La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/05/2024 | FRANCE | N°22/06614

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 mai 2024, 22/06614


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06614 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGB4W



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/09763





APPELANT



Monsieur [E] [Y]

[Adresse 2]

[Localité

5]



Représenté par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125





INTIMÉES



Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 1]

[Localité 6]



Représentée...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06614 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGB4W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Juin 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/09763

APPELANT

Monsieur [E] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représenté par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

INTIMÉES

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA IDF OUEST

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Claude-Marc BENOIT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1953

S.E.L.A.R.L. BDR & ASSOCIES prise en la personne de Maitre [A] [G] ès qualités de liquidateur de la société EXPERTS & ASSOCIES PATRIMOINE

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Georges-Henri LAUDRAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0174

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [Y] a été engagé le 1er septembre 2014 par la société Experts et Associés Patrimoine (EAP) en qualité de voyageur représentant placier (VRP) négociateur immobilier, par contrat à durée indéterminée, la convention collective applicable étant celle des administrateurs de biens, sociétés immobilières et agents immobiliers.

M. [Y] est devenu gérant de la société Experts et Associés Patrimoine le 15 avril 2015 et a été révoqué le 17 octobre 2018.

Par courrier daté du 30 novembre 2018, M. [Y] a notifié à la société Experts et Associés Patrimoine la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par jugements du 4 juin 2019 et du 26 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a prononcé le redressement judiciaire, puis la liquidation judiciaire de la société Experts et Associés Patrimoine, et désigné la société d'exercice libéral (SELARL) BDR & Associés, en la personne de Me [A] [F] en qualité de liquidateur judiciaire.

Sollicitant la reconnaissance de sa prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur, M. [Y] a saisi le 21 décembre 2018 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 13 juin 2022, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, et l'a condamné aux entiers dépens.

Par déclaration du 1er juillet 2022, M. [Y] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 3 octobre 2022, M. [Y] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 13 juin 2022, et statuant à nouveau,

- juger recevable et bien fondé son appel et l'intégralité de ses demandes,

- fixer son salaire moyen à la somme de 12 736,63 euros bruts par mois,

- juger que la prise d'acte de rupture de son contrat de travail aux torts de la société Experts et Associés Patrimoine est bien fondée,

- juger qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société Experts et Associés Patrimoine aux sommes suivantes :

- 3 073,56 euros à titre de rappel de salaire pour le mois d'octobre 2018,

- 3 073,56 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de novembre 2018,

- 21 581 euros à titre de rappel de commissions sur les mois d'octobre et novembre 2018,

- 2 772,81 euros au titre des congés payés afférents,

- 16 982,18 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 63 683,15 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 38 209,89 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 3 820 euros au titre des congés payés afférents,

- 13 373,46 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- juger que la décision est opposable à l'AGS dans la limite de sa garantie et des plafonds légaux,

- condamner la société BDR et Associés au paiement des sommes dues ou dépassant le plafond de garantie fixée au passif de la liquidation conformément à l'article L.622-17 du code de commerce,

- juger que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la société Experts et Associés Patrimoine de sa convocation devant le bureau de jugement,

- ordonner la remise par le mandataire liquidateur de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de paie d'octobre et novembre 2018 conformes au jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document manquant à compter de sa notification,

- condamner la société BDR et Associés aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 4 octobre 2022, l'AGS CGEA IDF Ouest demande à la cour de :

à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris,

- dire que M. [Y] n'a pas la qualité de salarié,

- le débouter de ses demandes,

à titre subsidiaire :

- dire ce que de droit sur le rappel de salaire,

- débouter M. [Y] de ses autres demandes,

à défaut,

- limiter à 1 mois le montant de l'indemnité pour licenciement injustifié,

- fixer au passif de la liquidation les créances retenues,

- dire le jugement opposable à l'AGS dans les termes et conditions de l'article L.3253-19 du code du travail,

- exclure l'astreinte de la garantie de l'AGS,

- exclure de l'opposabilité à l'AGS la créance éventuellement fixée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeter la demande d'intérêts légaux,

- dire ce que de droit quant aux dépens, sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

La SELARL BDR et Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Experts Associés Patrimoine, a constitué avocat mais n'a pas conclu.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 janvier 2024 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 1er mars 2024, l'arrêt devant être prononcé le 16 mai 2024 par mise à disposition au greffe.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le contexte de fraude et l'existence d'un contrat de travail

M. [Y] expose qu'il justifie d'un contrat de travail aux termes duquel il a été embauché en qualité de VRP à compter de septembre 2014, qu'il ne lui appartient pas de prouver que son contrat de travail n'a pas été suspendu durant sa nomination en tant que gérant, qu'il a perçu un salaire pour ses fonctions techniques de VRP tandis qu'il n'a pas été rétribué pour ses fonctions de mandataire social, qu'il était soumis à la subordination de la société EAP en la personne de son dirigeant de fait, M. [B] qui, au départ de la gérante, lui a demandé de reprendre temporairement la gérance n'étant pas titulaire de la carte de transaction immobilière (carte T) permettant à la société de réaliser son activité, qu'il n'a été qu'un 'homme de paille' sous l'emprise de ce dernier, qu'il a d'ailleurs dénoncé cette situation aux termes d'une plainte en date du 13 novembre 2018.

L'AGS CGEA d'Ile-de-France Ouest soutient que le contexte est frauduleux, que M. [Y] a sollicité l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire sans en aviser l'actionnaire majoritaire, M. [B], qui l'a immédiatement démis de ses fonctions de gérant et a sollicité la rétractation de la déclaration de cessation des paiements, que la qualité de salarié de M. [Y] entre le 15 avril 2018 et novembre 2018 est contestée, le contrat de travail ayant été suspendu pendant cette période, qu'il est en effet d'usage, en cas de cumul de fonctions d'établir deux contrats répartissant la part de rémunération venant payer chacune des fonctions, qu'une plainte a été déposée à l'encontre de M. [Y] pour abus de confiance et faux en écriture, et que ses rôle et fonctions étaient d'autant plus imbriqués qu'il s'agissait d'une entreprise de petite taille comprenant trois salariés.

Le cumul des fonctions sociales et salariales n'est admis que si l'intéressé dispose d'un contrat de travail effectif, ce qui suppose que celui qui s'en prévaut doit établir l'existence :

- de fonctions distinctes de celles du mandat social ;

- d'un lien de subordination dans l'exercice des fonctions salariales ;

- d'une rémunération versée en contrepartie du service salarié accompli.

S'il appartient en principe à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence et le contenu, la charge de la preuve est inversée en présence d'un contrat de travail apparent.

L'existence d'un contrat de travail écrit crée l'apparence d'un contrat de travail.

En l'absence d'écrit, l'apparence de contrat de travail susceptible d'entraîner un renversement de la charge de la preuve peut résulter de la délivrance au travailleur de documents divers, tels des bulletins de salaire et la déclaration unique d'embauche.

Il a ainsi été admis que la seule production des bulletins de paie suffit à créer l'apparence d'un contrat de travail lorsque l'intéressé n'est ni mandataire social ni associé.

Il appartient aux juges du fond, qui constatent l'existence d'un contrat de travail apparent, de rechercher si la preuve de son caractère fictif est rapportée par celui qui en conteste l'existence.

En l'espèce, aucun contrat de travail écrit n'est communiqué, mais M. [Y] verse aux débats une attestation de présence établie le 24 décembre 2015 par Mme [Z] [P], directrice administrative et financière de la société Experts et Associés Patrimoine, dans laquelle elle indique que M. [Y] est salarié dans les effectifs de la société depuis le 1er septembre 2014 et est toujours présent, ainsi que des bulletins de paie établis à son nom par la société Experts et Associés Patrimoine pour la période de septembre 2014 à septembre 2018, dont il résulte qu'il est entré dans l'entreprise le 1er septembre 2014 pour exercer les fonctions de négociateur immobilier VRP, moyennant un salaire mensuel brut de base de 1 445,38 euros pour un temps plein.

M. [Y] a été nommé en qualité de gérant le 15 avril 2015, de sorte que les bulletins de salaire qu'il communique pour la période antérieure suffisent à établir l'existence d'un contrat de travail apparent entre lui et la société Experts et associés Patrimoine avant la prise en charge de la gérance de l'entreprise.

Il est admis qu'un salarié devenu dirigeant de la société conserve la qualité de salarié pour laquelle il a été engagé, dès lors qu'il continue à exercer ses fonctions techniques antérieures, différentes de celles de pure gestion de l'entreprise.

Il revient donc à l'AGS CGEA Ile-de-France Ouest qui invoque la suspension du contrat de travail pendant la période d'exercice du mandat social par M. [Y], soit entre le 15 avril 2015 et novembre 2018, ainsi qu'un contexte frauduleux d'en rapporter la preuve, ce qu'elle ne fait pas.

Au soutien de ses prétentions, l'appelant verse aux débats :

- un courriel du 13 septembre 2015 aux termes duquel M. [K] [M] demande à M. [Y] de lui réserver le 'T4 ([Localité 9])'(sic) ;

- un courriel envoyé le 8 septembre 2016 à M. [Y] dans lequel Mme [C] [T] lui confirme son souhait de le rencontrer pour discuter de solutions de défiscalisation ;

- un courriel du 23 septembre 2016 adressé à M. [U] au sujet de son projet d'investissement aux termes duquel M. [Y] lui communique différents éléments et lui confirme qu'il bénéficie de deux places de parking avec l'appartement ;

- un courriel du 13 juin 2017 ayant pour objet 'loi Pinel' aux termes duquel Mme [A] [O] pose des questions sur la 'rentabilité à 10 ans' d'un immeuble, la valeur de l'effort d'épargne, la proportion des logements 'propriétaires et locatifs (loi Pinel)' de l'immeuble, la possibilité d'augmenter le loyer si '[Localité 7] passe en zone A', et la possibilité de négocier la place de parking avec le promoteur ;

- un courriel ayant pour objet ' Dossier [V]/[L]' du 15 février 2018 dans lequel M. [Y] indique à M. [V] qu'il transmet son dossier à Mme [H] et lui demande les coordonnées de son banquier ;

- un courriel ayant pour objet 'réservation appartement sur [Localité 8]' adressé le 30 avril 2018 à M. [Y] aux termes duquel M. [R] [X] confirme sa réservation du lot 28 en T3 suite à leur entretien et à la visite de l'emplacement de l'immeuble.

Ces pièces révèlent que M. [Y] est intervenu à six reprises pour donner des renseignements au sujet de projets immobiliers, réserver des immeubles ou transmettre un dossier, ce qui est insuffisant pour établir qu'il a accompli des actes techniques et spécifiques à la fonction de VRP négociateur immobilier du 15 avril 2015, date à laquelle il est devenu gérant, au 17 octobre 2018, soit sur une période de 30 mois, d'autant que l'appelant ne communique aucun document relatif à la détermination précise des fonctions salariées de VRP invoquées, et que l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) Experts et associés Patrimoine était de petite dimension, ne comptant que trois salariés.

De même les quatre tableaux de commissions mentionnant son nom, communiqués par M. [Y] ne permettent pas d'établir qu'il a effectivement exercé les fonctions de VRP négociateur immobilier alors qu'il était gérant de la société, dès lors que leur provenance n'est pas établie, qu'ils ne sont étayés par aucun élément objectif, que l'un des tableaux n'est pas daté, que ceux relatifs à décembre 2016 et décembre 2017 ne font état que de deux clients associés à la société Tagerim en qualité de promoteur, et que celui afférent à l'année 2015 liste six clients en juin et juillet 2015 dont un seul ('Meulemeester') est associé à la société 'Patrimoine & Associés' en qualité de promoteur.

M. [Y] qui prétend que le véritable gérant de la société EAP était en réalité M. [B], son associé unique, verse aux débats :

- des courriels échangés en mai et juin 2018 entre M. [B] et un interlocuteur de la banque CIC pour rétablir les lignes de découvert de l'entreprise,

- un courriel en réponse adressé à M. [B] le 17 octobre 2018, dans lequel M. [Y], d'une part, conteste avoir déserté la direction de l'entreprise, d'autre part, expose ses désaccords au sujet de son entrée au capital social de la société, d'un éventuel prêt de 400 K€ à contracter dans l'attente de 'réinjecter' 200K€ en compte-courant, des virements effectués au profit de la société GEA, de la gestion de fait par M. [B] , et enfin, confirme son souhait de quitter la société EAP en qualité de gérant et de salarié.

Cependant ces éléments, qui sont intervenus en 2018 dans un contexte de difficultés financières de la société Experts et Associés Patrimoine, ne mettent en exergue aucun acte de gestion sociale, interne ou externe de la société de la part de M. [B] avant juin 2018, époque à laquelle il s'est inquiété de la situation économique de l'entreprise en sa qualité d'associé unique et de caution personnelle.

Les courriels échangés en septembre 2016 par M. [Y] avec la banque CIC, en la personne de Mme [S], révèlent quant eux qu'en sa qualité de gérant, il a été le seul à pouvoir faire fonctionner les comptes bancaires de l'entreprise jusqu'à fin septembre 2016, les procurations données à M. [B] et à Mme [P] ayant été rétablies à cette date.

Par ailleurs, le 10 octobre 2018, M. [Y], toujours en sa qualité de gérant, a, sans en aviser l'actionnaire majoritaire, procédé à la déclaration de cessation des paiements de l'entreprise en vue de son redressement judiciaire, exposant notamment, dans un courrier du 13 novembre 2018 adressé au procureur de la République, être en désaccord avec M. [B], qualifié de 'véritable maître de l'affaire', avoir agi ainsi 'pour éviter que la trésorerie de la société EAP ne s'évapore', son compte bancaire étant débiteur de 49 K€ et des virements ayant été réalisés en septembre et octobre 2018 par la directrice administrative et financière au bénéfice de la société holding GEA à hauteur de 67 000 euros.

Il convient en outre de relever qu'aucune pièce de la procédure ne révèle que M. [Y] aurait reçu des directives ou consignes de la part de M. [B] dans quelque domaine que ce soit, lequel a d'ailleurs, en se fondant sur le rapport de l'administrateur judiciaire , déposé plainte contre l'appelant le 29 janvier 2019, lui reprochant d'avoir falsifié des éléments variables de paies afin de s'octroyer frauduleusement un salaire plus élevé, d'avoir détourné des fonds, établi des fausses factures à l'intention de la banque CIC Factor, d'avoir détruit l'intégralité de sa boîte mail professionnelle, outre des soupçons sur une opération de détournement de clients menée avec Mme [H] [J], licenciée le 14 novembre 2018 et également visée par une plainte.

Dans ces conditions, M. [Y] ne peut prétendre n'avoir été qu'un 'gérant de paille'.

Il résulte de ce qui précède que M. [Y] n'établit pas avoir effectivement exercé à compter du 15 avril 2015, outre ses fonctions de gérant, des attributions techniques spécifiques à la fonction de VRP négociateur immobilier.

En outre, l'appelant ne verse aucune pièce pouvant révéler qu'il devait rendre compte de son activité, qu'il était contrôlé dans ce cadre et susceptible d'être sanctionné.

Dans ce contexte, la rémunération perçue par M. [Y] à compter du 15 avril 2015 peut être considérée comme étant la contrepartie d'un service salarié effectué en qualité de gérant, mais nullement en qualité de VRP négociateur immobilier.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que le contrat de travail relatif aux fonctions de VRP négociateur immobilier conclu entre la société Experts & Associés Patrimoine et M. [Y] a été suspendu pendant la période lors de laquelle il a été gérant de cette dernière.

Sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail et les demandes en paiement

L'appelant estime que l'employeur a commis de graves manquements à savoir le non-paiement du salaire d'octobre 2018 alors que tous les autres salariés avaient reçu le paiement de leur salaire par virement le 2 novembre 2018, l'absence de fourniture de rendez-vous pour les nouveaux prospects, le non-paiement des charges sociales et de l'intégralité du bonus annuel, ainsi que le chantage pour le contraindre à prendre une participation dans le capital de la société, de sorte que sa prise d'acte de rupture est justifiée et doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ses demandes indemnitaires et de rappel de salaires étant ainsi justifiées.

L'AGS CGEA d'Ile de France Ouest répond que M. [Y] qui était gérant, ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, que la prime sollicitée n'est démontrée ni dans son principe, ni dans son montant, qu'il est actuellement dirigeant et salarié d'une société, que dans ses conditions il doit être considéré comme démissionnaire et être débouté de ses demandes qui ne sont pas justifiées, et, subsidiairement, doivent être revues à la baisse.

Il convient de rappeler que lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il est de principe constant que l'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige, et que le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.

Aux termes du courrier de prise d'acte de rupture de son contrat de travail du 30 novembre 2018, M. [Y] reproche à la société Experts & Associés Patrimoine :

- le non-paiement du salaire du mois d'octobre 2018,

- l'absence de fourniture de nouveaux prospects depuis plus d'un mois,

- le fait que, depuis le changement de gérance en date du 17 octobre 2018, l'entreprise ne dispose pas de carte T, essentielle à l'activité de l'entreprise pour pouvoir encaisser les commissions promoteurs, les honoraires clients et aller voir des prospects,

- le non-paiement des charges sociales,

- le non-paiement de l'intégralité de son bonus annuel.

La demande en paiement de commissions pour les ventes réalisées en octobre 2018 et novembre 2018 formulée par l'appelant est fondée sur un tableau non daté qu'il a établi en page 24 de ses conclusions, mais n'est justifiée par aucune pièce.

Il en est de même s'agissant des griefs relatifs au chantage imputé à M. [B], à l'absence de fourniture de prospects, de carte T et de non-paiement des charges sociales.

En revanche, il est établi et non contesté que M. [Y] n'a pas perçu les salaires des mois d'octobre et novembre 2018, étant précisé que même si son contrat de travail en tant que VRP négociateur immobilier a été suspendu lorsqu'il était titulaire d'un mandat social, il résulte des éléments de la procédure et notamment des bulletins de salaire qu'il a perçu une rémunération en qualité de gérant, le contrat de travail en tant que VRP négociateur immobilier reprenant quant à lui effet de plein droit à l'expiration du mandat social, soit le 17 octobre 2018.

Le paiement de la rémunération de M. [Y] n'ayant manifestement jamais connu d'incident avant octobre 2018, soit en quatre ans de relation de travail avec la société Experts & Associés Patrimoine, et le non-versement des rémunérations des mois d'octobre et novembre 2018 intervenant dans un contexte de perturbation de l'entreprise en lien avec la déclaration de cessation des paiements régularisée par M. [Y] lui-même, et l'absence de gérant, il ne peut être considéré qu'il s'agit d'un manquement suffisamment grave de la part de la société Experts & Associés Patrimoine rendant impossible la poursuite du contrat de travail.

En conséquence, il doit être considéré que la prise d'acte a eu les effets d'une démission, de sorte que les demandes formulées au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent être rejetées, par confirmation du jugement entrepris de ce chef.

Il sera en revanche fait droit aux demandes au titre des salaires d'octobre 2018 et de novembre 2018, et de congés payés afférents, le salaire mensuel brut à retenir étant de 3 073, 56 euros au regard des bulletins de salaires versés aux débats pour les années 2017 et 2018, le jugement déféré devant être infirmé de ce chef.

En revanche et au regard de ce qui a été précédemment exposé, les demandes de rappel de commissions pour les mois d'octobre et novembre 2018 seront rejetées.

En conséquence, il convient de fixer au passif de la société Experts & Associés Patrimoine la somme de 6 147,12 euros au titre des salaires d'octobre et novembre 2018, et la somme de 614,71 euros au titre des congés payés afférents, les plus amples demandes étant rejetées.

Sur les intérêts

En application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil et R.1452-5 du code du travail, il est de principe que les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d'argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi (rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement, s'agissant d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance, et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Il convient cependant de rappeler qu'en vertu des articles L.622-28, L. 631-14 et L.641-3 du code de commerce, le jugement d'ouverture de la procédure collective arrête le cours des intérêts légaux et conventionnels ainsi que de tous intérêts de retard et majorations, étant précisé que ces dispositions ne s'appliquent qu'aux intérêts des créances dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, comme en l'espèce.

En application de ces textes, M. [Y] a droit aux intérêts de retard au taux légal sur ses créances salariales pour la période du 28 décembre 2018, date de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement, au 4 juin 2019, date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire.

Sur la remise de document

La remise d'une attestation France travail anciennement dénommée Pôle emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire rectificatif conformes à la teneur du présent arrêt s'impose sans qu'il y ait lieu de prévoir une astreinte, compte tenu notamment de la situation économique de la société Experts & Associés Patrimoine .

Sur la garantie de l'AGS

Il convient de rappeler que l'obligation de l'AGS de procéder à l'avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail se fait dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15, L. 3253-17, L. 3253-19 à L.3253-21 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L. 3253-17 et D. 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créance par le mandataire judiciaire.

Le présent arrêt devra être déclaré opposable à l'AGS CGEA d'Ile de France Ouest.

Sur les dépens

Eu égard à la solution du litige le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné M. [Y] aux entiers dépens.

Compte tenu de la situation économique de la société Experts et Associés Patrimoine, il convient de dire que chacune des parties supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel, les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile formulées par M. [Y] étant quant à elles rejetées par confirmation du jugement s'agissant des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement des salaires d'octobre et novembre 2018 outre les congés payés afférents, ainsi qu'en ses dispositions relatives à la remise des documents de fin de contrat et aux dépens,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

FIXE au passif de la société Experts et Associés Patrimoine la somme de 6 147,12 euros au titre des salaires d'octobre et novembre 2018, et la somme de 614,71 euros au titre des congés payés afférents,

RAPPELLE qu'en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, R.1452-5 du code du travail, L.622-28, L. 631-14 et L.641-3 du code de commerce, M. [Y] a droit aux intérêts de retard au taux légal sur ces créances salariales pour la période du 28 décembre 2018, date de l'accusé de réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement, au 4 juin 2019, date d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire,

ORDONNE la remise par la société BRD & Associés, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Experts et Associés Patrimoine, d'une attestation France Travail anciennement dénommée Pôle emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la teneur du présent arrêt, au plus tard dans le mois suivant son prononcé,

DIT n'y avoir lieu d'assortir l'obligation de remise des documents d'une astreinte,

DÉCLARE le présent arrêt opposable à l'AGS-CGEA Ile-de-France Ouest qui ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-19 et L.3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d'un relevé de créances par le mandataire judiciaire,

DIT que chacune des parties supportera la charge de ses dépens de première instance et d'appel,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

DÉBOUTE M. [E] [Y] de ses demandes au titre des frais irrépétibles d'appel,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/06614
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.06614 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award