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23/05/2024 | FRANCE | N°22/09367

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 23 mai 2024, 22/09367


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 23 Mai 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/09367 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUT2



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Paris infirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 9 avril 2019, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre sociale

de la Cour de cassation en date du 6 janvier 2021.



DEMANDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION



Monsieur [M] [S]

Chez M. [I] [H],

[Ad...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 23 Mai 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 22/09367 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUT2

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Décembre 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Paris infirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris en date du 9 avril 2019, cassé et annulé partiellement par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 6 janvier 2021.

DEMANDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

Monsieur [M] [S]

Chez M. [I] [H],

[Adresse 1]

[Localité 4]

(bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale numéro 2021/022943 du 16/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représenté par Me Myriam DUMONTANT, avocat au barreau de PARIS

DÉFENDEUR À LA SAISINE SUR RENVOI APRES CASSATION

S.A.R.L. SARCA

[Adresse 3]

[Localité 2]

représentée par M. [Y] [P], gérant, assisté par Me Ghislain DINTZNER, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1701 substitué lors de l'audience par Me Laurent KASPEREIT, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 1701

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Février 2024, en audience publique, les parties ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, 1ère présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [M] [S] a été engagé par contrat à durée indéterminée le 14 février 2008 par la société Sarca en qualité de plaquiste.

A compter du 27 avril 2009, son contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie.

Monsieur [S] a demandé à son employeur à l'issue de son arrêt de travail d'organiser une visite de reprise.

Face à la carence de son employeur, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Par jugement du 13 janvier 2011, il a été débouté de ses demandes au motif que le contrat de travail était toujours suspendu et qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à la société Sarca.

Ce jugement est devenu définitif.

Par courrier recommandé du 13 janvier 2011, M. [S] a demandé à la société Sarca de lui communiquer les coordonnées du médecin du travail afin d'organiser une visite de pré-reprise.

Par lettre du 5 juillet 2011, M. [S] a informé son employeur de son souhait que soit organisée une visite médicale de reprise.

Sollicitant à nouveau la résiliation judiciaire de son contrat de travail et l'indemnisation de son préjudice, Monsieur [S] a saisi le 10 novembre 2011 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 12 décembre 2012, a déclaré irrecevables les demandes formées par celui-ci en faisant application du principe d'unicité de l'instance devant la juridiction prud'homale.

Par déclaration du 4 avril 2013, Monsieur [S] a interjeté appel de ce jugement.

Suite à un défaut de diligence des parties, la cour d'appel de Paris a rendu une ordonnance de radiation du rôle en date du 29 mars 2017.

Par courrier du 7 novembre 2017, enregistré au greffe le 27 novembre 2017, Monsieur [S] a sollicité le rétablissement de l'affaire.

Par arrêt du 9 avril 2019, la cour d'appel de Paris a :

- infirmé le jugement en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- rejeté la fin de non-recevoir des demandes formées par la société Sarca tirée du principe d'unicité de l'instance,

- déclaré en conséquence recevables les demandes de Monsieur [S],

- débouté Monsieur [S] de toutes ses demandes,

- débouté la société Sarca de toutes ses demandes,

- dit que chacune des parties garde à sa charge les frais qu'elle a engagés en application de l'article 700 du code de procédure civile et ses propres dépens.

Le 15 juillet 2019, Monsieur [S] s'est pourvu en cassation.

Une visite médicale de reprise a été organisée par l'employeur le 8 novembre 2019 à l'issue de laquelle il a été déclaré inapte à tout poste dans l'entreprise, après étude de postes, des conditions de travail et entretien avec l'employeur, le médecin du travail précisant 'pas de capacités restantes dans une entreprise où les postes de travail nécessitent une aptitude physique particulière'.

Par courrier du 9 décembre 2019, la société Sarca lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par arrêt du 6 janvier 2021 (n°11 F-D, pourvoi n°W19-19.277), la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 9 avril 2019, sauf en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir des demandes formées par la société Sarca tirée du principe de l'unicité de l'instance, et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

La Cour de cassation a motivé ainsi sa décision :

Vu les articles R. 4624-21 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, et L. 1231-1 du code du travail :

5. Il résulte du premier de ces textes que le salarié bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail après certaines absences pour raisons médicales, le classement d'un salarié en invalidité deuxième catégorie par la sécurité sociale ne dispensant pas de cette obligation, et que l'initiative de la saisine du médecin du travail appartient normalement à l'employeur dès que le salarié, qui remplit les conditions pour en bénéficier, en fait la demande et se tient à sa disposition pour qu'il y soit procédé. Il résulte du second que le contrat de travail peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur et de condamnation de ce dernier à lui verser diverses sommes à ce titre, l'arrêt retient que s'il appartenait à la société d'organiser une visite de reprise à compter du 27 octobre 2011, ce qu'elle n'a pas fait, en l'absence de visite de reprise, le contrat est demeuré suspendu, que les manquements doivent être appréciés par les juges au jour de leur décision, qu'à ce jour, il ne peut pas être reproché à l'employeur de ne pas organiser de visite de reprise, le contrat étant suspendu, et que dès lors la demande de résiliation judiciaire est rejetée en l'absence de manquement de l'employeur, qu'au surplus, M. [S] a été placé en invalidité de deuxième catégorie depuis le 1er octobre 2018, ce qui l'empêche d'exercer une profession quelconque.

7. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la société aurait dû organiser une visite de reprise à compter du 27 octobre 2011, ce dont il résultait qu'en ne le faisant pas, elle avait commis un manquement à ses obligations dont il lui appartenait de rechercher s'il était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Par déclaration de saisine du 7 novembre 2022, Monsieur [S] a saisi la cour d'appel de Paris.

Dans ses dernières conclusions soutenues oralement à l'audience, Monsieur [S] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du 12 décembre 2012 en ce qu'il a déclaré ses demandes irrecevables du fait du principe de l'unicité de l'instance,

statuant à nouveau,

- rejeter la fin de non-recevoir des demandes formées par la société Sarca tirée du principe de l'unicité de l'instance,

en conséquence,

- déclarer recevables les demandes de Monsieur [S],

à titre principal :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [S] aux torts de la société Sarca au 9 décembre 2019,

en conséquence,

- condamner la société Sarca au paiement des sommes suivantes :

- 150 000 euros à titre de rappel de salaire du 1er août 2011 au 9 décembre 2019,

- 15 000 euros au titre des congés payés afférents,

à titre principal :

- 100 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

à titre subsidiaire :

- 15 750 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 300 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 375 euros à titre d'indemnité de licenciement,

à titre subsidiaire :

- condamner la société Sarca au paiement des sommes suivantes :

- 81 308 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'absence d'organisation de la visite de reprise,

- 100 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 300 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 375 euros à titre d'indemnité de licenciement,

en tout état de cause :

- ordonner à la société Sarca la remise des bulletins de salaire et documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir de 2011 à 2019, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,

- débouter la société Sarca de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Sarca au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700-2 du code de procédure civile,

- condamner la société Sarca aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions soutenues à l'audience, la société Sarca demande à la cour de :

à titre principal :

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement ou qu'elle n'a commis aucun manquement suffisamment grave pour justifier d'une résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [S],

- débouter par conséquent Monsieur [S] de l'intégralité de ses demandes,

à titre subsidiaire et en toute hypothèse :

- débouter Monsieur [S] de sa demande de rappel de salaire (formulée à titre principal) et de sa demande de dommages-intérêts en réparation de l'absence d'organisation de la visite de reprise (formulée à titre subsidiaire),

- débouter Monsieur [S] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au-delà de la fourchette d'indemnisation fixée par l'article L.1235-3 du code du travail entre 0,5 et 2 mois de salaire sur la base d'une ancienneté d'un an de Monsieur [S],

- débouter Monsieur [S] de ses demandes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et d'indemnité de licenciement,

- condamner Monsieur [S] à payer à la société Sarca une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de la présente instance.

L'audience de plaidoiries a eu lieu le 27 février 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Dans son arrêt du 6 janvier 2021, la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Paris rendu le 9 avril 2019, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir des demandes formées par la société Sarca tirée du principe de l'unicité de l'instance.

Il y a donc lieu de constater que la cour n'est pas saisie de la première demande formulée par le salarié, ce point ayant déjà été jugé.

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

Monsieur [S] considère que son employeur, qui n'a pas organisé de visite de reprise, ni à la fin de son arrêt de travail, ni lors de son placement en invalidité de catégorie 1, alors qu'il avait manifesté son souhait en ce sens, a commis des manquements qui lui ont causé un préjudice de carrière, un préjudice financier et un préjudice moral considérable. Il invoque également un manquement à l'obligation de remise des bulletins de salaire (ceux de 2011 à 2019) ainsi que sa situation, pendant de nombreuses années, le rendant incapable de conclure un contrat de bail. Il conteste avoir reçu les courriers invoqués par l'employeur, avoir eu une activité professionnelle parallèle à son arrêt de travail et soutient avoir été déclaré en invalidité catégorie 2, ce qui rendait impossible toute prestation de travail de sa part. Il demande que la résiliation judiciaire du contrat de travail soit prononcée et qu'elle produise les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La société Sarca soutient que le salarié, qui posait dès le début de la relation de travail des difficultés ( retards et mécontentement des clients) avait sollicité son licenciement dès 2009 pour s'inscrire à Pôle Emploi. Elle rappelle, n'ayant plus reçu de prolongation des arrêts de travail à partir du 31 mai 2011, qu'elle a sollicité l'intéressé en ce sens, lui a demandé de saisir lui-même la médecine du travail, considérant qu'il exerçait concomitamment une activité professionnelle occulte. Elle souligne qu'elle n'était pas tenue d'organiser une visite de reprise dès lors que le salarié avait cessé d'envoyer ses arrêts de travail et n'avait pas répondu à ses demandes de justifier de son absence. Elle souligne la volonté très équivoque de l'intéressé de reprendre son travail et fait valoir que le manquement qui lui est reproché a été régularisé le 8 novembre 2019, le médecin du travail concluant à l'inaptitude de Monsieur [S]. Elle considère, pour le cas où un manquement serait retenu à son encontre, qu'il n'est pas d'une gravité suffisante pour justifier la résiliation judiciaire du contrat.

L'absence de toute visite médicale au profit de Monsieur [S], avant sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, et même avant le 8 novembre 2019, n'est pas contestée.

Monsieur [S], dont le contrat de travail a été suspendu du 27 avril 2009 au 1er août 2011, justifie de son courrier du 5 juillet 2011 informant son employeur de la fin de son arrêt de travail et lui indiquant ( sic) 'je vous informe que à partir de 01.08.2011 je suis considéré comme bon pour mis en invalidité , vieu mon état de santé. Je sere en premier catégorie et j'erre droit de travailler en mi-temps. Il est impératif de fixer une date de visite chez médecin du travail pour voir la suite de mon dossier. Le domaine du travail de SARL SARCA me paraît impossible de exercer ce genre de métier, car mon état de santé me perme pas de travailler ' et de son courrier posté le 28 février 2011 sollicitant une visite de pré-reprise ('rdv de prévisit').

Il justifie également d'un second courrier recommandé, en date du 27 octobre 2011, reprochant à la société Sarca de n'avoir apporté aucune réponse à sa précédente lettre et de refuser d'organiser une 'visite à la médecine du travail'.

Il produit également différentes pièces permettant de vérifier qu'il a bénéficié d'une pension d'invalidité 1ère catégorie du 1er mai au 31 octobre 2012 puis de juillet 2014 au 31 mars 2017 et qu'il a été placé en invalidité catégorie 2 le 1er octobre 2018.

Le postulat posé par la Cour de cassation est que 'la société aurait dû organiser une visite de reprise à compter du 27 octobre 2011, ce dont il résultait qu'en ne le faisant pas, elle avait commis un manquement à ses obligations dont il lui appartenait de rechercher s'il était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail'.

L'abstention de l'employeur laissant le salarié dans l'incertitude sur sa situation médicale à l'issue de la suspension de son contrat de travail et maintenu sans contrepartie dans les liens d'un contrat de travail privé de sa finalité alimentaire première constitue un manquement aux obligations contractuelles qui a été persistant, nonobstant plusieurs éléments d'information transmis par le salarié sur sa situation médicale, et a causé à l'intéressé un préjudice dont il démontre l'existence et l'ampleur tant au niveau financier que sur le plan moral, la position de l'employeur ayant manifestement eu pour conséquence de le précariser non seulement professionnellement mais aussi socialement.

En outre, la visite médicale de reprise organisée par l'employeur le 8 novembre 2019 ayant conduit au licenciement du salarié pour inaptitude ne saurait être considérée comme ayant régularisé la situation de l'intéressé, resté de longues années dans la précarisation décrite, sans mesures de reclassement ou d'adaptation à son poste.

Par ailleurs, en ce qui concerne le défaut de remise des bulletins de salaire, en l'état de la suspension persistante du contrat de travail du fait de la carence de l'employeur, il doit être déclaré fautif.

Par conséquent, les manquements constatés, d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail, justifient le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, laquelle doit coïncider avec la date du licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La rupture a donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Monsieur [S] sollicite que le cadre d'indemnisation de son licenciement soit écarté, les dispositions applicables telles qu' issues de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 étant contraires aux textes européens en vigueur en la matière.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur, sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT).

Il en résulte que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention précitée.

En outre, les dispositions de la Charte sociale européenne selon lesquelles les Etats contractants ont entendu reconnaître des principes et des objectifs poursuivis par tous les moyens utiles, dont la mise en oeuvre nécessite qu'ils prennent des actes complémentaires d'application et dont ils ont réservé le contrôle au seul système spécifique visé par la partie IV, ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'invocation de son article 24 ne peut dès lors pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

Tenant compte de l'âge du salarié (52 ans) au moment de la rupture, de son ancienneté (près de 12 ans), de son salaire moyen mensuel brut (1 500 €), des éléments produits relatifs à son préjudice financier notamment, il y a lieu de lui allouer, à la charge de la société Sarca, la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, par application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige.

Monsieur [S] doit bénéficier en outre d'une indemnité compensatrice de préavis, nonobstant son incapacité à l'exécuter en raison de son état de santé, dans la mesure où le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Selon l'article L.1234-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit :

1° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus inférieure à six mois, à un préavis dont la durée est déterminée par la loi, la convention ou l'accord collectif de travail ou, à défaut, par les usages pratiqués dans la localité et la profession ;

2° S'il justifie chez le même employeur d'une ancienneté de services continus comprise entre six mois et moins de deux ans, à un préavis d'un mois [...]'

Eu égard à l'ancienneté de Monsieur [S], il convient d'accueillir sa demande d'indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 1500 €, ainsi que les congés payés y afférents.

En ce qui concerne l'indemnité de licenciement, la société Sarca estime que le salarié a été rempli de ses droits à ce titre. Cependant, elle ne produit aucun élément pour justifier du versement de la somme due.

L'indemnité de licenciement (soit un quart de mois de salaire par année d'ancienneté, selon l'article R.1234-2 du code du travail, en l'absence de toute disposition plus favorable invoquée) s'élève à 375 €.

La société Sarca doit donc être condamnée à cette somme.

Sur le rappel de salaire :

Monsieur [S] sollicite un rappel de salaire du 1er août 2011 au 9 décembre 2019 ainsi que les congés payés y afférents.

La société Sarca s'oppose à la demande, estimant que son adversaire est d'une parfaite mauvaise foi puisqu'il ne justifie pas s'être tenu à sa disposition, qu'il n'a jamais eu l'intention de reprendre son poste en son sein, qu'il ne s'est plus jamais manifesté après ses courriers de 2011 et n'a plus transmis ses arrêts de travail jusqu'en janvier 2017, s'étant livré, selon toute vraisemblance, à une activité professionnelle dans le cadre d'une société Rénov' Maison, tout en percevant une pension d'invalidité.

Alors que Monsieur [S] produit différents arrêts de travail sur la période de référence, mais également des justificatifs de son statut d'invalide catégorie 2, ainsi que des attestations de Pôle Emploi en date des 27 août 2015, 14 avril 2016 et 19 septembre 2017 portant mention de son inscription sur la liste des demandeurs d'emploi en catégorie 2 (depuis le 3 juin 2014), il ne justifie nullement s'être tenu à la disposition de la société Sarca; sa demande de rappel de salaire ne saurait donc prospérer.

Sur la remise de documents:

La remise d'une attestation Pôle Emploi (désormais France travail), d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, aucun élément laissant craindre une résistance de la société Sarca n'étant versé au débat.

Sur le remboursement des indemnités de chômage :

Les dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d'espèce, le licenciement de Monsieur [S] étant sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement par la société Sarca des indemnités chômage éventuellement perçues par l'intéressé, dans la limite de six mois d'indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l'article R.1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700-2 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et d'accorder à Maître Myriam Dumontant, avocate de Monsieur [S] bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 3 000 € au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens, à charge pour l'avocate de recouvrer la somme qui lui a été allouée dans le délai de 12 mois à compter du présent arrêt et, si elle recouvre cette somme, de renoncer à percevoir la part contributive de l'État.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur [M] [S] aux torts de la société Sarca,

FIXE la rupture des relations contractuelles à la date du licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement,

CONDAMNE la société Sarca à payer à Monsieur [S] les sommes de :

- 1 500 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 150 € au titre des congés payés y afférents,

- 375 € à titre d'indemnité de licenciement,

- 5 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE la remise par la société Sarca à Monsieur [S] d'une attestation Pôle Emploi (devenu France Travail), d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

ORDONNE le remboursement par la société Sarca aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Monsieur [M] [S] dans la limite de six mois,

ORDONNE l'envoi par le greffe d'une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

CONDAMNE la société Sarca à payer à Maître Myriam Dumontant, en application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, la somme de 3 000 € au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens, à charge pour l'avocate de recouvrer la somme qui lui a été allouée dans le délai de 12 mois à compter du présent arrêt et, si elle recouvre cette somme, de renoncer à percevoir la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle totale accordée à Monsieur [S],

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Sarca aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/09367
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;22.09367 ?
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