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23/05/2024 | FRANCE | N°22/07824

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 23 mai 2024, 22/07824


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 23 MAI 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07824 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKST



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/05681





APPELANTE



Madame [L] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]
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Représentée par Me Corinne DURIEZ, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 585





INTIMÉE



SAS CABINET [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Marion LOMBARD, avocat...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 23 MAI 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/07824 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGKST

Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/05681

APPELANTE

Madame [L] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Corinne DURIEZ, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, toque : 585

INTIMÉE

SAS CABINET [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marion LOMBARD, avocat au barreau de PARIS, toque : R067

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [J] a été engagée le 14 septembre 2014 par la société par actions simplifiée (SAS) Cabinet [W], en qualité de responsable service copropriété, niveau " cadre C3 " par contrat à durée indéterminée, la convention collective nationale applicable étant celle de l'immobilier.

Après un arrêt de travail pour maladie ayant débuté le 28 septembre 2015, la salariée a repris son poste le 1er juillet 2016 dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, puis à temps complet à compter du 1er septembre 2017.

Le 9 mai 2017, la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'[Localité 4] a notifié à Mme [J] un titre de pension d'invalidité de catégorie 1, à effet au 1er juin 2017.

Par courrier du 5 novembre 2018 adressé à l'employeur, Mme [J] a démissionné.

Reprochant notamment à la société Cabinet [W] de ne pas avoir transmis son titre d'invalidité à l'organisme de prévoyance, et sollicitant l'indemnisation d'une perte de chance de bénéficier de la garantie prévoyance de son ancien employeur, ainsi qu'un rappel de salaire, Mme [J] a saisi le 7 août 2020 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 1er juin 2022, a :

- débouté Mme [J] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté le Cabinet [W] de ses demandes reconventionnelles,

- condamné Mme [J] aux dépens.

Par déclaration du 30 août 2022, Mme [J] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 20 février 2024, Mme [J] demande à la cour de :

- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel, en conséquence,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 1er juin 2022, et statuant à nouveau,

- condamner la société Cabinet [W] à lui verser les sommes suivantes :

- 44 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance,

- 5 635,14 euros à titre de rappel de salaires du 1er février au 31 décembre 2018,

- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal,

- condamner la société Cabinet [W] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 23 février 2024, la société Cabinet [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris en date du 1er juin 2022 en ce qu'il a débouté Mme [J] de l'intégralité de ses demandes, en conséquence,

- juger irrecevable car prescrite la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la perte de chance invoquée par Mme [J],

- juger irrecevable la demande de rappel de salaire,

en tout état de cause :

- à titre principal, débouter Mme [J] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, limiter le montant des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la perte de chance,

et statuant à nouveau,

- condamner Mme [J] à verser à la société [W] une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2024 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 22 mars 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la recevabilité des demandes de Mme [J]:

S'agissant de la demande de dommages-intérêts pour perte de chance:

La société Cabinet [W] soutient que les demandes de Mme [J] sont prescrites, dès lors qu'elle disposait d'un délai de deux ans pour agir à compter de la notification de ses droits à une pension d'invalidité par la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'[Localité 4], soit à compter du 9 mai 2017 et jusqu'au 9 mai 2019, la saisine du conseil de prud'hommes intervenue le 7 août 2020 étant ainsi tardive.

Au contraire, la salariée soutient que ses demandes ne sont pas prescrites, affirmant que le délai de prescription biennale a commencé à courir à compter du refus de prise en charge par l'organisme de prévoyance et la découverte des manquements de la société Cabinet [W], soit le 25 septembre 2019. Subsidiairement, elle soutient que le délai de prescription doit être considéré comme suspendu, le cancer dont elle souffre constituant un cas de force majeure.

L'article L.1471-1 du code du travail dispose que " toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit."

En l'espèce, Mme [J] estime que c'est en raison du non-respect par la société Cabinet [W] de son obligation d'information concernant la notice du contrat de prévoyance, qu'elle a transmis son titre d'invalidité à l'employeur et non à l'organisme de prévoyance, la société par action simplifiée (SAS) GESCOPIM Prévoyance, et qu'elle subit, en conséquence, un préjudice de perte de chance.

Le 9 mai 2017, la Caisse Régionale d'Assurance Maladie d'[Localité 4] a notifié à Mme [J] un titre de pension d'invalidité de catégorie 1 reconnaissant son placement en invalidité à compter du 1er juin 2017.

En septembre 2019, la salariée, placée en arrêt de travail pour maladie depuis le 17 juin 2019 en raison d'une récidive de sa pathologie, a adressé une demande de prise en charge à l'employeur et à l'organisme de prévoyance qui étaient les siens à la date de son placement en invalidité, à savoir les sociétés Cabinet [W] et GESCOPIM Prévoyance.

Par courrier du 25 septembre 2019, l'organisme de prévoyance lui a ainsi répondu : " Nous accusons réception de votre déclaration de sinistre invalidité à compter du 1er juin 2017.

Toutefois, nous sommes au regret de vous informer que nous ne pouvons donner une suite favorable à votre demande de prestations. En effet, le délai de prescription de deux ans pour la garantie invalidité est dépassé.

La date de mise en invalidité par la sécurité sociale est datée du 01/06/2017. Or votre déclaration de sinistre a été réceptionnée par courriel en date du 19/09/2019, soit plus de deux ans après le début d'invalidité. (') "

Ce refus de prise en charge a été réitéré par courrier du 15 octobre 2019, la société GESCOPIM Prévoyance expliquant n'avoir " aucune trace d'une déclaration d'invalidité de la part de son ancien employeur, dans les délais prévus aux conditions générales du contrat de prévoyance souscrit par celui-ci ".

En application de l'article L. 114-1 du code des assurances, qui dispose que toutes actions dérivant du contrat d'assurances se prescrivent par deux ans à compter de l'évènement qui y donne naissance, il est admis qu'en matière d'assurance prévoyant le versement d'une rente en cas de classement de l'assuré dans une catégorie d'invalidité de la sécurité sociale, le point de départ de la prescription biennale est le jour où ce classement est notifié à l'assuré.

Cependant, l'action diligentée par Mme [J] contre l'employeur est fondée sur le contrat de travail et régie, en matière de prescription, par les dispositions de l'article L.1471-1 du code du travail précédemment rappelées.

Si Mme [J] sait depuis le 9 mai 2017 qu'elle bénéficie d'un classement dans une catégorie d'invalidité de la sécurité sociale, ce n'est qu'aux termes du courrier du 15 octobre 2019 qu'elle a appris que l'organisme de prévoyance refusait sa garantie au motif de l'absence de déclaration d'invalidité dans le délai légal.

Ainsi, ce n'est que le 15 octobre 2019 que la salariée a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer une action en dommages-intérêts contre l'employeur.

Cette action ayant été diligentée à l'encontre de la société Cabinet [W] par requête du 7 août 2020, soit dans le délai de deux ans prévus par l'article L .1471-1 du code du travail, elle est recevable.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de dommages-intérêts formulée par Mme [J].

S'agissant de la demande de rappel de salaire :

Mme [J] soutient que la société Cabinet [W] a procédé à des prélèvements de salaires injustifiés à compter du mois de février 2018, et sollicite un rappel à ce titre. Elle affirme que le solde de tout compte n'a pas eu d'effet libératoire, au motif que les sommes prélevées injustement n'y figurent pas.

La société Cabinet [W] soutient que la demande de rappel de salaire est prescrite, comme intervenant au-delà du délai de six mois pour contester le solde de tout compte.

L'article L. 1234-20 du code du travail dispose que :

" Le solde de tout compte, établi par l'employeur et dont le salarié lui donne reçu, fait l'inventaire des sommes versées au salarié lors de la rupture du contrat de travail.

Le reçu pour solde de tout compte peut être dénoncé dans les six mois qui suivent sa signature, délai au-delà duquel il devient libératoire pour l'employeur pour les sommes qui y sont mentionnées. "

Il est admis que le solde de tout compte n'a d'effet libératoire que pour les seules sommes qui y sont mentionnées, peu important le fait qu'il soit, par ailleurs, rédigé en des termes généraux.

En l'espèce, la demande de Mme [J] porte sur des rappels de salaire relatifs à l'année 2018, soit l'année de la rupture.

Il résulte des bulletins de salaire versés aux débats que les sommes suivantes ont été déduites par l'employeur à titre d'" indu IJSS prévoyance " (sic) :

- 506,76 euros sur le salaire de février 2018,

- 250 euros sur le salaire d'avril 2018,

- 250 euros sur le salaire de mai 2018,

- 250 euros sur le salaire de juin 2018,

- 250 euros sur le salaire de juillet 2018,

- 250 euros sur le salaire d'août 2018,

- 250 euros sur le salaire de septembre 2018,

- 250 euros sur le salaire d'octobre 2018,

- 250 euros sur le salaire de novembre 2018,

- 3 126, 18 euros sur le salaire de décembre 2018.

Le solde de tout compte du 31 décembre 2018 précise qu'il porte sur " la somme nette de

6 412,75 euros ", "correspondant au bulletin de paie du mois de décembre 2018 ", la déduction de la somme de 3 126,18 euros à titre d' "indu IJSS prévoyance solde " étant expressément mentionnée.

La salariée ne justifie pas avoir dénoncé ce solde de tout compte dans le délai de six mois qui a suivi sa signature, de sorte qu'elle n'est pas recevable à agir du chef des sommes mentionnées dans le solde de tout compte qu'elle a signé, comprenant la somme de 3 126,18 euros à titre d'"indu IJSS prévoyance solde ".

En revanche et alors même que le délai de six mois visé à l'article L. 1234-20 du code du travail est expiré, la salariée est recevable à agir du chef des autres sommes, non mentionnées dans le solde de tout compte.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de rappel de salaire à hauteur de 3 126, 18 euros relative au salaire de décembre 2018, mais infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les plus amples demandes de rappel de salaire.

Sur la demande de dommages-intérêts pour perte de chance :

Mme [J] soutient avoir subi une perte de chance de bénéficier d'une garantie de prévoyance, en raison des manquements de son ancien employeur, dès lors, d'une part, qu'il ne lui a pas communiqué la notice d'information relative aux délais et modalités de mise en 'uvre de la garantie, l'empêchant ainsi de faire les démarches nécessaires, d'autre part, qu'il n'a pas transmis son titre d'invalidité à l'organisme de prévoyance, alors qu'il lui incombait de le faire.

Au contraire, la société Cabinet [W] soutient n'avoir commis aucun manquement susceptible d'entraîner une perte de chance de bénéficier de la garantie de prévoyance, et avoir respecté son devoir d'information, Mme [J] n'apportant quant à elle aucune preuve de l'envoi de son titre d'invalidité. En tout état de cause, elle fait valoir qu'elle n'avait aucune obligation de transmettre ce titre d'invalidité à l'organisme de prévoyance, et qu'il incombait uniquement à Mme [J] de le faire.

Il est admis qu'en application de l'article 12 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989, le souscripteur d'un contrat collectif de prévoyance conclu en vue d'apporter à un groupe de personnes une couverture contre le risque décès, les risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou liés à la maternité, ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité, ne s'acquitte de son obligation d'information qu'en remettant à l'adhérent une notice d'information détaillée définissant les garanties prévues par la convention ou le contrat et leur modalités d'application.

L'employeur qui méconnaît cette obligation doit réparer le préjudice qui en découle.

Il résulte des dispositions des articles L. 932-6 du code de la sécurité sociale et L.141-4 du code des assurances que la charge de la preuve de la remise de la notice d'information incombe à l'employeur.

En l'espèce, l'employeur verse aux débats une copie du contrat d'assurance collective " Klésia Prévoyance " qu'il a souscrit, mais ne justifie pas avoir communiqué la notice d'information afférente à la salariée, étant en outre relevé que le contrat de travail conclu entre les parties est taisant à ce sujet.

Il est ainsi établi que l'employeur n'a pas respecté, à l'égard de Mme [J], son obligation d'information relative au contrat collectif " Klésia Prévoyance " souscrit auprès de la société GESCOPIM Prévoyance.

Ainsi, la salariée n'a pas eu connaissance des garanties dont elle bénéficiait et de leurs modalités d'application, notamment en cas d'invalidité.

Mme [J] reproche, en outre, à son employeur de ne pas avoir communiqué son titre de pension d'invalidité notifié le 9 mai 2017 à l'organisme de prévoyance.

Si la salariée justifie avoir informé la société Cabinet [W] de son classement en invalidité à compter du 1er juin 2017 aux termes d'un courrier du 9 octobre 2017, elle n'établit ni lui avoir communiqué une copie du titre d'invalidité, ni lui avoir donné de plus amples détails, notamment sur la catégorie d'invalidité déterminée par le médecin- conseil, ni lui avoir demandé de communiquer l'information à l'organisme de prévoyance.

Par ailleurs, il ne pèse sur l'employeur aucune obligation légale ou réglementaire de communiquer une décision de placement en invalidité à l'organisme de prévoyance.

De même, le contrat d'assurance collective " Klésia Prévoyance " souscrit par l'employeur ne fait peser sur lui aucune obligation de déclaration d'un sinistre lié à l'invalidité d'un salarié.

Ainsi, si la salariée peut faire grief à l'employeur de ne pas lui avoir communiqué la notice d'information relative au contrat collectif de prévoyance souscrit auprès de la société GESCOPIM Prévoyance, elle ne peut en revanche lui reprocher de ne pas avoir communiqué le titre d'invalidité la concernant à l'organisme de prévoyance.

Il convient donc de rechercher si le préjudice de perte de chance invoqué par Mme [J], qui, selon elle, consiste en la totalité de la rente qu'elle aurait dû percevoir, résulte du manquement de la société Cabinet [W] à cette obligation d'information.

En juin 2020, la salariée a obtenu de la société GESCOPIM Prévoyance la communication de la notice d'information relative au contrat de prévoyance " Klésia Prévoyance " souscrit par l'employeur. Il en ressort que le risque invalidité est garanti, que les conditions d'obtention de la rente invalidité, délais de prescriptions applicables, méthodes de calcul et pièces à fournir sont précisés.

Il résulte du paragraphe " garantie invalidité " de la notice d'information et du contrat d'assurance collective souscrit par la société Cabinet [W], que cette garantie a pour objet le versement d'une rente notamment au salarié " classé dans la 1ère , 2ème ou 3ème catégorie d'invalidité telle que prévue à l'article L.341-4 du code de la sécurité sociale ", de sorte que Mme [J], classée en première catégorie, remplissait les conditions, ce qui n'est pas contesté par l'employeur qui critique en revanche la méthode de calcul de cette rente utilisée par la salariée.

Il est par ailleurs stipulé que " la rente d'invalidité est servie dès la notification de l'état d'invalidité par la sécurité sociale et au plus tôt à l'expiration du délai de franchise prévu à la garantie incapacité de travail de travail, pendant toute la durée de l'invalidité du participant ", et qu'elle " cesse au plus tard :

- 'Lorsque le Participant n'est plus reconnu invalide par la sécurité sociale ou ne perçoit plus de rente d'accident du travail ou d'accident de trajet ou de maladie professionnelle de la sécurité sociale.

- A la date de transformation de la pension invalidité ou de la rente incapacité permanente d'accident du travail ou d'accident de trajet ou de maladie professionnelle en pension vieillesse par la Sécurité sociale.

- Au jour du décès.

- En cas de contrôle médical concluant à une invalidité non justifiée ou en cas de contrôle médical ayant été rendu impossible du fait du Participant.'

Aux termes d'un certificat médical du 19 décembre 2023, le Docteur [U] [I], médecin traitant de Mme [J] " certifie que son état de santé s'est aggravé et qu'elle relève aujourd'hui d'une invalidité de catégorie 2. "

ll s'ensuit que même s'il n'appartenait pas à l'employeur de communiquer à l'organisme de prévoyance les informations obtenues de la salariée relatives à son classement en invalidité, en revanche, en ne lui délivrant pas la notice d'information prévue par l'article 932-6 du code de la sécurité sociale, il l'a privée d'informations sur la garantie invalidité et les formalités à accomplir en cas de réalisation du risque, lui faisant ainsi fait perdre une chance certaine, réelle et sérieuse de mettre en 'uvre la garantie invalidité " Klésia Prévoyance " dans les formes et délai prescrits, et d'obtenir le versement de la rente prévue au contrat de prévoyance.

Mme [J] avait certes repris son travail lorsque la Caisse régionale d'assurance maladie d'[Localité 4] lui a notifié son titre de pension d'invalidité à effet du 1er juin 2017, mais compte tenu de ce qui précède, il doit être considéré que si elle avait été correctement informée par l'employeur par le biais de la notice d'information détaillée définissant les garanties du contrat de prévoyance et leurs modalités d'application, la probabilité qu'elle déclare le sinistre lié à son invalidité et obtienne une indemnisation de l'organisme de prévoyance peut être évaluée à 90%.

S'agissant du calcul du préjudice, il convient de relever que Mme [J] ne justifie d'aucune attestation de paiement de pension d'invalidité par la sécurité sociale pour les périodes antérieures à octobre 2019 et postérieure à décembre 2023, alors qu'il s'agit d'un justificatif exigé par l'organisme de prévoyance pour recevoir le paiement de la rente d'invalidité.

Le contrat d'assurance collective stipule au paragraphe " montant " relatif à la garantie invalidité, que le montant de la rente d'invalidité " est exprimé en pourcentage du traitement de base et varie en fonction du degré d'invalidité sous déduction notamment des prestations brutes de CSG/CRDS (hors majoration pour tierce personne pour la 3ème catégorie) versée par la sécurité sociale ", et que doivent venir également en déduction " le traitement partiel ou revenu de substitution " perçu par le salarié, de sorte que les indemnités versées par Pôle emploi doivent être déduites.

Le paragraphe " plafonnement " précise : " en tout état de cause , le total des sommes perçues par le participant au titre des prestations " en espèce " de la sécurité sociale, du maintien de salaire par son employeur et de tous autres revenus salariaux (y compris au titre d'une reprise d'activité à temps partiel), du présent contrat de prévoyance et tout autre contrat de prévoyance, et des sommes versées au titre de la législation sur le chômage, ne peut être supérieur au salaire net d'activité qu'aurait perçu le participant s'il avait continué à travailler à temps complet pendant la période d'arrêt de travail. "

Il ressort des bulletins de paie relatifs à l'année 2018 versés aux débats, que la salariée bénéficiait, au sein de la société Cabinet [W], d'un salaire mensuel brut de 4 394,38 euros, soit 3 410, 84 euros net, de sorte que son revenu annuel brut, prenant en compte le treizième mois, était de 57 126,94 euros , les parties s'accordant sur ce montant et sur le fait que le tableau des garanties de prévoyance de base, figurant en annexe du contrat de prévoyance, prévoit une rente d'invalidité de 1ère catégorie correspondant à 36% de la rémunération annuelle brute du salarié, soit 1713, 80 euros.

Mme [J] établit avoir perçu de Pôle emploi à compter du 6 juin 2021 et jusqu'en décembre 2023, une allocation d'Aide au Retour à l'Emploi (ARE). Il résulte des courriers et relevés émanant de Pôle emploi, que le premier versement pour le mois de juin 2021 a été de 2 059,75 euros, que le montant mensuel de l'allocation a été fixé à 2 471,70 euros, puis à 2 235,60 euros à compter du 183ème jour, en raison de l'application du coefficient de dégressivité, la salariée ne justifiant pas des montants exactement perçus de juillet 2021 à septembre 2023. En octobre et novembre 2023, elle a perçu au titre de l'Allocation de Retour à l'Emploi les sommes respectivement de 2 351,66 euros et 275,80 euros.

Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le montant de la rente d'invalidité que Mme [J] pouvait espérer sera évalué à la somme de 26 240 euros.

Il est admis que la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

En conséquence et eu égard à la forte probabilité, évaluée à 90%, de réalisation de l'avantage que pouvait espérer Mme [J], il convient d'infirmer le jugement de ce chef, et de lui allouer la somme de 23 616 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance, que la société Cabinet [W] sera condamnée à lui payer, les plus amples demandes étant rejetées.

Sur la demande de rappel de salaire :

Mme [J] soutient que la société Cabinet [W] a procédé à des prélèvements de salaires injustifiés au cours de l'année 2018, et sollicite un rappel à ce titre.

La société Cabinet [W] soutient que les prélèvements contestés par la salariée correspondent à des indemnités de prévoyance qu'elle a indument perçues, alors qu'elle avait repris le travail.

Aux termes de l'article L. 3251-1 du code du travail, " l'employeur ne peut opérer une retenue de salaire pour compenser des sommes qui lui seraient dues par un salarié pour fournitures diverses, quelle qu'en soit la nature. "

En vertu de l'article L. 3251-2 du même code, " par dérogation aux dispositions de l'article

L. 3251-1, une compensation entre le montant des salaires et les sommes qui seraient dues à l'employeur peut être opérée dans les cas de fournitures suivants :

1° Outils et instruments nécessaires au travail ;

2° Matières ou matériaux dont le salarié a la charge et l'usage ;

3° Sommes avancées pour l'acquisition de ces mêmes objets. "

Par courrier du 4 septembre 2017 adressé à la société Cabinet [W], l'organisme de prévoyance lui a demandé le remboursement de la somme de 5653,14 euros par chèque à l'ordre de GESCOPIM Prévoyance, expliquant : " Votre salariée, Mme [L] [J], avait repris son activité dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique en date du 01/06/2016.

Or, cette information ne nous avait pas été communiquée par votre entreprise. Dès lors nous avons dû procéder à la régularisation de son dossier prévoyance.

Veuillez trouver ci-joint le détail des prestations au titre de la garantie Incapacité de travail concernant votre salariée Mme [L] [J] (').

Nous vous rappelons que pour les périodes d'arrêt de travail en mi-temps thérapeutique, le salaire versé dans le cadre du temps partiel, le salaire qui aurait été versé si l'activité était exercée à temps plein, ainsi que le montant des indemnités journalières de la sécurité sociale sont pris en compte. ('). "

La régularisation opérée par l'organisme de prévoyance concerne la période de juin 2016 à mai 2017.

Il résulte des bulletins de paie de la salariée de février 2018 à novembre 2018 qu'une somme totale de 2 506,76 euros a été déduite des salaires par l'employeur à titre d'" indu IJSS prévoyance "(sic), ce qui ne constitue pas une compensation autorisée par les dispositions du code du travail précédemment rappelées.

En conséquence, la société Cabinet [W] sera condamnée à payer à Mme [J] la somme de 2 506,76 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er février 2018 au 30 novembre 2018, les plus amples demandes étant rejetées.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation, et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Eu égard à la solution du litige, le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives à la demande de la salariée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et la société Cabinet [W] sera condamnée à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande de rappel de salaire à hauteur de 3 126,18 euros relative au salaire de décembre 2018,

INFIRME le jugement déféré pour le surplus et y ajoutant,

CONDAMNE la société Cabinet [W] à payer à Mme [L] [J] née [S] les sommes de:

- 23 616 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance,

- 2 506, 76 euros à titre de rappel de salaire pour la période du 1er février 2018 au 30 novembre 2018,

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation et d'orientation pour les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, et à compter du présent arrêt pour les créances indemnitaires,

CONDAMNE la société Cabinet [W] aux dépens de première instance et d'appel,

REJETTE les autres demandes des parties.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/07824
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;22.07824 ?
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