La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/05/2024 | FRANCE | N°21/06810

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 23 mai 2024, 21/06810


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 23 MAI 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06810 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CED2G



Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° F20/00007





APPELANT



Monsieur [H] [E]

[Adresse 1]

[Localit

é 4]



Représenté par Me Marc TOULON, avocat au barreau de MEAUX





INTIMÉE



SARL FRANCE MENUISIERS

[Adresse 3]

[Localité 2]



Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au bar...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 23 MAI 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/06810 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CED2G

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° F20/00007

APPELANT

Monsieur [H] [E]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Marc TOULON, avocat au barreau de MEAUX

INTIMÉE

SARL FRANCE MENUISIERS

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Claude CHEVILLER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0945

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle MONTAGNE, Présidente de chambre

Mme Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Mme Sandrine MOISAN, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Isabelle MONTAGNE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [H] [E] a été engagé par la société SUNBAIE par contrat de travail à durée indéterminée daté du 11 décembre 2009, prenant effet à compter du 4 janvier 2010 en qualité de poseur monteur en menuiserie.

A compter du 1er juillet 2017, son contrat de travail a été repris par la société France Menuisiers.

Par lettre datée du 2 août 2019, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 août suivant, puis par lettre datée du 5 septembre 2019 lui a notifié son licenciement, avec dispense d'exécution du préavis de deux mois.

Le 9 janvier 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux afin de faire juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse et d'obtenir une indemnité à ce titre.

Par jugement mis à disposition le 7 juillet 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes des parties, les premiers juges ont dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, ont débouté M. [E] de l'intégralité de ses demandes et ont condamné celui-ci à payer à la société France Menuisiers la somme de 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Le 27 juillet 2021, M. [E] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par ordonnance du 5 avril 2022, le conseiller de la mise en état, statuant sur l'incident formé par la société France Menuisiers, a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la société France Menuisiers aux dépens. Par arrêt du 25 janvier 2023, la cour d'appel, statuant sur le déféré de l'ordonnance du 5 avril 2022, a confirmé l'ordonnance entreprise et a condamné la société France Menuisiers à payer à M. [E] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 12 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [E] demande à la cour d'infirmer le jugement, statuant à nouveau, de requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la société France Menuisiers à lui payer les sommes de 24 476,88 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter de la décision et anatocisme, et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 10 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société France Menuisiers demande à la cour de confirmer en son entier le jugement, de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 30 janvier 2024.

MOTIVATION

Sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

'(...) Lors de son passage pour faire le suivi agence le mercredi 24 juillet dernier, [D] [J] est passé sur le chantier de Mme [P] [W] (SH100851). Vous étiez en équipe avec [M] [L] votre collègue et chacun d'entre vous posait sa menuiserie. Le directeur réseau a pu constater plusieurs manquements de votre part et vous en a fait la remarque parmi lesquelles :

- malgré les nombreux rappels faits en réunion poseur, l'état des lieux compagnons n'avait pas été fait avec la cliente avant de débuter la pose des menuiseries,

- la visseuse et la boîte de vis étaient posées directement sur la housse de couette du lit de la chambre d'enfant sans aucune protection. Lorsque [D] [J] vous en a fait la remarque vous lui avez déclaré que ce n'était pas sale !

Le chantier de Mme [P] était planifié pour être fait sur deux jours et demi. Votre vitesse de travail (et celle de votre équipier [M] [L]) était tellement lente qu'il a fallu envoyer le vendredi 26 juillet une équipe en renfort pour pouvoir rattraper votre retard sans pénaliser la cliente.

Toujours sur le même chantier, la menuiserie de la cuisine était prévue pour être posée après une intervention du plombier, programmée par la cliente. Il s'est avéré que cette dernière avait oublié de faire déplacer le radiateur ce qui empêchait la pose de la menuiserie dans la cuisine.

Vous avez constaté ce problème le mercredi 24 juillet mais au lieu de prévenir immédiatement votre responsable comme la procédure le veut, en vous isolant pour ne pas inquiéter la cliente, vous avez été voir Mme [P] en lui expliquant que vous ne pouviez pas poser cette menuiserie à cause d'une erreur de votre responsable, M. [O] !

Le jeudi 25 juillet, lors de l'embauche du matin, votre responsable M. [O] vous a demandé si tout allait bien. Vous avez répondu par l'affirmative sans mentionner les problèmes constatés la veille.

Ce n'est que vendredi, grâce à l'un de vos collègues venu en renfort, que M. [O] a eu connaissance de la problématique de pose liée au radiateur. Contactée, la cliente n'a pu obtenir le passage de son plombier en urgence, retardant la fin du chantier.

Nous sommes las de sans cesse vous rappeler à un plus grand professionnalisme, de subir vos insubordinations et de repasser derrière vous sur vos chantiers.

Votre comportement désorganise l'entreprise puisque nous devons régulièrement dépêcher vos collègues pour vous suppléer, et renchérit le coût de chacune de vos interventions.

Vous avez déjà fait l'objet de deux procédures de mise à pied disciplinaire (le 23 novembre 2018 et le 1er avril 2019) pour des faits similaires. Force est de constater que votre comportement ne s 'est pas amélioré.

Dès lors, en raison des faits énoncés nous vous notifions, par la présente, votre licenciement pour faute (...)'.

Le salarié soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que les griefs ne sont pas établis, que le véritable motif du licenciement est d'ordre économique et sollicite par conséquent une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse une fois écarté a écarté le barème d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail.

La société réplique que le licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, que les faits sont établis, que le salarié avait déjà fait l'objet d'un rappel à l'ordre et de deux mises à pied disciplinaires, qu'il convient de le débouter de sa demande.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

L'insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.

En l'espèce, la lettre de licenciement reproche au salarié des faits constatés le 24 juillet 2019 sur le chantier d'une cliente, à savoir :

1- de ne pas avoir établi un 'état des lieux compagnons',

2- d'avoir posé une visseuse et une boîte de vis sur une housse de couette d'un lit sans protection, 3- d'avoir une vitesse de travail, avec son équipier, 'lente', ayant nécessité un renfort pour rattraper le retard pris,

4- de ne pas avoir prévenu immédiatement son responsable le 24 juillet de l'oubli de la cliente de faire déplacer un radiateur ce qui empêchait la pose de la menuiserie dans la cuisine, information qui n'a été remontée que le 26 juillet, générant un retard de fin du chantier.

S'agissant des deux premiers faits, M. [D] [J], directeur réseau de la société France Menuiseries, atteste avoir constaté l'absence d'établissement d'un 'état des lieux compagnons' et la pose d'outils sur une housse de couette sans protection lors d'un contrôle qualité sur le chantier en cause le 24 juillet 2019 ; toutefois, d'une part, il n'est pas produit de pièce établissant les directives données au salarié, d'autre part, il n'est pas produit d'élément démontrant la mauvaise volonté ou l'abstention délibérée du salarié dans l'exécution de directives de l'employeur, étant de surcroît relevé qu'il n'est fait état d'aucune insatisfaction de la cliente et que la lettre de licenciement qualifie l'attitude du salarié de 'manque de professionnalisme' sans se référer à un refus d'exécution de directives.

S'agissant du troisième fait, le reproche tiré d'une lenteur dans la vitesse d'exécution du travail avec son équipier s'analyse en des difficultés du salarié à exécuter correctement sa prestation de travail sur le chantier en question. Aucun élément ne permet de retenir que la critique faite par l'employeur quant à la vitesse de travail du salarié et de son équipier résulterait d'une mauvaise volonté ou d'une abstention volontaire des obligations mises à la charge du salarié.

S'agissant du quatrième fait, il n'est produit aux débats aucun élément établissant que le salarié aurait de manière volontaire omis d'informer son responsable d'une difficulté sur le chantier, étant relevé que le salarié indique que son responsable, M. [O], en était informé dès le 25 juillet.

Enfin, si la lettre de licenciement se réfère à des 'insubordinations' du salarié, force est de constater qu'il n'est pas produit d'élément aux débats permettant de retenir un refus d'exécution des directives de l'employeur, ni d'ailleurs une mauvaise volonté ou une abstention volontaire dans les faits imputés au salarié.

En tout état de cause, les griefs formés à l'encontre du salarié se rattachent à un seul chantier et ne revêtent pas un caractère suffisamment sérieux, pour justifier, en dépit de sanctions disciplinaires antérieures rappelées dans la lettre de licenciement, un licenciement pour faute.

Il s'ensuit qu'aucune faute ne peut être reprochée au salarié et que son licenciement disciplinaire est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En conséquence, M. [E] est fondé à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dont le montant est compris, eu égard à son ancienneté de neuf années complètes dans l'entreprise, entre trois et neuf mois de salaire brut, étant précisé que ces dispositions ne sont pas contraires à l'article 10 de la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail et que les stipulations de l'article 24 de la Charte sociale européenne ne peuvent être invoquées par l'appelant faute d'effet direct, de sorte qu'il n'y a pas lieu à écarter le barème d'indemnisation prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail.

Eu égard à son âge de 58 ans, pour être né le 31 janvier 1961, à son salaire de référence de 2 039,74 euros, à sa situation postérieure au licenciement, celui-ci indiquant qu'il a dû s'inscrire à Pôle emploi et a peiné à retrouver un nouvel emploi sans plus de précision, il y a lieu d'allouer à l'appelant une somme de 12 500 euros à ce titre.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et les intérêts seront capitalisés dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code du travail.

Le jugement sera donc infirmé sur tous ces points.

Sur le remboursement des indemnités de chômage aux organismes concernés

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement à Pôle Emploi devenu France Travail, partie au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage versées au salarié à compter du jour de la rupture de son contrat de travail, et ce à concurrence de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige, le jugement sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer au salarié la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société France Menuisiers à payer à M. [H] [E] la somme de 12 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE le remboursement par la société France Menuisiers à Pôle emploi devenu France travail des indemnités de chômage versées à M. [H] [E] à compter du jour de la rupture de son contrat de travail, et ce, à concurrence de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société France Menuisiers aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société France Menuisiers à payer à M. [H] [E] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties des autres demandes,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 21/06810
Date de la décision : 23/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-23;21.06810 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award