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04/06/2024 | FRANCE | N°22/14437

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 16, 04 juin 2024, 22/14437


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16



ARRET DU 04 JUIN 2024



(n° 52 /2024 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/14437 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGIL4



Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 30 mars 2022, sous l'égide de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sou

s la référence n° 25022/DDA/AZO.





DEMANDEURS AU RECOURS :



Société TAGIDOR PREMIUM INVESTMENTS INTERNATIONAL SA

société de droit gabonais, immat...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre commerciale internationale

POLE 5 CHAMBRE 16

ARRET DU 04 JUIN 2024

(n° 52 /2024 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/14437 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGIL4

Décision déférée à la Cour : sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 30 mars 2022, sous l'égide de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence n° 25022/DDA/AZO.

DEMANDEURS AU RECOURS :

Société TAGIDOR PREMIUM INVESTMENTS INTERNATIONAL SA

société de droit gabonais, immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de LIBREVILLE sous le numéro RG.BV 2015.B.17055,

ayant son siège social : [Adresse 7] (GABON)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société AFRICA GENERAL FOOD INDUSTRIES SA

société de droit camerounais, immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de DOUALA sous le numéro RC/DLN/2013/B/536,

ayant son siège social : [Adresse 6] (CAMEROUN)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société FOOD DISTRIBUTION AND INDUSTRIES SA

société de droit camerounais, immatriculée au Registre du Commerce et du Crédit Mobilier de DOUALA sous le numéro RC/DLN/2013/B/525,

ayant son siège social : [Adresse 8] (CAMEROUN)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Monsieur [T] [K]

né le 30 Mai 1958 à [Localité 1] (CAMEROUN)

demeurant : [Adresse 5] (CAMEROUN)

Ayant pour avocat postulant : Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018

Ayant pour avocat plaidant : Me Benjamin MATHIEU de la SELAS OPLUS, avocat au barreau de PARIS, toque : R156

DEFENDERESSES AU RECOURS :

Société THE G.B FOODS SA

société anonyme de droit espagnol, immatriculée au Registre du commerce d'Espagne sous la référence

ayant son siège social : [Adresse 3] (ESPAGNE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Société THE G.B FOODS AFRICA HOLDING COMPANY S.L

société de droit espagnol,

ayant son siège social : [Adresse 4] (ESPAGNE)

prise en la personne de ses représentants légaux,

Ayant pour avocat postulant : Me Belgin PELIT-JUMEL de la SELEURL BELGIN PELIT-JUMEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D1119

Ayant pour avocat plaidant : Me Jean-Fabrice BRUN de la SELAFA CMS FRANCIS LEFEBVRE AVOCATS, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Daniel BARLOW, Président de chambre

Mme Fabienne SCHALLER, Présidente de chambre

Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l'audience par Mme [L] [J] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme [W] [D]

ARRET :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Daniel BARLOW, président de chambre et par Najma EL FARISSI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* *

*

I/ FAITS ET PROCEDURE

1. La cour est saisie d'un recours en annulation contre une sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 30 mars 2022, sous l'égide de la Chambre de commerce internationale (CCI), dans un litige entre :

- la société gabonaise Tagidor Premium Investments International SA (ci-après « Tagidor  »), les sociétés camerounaises Africa General Food Industries SA (ci-après « AGFI »), Food Distribution and Industries SA (ci-après « Foodis ») et Monsieur [T] [K] (ci-après « M. [K] »), dirigeant des sociétés Tagidor et Foodis,

et

- les sociétés de droit espagnol The GB Foods SA (ci-après « GB Foods ») et The GB Foods Africa Holding Company S.L (ci-après « GB Foods Africa »).

2. Le différend à l'origine de cette sentence résulte de l'exécution d'un partenariat entre le groupe Tagidor et le groupe GB Foods dont l'objet était de produire et distribuer, ensemble, des produits de la marque « Jumbo » au Cameroun, notamment des tablettes et des cubes de bouillon déshydraté.

3. Un premier partenariat avait été formalisé en 2013, par la signature d'un contrat de distribution et d'un contrat d'achat ainsi que la constitution d'une joint-venture détenue à parts égales, dénommée AGFI.

4. Une usine de production devait être construite pour ce projet.

5. A la suite de diverses difficultés, les parties ont mis un terme à ce partenariat et ont décidé de formaliser le 16 décembre 2016 un second partenariat sur les bases suivantes:

- Un protocole d'accord par lequel les parties mettaient un terme aux contrats antérieurs et à l'ensemble de leurs différends sur le premier partenariat, de'finissant le cadre ge'ne'ral et la forme de leurs relations futures et par lequel, après compensation des dettes et créances réciproques, le groupe Tagidor reconnaissait devoir un montant global de 706.541 € et s'engageait a' rembourser cette somme par trois versements successifs prévus les 1er juillet 2017, 1er octobre 2017 et 31 décembre 2017 ;

- un contrat de cession d'actions par lequel GB Foods cédait 50% de la société' Foodis a' Tagidor pour un euro symbolique ;

- un contrat de licence d'exploitation de deux ans, de GB Foods au profit d'AGFI, portant sur les produits de la marque « Jumbo » ;

- un contrat de distribution exclusif de deux ans, de GB Foods au profit d'AGFI, portant sur les produits de la marque « Jumbo » sur tout le territoire de la République du Cameroun, du Tchad, du Gabon et de la République Centrafricaine ;

- un contrat de gage de matériel professionnel, consenti par AGFI a' Jumbo Africa (devenue par la suite GB Foods Africa), Jumbo Cote d'Ivoire et GB Foods pour garantir divers paiements stipulés a' leur profit dans la transaction, chacun de ces contrats contenant une clause compromissoire.

6. Estimant que les sociétés du groupe Tagidor n'avaient pas honoré les échéances de règlement de la dette issues du protocole et les mises en demeure étant restées vaines, les sociétés du groupe GB Foods ont, le 21 décembre 2017, résilié le contrat de distribution et la convention de concession de licence.

7. Estimant que ces motifs de résiliation n'étaient qu'un prétexte, les sociétés du groupe Tagidor et M. [K] ont engagé le 27 décembre 2019 une procédure d'arbitrage à l'encontre de GB Foods et GB Foods Africa sur le fondement des différentes clauses compromissoires contenues dans l'ensemble contractuel.

8. Par sentence du 30 mars 2022, le tribunal arbitral a :

« ordonne' a' AGFI et FOODIS in solidum de payer aux Défenderesses 831 566,21 euros au titre de la Dette Globale, plus les intérêts au taux légal français a' compter du 28 novembre 2017 et jusqu'au parfait paiement ;

ordonne' a' FOODIS de payer a' GB FOODS AFRICA. 72 392,40 euros au titre de la facture n° 7217030333 du 31 juillet 2017, plus les intérêts au taux légal français a' compter du 10 février 2020 et jusqu'au parfait paiement ;

ordonne' a' GB FOODS AFRICA de payer aux Demandeurs 211 365,38 euros au titre des frais de capillarite' et de marketing supportés par FOODIS et factures par Biopharma S.A., plus les intérêts au taux légal français a' compter du 27 décembre 2019 et jusqu'au parfait paiement ;

ordonne' a' GB FOODS AFRICA de payer a' AGFI 218 183 euros au titre des frais relatifs aux produits périmés, plus les intérêts au taux légal français a' compter du trentième jour suivant la date de notification par la CCI de la présente sentence et jusqu'au parfait paiement ;

rejeté' la demande des Demandeurs relative a' la responsabilité' solidaire des Défenderesses ;

ordonne' aux Demandeurs in solidum de payer aux Défenderesses USD 125 000 au titre des frais d'arbitrage et 225 000 euros au titre des frais de défense et débours ;

rejeté' toutes les autres demandes des Parties. »

9. Les sociétés Tagidor, AGFI, Foodis et M. [K] ont formé un recours en annulation contre cette sentence devant la cour de céans le 27 juillet 2022.

10. La clôture a été prononcée le 5 mars 2024 et l'affaire appelée à l'audience de plaidoiries du 11 mars 2024.

II/ PRETENTIONS DES PARTIES

11. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 février 2024, Tagidor, AGFI, Foodis et M. [K] demandent à la cour, au visa de l'article 1520, 5° du code de procédure civile, bien vouloir :

- JUGER que le recours en annulation formé par les Demandeurs est recevable ;

- ANNULER la sentence arbitrale rendue par le Tribunal dans l'affaire CCI n° 25022 car contraire à l'ordre public international ;

- CONDAMNER solidairement les Défenderesses à payer aux Demandeurs la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- CONDAMNER solidairement les Défenderesses à supporter les entiers dépens.

12. Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 février 2024, GB Foods et GB Foods Africa demandent à la cour, au visa de l'article 1520 du code de procédure civile, de bien vouloir :

« JUGER que l'exécution de la sentence rendue le 30 mars 2022 ne viole pas l'ordre public international ;

En conséquence,

DEBOUTER les sociétés TAGIDOR PREMIUM INVESTMENTS INTERNATIONAL SA, AFRICA GENERAL FOOD INDUSTRIES SA, et FOOD DISTRIBUTION AND INDUSTRIES SA et Monsieur [T] [K] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

CONDAMNER les sociétés TAGIDOR PREMIUM INVESTMENTS INTERNATIONAL SA, AFRICA GENERAL FOOD INDUSTRIES SA, et FOOD DISTRIBUTION AND INDUSTRIES SA et Monsieur [T] [K] à payer aux sociétés GB FOODS et GB FOODS AFRICA la somme de 15.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'instance. »

III/ MOTIFS DE LA DECISION

13. Les demandeurs au recours invoquent un moyen unique d'annulation tiré de la contrariété de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence arbitrale querellée avec l'ordre public international à raison de faits de corruption (première branche) et d'une atteinte à l'égalité des armes (deuxième branche).

A. Sur le moyen pris en sa première branche

14. Les sociétés recourantes, Tagidor, AGFI, Foodis et M. [K] soutiennent que le non-respect des obligations contractuelles allégué n'était qu'un prétexte de GB Foods pour rompre le contrat, cette denière ne souhaitant en réalité plus de partenariat avec le groupe Tagidor, cette volonté étant animée des perspectives de développement au Nigeria obtenues de façon illégale et de dissimuler des faits de corruption et de blanchiment commis par GB Foods dans le cadre de ses activités concurrentes au Nigeria. Ils font valoir que :

- Ils n'avaient pas connaissance, pendant l'arbitrage, de ce contexte au Nigéria,

- Les faits de corruption et de blanchiment commis par les défenderesses dans le cadre du développement de leurs activités au Nigéria n'ont été portés à leur connaissance qu'après la procédure arbitrale,

- Ils ont appris tardivement la création d'une joint-venture concurrente de GB Foods avec le fonds d'investissement britannique Helios Investment Partners, dénommée « GB Foods Africa Holdco BV », ayant son siège aux Pays-Bas, et que GB Foods aurait profité de la proximité du fonds Helios Investment Partners avec le gouvernement Nigérian et du financement illégal de la campagne du vice-président du Nigeria, Monsieur [Z], pour bénéficier d'un investissement de 125 millions de dollars dans la nouvelle joint-venture GB Foods Africa Holdco, en violation des règles anti-corruption et anti-blanchiment

- Le tribunal arbitral ne s'est pas saisi des soupçons d'un pacte corruptif mais la cour n'est pas limitée dans son contrôle par les constatations, appréciations et qualifications opérées par les arbitres, et elle peut retenir la présence d'indices graves, précis et concordants qui justifient l'annulation de la sentence pour violation de l'ordre public international, en procédant à une appréciation de novo des circonstances de la cause, qui passe par un examen minutieux des faits allégués.

15. En l'espèce, les recourants soutiennent que la dissimulation de la création de la Joint-Venture avec Helios et le fait que ce dernier entretenait des relations de proximité étranges avec le gouvernement du Nigeria notamment avec l'ancien ministre du commerce qui est un ancien membre d'un fonds d'investissement anglais qui travaillait avec Helios établit que le choix de ce partenaire était dicté par des motifs illicites, et notamment que :

- dans le cadre d'une récente enquête pénale, il aurait été découvert que Monsieur [E] [H], co-fondateur et directeur général du fonds Helios Investement Partners, aurait participé au financement illégal de la campagne du vice-président du Nigeria, Monsieur [V] [Z]. En contrepartie de ce financement, d'autres complices auraient bénéficié de « contrats fédéraux sous l'administration [P] » ;

- durant cette même période, Monsieur [A] [U], devenu Ministre du commerce et des investissements, aurait accordé des exemptions de taxes à certaines sociétés, et c'est pendant cette période que le fonds Helios a procédé à des investissements d'ampleur au Nigeria, notamment l'investissement de 125 millions de dollars au début de l'année 2017 dans la joint-venture GB Foods Africa Holdco ;

- le développement de la plus grande usine de transformation de tomates en Afrique subsaharienne pour le compte de la joint-venture GB Foods Africa Holdco aurait également été favorisé par des financements publics de la Banque centrale du Nigeria et par d'autres autorités locales ;

- l'ouverture de cette usine par les défenderesses semblait être dictée par des raisons politiques car l'annonce du partenariat entre les défenderesses et les autorités locales de Kebbi financée à hauteur de 10 millions d'euros et créant 1500 emplois a été faite au début de l'année 2019 alors qu'en février se tenait l'élection présidentielle et qu'en mars se tenait l'élection du gouverneur de l'état de Kebbi ;

- le gouverneur Bugadu s'est publiquement félicité de ce partenariat dans la presse en mai 2019, soit quelques semaines après qu'il a négocié un accord avec les autorités américaines et britanniques pour empêcher son extradition et mettre un terme aux poursuites contre lui des chefs de détournements de fonds publics et de blanchiment de plusieurs centaines de millions de dollars au préjudice notamment de la Banque Centrale du Nigeria ;

- les détournements de fonds et les opérations complexes de blanchiment du gouverneur Bagadu ont été dévoilés en 2021 par les Pandor Papers qui ont mis en lumière le rôle de prestigieux cabinets de conseil à Londres, sans que le gouvernement du président [P] ne réagisse ;

- alors que le fonds Helios Investment Partners s'était retiré de la quasi-totalité de ses investissements au Nigeria, les défenderesses ont poursuivi elles-mêmes leurs démarches auprès du président [P] notamment lors d'une récente rencontre à Madrid où le président de GB Foods a reçu les félicitations du Nigeria pour son « énorme investissement » au Nigeria ;

16. Ils en concluent que la rupture anticipée du Second Partenariat par les défenderesses était motivée par la possibilité de développer une activité concurrente au Nigeria dans des conditions favorisées par des faits allégués de corruption.

17. En réponse, les sociétés défenderesses, GB Foods et GB Foods Africa Holding soutiennent que les faits allégués sont mensongers, sans lien avec le litige dont était saisi le tribunal arbitral, et que la sentence ne donne effet à aucune convention qui pourrait être issue des prétendus faits de corruption. Elles font notamment valoir que :

- L'ensemble des faits allégués n'est qu'une succession de suppositions hasardeuses fondées sur des approximations malhonnêtes visant à nuire à la réputation de GB Foods, notamment des articles de presse dont la véracité n'est pas établie, antérieurs à la fin de la procédure arbitrale qui ne peuvent constituer des indices graves, précis ou concordants de nature à laisser supposer l'existence de faits de corruption,

- Il ne peut lui être fait grief de dissimulation puisque GB Foods n'avait aucune obligation d'informer Tagidor des autres projets qu'elle pouvait développer concomitamment dans d'autres pays d'Afrique,

- Il ne peut pas plus lui être fait grief de « liens de proximité » avec la gouvernance du Nigéria, GB Foods n'étant visé à aucun moment par les articles comme ayant pu bénéficier, de près ou de loin, d'avantages liés à un prétendu financement illégal de la campagne du vice-président Nigérian,

- A supposer même qu'Hélios aurait eu des relations de proximité avec des membres du gouvernement, il n'est nullement établi qu'il aurait participé au financement illégal de la campagne du vice-président du Nigeria ni que GB Foods aurait pu bénéficier, de près ou de loin, de ce prétendu financement illégal. Il n'y a en effet aucun lien entre les allégations de corruption au Nigéria et le litige dont a eu à connaître le tribunal arbitral relatif à des contrats au Cameroun, les recourants eux-mêmes reconnaissant que l'implication de GB Foods n'était pas établie,

- La résiliation anticipée du second partenariat n'était que la conséquence des graves inexécutions contractuelles de Tagidor, relevées par le tribunal arbitral,

- La sentence arbitrale ne donne effet à aucune convention qui pourrait être issue des prétendus faits de corruption.

- Le tribunal arbitral a en outre déjà pris en compte l'ensemble de ces éléments, y compris les allégations de recentrage des activités de GB Foods au Nigeria, dont le caractère illicite n'est pas démontré, et a considéré que les allégations de corruption n'étaient pas établies.

Sur ce,

18. Selon l'article 1520, 5°, du code de procédure civile, l'annulation de la sentence peut être poursuivie lorsque sa reconnaissance ou son exécution est contraire à l'ordre public international.

19. L'ordre public international au regard duquel s'effectue le contrôle du juge s'entend de la conception qu'en a l'ordre juridique français, c'est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international.

20. Ce contrôle s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international.

21. La prohibition de la corruption figure au nombre des principes dont l'ordre juridique français ne saurait souffrir la violation même dans un contexte international. Elle relève par conséquent de l'ordre public international.

22. La cour n'étant pas le juge du contrat ou de l'opération, l'annulation n'est encourue que s'il est démontré par des indices graves, précis et concordants que l'insertion de la sentence dans l'ordre juridique interne aurait pour effet de donner force à un contrat obtenu par corruption ou de permettre à une partie de bénéficier du produit d'activités de cette nature, le juge de l'annulation étant appelé à rechercher en fait et en droit tous les éléments permettant de se prononcer sur la violation alléguée à ce titre.

23. Une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'est pas limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, la cour devant s'assurer cependant que la production des éléments de preuve devant elle respecte le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes.

24. S'il appartient à la cour de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence viole de manière caractérisée l'ordre public international, il revient aux parties qui allèguent une telle violation de justifier en quoi la sentence donne effet à un pacte corruptif ou à une convention obtenue par corruption, ou permet à l'une d'elles de tirer de la sentence ou du litige les bénéfices du produit d'activités délictueuses, la seule invocation d'un contexte corruptif ou de présomptions de corruption ne suffisant pas à établir la violation alléguée, sans lien démontré avec les faits de l'espèce.

25. A cet égard, les recourants soutiennent que la rupture anticipée du Second Partenariat par les Défenderesses était motivée par la possibilité de développer une activité concurrente au Nigeria dans des conditions indument favorisées par des faits allégués de corruption.

26. Pour établir l'existence d'un faisceau d'indices graves, précis et concordants de tels faits, ils font état d'un contexte de corruption au Nigéria et mettent en avant la création d'une joint-venture associant GB Foods au fonds d'investissement Hélios pour conduire des investissements dans ce pays, la dissimulation de l'existence de cette joint-venture et son immatriculation aux Pays-Bas, les relations de proximité d'Hélios avec le gouvernement nigérien, la mise en cause du cofondateur et directeur de ce fonds pour des faits de financement illégal de la campagne du vice-président du Nigéria ainsi que les investissements massifs réalisés par Hélios dans ce pays.

27. Ils s'interrogent sur le développement de la plus grande usine de transformation de tomates en Afrique subsaharienne pour le compte de la joint-venture en indiquant que cette opération, qui a impliqué des financements publics de la Banque Centrale du Nigéria et des autorités locales, serait plus dictée par des considérations politiques que par une réelle opportunité de marché. Ils soulignent que le gouverneur de la province concernée, par ailleurs mis en cause pour des détournements de fonds, s'est publiquement félicité de ce partenariat.

28. La corruption alléguée est celle commise au Nigéria, connue depuis plusieurs années, dont un article publié sur France Info en 2017, versé aux débats, indique :

« Au cours de la campagne électorale de 2015, [C] [P] a accusé l'administration de son prédécesseur, [G] [Y], d'avoir pillé les caisses de l'Etat. Le programme phare du général [P] vise à débarrasser le pays de la fraude et promouvoir la bonne gouvernance dans la vie publique. »

« Quinze magistrats de haut rang ont été arrêtés en octobre 2016. Parmi eux plusieurs juges accusés d'avoir perçu des pots-de-vin. Les fouilles ont permis de découvrir 800 000 dollars en liquide et des documents compromettants. »

29. Il résulte des conclusions des recourants que les faits de corruption ainsi évoqués, auraient bénéficié à GB Foods par l'intermédiaire de sa joint-venture avec le fond Hélios, et l'auraient incitée à se désengager de son contrat au Cameroun avec Tagidor, au profit de ses cocontractants nigérians, ce qu'elle aurait tenté de dissimuler lors de la conclusion du renouvellement du partenariat.

30. L'examen des pièces versées aux débats ne permet toutefois d'établir aucun lien entre les activités de cette joint-venture et les faits de corruption évoqués. Les imputations se rapportant à la création et au développement d'une usine de transformation de tomates présentent ainsi un caractère purement hypothétique que souligne la tournure interrogative de l'assertion, la simple participation d'Hélios à la joint-venture n'étant pas, en elle-même, suffisante.

31. Il n'est au demeurant pas soutenu par Tagidor que cette joint-venture serait impliquée dans la fraude invoquée, les demandeurs au recours reconnaissant explicitement que cette implication n'est nullement établie (conclusions Tagidor §76).

32. Les autres éléments se rattachant directement à la joint-venture sont quant à eux sans portée, son immatriculation aux Pays-Bas ne pouvant être considérée comme un indice d'activité délictuelle, la dissimulation de son existence lors du renouvellement du partenariat n'étant pas plus significative, GB Foods relevant justement sur ce point qu'elle n'était pas tenue d'informer ses partenaires des autres projets qu'elle développait en Afrique.

33. Quant aux autres éléments invoqués devant la cour, consistant essentiellement en des articles de presse datant de 2016 à 2022 se faisant l'écho de malversations et faits concernant les autorités ou sociétés nigérianes ou le fonds Helios, les recourants ne contestent pas qu'ils sont sans lien avec le partenariat entre GB Foods et Tagidor, ou qu'ils font état d'activités concurrentes dont il ne résulte pas qu'elles soient illicites ou le fruit d'activités illicites (« GB Foods, propriétaire de Jumbo, et Helios forment une coentreprise dans le but de créer une société de produits alimentaires panafricaine » article de prnewswire.com du 2 mai 2017).

34. Les articles qui font état de poursuites pénales sont soit imprécis, soit sans lien temporel avec la date de renouvellement du partenariat (Article de Sahara Reporters de 2022 « In violation of federal campaign finance regulations, an investigation has exposed how a top Nigerian financial services outfit, GTBank donated at least N200 million to the campaign coffers of Vice President [V] [Z], Peoples Gazette reports » ' 8 février 2022).

35. S'agissant de poursuites pénales, l'article visé par les conclusions de Tagidor concerne l'arrestation de quinze hauts magistrats nigérians en 2016 qui sont sans lien aucun avec le litige (cf. l'article de France Info cité ci-dessus).

36. Il résulte de ce qui précède que les éléments invoqués par les demandeurs, pris séparément comme dans leur ensemble, ne révèlent pas la présence d'indices graves, précis et concordants de l'existence d'un pacte corruptif ou de faits de corruption qui soient en lien avec le litige ayant donné lieu à la sentence.

37. Enfin, si les demandeurs au recours soutiennent que le désengagement de GB Foods au Cameroun et la résiliation du partenariat la liant à Tagidor trouveraient leur origine dans la volonté de la défenderesse de redéployer ses activités au Nigéria pour bénéficier des actes de corruption ainsi allégués sans être démontrés, force est de constater que cette affirmation n'est nullement étayée en fait, l'examen de la sentence faisant au contraire apparaître que la rupture de la relation trouvait son origine dans un élément objectif résultant des « manquements répétés et graves des Demandeurs à leurs diverses obligations de paiement ».

38. Il s'ensuit que le moyen pris en sa première branche est infondé.

B. Sur le moyen pris en sa deuxième branche

39. Les recourants soutiennent que la violation de l'ordre public international résulte également du non-respect du principe de l'égalité des armes en faisant valoir que :

- la décision de rejet du tribunal d'ordonner aux défenderesses de produire des documents relatifs à leur projet au Nigeria dans le cadre de la production de documents a contribué à permettre aux défenderesses de ne pas divulguer les conditions douteuses de leur implantation au Nigeria ;

- ils avaient sollicité du tribunal la production des éléments suivants : « les correspondances et les documents, notamment comptes rendus, rapports ou notes internes ainsi que les audits et la due la diligence juridique préparés par les défenderesses, et notamment communiqués à Hélios, concernant le développement de leur projet d'usine de transformation de tomate au Nigeria et le projet de rachat de Watanmal avec Hélios » (Pièce 41) ;

- la décision du tribunal a placé les demandeurs dans une situation de net désavantage par rapport à leurs adversaires et les a privés de la possibilité de faire valoir leurs prétentions en violation du principe de la contradiction ;

- les demandeurs n'ont ainsi pas pu développer leur argumentaire sur le caractère abusif de la résiliation des relations commerciales et de faire état du contexte de l'installation de GB Foods au Nigeria.

40. La sentence arbitrale a ainsi été rendue en contrariété avec l'ordre public international procédural.

41. Les défenderesses indiquent en réponse qu'aucune violation du principe de l'égalité des armes n'est caractérisée. Elles font notamment valoir que :

- Les demandes de production de documents étaient très larges et portaient sur « tous documents et correspondances » pour une période globale de 1993 à 2018, et notamment communiqués à Hélios, concernant le développement de leur projet d'usine de transformation de tomate au Nigéria et le projet de rachat de Watanmal avec Hélios, documents sans lien avec la résolution du litige dont le tribunal était saisi,

- Si le tribunal n'a pas répondu dans le sens souhaité par les recourants, cela ne signifie pas pour autant qu'il n'a pas pris en compte leurs objections, développées de part et d'autre abondamment pendant la procédure arbitrale, ni qu'il y aurait une asymétrie entre les parties,

- Les recourants ont échoué à démontrer la pertinence de leur demande avec l'intérêt du litige, et le tribunal arbitral a pris soin de motiver sa réponse de façon concrète et précise,

- Il n'appartient pas au juge chargé du recours de se prononcer à nouveau sur le bienfondé des prétentions formulées devant le Tribunal arbitral.

- Le tribunal a parfaitement respecté le principe de l'égalité des armes.

Sur ce

42. L'égalité des armes, qui constitue un élément du procès équitable protégé par l'ordre public international, et qui relève également du principe du respect de la contradiction, implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause ' y compris les preuves ' dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire.

43. En l'espèce, il résulte de la procédure que le tribunal arbitral a été saisi de demandes ayant pour objet, selon les demanderesses, de clarifier la position des défenderesses relativement à « leur changement d'orientation stratégique » (Ordonnance n°3 ' tableau ' demande n°4-1), demandes auxquelles le tribunal a fait droit.

44. Il a également été saisi d'autres demandes de communication de « correspondances et documents, notamment comptes rendus, rapports ou notes internes ainsi que les audits et la due diligence juridique préparés par les Défenderesses et notamment communiqués à Hélios, concernant le développement de leur projet d'usine de transformation de tomate au Nigéria et le projet de rachat de Watanmal avec Hélios » ( id. demande n°6-1 et réponse 6-1-1 et 6-1-2 du tribunal arbitral), qu'il a rejetées, connaissance prise de la motivation des demanderesses qui soutenaient que ces pièces étaient « des éléments centraux au litige et directement pertinents pour les demandes des Demandeurs, notamment tenant au dol dans la conclusion de l'Ensemble contractuel du 16 décembre 2016 et dans la résiliation fautive de ces contrats » et que « les intervenants impliqués sont précisés (la société Hélios) de même que la période concernée », mais le tribunal arbitral les ayant estimées « trop larges, la pertinence des pièces demandées à l'issue du litige n'étant pas suffisamment démontrée ».

45. Il résulte des motifs retenus par le tribunal arbitral qu'aucune violation du principe d'égalité des armes n'est caractérisée au titre des demandes de communication des pièces qui ont été rejetées, le tribunal arbitral ayant pris en compte les demandes et les moyens et arguments développés par les parties au soutien de chacune des demandes de communication de pièces et les ayant acceptées ou refusées de façon motivée au regard des éléments invoqués de part et d'autres et jugés ou non nécessaires à la résolution du litige, une telle motivation échappant à la censure du juge chargé du contrôle des sentences dès lors qu'elle ne place pas l'autre partie dans une situation substantiellement désavantageuse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, les motifs retenus par le tribunal arbitral étant en lien avec ceux articulés au soutien de la demande principale, concernant le dol invoqué et les causes de la rupture et estimant les demandes formulées « trop larges, la pertinence des pièces demandées à l'issue du litige n'étant pas suffisamment démontrée », ce qui relève de la libre motivation du tribunal arbitral.

46. Il ne résulte pas de ces éléments une inégalité des armes qui contrevienne à l'ordre public international ou qui violerait le principe de la contradiction, en quoi la deuxième branche du moyen doit être écarté.

47. Aucune violation de l'ordre public international n'étant caractérisée, le recours en annulation sera rejeté.

Sur les frais et dépens

48. Les recourants qui succombent, seront condamnés aux dépens, la demande qu'ils forment au titre des frais irrépétibles étant rejetée.

49. Ils seront en outre condamnés à payer à aux sociétés GB Foods la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

IV/ DISPOSITIF

Par ces motifs, la cour :

1) Rejette le recours en annulation formé par les sociétés Tagidor Premium Investments International SA, Africa General Food Industries, Food Distribution and Industries SA et Monsieur [T] [K] contre la sentence arbitrale rendue à [Localité 2], le 30 mars 2022, sous l'égide de la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dans l'affaire enregistrée sous la référence n° 25022/DDA/AZO,

2) Les déboute de leur demande de condamnation formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

3) Condamne les sociétés Tagidor Premium Investments International SA, Africa General Food Industries, Food Distribution and Industries SA et Monsieur [T] [K] à payer aux sociétés GB Foods la somme de quinze mille euros (15 000 €) en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

4) Condamne les sociétés Tagidor Premium Investments International SA, Africa General Food Industries, Food Distribution and Industries SA et Monsieur [T] [K] aux dépens.

LA GREFFIERE, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 16
Numéro d'arrêt : 22/14437
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-04;22.14437 ?
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