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16/05/2024 | FRANCE | N°22/06560

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 mai 2024, 22/06560


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06560 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBMY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° F20/00404





APPELANT



Monsieur [S] [Z]

[Adresse 6]

[Localité

3]



Représenté par Me Carole VANDERLYNDEN, avocat au barreau d'ESSONNE





INTIMÉE



ASSOCIATION COMITÉ DEPARTEMENTAL POUR LA SAUVEGARDE DE L'ENFAN T A L'ADULTE DE L'ESSONNE (CDSEA 91)

[...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06560 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBMY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Avril 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° F20/00404

APPELANT

Monsieur [S] [Z]

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représenté par Me Carole VANDERLYNDEN, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMÉE

ASSOCIATION COMITÉ DEPARTEMENTAL POUR LA SAUVEGARDE DE L'ENFAN T A L'ADULTE DE L'ESSONNE (CDSEA 91)

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Stéphane PICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1367

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Sandrine MOISAN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère, rédactrice

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [S] [Z] a été engagé le 1er novembre 2008 par l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne (CDSEA 91), en qualité de directeur de la maison d'enfants à caractère social (MECS) de [Localité 7], par contrat à durée indéterminée à temps complet, la convention collective applicable étant celle des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

En vertu de ses statuts, le CDSEA 91 est chargé 'd'exercer un rôle général d'animation et de promotion en matière d'accueil, de garde, d'observation, de traitement, d'éducation, de réadaptation et de réinsertion sociale des enfants, des adolescents ou adultes inadaptés, et des handicapés de toutes catégories et de tous âges'.

A compter du 25 août 2018, le salarié a été placé en arrêt de travail pour une maladie non professionnelle de longue durée.

Par courrier avec accusé de réception du 9 avril 2020, le CDSEA 91 a convoqué M. [Z] à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixé au 21 avril suivant.

Par courrier du 22 avril 2020 qui n'a pu être remis par le coursier en raison de l'absence de M. [Z], le CDSEA 91 l'a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 29 avril 2020.

Le 23 avril 2020, l'employeur a adressé une lettre recommandée avec accusé de réception au salarié ayant pour objet "présentation des motifs à l'origine du licenciement".

Le 25 avril 2020, le CDSEA 91 a notifié à M. [Z] son licenciement pour absence prolongée nécessitant son remplacement définitif.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, par requête du 23 juillet 2020, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry-Courcouronnes qui, par jugement du 26 avril 2022, a :

- dit irrégulière la procédure de licenciement menée à l'encontre de M. [Z],

- condamné l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne à payer à M. [Z] les sommes suivantes :

- 5 147,68 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes,

- débouté l'association de sa demande reconventionnelle et condamné celle-ci aux dépens.

Par déclaration du 30 juin 2022, M. [Z] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 3 mars 2023, M. [Z] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne à lui payer les sommes suivantes :

- 5 147,68 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure irrégulière,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande tendant à dire sans cause réelle ni sérieuse la mesure de licenciement prise à son encontre, et statuant à nouveau :

- ordonner la requalification du licenciement pris à son encontre en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne à lui verser la somme de 61 772 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- y ajoutant, condamner l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne aux entiers dépens d'appel et à lui payer la somme de 3 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 6 décembre 2022, l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne demande à la cour de :

- sur le bien-fondé du licenciement :

à titre principal :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute M. [Z] de l'intégralité de ses demandes au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, et en conséquence,

- débouter M. [Z] de l'ensemble de ses demandes formulées en cause d'appel,

à titre subsidiaire, en cas d'infirmation du jugement :

- juger que M. [Z] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice, et en conséquence,

- réduire le montant des dommages-intérêts alloués au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 15 420,75 euros, en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail,

- sur la régularité du licenciement :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il la condamne à verser à M. [Z] la somme de 5 147,68 euros à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier, et statuant à nouveau,

- à titre principal, débouter M. [Z] de sa demande de condamnation à titre de licenciement irrégulier, faute de justifier d'un quelconque préjudice,

- à titre subsidiaire, la condamner à verser à M. [Z] la somme de 100 euros à titre d'indemnité pour licenciement irrégulier,

- sur les autres demandes :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il la condamne à verser à M. [Z] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il déboute l'association de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et statuant à nouveau,

- débouter M. [Z] de sa demande de condamnation de l'association au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- à titre incident, condamner M. [Z] à la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en première instance,

- à titre reconventionnel, condamner M. [Z] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés en cause d'appel,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'association aux dépens en première instance, et statuant à nouveau,

- débouter M. [Z] de sa demande de condamnation de l'association aux dépens,

- condamner M. [Z] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 janvier 2024 et l'audience de plaidoiries a été fixée au 1er mars 2024, l'arrêt devant être prononcé par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement

Sur la régularité de la procédure

Le salarié soutient que la procédure de licenciement est irrégulière, l'entretien téléphonique qu'il a eu avec Mme [H] le 23 avril 2020 ne pouvant constituer l'entretien préalable, qu'il n'a pas reçu la première convocation à l'entretien préalable en raison d'une erreur d'adressage commise par l'employeur, qu'une nouvelle convocation lui a été adressée par courrier du 22 avril 2020, l'entretien préalable étant fixé au 29 avril 2020, lequel n'a cependant jamais eu lieu, l'employeur estimant que la conversation téléphonique du 23 avril 2020 valait entretien préalable et lui notifiant son licenciement le 25 avril 2020, soit moins de 48 heures après cette conversation.

L'employeur, appelant incident de ce chef, conteste le caractère irrégulier du licenciement, estimant que le salarié ne l'a pas informé de son changement d'adresse, que le 22 avril 2020 le coursier chargé de lui remettre une nouvelle convocation à un entretien préalable fixé le 29 avril 2020 s'est heurté à son absence, que compte tenu du confinement un entretien en visioconférence lui était proposé, que le 23 avril 2020 un courriel a été envoyé à M. [Z] pour lui expliquer les motifs du licenciement, que le même jour il a appelé la directrice générale pour exposer ses arguments, que le licenciement a été notifié le 25 avril 2020 soit 4 jours après la date de l'entretien préalable initialement et régulièrement fixé.

L'article L. 1232-2 du code du travail dispose : 'L'employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable.

La convocation est effectuée par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge. Cette lettre indique l'objet de la convocation.

L'entretien préalable ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la lettre de convocation.'

Le délai minimal de cinq jours entre la convocation à l'entretien préalable de licenciement et la tenue de cet entretien constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance vicie la procédure de licenciement.

Selon l'article L. 1232-4 du même code, 'la lettre de convocation à l'entretien préalable adressée au salarié mentionne la possibilité de recourir à un conseiller du salarié et précise l'adresse des services dans lesquels la liste de ces conseillers est tenue à sa disposition.'

En vertu de l'article L. 1232-3 du même code, 'au cours de l'entretien préalable, l'employeur indique les motifs de la décision envisagée et recueille les explications du salarié'.

L'entretien préalable, lors duquel le salarié peut se faire assister, doit lui permettre de se défendre contre les griefs formulés par son employeur. Il ne peut être remplacé ni par une conversation téléphonique, ni par un entretien informel.

L'article L. 1232-6 du même code dispose que : 'Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué.'

M.[Z] justifie de l'envoi par l'employeur à une mauvaise adresse du courrier du 9 avril 2020 de convocation à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement, l'avis de passage du facteur du 24 avril 2020 relatif à ce courrier mentionnant une adresse '[Adresse 2], alors que l'adresse du salarié était à l'époque '[Adresse 1]' dans cette commune, comme indiqué sur les bulletins de paie et les différents courriers qui lui ont été adressés par l'employeur.

Ainsi, ce courrier ne peut être considéré comme une convocation valable à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement.

Il en est de même pour le courrier du 22 avril 2020 convoquant le salarié à un entretien préalable du 29 avril suivant, dès lors qu'il ne lui a pas été remis par le coursier.

Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l'entretien téléphonique que le salarié a eu avec Mme [H], directrice générale du CDSEA 91, le 23 avril 2020, ne peut être constitutif d'un entretien préalable valable au sens de l'article L. 1232-3 du code du travail.

Dans ces conditions, le courrier de licenciement qui a été notifié au salarié le 25 avril 2020 n'est pas conforme aux dispositions de l'article L. 1232- 6 du code du travail, en ce qu'il a été expédié malgré l'absence d'entretien préalable.

Il s'ensuit que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a dit irrégulière la procédure de licenciement menée à l'encontre de M. [Z].

Sur le motif du licenciement

La lettre de licenciement du 25 avril 2020 adressée à M. [Z] est ainsi rédigée :

'(...) Le poste de Directeur requiert ainsi un haut niveau de qualification et une expérience significative dans le secteur social et médico social.

Ce poste est par conséquent stratégique.

Vous êtes en situation d'arrêt de travail depuis le 25 août 2018 pour une maladie d'origine non professionnelle. Votre absence depuis maintenant 20 mois perturbe grandement tant le fonctionnement de l'établissement précité, que l'Association et impose de procéder à un remplacement pérenne dans les plus brefs délais.

La perturbation résulte des constats objectifs suivants : difficultés de recruter les salariés de l'établissement, difficultés pour l'élaboration des comptes administratifs de l'année n-1, difficultés pour le suivi des travaux en cours au sein de l'établissement, difficultés à garantir au sein de l'établissement des conditions de travail sécures pour les salariés, difficultés pour assurer les astreintes'

Faute de pouvoir recruter un salarié en contrat précaire de type CDD, nous ne pourrons assurer nos missions vis-à-vis des autorités de contrôle et de tarification que des publics accueillis. (Sic)

Par ailleurs, il ne nous a pas été possible, compte tenu des fonctions que vous exercez de procéder à votre remplacement dans des conditions qui permettent de garantir un fonctionnement satisfaisant de l'établissement et donc de l'Association.

Madame [C] [M], alors directrice adjointe de l'établissement a assuré l'intérim de la fonction de direction. Mesdames [I] [B] et [D] [P] ont été promues chefs de service à la même date. Nous n'avons donc pas pu pallier à votre absence par la mise en oeuvre d'une solution pérenne de remplacement.

Depuis le 7 avril 2020, Madame [C] [M] ne fait plus partie des effectifs du CDSEA et nous ne sommes plus en mesure de maintenir le fonctionnement de l'établissement dans de bonnes conditions.

Dans ces conditions, votre remplacement par un salarié sous contrat de travail à durée déterminée déjà compromis du fait de l'expertise nécessaire à ce poste était tout simplement impossible. Vous avez d'ailleurs reconnu que, compte tenu des enjeux de l'établissement, de l'enveloppe budgétaire, il n'était pas possible de recruter un directeur en CDD.

Cette situation a occasionné une mobilisation sans précédent de la Direction Générale qui a été mise en place au détriment de ses missions habituelles, désorganisant par la même occasion l'Association.

En effet nous avons été contraints d'assurer l'ensemble des missions de la fonction de direction y compris les astreintes pour permettre à cette institution de fonctionner dans des conditions optimum.

Votre absence prolongée qui perturbe le bon fonctionnement de l'établissement et de l'association rend nécessaire votre remplacement définitif dans les plus brefs délais.

Dès lors, nous somme contraints, conformément aux dispositions de la convention collective applicable, de mettre fin à votre contrat de travail pour cause d'absence prolongée occasionnant une perturbation et une désorganisation de notre activité. (...)'

Le salarié expose qu'il n'est justifié ni d'une perturbation de l'association, ni de l'obligation de le remplacer de façon définitive puisque dès février 2019 le CDSEA savait qu'il serait définitivement absent, qu'il a été remplacé par Mme [M] en juillet 2019, que le fait que cette dernière ait été licenciée pour faute grave n'enlève rien au fait qu'il avait été remplacé définitivement dès 2019, aucune explication n'étant d'ailleurs donnée sur le fait que l'employeur ait attendu près de deux ans pour le remplacer définitivement, et qu'en réalité M. [N] a été recruté pour remplacer Mme [M], de sorte que ses demandes sont justifiées.

L'employeur répond que le licenciement de M. [Z] tiré de son absence prolongée nécessitant son remplacement définitif est justifié, qu'il exerçait les fonctions de directeur au sein de la MECS de [Localité 7], essentielles au bon fonctionnement de l'association, que son arrêt de travail a fait l'objet de renouvellements successifs ne permettant pas de rendre prévisible sa date de retour, que Mme [M] a, outre ses fonctions habituelles, assuré l'intérim de la fonction de direction, qu'elle a rencontré et signalé d'importantes difficultés et une surcharge de travail liées au remplacement de M. [Z], qu'ainsi la désorganisation du service est démontrée.

Il explique que l'impossibilité de pourvoir au remplacement du salarié de façon temporaire réside principalement dans les particularités propres au secteur médico-social qui nécessitent, pour un poste de directeur d'établissement social ou médico-social, une expérience significative dans le secteur et un haut niveau de qualification, que la convention collective du 15 mars 1966 comportant une clause de garantie d'emploi durant les six premiers mois de l'arrêt de travail, Mme [M] , directrice adjointe de la MECS a assuré l'intérim de la fonction de direction, que cette dernière a quitté les effectifs de l'association le 7 avril 2020 après un arrêt maladie prolongé à compter du 20 décembre 2019, que ne disposant plus de solution de remplacement, il a recruté M. [N] [A] à compter du 11 mai 2020, le licenciement de ce dernier, intervenu huit mois après son embauche, et les remplacements en cascade qui ont suivi étant sans rapport avec l'objet du litige.

Il indique, à titre subsidiaire, que les demandes indemnitaires devront être revues à la baisse, aucun préjudice n'étant démontré.

Selon l'article L.1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

Il est de principe que si la maladie n'est pas en soi une cause légitime de rupture du contrat de travail, ses conséquences peuvent, dans certains cas, justifier la rupture si l'employeur établit, d'une part, que l'absence du salarié entraîne des perturbations dans le fonctionnement normal de l'entreprise , d'autre part, que le remplacement définitif du salarié absent est une nécessité.

Ce remplacement doit intervenir à une date proche du licenciement ou dans un délai raisonnable.

L'appréciation du caractère réel et sérieux des perturbations alléguées s'apprécie au jour de la rupture, et se fait au regard notamment de l'activité de l'entreprise, des caractéristiques de l'emploi, ainsi que de la qualification et des responsabilités du salarié absent.

Le remplacement définitif suppose l'embauche d'un nouveau salarié sous contrat à durée indéterminée, ce qui n'est pas le cas en présence du remplacement du salarié à son poste de travail par une promotion interne.

En l'espèce, il est établi et non contesté que M. [Z], qui occupait les fonctions de directeur de la MECS de [Localité 7], a été absent de façon prolongée à compter du 25 août 2018.

L'activité de cet établissement consiste en l'accueil d'adolescents confiés à l'aide sociale à l'enfance dans le cadre de mesures de placement, ou bénéficiant d'un contrat 'jeune majeur', nécessitant un soutien éducatif continu.

Il résulte du contrat de travail et de la fiche de missions déléguées au directeur communiqués aux débats, qu'en sa qualité de directeur, M. [Z] était 'responsable du projet d'établissement, de sa mise en oeuvre et du fonctionnement général des services', et avait notamment en charge les missions suivantes :

- la mise en oeuvre des décisions du conseil d'administration, du bureau et de la direction générale de l'association ainsi que de décliner sa politique générale dans ses aspects déontologiques, techniques, de gestion et de management des ressources humaines, de gestion administrative et financière et de communication interne et externe ;

- l'élaboration et le pilotage du projet d'établissement ;

- la coordination des institutions et des intervenants extérieurs ;

- la gestion du personnel (35 salariés) et du fonctionnement des instances internes ;

- la gestion administrative et organisationnelle ;

- la gestion budgétaire et financière de la MECS.

Le salarié disposait en outre d'une délégation de pouvoirs établie par la directrice générale de l'association, afin de lui 'permettre de prendre les décisions nécessaires au bon fonctionnement de la M.E.C.S. de [Localité 7], d'y assurer le contrôle des procédures internes et de veiller, en toutes circonstances, à la rigoureuse application des règles en vigueur', le tout démontrant le haut niveau de responsabilité dont il était investi pour faire fonctionner l'établissement.

Il ressort des organigrammes communiqués aux débats que le CDSEA 91 est composé d'un conseil d'administration, d'une direction générale en la personne de sa directrice, Mme [H], dont dépendent cinq établissements aux spécificités et directions différentes, dont la MECS de [Localité 7], elle-même composée d'une direction et de quatre services (service éducatif, service paramédical, services généraux et service administratif), le poste de directeur étant hiérarchiquement le plus élevé au sein de l'établissement.

Il s'ensuit que le salarié occupait une fonction spécifique à haut niveau de responsabilité dans le domaine de la protection de l'enfance, centrale et indispensable tant au bon fonctionnement de la MECS, placée sous l'autorité de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), que du CDSEA 91, dès lors qu'au regard de son fonctionnement et de l'organigramme, sa direction générale n'a pas vocation à diriger directement ses différents établissements.

L'employeur justifie avoir dans un premier temps pu remplacer M. [Z] en interne, dans la mesure où l'intérim de la direction de l'établissement a été confié à Mme [M], directrice adjointe.

Il ne peut être soutenu que cette dernière aurait été promue aux fonctions de directrice car elle explique dans un courrier du 25 août 2019 adressé à l'employeur qu'elle a 'exercé l'intérim du poste de directeur en plus de son poste de directrice adjointe'.

Si la perturbation de l'entreprise a pu être palliée dans un premier temps par une nouvelle répartition du travail entre les salariés, cette solution n'a pas été pérenne puisque Mme [M] a, dans ce même courrier du 25 août 2019, fait part de ses difficultés à Mme [H], selon les termes suivants : '(...) Je reviens vers vous concernant le paiement et/ou la récupération des heures de travail supplémentaires. En effet, depuis septembre 2018, mes horaires de travail n'ont cessé de s'accroître en même temps que ma charge de travail, comme je l'avais évoqué à Mme [R] (directeur général du Comité Départemental de Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne) et à vous même à plusieurs reprises.

Pour rappel, depuis septembre 2018, voici les raisons pour lesquelles j'ai dû réaliser des heures supplémentaires sans possibilité de les récupérer :

- sur le plan des ressources humaines :

' intérim du poste de directeur en plus de mon poste de directrice adjointe. Aucune transmission n'a pu être faite avec M. [Z] qui n'a pas non plus contacté la structure pour donner des informations, sauf un mail en date du 26 août 2018.

' Mme [B] et Mme [P] sont coordinatrices et n'ont pas de responsabilité hiérarchique, elles sont présentes depuis 1 an pour l'une et 9 mois pour l'autre. Elles n'acquièrent la signature de chèque qu'à ma demande le 21 janvier 2019. Les coordinatrices ne sont devenues chefs de service qu'à compter du 1er avril 2019. (...)

- sur le plan des démarches à effectuer :

' sans aucune information de la part de M. [Z], j'ai dû trouver et gérer sans accompagnement extérieur l'ensemble des tâches liées à la direction : suivi de l'activité, facturation, suivi de la maintenance, réalisation du rapport d'activité, d'un diagnostic demandé par le département, doublure de toutes les astreintes des coordinatrices.

' j'ai dû en même temps assumer les responsabilités de directrice adjointe : appui technique descoordinatrices, réalisation des admissions, réunions de travail, gestion des projets'

' en ce qui concerne le suivi de la maintenance, après constatation de grands manquements, il a été nécessaire de faire le point sur tous ces aspects et de remettre à jour et de relancer l'ensemble des entreprises ( revoir les contrats') et ce sans personnel.

- sur le plan de la restructuration

' depuis le 22 février dernier jusqu'au mois d'octobre 2019 avec l'arrivée de M. [Y] (chef de service technique), j'ai assuré seule, sans assistance à maître d'ouvrage, les réunions de chantiers. Même si M. [R] n'a pas pu être présent à chaque réunion, je l'ai toujours tenu informé de l'avancée des travaux, parfois avec photos à l'appui. J'ai également dû assurer et assumer toute l'organisation liée aux travaux à savoir les nombreuses réunions d'information au public et aux salariés, les déménagements, l'organisation de l'été'

- sur le plan associatif

' je me suis toujours montrée présente à toutes les réunions nécessaires ( CA, CSE, CSEC, avec le département) afin de continuer les missions, notamment en accueillant le CA au sein de la MECS en soirée avec un repas. (...)

L'arrivée de différents salariés (secrétaires, coordinatrice technique, chefs de service technique') n'ont pas permis de stabiliser mes horaires puisqu'une période d'observation était nécessaire et j'ai dû les accompagner dans ce sens.

Au regard de toutes les missions assumées cette dernière année, je souhaiterais pouvoir bénéficier du paiement et/ou des récupérations des 258 heures supplémentaires que j'ai réalisées. Par ailleurs, je ne crois pas avoir eu ( sauf erreur de ma part) une quelconque rétribution pour le remplacement du directeur et pour toutes les tâches assumées au cours de cette année pour que l'établissement puisse continuer à fonctionner, pour que le public puisse continuer à être accueilli dans de bonnes conditions et maintenir la motivation des équipes et pour rester en conformité au regard de la commission de sécurité ayant eu lieu en 2016.

Je me tiens à votre disposition et/ou à disposition des membres du conseil d'administration pour échanger sur ce sujet et trouver une solution qui satisfera tout le monde. (...)'

Ainsi, Mme [M] exprime clairement avoir subi une surcharge de travail liée aux fonctions de directrice de la MECS qui lui ont été confiées, tout en conservant ses missions de directrice adjointe.

L'employeur justifie de l'arrêt de travail pour maladie de Mme [M] à compter du 20 décembre 2019, puis de son départ de l'association le 7 avril 2020.

Aux termes d'une attestation du 1er septembre 2021, Mme [H], directrice générale du CDSEA 91 décrit ainsi les difficultés auxquelles elle a été confrontée : 'A compter de l'arrêt maladie de Madame [C] [M] fin décembre 2019, les deux chefs de service et moi-même avons dû assurer de nombreuses missions ne relevant pas de nos fonctions et avons été confrontés à des difficultés et dysfonctionnements majeurs.

Fin décembre, j'ai eu connaissance de nombreuses tentatives de suicide (7 en 2 mois) de jeunes accueillis au sein de la MECS. Nous avons donc dû mettre en place des groupes d'analyse de pratique de professionnels et un soutien psychologique renforcé des équipes et des jeunes accueillis.

Par ailleurs, le compteur d'heures et de relevés de congés étant erronés, Madame [O], RRH, a dû venir en soutien des chefs de service pour les former à une nouvelle trame et renseigner le suivi depuis septembre 2019. Ceci a représenté une importante charge de travail mobilisant plusieurs acteurs de l'association pour venir en soutien.

Nous avons par ailleurs identifié le problème de suivi de caisses en remboursement des jeunes. Plusieurs justificatifs étaient manquants ou non enregistrés. Le RAF du siège a dû venir en soutien des chefs de service pour la mise en place d'une procédure et un rattrapage de saisies en retard.

Le projet d'établissement qui devait être finalisé pour l'assemblée générale de l'association a dû être maintenu avec des réunions parcellaires compte tenu de la situation de l'établissement.

Enfin, la situation sanitaire avec le confinement en mars 2020 a généré un grand stress auprès des personnels. Près de la moitié était absent nécessitant de nombreux recours à des intérims et CDD.(...)'

Ces éléments établissent suffisamment les dysfonctionnements causés par l'absence prolongée de M. [Z] tant au sein de la MECS qu'au sein du CDSEA 91 et la nécessité de le remplacer définitivement, ses fonctions de direction spécifiques, centrales et à haut niveau de responsabilité ne pouvant plus être prises en charge par Mme [M], ni assumées par les chefs de service et la directrice générale du fait de leurs spécificités, des contraintes inhérentes au secteur d'activité de l'établissement, et de la surcharge de travail induite.

La mesure de licenciement a été notifiée au salarié le 25 avril 2020 et l'employeur justifie avoir engagé, dès le 11 mai 2020, M. [N] [A] en qualité de directeur de la MECS de [Localité 7] par contrat de travail à durée indéterminée, de sorte que ce remplacement est intervenu à une date proche du licenciement, le fait que M. [N] [A] ait été licencié pour faute grave huit mois après étant indifférent.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a estimé fondé le licenciement du salarié pour désorganisation du service à la suite de son absence prolongée et nécessité de le remplacer définitivement.

Sur les demandes en paiement formulées par M. [Z]

Le licenciement de M. [Z] ayant une cause réelle et sérieuse, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il résulte de l'article L.1235-2 du code du travail que, 'lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12 et L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.'

Comme il a été dit précédemment la procédure de licenciement menée par le CDSEA 91 à l'encontre de M. [Z] est irrégulière du fait du non-respect des articles L. 1232-2 à L. 1232-4 du code du travail, de sorte que le salarié à droit à l'indemnité prévue par l'article L. 1235- 2 du même code.

Le salarié a subi un préjudice résultant de la privation du droit à se défendre dans le cadre d'un entretien préalable que les premiers juges ont justement évalué à 5 147, 68 euros, soit un mois de salaire, comme cela résulte des bulletins de paie communiqués aux débats.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné le CDSEA 91 à payer à M. [Z] la somme de 5 147, 68 euros.

Sur les intérêts

Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil les intérêts au taux légal, courent sur sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d'appel.

Eu égard à la solution du litige, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, mais les demandes formulées au titre des frais irrépétibles d'appel par les parties seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE l'association Comité Départemental pour la Sauvegarde de l'Enfant à l'Adulte de l'Essonne (CDSEA 91) aux dépens d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/06560
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.06560 ?
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