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03/06/2024 | FRANCE | N°23/08379

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 03 juin 2024, 23/08379


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 03 Juin 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/08379 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSST



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 17 Mai 2023 par M. [E] [O] né le [Date naissance 1] 2002 à [Locali...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 03 Juin 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/08379 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHSST

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 17 Mai 2023 par M. [E] [O] né le [Date naissance 1] 2002 à [Localité 6], demeurant [Adresse 2] ;

non comparant

Représenté par Me Mathilde GENESTIER, avocat au barreau de PARIS

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me Mathilde GENESTIER représentant M. [E] [O],

Entendu Me Colin MAURICE, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [E] [O], né le [Date naissance 1] 2002, de nationalité française, a été déféré devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris des chefs de vol avec violences ayant entraîné une ITT n'excédant pas 8 jours en réunion et de violences volontaires n'ayant pas entraîné d'ITT supérieure à 8 jours et avec usage d'une arme puis traduit selon la procédure de comparution immédiate devant le tribunal correctionnel de cette juridiction. Ce dernier a ordonné le renvoi de cette affaire à une audience ultérieure d'une chambre spécialisée et a placé le requérant sous mandat de dépôt à la maison d'arrêt de le 17 septembre 2021.

Le 25 mars 2016, le tribunal correctionnel de Paris a ordonné la remise en liberté du requérant qu'il a placé sous contrôle judiciaire.

Par jugement du 12 décembre 2022, M. [O] a été renvoyé des fins de la poursuite par la 10e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris.

Le requérant a produit un certificat de non appel en date du 28 avril 2023 de la décision du tribunal correctionnel qui a un caractère définitif à son égard.

Le 17 mai 2023, M. [O] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 9 000 euros au titre de son préjudice moral,

* 7 813,60 euros au titre de son préjudice matériel, dont 1 613,60 euros au titre de la perte de gains professionnels, 5 000 euros au titre de l'incidence professionnelle et de la perte de chance et 1 200 euros des frais exposés pour recouvrer sa liberté

* 1 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 29 août 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, d'allouer à M. [O] la somme de 1 200 euros en réparation du préjudice matériel, de lui allouer la somme de 6 500 euros en réparation du préjudice moral , de rejeter le surplus des demandes et de ramener à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder la somme de 1 000 euros la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 19 mars 2024, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention de 31 jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et à la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [O] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 17 mai 2023, qui est dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 28 avril 2023. Dans ces conditions, la requête présentée par M. [O] est recevable.

Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 31 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [O] considère qu'il a subi un choc carcéral important car il était un jeune adulte de 19 ans sans difficulté et sans antécédent, ni policier ni judiciaire, qui a été incarcéré pour la première fois. Il a présenté un sentiment d'angoisse et d'anxiété en raison de la peine de 7 ans d'emprisonnement encourue. Par ailleurs, les conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4] qui sont dénoncées depuis plusieurs années par des rapports du Contrôleur général des lieux de privation de liberté de novembre 2018, mettant en avant notamment la saleté des lieux, l'importante surpopulation et le climat de violence. C'est pourquoi, M. [O] sollicite une somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat estime que la demande d'indemnisation du préjudice moral est fondée en son principe mais ne saurait être accueillie à hauteur de la somme sollicitée. Le sentiment d'angoisse lié à la peine encourue et le sentiment d'injustice ressenti sont liés aux faits reprochés et non pas au placement en détention provisoire. L'absence de passé carcéral du requérant n'est pas un facteur aggravant de choc carcéral mais un élément constitutif de ce choc qui est accentué par le jeune âge du requérant. Par contre, M. [O] ne démontre pas avoir personnellement souffert des conditions de détentions difficiles dont il se plaint ni ne produit le rapport du Contrôleur général qui n'est par ailleurs pas contemporain de sa période de détention. C'est ainsi que l'AJE propose une somme de 6 500 euros en réparation du préjudice moral de M. [O].

Le procureur général considère qu'il y a lieu de prendre en compte le fait que le requérant n'avait jamais été incarcéré, était âgé de 19 ans, était célibataire et qu'il a donc subi un choc carcéral important. S'agissant de ses conditions de détention, il ne démontre pas de conditions particulières qui lui soient propres et le rapport évoqué du Contrôleur général est postérieur à la période à laquelle il a été placé en détention provisoire. Il n'y a donc pas de facteur d'aggravation de ce choc carcéral.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [O] était âgé de 19 ans au moment de son incarcération et était célibataire, sans enfant. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnations pénale. C'est ainsi qu'au jour de son placement en détention provisoire M. [O] n'avait jamais été incarcéré et son choc carcéral initial a été important.

S'agissant de ses conditions de détention, M. [O] ne démontre pas en quoi il aurait personnellement connu des conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4] et le rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté n'est pas produit aux débats et est relatif à une visite de l'établissement pénitentiaire qui est intervenue au cours du mois de novembre 2018, soit plus d'un an après le placement en détention provisoire du requérant. Dans ces conditions, il n'est pas démontré l'existence d'un facteur d'aggravation du choc carcéral.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [O] une somme de 6 650 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

1- Sur la perte de revenus :

M. [O] considère qu'il a perdu la possibilité de percevoir un salaire, alors qu'il était encore étudiant et qu'il s'apprêtait à entrer dans la vie professionnelle. Il était accepté en 2e année de BTS et qu'il était sur le point de signer un contrat d'apprentissage professionnel. Son incarcération ne lui as pas permis de travailler pendant deux mois en septembre et octobre. C'est pourquoi il sollicite l'allocation d'une somme de 1613,60 euros.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, la perte de revenus alléguée n'est absolument pas justifiée et sera donc rejetée. En effet, le requérant ne travaillait plus pour la société [3] depuis le mois de juin 2021 lorsqu'il a été placé en détention provisoire et que le second contrat d'apprentissage n'a été conclu qu'en novembre 2021. C'est ainsi que l'AJE conclut au rejet de la demande.

Le procureur général conclut également au rejet de la demande dans la mesure où M. [O] avait cessé son activité en juin 2021 auprès de la société [3] et n'a repris une activité professionnelle que le 02 novembre 2021. Il ne peut donc prétendre à une indemnisation représentant à deux mois de salaire durant son incarcération du 17 septembre au 18 octobre 2021.

En l'espèce, M. [O] a produit aux débats un contrat d'apprentissage signé avec la Sarl [3] pour la période du 05 janvier 2021 au 04 janvier 2022. Or, selon un certificat de travail établi par [3], ce contrat de d'apprentissage a pris fin effectivement au mois de juin 2021, soit avant que M. [O] soit placé en détention provisoire. Cela est d'ailleurs confirmé par la production de bulletins de paie pour les mois de janvier à juin 2021. Un second contrat d'apprentissage a été signé avec la société [5] pour la période du mois de novembre 2021 au mois de juin 2022, soit postérieurement à la remise en liberté du requérant. C'est ainsi qu'il n'est pas démontré que M. [O] ait perdu des revenus puisqu'il n'avait aucun contrat d'apprentissage pendant le mois où il était en détention provisoire. La demande au titre d'une perte de revenus sera rejetée.

2- Sur la perte de chance de suivre une scolarité normale :

M. [O] estime qu'au titre de l'incidence professionnelle, il a perdu une chance de suivre une scolarité normale et d'être dans de bonnes conditions afin de réussir son examen de BTS. Il sollicite donc l'allocation d'une somme de 5 000 euros à ce titre.

L'AJE considère que le requérant ne produit aucune pièce au soutien de son impossibilité de valider son examen de BTS en raison du retard accumulé pendant son absence et du choc psychologique engendré par son incarcération. Il estime qu'il convient donc de rejeter la demande.

Le procureur général estime que le requérant n produit aucune pièce au soutien de sa prétention, à l'exception d'une attestation de scolarité en 2e année de BTS. Il y a donc lieu de rejeter la demande de perte de chance.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [O] était inscrit en 2e année de BTS pour l'année scolaire 2022-2023, mais pas qu'il était inscrit pour l'année 2021-2022. En outre, n'ayant été incarcéré qu'un mois en septembre-octobre 2021, il n'est pas démontré que ce placement en détention provisoire soit à l'origine de son échec en 2e année de BTS alors que sa scolarité n'a été amputée que d'un mois sur toute l'année scolaire. La demande sera donc rejetée.

3- Sur les frais de défense :

M. [O] estime que ses frais d'avocat doivent lui être remboursés à hauteur des diligences effectuées en lien avec le contentieux de la détention provisoire, soit l'assistance à l'audience fixée devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris pour statuer sur la demande de mise en liberté qu'il avait présenté seul. Selon la facture d'honoraire qu'il produit, il sollicite la somme de 1 200 euros à ce titre.

L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général estime que la facture produite est bien en lien avec le contentieux de la détention provisoire et qu'il convient donc de faire droit à la demande du requérant.

En l'espèce, M. [O] produit aux débats une facture d'honoraires faisant état des diligences suivantes : audience devant la 10e chambre correctionnelle de Paris le 18 octobre 2021, sur demande de mise en liberté, préparation du dossier et plaidoirie et préparation du client. Ces différentes diligences sont bien en relation directe et exclusive avec le contentieux de la détention provisoire. Cette facture est d'un montant de 1 200 euros. Cette somme sera donc allouée à M. [O].

C'est ainsi qu'une somme de 1 200 euros sera allouée à M. [O] en réparation de son préjudice matériel.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [O] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [E] [O] est recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 6 650 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 200 euros en réparation du préjudice matériel

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [E] [O] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 03 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/08379
Date de la décision : 03/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-03;23.08379 ?
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