elle forme au titre des frais irrépétibles étant rejetée.

71. Elle sera en outre condamnée à payer au Département des [Localité 4] la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Déclare irrecevable le moyen d'annulation soutenu par la société Todini Costruzioni Generali S.p.A., tiré du non respect de la contradiction ;

2) Rejette le recours en annulation formé par la société Todini Costruzioni Generali S.p.A. contre la sentence arbitrale rendue le 20 juin 2022 à [Localité 3], sous l'égide du règlement d'arbitrage de la Chambre de commerce international dans l'affaire n°24851 ;

3) Déboute la société Todini Costruzioni Generali S.p.A. de sa demande de condamnation formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

4) Condamne la société Todini Costruzioni Generali S.p.A. à payer au Département des [Localité 4] du Ministère du Développement Régional et des Infrastructures de Géorgie, la somme de cinquante mille euros (50 000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

5) Condamne la société Todini Costruzioni Generali S.p.A.aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 22/14963
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-04;22.14963 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award