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03/06/2024 | FRANCE | N°23/03395

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 03 juin 2024, 23/03395


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 03 Juin 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/03395 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHEUB



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 06 Février 2023 par M. [E] [W] né le [Date naissance 2] 1993 à [Lo...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 03 Juin 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/03395 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHEUB

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 06 Février 2023 par M. [E] [W] né le [Date naissance 2] 1993 à [Localité 3], élisant domicile au cabinet de Me Romain Kail [Adresse 1] ;

non comparant

Représenté par Me Romain KAIL, avocat au barreau de PARIS

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 06 Mai 2024 ;

Entendu Me Romain KAIL représentant M. [E] [W],

Entendu Me Valentin DAGONAT, avocat au barreau de PARIS substituant Me Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [E] [W], né le [Date naissance 2] 1993, de nationalité française, a été mis en examen du chef de viol en réunion, puis placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 4], le 26 juillet 2015,par un juges des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Créteil.

Le 25 mars 2016, le juge d'instruction de cette juridiction a ordonné la remise en liberté du requérant qu'il a placé sous contrôle judiciaire.

Par ordonnance du 07 décembre 2016, le magistrat instructeur a requalifié les faits et prononcé un non-lieu à l'encontre de M. [W].

Sur appel de la partie civile, par arrêt du 20 février 2019, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris a confirmé le non-lieu à l'égard du requérant.

Le requérant a produit un certificat de non pourvoi en date du 25 octobre 2022 de la décision d'appel qui a un caractère définitif à son égard.

Le 06 février 2023, M. [W] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement,

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 25 000 euros au titre de son préjudice moral,

* 14 616 euros au titre de son préjudice matériel,

* 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures, déposées le 04 juillet 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président, de ramener la demande relative au préjudice matériel à la somme de 1 080 euros, de ramener à de plus justes proportions la demande formulée au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder la somme de 16 000 euros et de ramener à de plus justes proportions la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 07 mars 2024, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention de deux-cent-quarante-trois jours, à la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées et à la réparation du préjudice matériel résultant des frais exposés pour la défense dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [W] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 06 février 2023, qui n'est pas dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive puisque l'arrêt de confirmation de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris est du 20 février 2019. Mais cet arrêt n'indique pas que le requérant a été informé de son droit à recours en application des dispositions de l'article 149 du code de procédure civile ni du délai dans lequel il devait être présenté. Ce délai n'a donc jamais commencé à courir. Dans ces conditions, la requête présentée par M. [W] est recevable.

Sa requête est donc recevable pour une durée de détention indemnisable de 243 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [W] considère qu'il a subi un choc carcéral important en raison de sa première incarcération alors qu'il était âgé que de 21 ans, qu'il a injustement été privé de liberté, qu'il a été séparé de sa famille chez laquelle il vivait jusqu'alors et qu'il était poursuivis pour des faits graves et infamants pour lesquels il encourait 20 ans de réclusion criminelle. Il a alors vécu des réactions d'hostilité des autres détenus, ce qui l'a privé d'accès à des activités collectives comme les sorties en promenade et les activités culturelles, car ces derniers savaient qu'il était détenu pour des faits de viol en réunion. Ces éléments sont de nature à majorer le choc carcéral et donc à renforcer l'indemnisation de ce chef de préjudice. C'est pourquoi, M. [W] sollicite une somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice moral.

L'agent judiciaire de l'Etat estime que la demande d'indemnisation du préjudice moral est fondée en son principe mais ne saurait être accueillie à hauteur de la somme sollicitée. Le sentiment d'angoisse lié à la peine encourue et le sentiment d'injustice ressenti sont liés aux faits reprochés et non pas au placement en détention provisoire. L'absence de passé carcéral du requérant n'est pas un facteur aggravant de choc carcéral mais un élément constitutif de ce choc qui est accentué par le jeune âge du requérant. Par contre, M. [W] ne démontre pas avoir été agressé par ses codétenus ni avoir été menacé par ces derniers. C'est ainsi que l'AJE propose une somme de 16 000 euros en réparation du préjudice moral de M. [W].

Le procureur général considère qu'il y a lieu de prendre en compte le fait que le requérant n'avait jamais été incarcéré, était âgé de 21 ans, était célibataire et qu'il a donc subi un choc carcéral important. S'agissant de ses conditions de détention, il ne démontre pas de conditions particulières qui lui soient propres ni que son préjudice moral a été aggravé par la crainte de la réaction des co-détenus car il était incarcéré pour des faits de viol. Il n'y a donc pas de facteur d'aggravation de ce choc carcéral.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [W] était âgé de 21 ans au moment de son incarcération et était célibataire, sans enfant. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire porte trace de 13 condamnations entre décembre 2012 et janvier 2023, mais aucune à une peine d'emprisonnement ferme au 26 juillet 2015. C'est ainsi qu'au jour de son placement en détention provisoire M. [W] n'avait jamais été incarcéré et son choc carcéral initial a été important.

La durée de la détention provisoire, 243 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

S'agissant de ses conditions de détention, M. [W] ne démontre pas en quoi il aurait personnellement connu des conditions de détention difficiles au sein de la maison d'arrêt de [Localité 4]. C'est ainsi qu'il n'est pas démontré que le requérant aurait été menacé ou agressé par ses co-détenus en raison de son incarcération pour des faits de viol en réunion ni qu'il aurait été exclu des activités collectives dont les sorties en promenade ou les activités culturelles. Dans ces conditions, il n'est pas démontré l'existence d'un facteur d'aggravation du choc carcéral.

Par ailleurs, l'importance de la peine encourue, soit 20 ans d'emprisonnement, ainsi que le sentiment d'injustice d'être poursuivi à tort, ne sont pas liés au placement en détention provisoire de M. [W] mais à la procédure pénale elle-même. Ces éléments ne peuvent donc pas non plus constituer un facteur d'aggravation du préjudice moral.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [W] une somme de 20 500 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

1- Sur la perte de chance d'occuper un emploi :

M. [W] considère qu'il a perdu la possibilité de percevoir un salaire, alors qu'il avait exercé une formation professionnelle et qu'il avait effectué de nombreuses mission intérimaires. Etant âgé de 21 ans seulement et en pleine capacité physique et intellectuelle d'accéder au marché de l'emploi, il a perdu une chance de percevoir le SMIC pendant 8 mois. C'est pourquoi il sollicite l'allocation d'une somme de 11 736 euros.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat l'indemnisation d'une perte de chance ne peut aboutir à l'indemnisation d'une perte totale de salaire pendant toute la période de détention provisoire. Le requérant ne produit par ailleurs aucune pièce permettant de justifier de ses demandes. Il ressort de l'enquête sociale rapide que M. [W] était sans activité professionnelle depuis 6 mois, sans ressources et pris en charge financièrement et dans la globalité par ses parents. C'est ainsi que la perte de chance invoquée n'est pas justifiée ni dans son principe ni dans son quantum. L'AJE conclut au rejet de la demande.

Le procureur général conclut également au rejet de la demande dans la mesure où M. [W] ne produit ni promesse d'embauche ni certificat de fin de formation. Par ailleurs, l'enquête sociale rapide indiquait que le requérant était sans emploi depuis 6 mois et vivait chez ses parents.

En l'espèce, M. [W] ne produit aux débats aucune pièce faisant état de ce qu'il aurait suivi des formations professionnelles ou exercé des missions en intérim dans l'année ou les mois précédent son incarcération.. De plus, selon l'enquête sociale rapide le requérant avait arrêté volontairement sa scolarité au cours de la dernière année de BAC pro commerce, n'exerçait aucune activité professionnelles depuis 6 mois, se trouvait sans ressources et était pris en charge financièrement et dans sa globalité par ses parents. Dans l'ordonnance de non-lieu, il était indiqué que M. [W] était sans emploi et sans stage depuis plusieurs mois et n'avait manifestement pas d'idée précise quand à son orientation. C'est ainsi qu'il y a lieu de rejeter la demande du requérant au titre d'une perte de chance de pouvoir percevoir des revenus.

2- Sur les frais d'avocat :

M. [W] estime que ses frais d'avocat doivent lui être remboursés à hauteur des diligences effectuées en lien avec le contentieux de la détention provisoire, soit la rédaction d'une demande de mise en liberté déposée le 14 mars 2016 et les nombreuses visites à la maison d'arrêt pour un montant total de 2 880 euros qu'il sollicite.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que sur le montant sollicité les 5 visites du requérant à la maison d'arrêt par son avocat et facturés selon deux forfaits de 900 euros ne se rapportent pas au contentieux de la détention provisoire et doivent être rejetées. Il propose donc d'allouer une somme de 1080 euros correspondant à la rédaction et au dépôt de la demande de mise en liberté.

Le Ministère Public conclut également au retranchement des sommes sollicitées au titre des visites à la maison d'arrêt.

En l'espèce, M. [W] produit aux débats deux facture d'honoraires : la première fait état de diligences intitulées visites en détention pour un montant forfaitaire de 900 euros, et la seconde fait état également d'un forfait de 900 euros pour des visites en détention et des diligences relatives à la rédaction d'une demande de mise en liberté et de son dépôt au greffe pour une somme de 1 080 euros.

Selon la jurisprudence de la CNRD, seules les diligences en lien exclusif avec le contentieux de la détention peuvent être prises en compte.

C'est ainsi que la rédaction et le dépôt au greffe d'une demande de mise en liberté le 14 mars 2016 pour un montant de 1 080 euros sont assurément relatif au contentieux de la détention provisoire. Tel n'est pas le cas des deux forfaits de 900 euros pour de multiples visites à la maison d'arrêt de [Localité 4], pour lesquelles il n'est pas démontré qu'elles soient en lien exclusif avec le contentieux de la détention. Ces deux sommes seront donc rejetées.

C'est ainsi qu'une somme de 1 080 euros sera allouée à M. [W] en réparation de son préjudice matériel.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [W] ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [E] [W] est recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 20 500 euros en réparation de son préjudice moral,

- 1 080 euros en réparation du préjudice matériel

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [E] [W] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 03 Juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/03395
Date de la décision : 03/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-03;23.03395 ?
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