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23/05/2024 | FRANCE | N°22/07832

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 23 mai 2024, 22/07832


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 23 MAI 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07832 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKT5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juillet 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 20/05958





APPELANTE



S.E.L.A.R.L. CABINET D'AVOCAT [N] UZAN

[

Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Nathalie PELARDIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0298







INTIMÉE



Madame [J] [H]

Chez Monsieur et Madame [S]- [Adresse 2]

[...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 23 MAI 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07832 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKT5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juillet 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 20/05958

APPELANTE

S.E.L.A.R.L. CABINET D'AVOCAT [N] UZAN

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie PELARDIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0298

INTIMÉE

Madame [J] [H]

Chez Monsieur et Madame [S]- [Adresse 2]

[Localité 3]

(bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale numéro 2022/029344 du 28/10/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représentée par Me Virginie MAX-CARLI, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 435

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [J] [H] a été engagée par contrat à durée indéterminée du 26 janvier 2012, ayant pris effet au 2 janvier 2012, par la société [N]-Cadier, aux droits de laquelle a succédé la société [N] Uzan, en qualité de secrétaire assistante juridique, au coefficient 250 de la convention collective nationale du personnel des cabinets d'avocats.

Son contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie du 21 avril 2012 au 4 mai 2012, puis du 14 mai 2012 jusqu'à la fin de son contrat de travail.

Par courrier recommandé du 8 juin 2012, la société [N] Uzan lui a notifié une mise à pied conservatoire pour des faits de faux et usage de faux et de dénonciation calomnieuse.

Par courrier recommandé du 11 juin 2012, elle l'a convoquée à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, entretien fixé au 20 juin 2012.

Par courrier recommandé du 26 juin 2012, elle lui a notifié son licenciement pour faute lourde, et subsidiairement pour insuffisance professionnelle.

Contestant le bien-fondé de son licenciement et sollicitant divers rappels de salaires, Madame [H] a saisi le 18 mars 2013 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement rendu en formation de départage du 28 juillet 2022, a :

- déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamné la société [N] Uzan à lui verser les sommes de :

- 1 600 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 160 euros au titre des congés payés afférents,

- 213,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

outre intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2016,

- 7 418,76 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

outre intérêts au taux légal à compter de la décision,

- débouté Madame [H] du surplus de ses demandes,

- dit que la société [N] Uzan devra remettre à Madame [H] un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation destinée à l'organisme Pôle Emploi conformes à la décision, dans le délai d'un mois suivant la décision,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné la société [N] Uzan aux entiers dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration du 25 août 2022, la société [N] Uzan a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 15 mai 2023, la SELARL Cabinet d'avocat [N] Uzan demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 28 juillet 2022 par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a :

*déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

*condamné la société [N] Uzan à verser à Madame [H] les sommes suivantes :

- 1 600 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 160 euros au titre des congés payés afférents,

- 213,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

outre intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2016,

- 7 418,76 euros, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

outre intérêts au taux légal à compter de la décision,

* dit que la SELARL [N] Uzan devra remettre à Madame [H] un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation destinée à l'organisme Pôle Emploi conformes,

* condamné la SELARL [N] Uzan aux entiers dépens de l'instance,

*débouté la société [N] Uzan de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau,

à titre principal :

- dire et juger que le licenciement de Madame [H] est fondé sur une faute lourde ou, à tout le moins, une faute grave,

en conséquence,

- débouter Madame [H] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire :

- dire et juger que le licenciement de Madame [H] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- statuer ce que de droit sur la demande relative à l'indemnité de licenciement et l'indemnité de préavis,

- débouter Madame [H] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

en tout état de cause :

- débouter Madame [H] de sa demande en paiement d'une indemnité de congés payés et subsidiairement fixer le quantum de cette demande à 664,60 euros bruts,

- débouter Madame [H] de sa demande indemnitaire pour procédure abusive,

- condamner Madame [H] à verser à la société [N] Uzan la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, y compris ceux de première instance.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 juillet 2023, Madame [H] demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 28 juillet 2022 en ce qu'il a déclaré le licenciement dont elle a fait l'objet dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamné la société [N] Uzan à lui verser les sommes de 1 600 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 160 euros au titre des congés payés afférents, 213,33 euros au titre de l'indemnité de licenciement, outre intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2016, 7 418,76 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts au taux légal à compter de la décision et dit que la société [N] Uzan devra remettre à Madame [H] un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation destinée à l'organisme Pôle Emploi conformes à la décision,

- l'infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

- juger non prescrite la demande d'indemnité de congés payés,

- condamner la société [N] Uzan à verser à Madame [H] la somme de 1 236,46 euros à titre d'indemnité de congés payés,

y ajoutant,

- condamner la société [N] Uzan à verser à Madame [H] la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et dilatoire,

- condamner la société [N] Uzan à verser à Maître Virginie Max-Carli, avocat au barreau du Val de Marne, la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991,

- condamner la société [N] Uzan aux dépens en ce compris les éventuels frais d'exécution forcée.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 janvier 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 26 mars 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement, en date du 26 juin 2012, notifiée à Madame [H] contient les motifs suivants :

(sic) « Une mesure de mise à pied conservatoire vous a été notifié par courrier en date du 8 juin 2012.

Une convocation pour un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement vous a également été adressé par courrier en date du 11 juin 2012 pour un entretien fixé le 20 juin 2012 à 10h00.

Vous avez choisi de ne pas vous présenter à cet entretien préalable ni de vous y faire assister.

Nous n'avons ainsi pas pu recevoir vos explications, ce qui ne nous a pas permis de modifier notre appréciation des faits.

En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute lourde pour les motifs suivants :

1) constitution de l'infraction de faux et usage de faux :

- tromperie faux contrat de stage universitaire et usage

2) constitution de l'infraction de dénonciation calomnieuse :

- ces faits sont constitués par la correspondance que vous avez adressée en date du 25 avril 2012 à l'Ordre des Avocats de PARIS.

3) le certificat médical que vous nous avez fait parvenir en date du 31 mai 2012 apparaît comme n'ayant aucune valeur ni administrative ni médicale.

Vous ne nous avez pas remis l'attestation d'arrêt de travail que nous avons demandé pour valider ce document erroné.

En conséquence, votre absence est actuellement injustifiée depuis le 1er juin 2012.

La gravité des faits sus énoncés justifient la mesure de licenciement pour faute lourde prise à votre égard aux termes des présentes.

4) subsidiairement et pour information les faits constituant un licenciement pour insuffisance professionnelle sont également constitués à l'occasion de l'exécution de votre contrat de travail au sein du cabinet.

Et ce en raison des faits suivants :

- votre travail au quotidien s'est avéré tout à fait insuffisant.

- en effet vous n'avez pas les réflexes indispensables au fonctionnement du secrétariat d'un cabinet d'avocats.

* références des lettres oubliées

* lettre à un destinataire qui n'est pas le sien

*original d'un document posté au lieu et place d'une copie sans conserver pour autant une copie de la décision

*incapacité de rédiger un acte juridique simple qu'il s'agisse d'en compléter le modèle rédactionnel ou le contenu même lorsqu'il s'agit d'un dossier particulièrement simple de droit commun

*incapacité de faire plus de huit lettres par journée de travail.

Outre la mauvaise volonté systématique dans l'exécution de toutes les tâches qui vous sont confiées au titre de l'exécution de votre contrat de travail.

Par ailleurs, non-respect systématique des directives de méthodologie et de travail qui vous sont données.

Enfin, votre comportement revendicatif est totalement inadapté à votre fonction de secrétaire dans un cabinet d'avocat.

De plus, vous n'avez jamais justifié, malgré mes demandes réitérées, les stages et formations universitaires invoquées sur le curriculum vitae que vous m'avez remis.

Vous n'avez pas cru devoir non plus accorder l'attention qu'il convenait aux différentes observations verbales que je vous ai formulé sur les conditions d'exécution de votre contrat de travail.

En conséquence l'ensemble de ces éléments me conduise à vous notifier par la présente votre licenciement à effet immédiat pour faute lourde.'

Le Cabinet d'avocat [N] Uzan soutient que la dénonciation par Madame [H]

- qui connaissait parfaitement les enjeux et conséquences de son acte - de faits mensongers à l'Ordre des avocats du Barreau de Paris en vue d'une sanction déontologique de Maître [N] est constitutive d'une faute lourde, l'intention de nuire étant caractérisée, très loin de la mise en 'uvre de la liberté d'expression d'un salarié. Il rappelle que l'intéressée l'avait contacté pour un stage gratuit de deux mois, a présenté une fausse convention de stage dont elle a fait usage - sans l'avoir transmise à l'établissement universitaire auquel elle était prétendument affiliée-, lui a adressé plusieurs arrêts de travail à l'authenticité tellement douteuse qu'il a sollicité l'Ordre des médecins et la CPAM pour vérifications et s'est trouvée en absence injustifiée - aucun arrêt de travail conforme n'ayant été communiqué-. Il conclut donc à un licenciement fondé sur une faute lourde ou à tout le moins sur une faute grave.

À titre subsidiaire, le Cabinet d'avocat [N] Uzan estime le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse non seulement pour les faits décrits précédemment mais également pour l'insuffisance professionnelle de l'intéressée commettant des fautes d'orthographe grossières et inacceptables, entraînant des réactions de mécontentement de la part des clients, incapable de respecter les consignes plus simples, ni le classement des éléments comptables et des pièces dans les dossiers.

À titre infiniment subsidiaire, l'appelant soutient que la salariée ne démontre aucun préjudice, a fortiori justifiant l'allocation d'une réparation à hauteur de six mois de salaire, rappelant qu'il emploie moins de 11 salariés.

Madame [H] sollicite la confirmation du jugement de première instance, rappelle que l'ordonnance de non-lieu du juge d'instruction saisi de la plainte de la SELARL [N] Uzan est définitive, que sa lettre à l'Ordre des avocats de Paris était destinée à dénoncer ses conditions d'emploi, relevant de sa liberté d'expression, sans porter atteinte à son employeur, que les certificats médicaux sont signés par le même médecin et ne sauraient être remis en cause. Son licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, elle sollicite la confirmation du jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives à l'indemnité de congés payés qui lui est due.

La faute lourde est celle commise par le salarié avec l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.

La charge de la preuve de la faute grave comme de la faute lourde incombe à l'employeur qui l'invoque.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

Le premier grief reproché à Madame [H] est ' tromperie faux contrat de stage universitaire et usage'; cependant, le Cabinet d'avocat ne justifie pas par sa pièce 15 (courrier simple du 16 mai 2012 qui n'est accompagné d'aucun élément objectif démontrant son envoi ) de ses demandes réitérées à la salariée de justifier des stages et diplômes invoqués dans son curriculum vitae et ne produit aucun élément probant au sujet de ce reproche - la réponse du cabinet Gastone faisant état d'un stage interrompu à son initiative ne constituant pas un démenti des affirmations de la salariée-.

Il en va de même du troisième grief relatif à la valeur du certificat médical du 31 mai 2012, l'employeur démontrant ses suspicions puisqu'il a écrit à l'Ordre des médecins ainsi qu'à la CPAM à ce titre, mais n'établissant pas son manque d'authenticité.

Le second grief est relatif à une dénonciation calomnieuse, constituée par 'la correspondance' 'adressée en date du 25 avril 2012 à l'ordre des avocats de Paris'.

Il est constant que toute personne a droit à la liberté d'expression, selon la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

L'article L.2281-1 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que 'les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail.'

Aux termes de l'article L.2281-3 du code du travail, 'les opinions que les salariés, quelle que soit leur place dans la hiérarchie professionnelle, émettent dans l'exercice du droit d'expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.'

Sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules les restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.

L'abus est caractérisé par l'existence de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs.

Pour démontrer l'abus et donc l'intention de nuire de la salariée, le Cabinet d'avocat [N] Uzan verse aux débats la copie d'une lettre du service de la déontologie de l'Ordre des avocats de Paris en date du 2 mai 2012 lui demandant des explications sur les doléances adressées au Bâtonnier ( courrier du 25 avril 2012) par Madame [H].

Ce courrier de doléances fait état d'une 'formation de 2 mois non rémunérée' avant tout contrat, d'un poste de juriste envisagé par les parties mais non effectif lors de la conclusion du contrat de travail, de tâches indues relevant de la sphère personnelle de l'employeur

( telles que notamment la rédaction d'annonces immobilières pour louer les biens de Maître [N] dans le sud de la France, sortir le chien tous les midis, envoyer les CV des enfants pour trouver des stages ), de l'ambiance de travail, de la date de paiement des salaires, d'une modification des horaires de travail et des consignes, voire d'une pression et de propos humiliants de la part de l'employeur.

Or, la société appelante justifie par diverses pièces - dont un courriel du 5 octobre 2011, le procès-verbal d'interrogatoire de première comparution de Madame [H] en date du 10 janvier 2018, un courriel du 24 juin 2012, une attestation d'une ancienne secrétaire juridique, un témoignage d'une assistante juridique- de ce que l'intimée a été à l'initiative du stage et a été en possession de l'annexe à la convention de stage ( stipulant précisément sa gratuité), de ce que l'ambiance de travail était bonne et en tout cas meilleure après son départ du cabinet, de ce que l'expérience professionnelle au sein du cabinet était enrichissante et épanouissante et de ce que l'intéressée 'ne souhaitait pas ou de façon très limitée effectuer le travail demandé, préférant pianoter sur son téléphone portable'.

Si ce courrier adressé au Bâtonnier constitue l'expression d'un ressenti défavorable de la salariée sur l'absence de considération apportée à son niveau d'études (bac+5) et donc sur une inégalité de traitement avec le reste du personnel, sur la nature des tâches confiées, sur du travail à faire pendant un arrêt maladie, sur des éléments de harcèlement moral, et par conséquent sur le contenu de la prestation de travail et les conditions dans lesquelles elle se faisait, en revanche ne sauraient constituer une illustration de la liberté d'expression les considérations suivantes, empreintes de malveillance:

- 'depuis de nombreuses années Me [N] fait l'objet de contentieux avec ses salariés, plusieurs stagiaires ou employés ayant décidé de ne pas rester',

- 'Me [N] qui est une personne colérique, de mauvaise foi et malhonnête a modifié à main levée la date d'entrée en fonction sur mon contrat afin de bénéficier de la loi permettant une exonération de charges patronales pour toute nouvelle embauche à compter de 2012',

-Me [N] m'a ainsi fait une avance [...] lorsque je demandais de régler le problème avec sa comptable'(avec qui elle est notamment en contentieux),

- Me [N] se permet quotidiennement de faire des remarques désobligeantes à caractère raciste,

-Me [N] m'exploite au sein de son cabinet en plus de me harceler de façon quotidienne, ce qui apparaît indigne de la profession d'avocat et contraire à son exercice'.

A défaut de tout élément fourni par la salariée permettant d'en vérifier la véracité, ces assertions injurieuses et/ou excessives, qui dépassent les limites d'une critique objective de la mise en oeuvre du contrat de travail en allant sur le terrain de la profession de l'employeur, de son intégrité à l'exercer et de sa ' dignité' à porter la robe, sont constitutives d'un abus.

Par ailleurs, une insuffisance professionnelle, ou incapacité objective et durable d'un salarié à exécuter de façon satisfaisante un emploi correspondant à sa qualification, est invoquée; cependant, alors qu'elle ne peut être fondée sur l'appréciation purement subjective de l'employeur, elle ne repose, en l'espèce, sur aucun élément concret versé aux débats et ne saurait constituer le fondement de la rupture intervenue.

Toutefois, l'abus de sa liberté d'expression commis, en toute connaissance de cause par Madame [H] qui avait préparé à plusieurs reprises l'examen d'entrée à l'école du barreau, dans un courrier adressé à une entité susceptible d'y donner une suite prégnante sur la profession et sur la réputation de l'employeur, constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Le jugement de première instance doit donc être infirmé quant à la légitimité de la rupture intervenue, à sa qualification et à son indemnisation, mais confirmé relativement à la condamnation de l'employeur à une indemnité compensatrice de préavis, aux congés payés y afférents et à une indemnité de licenciement, dont les montants ne sont pas strictement contestés.

Sur les congés payés :

La société Cabinet d'avocat [N] Uzan considère la demande relative aux congés payés irrecevable, car atteinte par la prescription triennale applicable en la matière, eu égard à la date des conclusions la contenant, soit le 2 novembre 2020.

En outre, elle considère que le calcul de l'indemnité due pour neuf jours de congés payés s'élèverait à la somme de 664,60 € bruts.

Madame [H] réclame la somme de 1 236,46 € correspondant à son indemnité de congés payés, qui ne lui a pas été versée. Elle conteste toute prescription, rappelant que cette demande a été formulée dès le dépôt de sa requête, laquelle a subi de nombreuses vicissitudes eu égard à la plainte pénale déposée par l'employeur et aux nombreux recours exercés à cette occasion.

La salariée démontre avoir formulé, dès le 13 mars 2013, une demande relative à une indemnité de congés payés de 1 236,46 €. Aucune prescription ne saurait donc lui être opposée.

En l'état de la qualification retenue pour ce licenciement, il convient donc d'accueillir la demande d'indemnité au titre des neuf jours de congés non pris et non rémunérés à hauteur de la somme de 664,60 €, somme calculée conformément aux droits de l'intéressée.

Le jugement de première instance doit donc être infirmé de ce chef.

Sur la procédure abusive :

L'exercice d'une action en justice ou d'un recours constitue en son principe un droit qui ne dégénère en abus pouvant donner lieu à dommages-intérêts que s'il caractérise un acte de mauvaise foi ou de malice ou une erreur grossière équipollente au dol.

Il n'est pas démontré en l'espèce d'abus commis dans l'exercice d'une voie de recours par la société Cabinet d'avocat [N] Uzan.

Les motifs de la présente décision permettent au surplus de retenir que ce recours était justifié.

La demande d'indemnisation présentée à ce titre ne saurait donc prospérer.

Sur les intérêts:

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 et 1231-6 et 1231-7 (nouveaux) du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil, courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation.

Sur les dépens et les frais irrépétibles:

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Relativement aux frais irrépétibles, il y a lieu de confirmer le jugement de première instance qui a rejeté la demande reconventionnelle de l'employeur.

Il convient également de faire application des dispositions de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et d'accorder à Maître Virginie Max-Carli, avocate au barreau du Val de Marne et avocate de Madame [H], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 2 000 € au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens, à charge pour l'avocate de recouvrer la somme qui lui a été allouée dans le délai de 12 mois à compter du présent arrêt et, si elle recouvre cette somme, de renoncer à percevoir la part contributive de l'État.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement sur les chefs de demande concernés par l'appel, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement de première instance, sauf en ses dispositions relatives à la qualification du licenciement, à son indemnisation, à l'indemnité compensatrice de congés payés,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de Madame [J] [H] fondé sur une cause réelle et sérieuse,

REJETTE la fin de non-recevoir relative à l'indemnité compensatrice de congés payés,

CONDAMNE la SELARL Cabinet d'avocat [N] Uzan à payer à Madame [H] la somme de 664,60 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

ORDONNE la remise par la SELARL Cabinet d'avocat [N] Uzan à Madame [H] d'un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

CONDAMNE la SELARL Cabinet d'avocat [N] Uzan à payer à Maître Virginie Max-Carli, avocate au barreau du Val de Marne et avocate de Madame [H], bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 2 000 € au titre des honoraires et frais non compris dans les dépens, à charge pour l'avocate de recouvrer la somme qui lui a été allouée dans le délai de 12 mois à compter du présent arrêt et, si elle recouvre cette somme, de renoncer à percevoir la part contributive de l'État,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la SELARL Cabinet d'avocat [N] Uzan aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/07832
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;22.07832 ?
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