La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/05/2024 | FRANCE | N°22/09575

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 1, 22 mai 2024, 22/09575


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1



ARRET DU 22 MAI 2024



(n° 2024/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09575 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2QB



Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2022 - Tribunal Judiciaire de CRETEIL - RG n° 19/02505





APPELANTE



Madame [MW] [BO]-[H] épouse [R]

née le [Date naissanc

e 5] 1976 à [Localité 13] (97)

[Adresse 1]

[Localité 8]



représentée par Me Pierre REYNAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1685







INTIME



Monsieur [ZO] [I] [H]

né l...

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 1

ARRET DU 22 MAI 2024

(n° 2024/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/09575 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF2QB

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Mars 2022 - Tribunal Judiciaire de CRETEIL - RG n° 19/02505

APPELANTE

Madame [MW] [BO]-[H] épouse [R]

née le [Date naissance 5] 1976 à [Localité 13] (97)

[Adresse 1]

[Localité 8]

représentée par Me Pierre REYNAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1685

INTIME

Monsieur [ZO] [I] [H]

né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 15] (GUADELOUPE)

[Adresse 4]

[Localité 9]

représenté par Me Vincent RIBAUT de la SCP GRV ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

ayant pour avocat plaidant Me Léa HADAD TAIEB, avocat au barreau du VAL DE MARNE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Patricia GRASSO, Président, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Patricia GRASSO, Président

Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller

M. Bertrand GELOT, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON

ARRÊT :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

EXPOSE DU LITIGE :

[N] [J] [H] est décédé le [Date décès 7] 2016, laissant pour lui succéder :

-M. [ZO] [I]-[H], son fils,

-Mme [MW] [BO]-[H], sa petite-fille adoptive venant en représentation de sa mère [XM] [H], prédécédée le [Date décès 6] 2012 qui l'avait adoptée selon jugement d'adoption simple du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre en date du 12 mars 1987.

Aux termes d'un testament authentique reçu le 20 mai 2016 en l'étude de Me [S] [X], notaire à [Localité 11] (971), le défunt a désigné M. [I]-[H], son fils, en qualité de légataire universel en lui léguant l'universalité des biens meubles et immeubles qui composeront sa succession.

Par acte d'huissier du 8 mars 2919, Mme [BO]-[H] a fait assigner M. [I]-[H] devant le tribunal de grande instance de Créteil afin de voir dire que le testament authentique reçu par Me [X] constitue un faux, prononcer l'annulation du testament, ordonner à M. [I]-[H] de communiquer diverses pièces sous astreinte, réserver les droits de Mme [BO]-[H] quant aux conséquences de l'annulation du testament et ordonner la mention en marge de l'acte annulé du jugement à intervenir.

Par ordonnance du 21 septembre 2021, le juge de la mise en état près le tribunal judiciaire de Créteil a rejeté la demande d'expertise présentée devant lui par Mme [MW] [BO]-[H] tendant à recueillir tous éléments en vue de la reconstitution du patrimoine du défunt dans les cinq années précédant son décès et de déterminer l'existence d'éventuels détournements et recels de succession.

Par jugement du 15 mars 2022, le tribunal judiciaire de Créteil a statué dans les termes suivants :

-déboute Mme [BO]-[H] de sa demande formée in limine litis aux fins de rejet des pièces n°44 et 45 de M. [I]-[H],

-déboute Mme [BO]-[H] de sa demande aux fins d'annulation du testament authentique de [N] [J] [H] reçu le 20 mai 2017 par Me [S] [X],

-déboute Mme [BO]-[H] de sa demande aux fins de réserver son action du chef de recel successoral,

-déboute Mme [BO]-[H] de ses demandes de dommages et intérêts,

-déboute M. [I]-[H] de sa demande d'injonction,

-déboute M. [I]-[H] de sa demande de dommages et intérêts,

-dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-rejette toute autre demande formée tant en demande qu'en défense,

-dit n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire,

-condamne Mme [BO]-[H] aux entiers dépens de l'instance.

Mme [MW] [BO]-[H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 13 mai 2022.

M. [ZO] [I]-[H] a constitué avocat le 21 juin 2022.

L'appelante a notifié ses premières conclusions le 18 juillet 2022.

L'intimé a quant à lui remis ses premières conclusions au greffe le 17 octobre 2022.

Par des conclusions d'incident remises le 18 juillet 2022, l'appelante a saisi d'un incident le conseiller de la mise en état aux fins de désignation d'un expert.

Par ordonnance du 10 janvier 2023, le conseiller de la mise en état près la cour d'appel de Paris a notamment déclaré irrecevable la demande d'expertise formulée par Mme [MW] [BO]-[H].

Aux termes de ses uniques conclusions notifiées le 18 juillet 2022, Mme [MW] [BO]-[H], appelante, demande à la cour de :

-recevoir Mme [MW] [BO]-[H] en son appel,

et y faisant droit,

-à titre principal, annuler le jugement contradictoirement prononcé par le tribunal judiciaire de Créteil le 26 avril 2022, et l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 septembre 2021, dans l'instance enrôlée sous le numéro RG 19/02505,

à titre subsidiaire,

-infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 septembre 2021, rendue dans le cadre de l'instance s'étant déroulée devant le tribunal judiciaire de Créteil (RG n° 19/02505), comme ayant rejeté la demande d'expertise judiciaire formée par Mme Mme [MW] [BO]-[H],

-infirmer partiellement le jugement contradictoirement prononcé par le tribunal judiciaire de Créteil le 26 avril 2022 dans l'instance enrôlée sous le RG n° 19/02505, en ce qu'il a débouté Mme [MW] [BO]-[H] :

*de sa demande formée in limine litis aux fins de rejet des pièces n°44 et 45 de M. [I]-[H], non régulièrement produites,

*de sa demande aux fins d'annulation du testament de [N] [J] [H] reçu le 20 mai 2016, en la forme authentique, par Me [S] [X], notaire à [Localité 11],

*de sa demande tendant à ce que soit ordonnée mention du jugement à intervenir en marge de l'acte authentique annulé, dans les conditions de l'article 310 du code de procédure civile,

*de sa demande aux fins de réserver son action du chef de recel successoral,

*de sa demande aux fins de condamnation de M. [ZO] [I]-[H] à lui payer la somme de 100 000 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit à compter de la délivrance de l'assignation, en réparation de son préjudice matériel,

*de sa demande aux fins de condamnation de M. [ZO] [I]-[H] à lui payer la somme de 50 000 euros, sauf à parfaire, avec intérêts de droit à compter de la délivrance de l'assignation, en réparation de son préjudice moral,

*de sa demande tendant à ce que soit ordonnée la capitalisation des intérêts courus par année entière sur toute condamnation pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [ZO] [I]-[H],

*de sa demande tendant à ce que soit ordonné à M. [ZO] [I]-[H] de remettre à Mme [MW] [BO]-[H] :

$gt;les actes dressés à la suite de l'ouverture de la succession de [N] [J] [H],

$gt;les inventaires des biens successoraux,

$gt;les relevés de comptes courants ou de valeurs mobilières dépendant de la succession de [N] [J] [H],

$gt;les courriels, lettres, et conventions relatifs aux biens immobiliers dépendant de la succession de [N] [J] [H], ainsi que les reçus ou quittances de loyers perçus sur les biens immobiliers dépendant de la succession,

$gt;toute correspondance échangée notamment avec l'administration fiscale au sujet du montant des droits de succession, et les modalités de leur paiement,

$gt;la liste des contrats d'assurance-vie souscrits par M. [J] [N] [H], et leurs références complètes :

$gt;$gt;de sa demande tendant à assortir l'obligation de communiquer les éléments cités ci-dessus (points 1. à 6.) ordonnée à M. [ZO] [I]-[H] d'une astreinte de 100 euros par jour et par document, passé un délai de deux mois après la signification du jugement à intervenir,

$gt;$gt;de sa demande aux fins de condamnation de M. [ZO] [I]-[H] à lui payer la somme de 10 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

*condamné Mme [MW] [BO]-[H] aux entiers dépens de l'instance,

-pour le surplus, confirmer le jugement entrepris,

statuant à nouveau,

-prononcer la nullité de l'acte reçu en la forme authentique le 20 mai 2016 par Me [S] [X], notaire à [Localité 11], ou de tout testament de [N] [J] [H] pouvant résulter de l'évolution du litige,

-ordonner mention de l'arrêt à intervenir en marge de l'acte authentique annulé, dans les conditions de l'article 310 du code de procédure civile,

-condamner M. [ZO] [AM] [I]-[H] à payer une somme de 100 000 euros sauf à parfaire, au titre du préjudice matériel éprouvé par Mme [MW] [BO]-[H], avec intérêts de droit à compter du 18 mars 2019, date de la délivrance de l'assignation,

-condamner M. [ZO] [I]-[H] à payer une somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral éprouvé par Mme [MW] [BO]-[H], avec intérêts de droit à compter du 18 mars 2019, date de la délivrance de l'assignation,

-ordonner la capitalisation des intérêts courus par année entière sur toute condamnation pécuniaire prononcée à l'encontre de M. [ZO] [I]-[H],

-ordonner à M. [ZO] [AM] [I]-[H] de remettre à Mme [BO]-[H] :

*les actes dressés à la suite de l'ouverture de la succession de [N] [J] [H],

*les inventaires des biens successoraux,

*les relevés de comptes courants ou de valeurs mobilières dépendant de la succession de [N] [J] [H],

*les courriels, lettres, et conventions relatifs aux biens immobiliers dépendant de la succession de [N] [J] [H], ainsi que les reçus ou quittances de loyers perçus sur les biens immobiliers dépendant de la succession,

*toute correspondance échangée notamment avec l'administration fiscale au sujet du montant des droits de succession, et les modalités de leur paiement,

*la liste des contrats d'assurance-vie souscrits par [N] [J] [H], et leurs références complètes,

-assortir cette obligation de communiquer ordonnée à M. [ZO] [I]-[H] d'une astreinte de 100 euros par jour et par document, passé un délai de deux mois après la signification de l'arrêt à intervenir,

-ordonner la désignation de tout expert judiciaire, concernant [N] [J] [H], né le [Date naissance 2] 1921 à [Localité 12] (971), décédé le [Date décès 7] 2016 à [Localité 10] (971), et la succession de celui-ci, avec la mission suivante :

*rechercher et décrire tant l'actif que le passif de la succession, et ce qu'il en est advenu depuis l'acceptation de celle-ci par M. [ZO] [I]-[H],

*décrire, sur les cinq années précédent le décès :

$gt;les revenus et les charges de [N] [J] [H],

$gt;le patrimoine de [N] [J] [H],

$gt;les donations effectuées par [N] [J] [H], et en déterminer le(s) bénéficiaire(s),

$gt;les contrats d'assurance-vie souscrits par [N] [J] [H],

*se faire remettre toutes pièces afférentes au patrimoine et aux revenus du défunt, et notamment :

$gt;la (les) déclaration(s) de succession déposée(s), suite au décès de [N] [J] [H],

$gt;tous actes de procédure de rectification émis par l'administration fiscale ou échangée avec elle, à propos de la succession [N] [J] [H],

$gt;l'ensemble les actes notariés dressés à la suite de l'ouverture de la succession de [N] [J] [H],

$gt;les inventaires des biens dépendant de la succession,

$gt;le résultat de l'interrogation des fichiers FICOBA et FICOVIE,

$gt;les contrats de locations des biens immobiliers dépendant de la succession, et les quittances de loyers correspondantes sur une période de cinq années antérieures au décès, et postérieurement à celui-ci,

$gt;toutes correspondances adressées dans l'intérêt de [N] [J] [H] ou reçues par lui,

$gt;l'ensemble des relevés des comptes bancaires au nom de [N] [J] [H] et/ou de tout autre co-titulaire desdits comptes, sur une période de cinq années antérieures au décès, et au-delà en cas de co-titularité,

$gt;et plus généralement tous éléments propres à décrire et quantifier le patrimoine et les revenus de [N] [J] [H],

*déterminer si, sur la période de cinq années antérieures au décès, les dépenses de [N] [J] [H] sont cohérentes avec ses ressources et ses besoins courants,

*examiner les dépenses et les placements de [N] [J] [H] non liés à son train de vie courant, et dire en quoi ils paraîtraient justifiés ou proportionnés, ou non, sur une période de cinq années antérieures au décès,

*déterminer si et dans quelle mesure des éléments du patrimoine de [N] [J] [H] ont été l'objet de donations, de libéralités, ou autres, faisant présumer l'existence de détournements au préjudice du défunt, ou de sa succession,

-fixer le montant de la consignation pour provisionner les frais d'expertise, et la date à laquelle la consignation devra être effectuée au plus tard, à peine de caducité de la désignation de l'expert,

-condamner M. [ZO] [I]-[H] à payer à Mme [MW] [BO]-[H] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en toute hypothèse,

-confirmer le jugement dont appel, pour le surplus,

-débouter M. [ZO] [I]-[H] de toutes fins et conclusions plus amples ou contraires,

-condamner M. [ZO] [I]-[H] aux dépens de l'instance, que Me Pierre Reynaud, avocat, recouvrera directement, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses uniques conclusions notifiées le 17 octobre 2022, M. [ZO] [I]-[H], intimé, demande à la cour de :

à titre principal,

-débouter Mme [MW] [BO]-[H] de l'intégralité de ses demandes et les dire non fondées,

et ce faisant,

-confirmer le jugement entrepris rendu par la 1ère chambre du tribunal judiciaire de Créteil en toutes ses dispositions,

à titre infiniment subsidiaire, et si par impossible la cour devait annuler le testament,

-désigner tel notaire qu'il plaira sur la commune de [Localité 11] (971) avec pour mission de procéder à l'ouverture des opérations de succession de [N] [J] [H] sur la base de la déclaration de succession établie par Me [S] [X],

en tout état de cause,

-débouter Mme [BO]-[H] de sa demande de remise de documents sous astreintes et la dire sans objet,

-débouter Mme [BO]-[H] de sa demande d'expertise judiciaire comme étant non fondée,

-débouter Mme [BO]-[H] de sa demande de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et son préjudice moral, comme étant non fondée,

-condamner Mme [BO]-[H] à payer à M. [I]-[H] une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner Mme [BO]-[H] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétentions, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mars 2024.

L'affaire a été appelée à l'audience du 3 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'annulation du jugement prononcé par le tribunal judiciaire de Créteil le 26 avril 2022, et l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 septembre 2021, dans l'instance enrôlée sous le numéro RG 19/02505

Sur la nullité et subsidiairement l'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état du 21 septembre 2021

Si en application de l'article 795 du code de procédure civile, les ordonnances du juge de la mise en état qui statuent sur une demande d'expertise ne sont susceptibles d'appel qu'avec le jugement au fond, force est de constater que la déclaration d'appel qui selon les articles 562 et 901- 4 du code de procédure civile défère à la cour d'appel la connaissance des chefs de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent, ne vise pas l'ordonnance du 21 septembre 2021, dont Madame [BO]-[H] poursuit principalement la nullité, et subsidiairement l'infirmation, aux termes du dispositif de ses conclusions.

Au surplus, en vertu de l'alinéa 2 de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énonciation des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Aux termes de l'alinéa 3, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ses prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Outre que Mme [BO]-[H] ne formule aucun moyen à l'appui de sa demande de nullité ou d'infirmation de l'ordonnance du juge de la mise en état, dans ses conclusions, la cour n'est pas saisie d'une telle demande par la déclaration d'appel.

Sur la nullité du jugement

L'article 542 du code de procédure civile prévoit que l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

Selon une jurisprudence constante, l'appel-nullité est réservé au seul cas d'excès de pouvoir (Cass. Chambre mixte, 28 janvier 2005). La violation du principe du contradictoire n'est pas qualifiée d'excès de pouvoir par la haute juridiction (Cass. 2e civ. 17 novembre 2005 ; Cass. 1ère civ. 29 février 2012).

L'appelante excipe de la nullité du jugement de première instance pour non-respect du principe du contradictoire, sur le fondement de l'article 16 du code de procédure civile.

Il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le non-respect du principe du contradictoire n'est pas un cas de nullité du jugement de première instance.

La prétention ne pourra alors qu'être rejetée.

Sur la demande formée in limine litis aux fins de rejet des pièces n°44 et 45 de M. [I]-[H], non régulièrement produites

Sur la production des pièces 44 et 45

Mme [BO]-[H] demandait que les pièces 44 et 45, qui selon elle ne lui avaient pas été communiquées bien qu'elles apparaissent sur le bordereau de communication de pièces du défendeur, soient écartées des débats en raison du non-respect du contradictoire.

Les pièces en cause sont constituées d'une étude du CRIDON (pièce 44) et d'une lettre de Maître [S] [X], notaire (pièce 45) et sont visées au bordereau de communication de pièces de M. [I]-[H] signifiés avec ses conclusions du 12 novembre 2021devant le tribunal.

Le tribunal a rejeté sa demande au motif qu'elle ne fournissait à l'appui de ses écritures aucune pièce (courrier ou message de réclamation ou demande au juge de la mise en état qu'il fasse injonction de communiquer ces deux pièces) de nature à rapporter la preuve que ces pièces, qui figurent au bordereau des conclusions récapitulatives n°3 de M. [I]-[H] signifiées depuis le 12 novembre 2021, ne lui auraient pas été communiquées.

Devant la cour, l'appelante fait grief au tribunal de ne pas avoir tenu compte du caractère contradictoire de la procédure et de l'obligation de communiquer les pièces de façon spontanée, et soutient que de ce chef, le jugement querellé doit être frappé de nullité selon les dispositions de l'article 562 du code de procédure civile et, subsidiairement, infirmé de ce chef.

Elle fait valoir que, par lettre en date du 13 novembre 2021, son conseil a saisi la juridiction de cette difficulté, faisant état de la violation du contradictoire.

L'intimé répond que les pièces litigieuses ont été communiquées en temps utile.

Selon l'article 132 du code de procédure civile, la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance. La communication des pièces doit être spontanée.

Selon l'article 133 du même code, si la communication des pièces n'est pas faite, il peut être demandé, sans forme, au juge d'enjoindre cette communication.

L'article 135 dispose à son tour que le juge peut écarter du débat les pièces qui n'ont pas été communiquées en temps utile.

En l'espèce, le dernier bulletin de la mise en état produit aux débats ordonne la clôture de la procédure le 16 novembre 2021, et fixe une date de plaidoiries au 11 janvier 2022.

Le 5 août 2021, le conseil de l'appelante s'est opposé à la production de la pièce 44 qui, selon lui, n'avait aucune utilité, ce qui démontre qu'il en a eu connaissance.

La pièce 45, reçue tardivement du notaire de Guadeloupe, a été produite le 10 août puisque le 13 août, le conseil de l'appelante a invoqué par lettre sa tardiveté.

La clôture n'est intervenue que le 16 novembre 2021, ce qui laissait à l'appelante un délai suffisant pour répondre aux pièces produites début août 2021 pour la pièce 44 et le 10 novembre pour la pièce 45, et celle-ci n'a saisi ni le juge de la mise en état ni le tribunal par voie de conclusions tendant à ce que les pièces soient écartées des débats.

En outre, en application de l'article 778 du code de procédure civile, le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l'obtention et la production de pièces.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [BO]-[H] de sa demande formée in limine litis aux fins de rejet des pièces n°44 et 45 de M. [I]-[H]

Sur l'annulation du testament

Madame [MW] [BO]-[H], petite fille, héritière par représentation de sa mère décédée, poursuit l'annulation du testament par lequel son défunt grand-père [N] [J] [H] a institué son fils, M. [ZO] [I]-[H], légataire universel.

Elle soutient que le testament reçu en la forme authentique le 20 mai 2016, par Maître [S] [X], énonçant que Monsieur [N] [J] [H] aurait dicté en langue française ses dernières volontés, et qu'une fois celles-ci recueillies en présence de deux témoins francophones, elles auraient été lues en français au testateur, qui les auraient comprises, constitue un faux parce que le testateur s'exprimait en langue créole et était illettré.

Pour s'opposer à la demande d'annulation du testament authentique, M. [I]-[H], qui rappelle le conflit ancien entre le défunt et sa fille [XM] et son opposition à l'adoption par cette dernière en 1987 de l'appelante, fait valoir que Mme [BO]-[H] a tenté vainement de faire placer le de cujus sous tutelle.

En droit, l'article 971 du code civil dispose que « Le testament par acte public est reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins. ».

L'article 972 du même code dispose que « Si le testament est reçu par deux notaires, il leur est dicté par le testateur ; l'un de ces notaires l'écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

S'il n'y a qu'un notaire, il doit également être dicté par le testateur ; le notaire l'écrit lui-même ou le fait écrire à la main ou mécaniquement.

Dans tous les cas, il doit en être donné lecture au testateur.

Lorsque le testateur ne peut s'exprimer en langue française, la dictée et la lecture peuvent être accomplies par un interprète que le testateur choisit sur la liste nationale des experts judiciaires dressée par la Cour de cassation ou sur la liste des experts judiciaires dressée par chaque cour d'appel. L'interprète veille à l'exacte traduction des propos tenus. Le notaire n'est pas tenu de recourir à un interprète lorsque lui-même ainsi que, selon le cas, l'autre notaire ou les témoins comprennent la langue dans laquelle s'exprime le testateur.

Lorsque le testateur peut écrire en langue française mais ne peut parler, le notaire écrit lui-même le testament ou le fait écrire à la main ou mécaniquement d'après les notes rédigées devant lui par le testateur, puis en donne lecture à ce dernier. Lorsque le testateur ne peut entendre, il prend connaissance du testament en le lisant lui-même, après lecture faite par le notaire.

Lorsque le testateur ne peut ni parler ou entendre, ni lire ou écrire, la dictée ou la lecture sont accomplies dans les conditions décrites au quatrième alinéa.

Il est fait du tout mention expresse. ».

En l'espèce, le testament authentique de [N] [J] [H], reçu le 20 mai 2021 par Maître [S] [X] en présence des témoins MM. [C] [W] [Y] et [KU] [XY], comporte notamment les mentions suivantes :

« La personne identifiée ci-dessus sous la dénomination « le testateur », saine d'esprit et ayant toute faculté d'exprimer clairement ses volontés, ainsi qu'il est apparu au notaire soussigné et aux témoins, a dicté au notaire soussigné en présence des témoins son testament, ainsi qu'il suit.

Il est fait observer que le mot « dicté » s'entend en l'espèce de l'énonciation orale des dispositions testamentaires prises ».

Suit le contenu du testament, puis la mention suivante :

« Ce testament a été dactylographié par [IS] [T], collaboratrice du notaire soussigné, tel qu'il a été dicté par le testateur au notaire ; puis le notaire soussigné l'a lu au testateur qui a déclaré le comprendre parfaitement et reconnaître qu'il exprime parfaitement et intégralement ses volontés et ses propos, le tout en la présence réelle, simultanée et non interrompue des deux témoins ».

Le tribunal a retenu qu'il n'est nullement précisé au testament authentique qu'il aurait été dicté en langue française par [N] [J] [H] puis lu en français, que par son attestation du 6 mai 2021, le témoin M. [Y] a confirmé la volonté de [N] [J] [H] de céder tous ses biens à son fils, volonté réaffirmée et clairement exprimée selon lui devant le notaire qui comprenait parfaitement le créole et que Maître [S] [X] a confirmé par lettre du 29 décembre 2020 que ses échanges avec [N] [J] [H] et le recueil de ses dernières volontés ont eu lieu sous la dictée du testateur, en créole et en français.

Le livret militaire du défunt (du dénommé [H], classe 1941) indique « Sait lire et écrire le français, mal ».

Il ressort de nombreuses attestations que [N] [J] [H], même s'il s'exprimait plus difficilement en français qu'en créole, et même s'il ne maîtrisait pas parfaitement le français, était parfaitement apte à comprendre cette langue :

- attestation de [D] [F], d'origine guadeloupéenne, disant que sa compagne avait un échange avec Monsieur [H] en français ;

- attestation de [U] [K] : « Durant ma vie, je me suis adressée à mon grand-père en français, avec lequel j'ai toujours su communiquer, et même par téléphone. »

- attestation d'[L] [I] : « Je suis née à [Localité 14], j'ai grandi en Métropole, je comprends le créole mais je ne le parle pas. Je me suis toujours adressé à mon grand-père en français. Il parlait lentement et cherchait quelques fois ses mots en français. Il regardait des émissions de télé et écoutait la radio en français. »

- attestation de [B] [P] : « Mon père et Monsieur [H] étaient employés d'usine. Monsieur [H] transporteur. J'ai côtoyé cette personne toute mon enfance, et je peux affirmer que Monsieur [H] comprenait le français, même s'il s'exprimait en créole, sa langue maternelle, avec laquelle il était plus à l'aise. »

- attestation de [A] [E], qui témoigne que : « Monsieur [H] suivait les émissions le soir en français, particulièrement les infos et les jeux télévisés. »

- attestation de [G] [LF], époux d'une fille de [ZO] [I] [H], qui indique s'être rendu plusieurs fois en Guadeloupe avec son fils issu d'un premier mariage, et avoir toujours pu communiquer avec Monsieur [H].

Sont également versés aux débats :

-l'acte notarié du 15 janvier 1968 portant sur l'acquisition d'un bien par [N] [J] [H] et son épouse ;

-l'acte notarié d'acquisition par [N] [J] [H] et son épouse d'un bien en date du 18 mars 1976 ;

-la liquidation du régime matrimonial des époux [H] / [EC] après leur divorce,

tous actes rédigés en français.

[N] [J] [H] a été entendu devant Mme [GE], juge des tutelles, le 18 septembre 2015, qu'aucune mention de la langue utilisée ni de la présence d'un interprète ne figure au procès-verbal rédigé en français au cours duquel l'intéressé s'est longuement expliqué en présence de son conseil Maître [M], et de sa nièce Mme [V] [H], de son fils M. [ZO] [I]-[H] et de l'épouse de ce dernier Mme [Z] [O], personnes elles-mêmes entendues au procès-verbal.

Lors de son audition, [N] [J] [H] a indiqué :« [XM] a adopté une enfant sans que je ne sois au courant et sans me le dire elle-même.

Je ne connais pas cette enfant, elle ne me connaît pas non plus. »

Il résulte du jugement rendu par le juge des tutelles le 20 octobre 2015, qui rappelle que la demande de mise sous tutelle avait été introduite par Madame [MW] [BO]-[H], que la mesure a été rejetée, le juge ayant estimé que [N] [J] [H] était parfaitement maître de sa volonté, et entouré, et qu'il pouvait parfaitement continuer à gérer ses affaires, ce qui démontre que les débats ont été clairs et que le de cujus a été parfaitement en mesure de s'expliquer et d'exprimer ses sentiments, notamment à l'égard de l'adoption qu'il n'a jamais acceptée.

Enfin, le fait d'être créolophone originaire des Antilles françaises n'est pas exclusif de celui de parler et comprendre le français, langue officielle dans ces mêmes Antilles.

Dans la pièce 45 que l'appelante voulait voir écarter des débats, le notaire a écrit :« Dans le prolongement de mon courrier, j'ai recueilli les dernières volontés sous sa dictée, en créole principalement, et en français. »

Le conseil du de cujus, Maître [X], qui l'assistait au moment de la rédaction du testament, a précisé qu'étant lui même était créolophone, et s'exprimant en français et en créole et qu'il n'y avait pas lieu de recourir à un interprète.

Le testament indique : « Ce testament dactylographié par [IS] [T] (collaboratrice du notaire) tel que dicté par le testateur au notaire. »

Il n'est donc pas démontré que le défunt, bien que créolophone, ne s'exprimait pas du tout en langue française, ni qu'il n'était pas du tout en mesure de comprendre le français et il importe peu, pour apprécier la validité du testament, que le testateur ait été illettré, puisqu'il suffit à la validité du testament authentique qu'il soit dicté par le testateur puis lui soit lu en application de l'article 972 du code civil.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [BO]-[H] de sa demande aux fins d'annulation du testament authentique de [N] [J] [H] reçu le 20 mai 2017 par Me [S] [X].

Sur les autres demandes de l'appelante

Faute d'annulation du testament instituant M. [ZO] [I]-[H] en qualité de légataire universel de [N] [J] [H], les autres demandes de Madame [MW] [BO]-[H] portant sur la remise de documents sous astreinte, une expertise judiciaire et des dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel et de son préjudice moral, ne sauraient prospérer, car non fondées, étant observé que la succession a fait l'objet d'une déclaration fiscale établie par Maître [S] [X] et que son contenu est connu.

Sur les demandes accessoires

En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.

L'équité commande de faire droit à la demande de l'intimé présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; l'appelante est condamnée à lui verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.

Partie perdante, l'appelante ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,

Dit n'y avoir lieu de prononcer la nullité du jugement ;

Confirme le jugement des chefs dévolus à la cour ;

Y ajoutant,

Déboute Madame [MW] [BO]-[H] de ses demandes plus amples ou contraires ;

Condamne Madame [MW] [BO]-[H] à payer à M. [ZO] [I]-[H] une indemnité de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [MW] [BO]-[H] aux dépens de l'appel.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 1
Numéro d'arrêt : 22/09575
Date de la décision : 22/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-22;22.09575 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award