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16/05/2024 | FRANCE | N°22/05854

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 mai 2024, 22/05854


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05854 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF34H



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS - RG n°





APPELANTE



Madame [G] [M]

[Adresse 3]

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Représentée par Me Gilles BONLARRON, avocat au barreau de PARIS, toque : L0303





INTIMÉE



Société HABELLIS

[Adresse 2]

[Localité 1]



Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barre...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05854 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF34H

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SENS - RG n°

APPELANTE

Madame [G] [M]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentée par Me Gilles BONLARRON, avocat au barreau de PARIS, toque : L0303

INTIMÉE

Société HABELLIS

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentée par Me Jacques BELLICHACH, avocat au barreau de PARIS, toque : G0334

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mars 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, rédactrice

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [G] [M] a été engagée par la société d'HLM de l'arrondissement de [Localité 5] par contrat de travail à durée déterminée à compter du 15 février 1983 en qualité d'employée de bureau, transformé par avenant à effet au 15 mai 1983 en contrat de travail à durée indéterminée.

En dernier lieu, la salariée occupait des fonctions de chargée de gestion réclamations techniques coefficient hiérarchique G3 au sein de la société HABELLIS, ayant absorbé à compter du 1er octobre 2020 la société BRENNUS HABITAT qui l'employait jusqu'alors.

Les relations de travail étaient soumises aux dispositions de la convention collective nationale des personnels des sociétés anonymes et fondation d'HLM.

La salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 2 décembre 2019 jusqu'au 7 octobre 2020.

A l'issue de la visite médicale de reprise, le médecin du travail a rendu le 8 octobre 2020 un avis ainsi rédigé : 'Inapte au poste tel que décrit par l'employeur. Resterait apte à un poste ne comportant pas d'interférences avec les clients locataires'.

Par lettre datée du 10 novembre 2020, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 23 novembre suivant, puis par lettre datée du 26 novembre 2020 lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par lettre datée du 11 décembre 2020, la salariée, par la voie de son conseil, a contesté l'exécution et la rupture du contrat de travail.

Par lettre datée du 15 décembre 2020, l'employeur lui a répondu estimer n'avoir commis aucun manquement tant dans l'exécution que la rupture du contrat de travail.

Le 5 février 2021, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Sens afin de faire juger que son inaptitude est d'origine professionnelle et qu'elle a subi notamment un harcèlement moral et un manquement à l'obligation de sécurité et d'obtenir principalement la nullité du licenciement et diverses indemnités consécutives.

Par jugement mis à disposition le 27 janvier 2022, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont :

- dit que le licenciement est pour une inaptitude non professionnelle,

- condamné la société HABELLIS à verser à Mme [M] les sommes suivantes :

* 5 179,32 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

* 2 589,66 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'employabilité,

* l 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné la rectification et la délivrance des documents sociaux conformes au jugement assorties d'une astreinte de 20 euros par jour de retard et par document à partir du quinzième jour suivant sa mise à disposition jusqu'à la délivrance de la totalité des documents,

- débouté Mme [M] du surplus de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté la société HABELLIS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis la totalité des dépens à la charge de la société HABELLIS.

Le 7 juin 2022, Mme [M] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 18 janvier 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [M] demande à la cour de :

- Sur l'exécution du contrat :

confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu l'existence de manquements imputables à la société HABELLIS, le réformer des chefs de condamnations prononcées au titre du manquement de l'employeur à ses obligations, condamner la société HABELLIS à lui verser les sommes de :

* 10 358,64 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

* 15 537,96 euros nets à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation et d'employabilité du salarié,

- Sur le licenciement :

juger que l'inaptitude est d'origine professionnelle, condamner la société HABELLIS à lui verser les sommes suivantes :

* 31 938,68 euros nets au titre de l'indemnité spéciale de licenciement,

* 5 179,32 euros nets au titre de l'indemnité compensatrice forfaitaire de l'article L.1226-14 du code du travail,

A titre principal, juger que le licenciement est nul et condamner la société HABELLIS à lui verser les sommes suivantes :

* 62 151,84 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 10 358,64 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et harcèlement moral,

A titre subsidiaire, juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société HABELLIS à lui verser les sommes suivantes :

* 50 793,20 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 5 179,32 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 517,93 euros au titre des congés payés afférant au préavis,

* 2 589,66 euros nets à titre de dommages et intérêts pour violation de la procédure de licenciement,

En tout état de cause, condamner la société HABELLIS à lui verser les sommes suivantes :

* 5 179,32 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral en lien avec les circonstances vexatoires entourant le licenciement,

* 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure

civile ainsi qu'au paiement des sommes liées aux éventuels frais d'exécution de la décision à intervenir ainsi qu'aux entiers dépens,

et ordonner la remise des documents de fin de contrat rectifiés et conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour et par document à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 20 juillet 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société HABELLIS demande à la cour de :

- A titre principal, réformer le jugement en ses condamnations à paiement des sommes pour les montants et les chefs retenus, à remise de documents sous astreinte et en son débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ce qu'il statue sur les dépens, statuant à nouveau, débouter Mme [M] de l'ensemble de ses demandes et la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, et confirmer le jugement dans ses autres dispositions,

- A titre subsidiaire, fixer le montant des dommages-intérêts aux plus minimes proportions et débouter Mme [M] de ses demandes de dommages-intérêts compte-tenu de l'absence de démonstration de son préjudice.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 6 février 2024.

MOTIVATION

Sur l'origine de l'inaptitude

La salariée soutient que son inaptitude a une origine professionnelle et réclame par conséquent une indemnité spéciale de licenciement et une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis.

La société réplique que la salariée ne fait pas la démonstration de ce que son inaptitude trouverait sa cause dans un accident du travail ou une maladie professionnelle et que l'inaptitude n'a pas une origine professionnelle.

Les règles protectrices applicables aux victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée et invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement et cette application n'est pas subordonnée à la reconnaissance par la caisse primaire d'assurance maladie du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie.

Aux termes de l'article L. 1226-14 du code du travail :

'La rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 (')'.

Au soutien de son argumentation, la salariée, rappelant qu'elle est entrée dans les effectifs de l'entreprise en 1983, expose qu'alors qu'elle était confrontée à la pression quotidienne de locataires mécontents toujours plus nombreux et malgré ses demandes d'évolution, l'employeur l'a placée durablement en première ligne avec le public durant trente-sept années sans lui offrir un accompagnement, des mesures de prévention et des conditions de travail sereines, que la seule réponse de l'employeur a été de mettre en place en 2016 une unique formation d'ordre général sur la gestion de l'agressivité, non spécifique au risque particulier qu'elle supportait fonctionnellement, qu'au regard de ses conditions de travail et l'absence de mesures prises par l'employeur, sa santé s'est en conséquence dégradée jusqu'à un arrêt de travail de longue durée en lien avec un 'burn-out' d'origine professionnelle.

Elle produit cinq attestations manuscrites d'anciens collègues de travail, à savoir M. [D] [K], gardien régisseur et délégué syndical, Mme [P] [A] épouse [I], comptable, M. [V] [L], ancien gardien d'immeuble, Mme [J] [U], comptable et Mme [F] [T], comptable, qui indiquent, de manière unanime, suffisamment circonstanciée et en des termes qui leur sont propres, avoir directement été témoins de la dégradation des conditions de travail de leur collègue, dont l'attitude sérieuse et professionnelle était reconnue, en raison de son exposition directe, quotidienne et continue, de par ses fonctions de gestionnaire des réclamations, à des comportements agressifs de locataires, souvent en colère contre leur bailleur social, et du sous-effectif du service générant une surcharge de travail pour la salariée, faits pourtant connus de son responsable hiérarchique et de la direction, ces conditions de travail dégradées ayant persisté malgré plusieurs alertes de sa part.

La salariée produit en outre des échanges de courriers avec l'employeur dont il ressort que celle-ci a demandé le 29 mars 2015, alors qu'elle travaillait à 80 % d'un temps complet, sa reprise d'activité à temps complet, que l'employeur a refusé cette demande le 28 avril 2015, que la salariée a réitéré cette demande le 26 avril 2016 en indiquant qu'une collègue était partie à la retraite en janvier 2016, que la quantité de travail au sein du service avait augmenté, qu'elle avait dû à la demande de son responsable hiérarchique reprendre certaines activités, notamment les dossiers sinistres et assurances, nouveaux pour elle et qu'il était nécessaire d'augmenter son temps de travail, que le 6 juin 2016, l'employeur lui a indiqué qu'aucune décision ne serait prise jusqu'à la finalisation de la réorganisation en cours et que l'employeur n'a finalement accédé à sa demande que le 1er octobre 2016.

Il ressort en outre du document relatif à l'entretien professionnel de la salariée du 3 décembre 2018 que celle-ci a mentionné que ses activités consistent notamment en la gestion des réclamations (réception et traitement) et l'accueil physique des locataires et que depuis son dernier entretien professionnel, aucune évolution n'avait eu lieu, qu'elle souhaitait une évolution de travail vers la communication et la qualité et se former dans les assurances notamment, cette demande figurant déjà dans son précédent compte-rendu d'évaluation du 3 mars 2016, et son évaluateur notant un manque de formation dans ce domaine.

La salariée produit par ailleurs des pièces de nature médicale, à savoir :

- une attestation rédigée manuscritement par Mme [O] [B] [Z], psychologue clinicienne, indiquant l'avoir reçue courant 2020 à la demande de son médecin traitant, qu'elle présentait 'une souffrance au travail se traduisant par un état d'effondrement émotionnel, de l'anxiété et un sentiment de dévalorisation majeur de son identité professionnelle' ;

- son dossier médical de la médecine du travail, dont il ressort que :

* le 12 mars 2013 et aussi le 22 octobre 2015, celle-ci exprime des doléances spontanées ('sale mentalité / trop de changement / reçoit des avertissements'), les termes de 'travail stressé' étant mentionnés à ces deux dates ;

* le 20 juillet 2020, il est noté : 'très mécontente de ses conditions de travail : insultes répétées des bénéficiaires et passages d'appels qui ne relèvent pas uniquement du service technique', 'arrêts de travail : maladie : Burn out professionnel - par rapport à la clientèle - lié aux contacts clientèle - insultes du 01/12/2019" et un traitement en cours sous antidépresseurs ;

* le 23 septembre 2020, il est noté qu'elle 'envisage le retour au travail à la fin de l'arrêt en cours mais ne veut/ne pourra plus interférer avec les bénéficiaires', que le 8 octobre 2020, il est noté dans le cadre de la visite de reprise : 'pleurs - n'est pas guérie', 'maladie au 01/10/2020 pour ce burn out d'origine professionnelle' ;

* une fiche de préconisations médicales en vue de la reprise du travail établie par le docteur [W], médecin du travail en date du 23 octobre 2020 ainsi rédigée : 'Visite de pré-reprise : pas de fiche d'aptitude délivrée : état de santé compatible avec un retour au poste de travail sous réserve qu'il soit adapté et ne comporte plus d'interférences en présentiel ou par téléphone avec les clients locataires' ;

* l'avis d'inaptitude du 8 octobre 2020 déjà mentionné indiquant expressément : 'Inapte au poste tel que décrit par l'employeur. Resterait apte à un poste ne comportant pas d'interférences avec les clients locataires'.

Il résulte des constatations qui précèdent que l'inaptitude de la salariée à son poste a au moins partiellement pour origine ses conditions de travail dégradées dans l'entreprise ayant eu comme conséquence un syndrôme d'épuisement professionnel et que l'employeur avait connaissance de l'origine professionnelle de cette inaptitude eu égard en particulier à la formulation de l'avis d'inaptitude, ce qui, indépendamment de toute procédure de reconnaissance du caractère professionnel de l'inaptitude par l'assurance maladie, suffit à retenir que l'inaptitude de la salariée présente une origine professionnelle.

Il s'ensuit que les dispositions de l'article L. 1226-14 du code du travail trouvent à s'appliquer.

Par conséquent, il convient de faire droit aux demandes de la salariée et d'allouer à celle-ci les sommes réclamées dont les montants sont exacts, soit 31 938,68 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement et 5 179,32 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice forfaitaire de l'article L. 1226-14 du code du travail.

Le jugement sera infirmé sur ces points.

Sur le harcèlement moral et la validité du licenciement

La salariée soutient que son licenciement est nul dans la mesure où son inaptitude est la conséquence du harcèlement moral subi ; elle invoque l'inertie et l'absence de volonté de l'employeur de faire évoluer la situation positivement au sein du service de [Localité 5], ce qui a favorisé l'émergence de situations conflictuelles, des agressions quotidiennes répétées dont elle a été victime de la part de clients mécontents, excédés et agressifs voire menaçants ayant eu pour effet de dégrader ses conditions de travail dans des proportions telles qu'elles ont directement impacté et durablement altéré son état de santé, ainsi qu'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité à son égard.

La société réplique que la salariée ne présente pas de fait susceptible de laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, celle-ci invoquant des pressions et de l'agressivité sans présenter d'exemple concret et critique la valeur probante des attestations produites par la salariée, en relevant que le médecin du travail qui l'a périodiquement suivie ne l'a jamais alertée sur une dégradation de l'état de santé de la salariée, que celle-ci ne s'est jamais plainte au médecin du travail sauf plus de six mois après son placement en arrêt de travail, le 20 juillet 2020, qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité n'est établi, celle-ci ne l'ayant jamais alertée lors des entretiens professionnels dont elle a régulièrement bénéficié, qu'elle a bénéficié d'une formation sur la prévention et la gestion des agressions verbales et physiques le 2 mai 2016.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement dans la rédaction applicable au litige (pour les faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016) ou présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement (pour les faits postérieurs à l'entrée en vigueur de la loi sus-mentionnée), et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en application de l'article L. 4121-1 du code du travail qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs.

Ne méconnaît cependant pas son obligation légale l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

Il ressort des pièces sus-analysées produites par la salariée que celle-ci a exercé son activité professionnelle de gestionnaire des réclamations en contact direct avec le public pendant de très nombreuses années, que celle-ci a subi des comportements agressifs de locataires de manière régulière et continue sur cette longue période de temps, que du fait de l'organisation de l'entreprise et du sous-effectif du service dans lequel elle était affectée, sa charge de travail était importante, que sa hiérarchie connaissait ses conditions de travail dégradées mais n'a pas pris de mesure adaptée afin de remédier à cette situation.

Les éléments produits par la salariée, pris dans leur ensemble, laissent présumer des agissements de harcèlement moral.

L'employeur se borne à critiquer la valeur probante des éléments produits par la salariée, notamment les attestations de ses anciens collègues, sans cependant produire d'éléments justifiant que la situation dans laquelle s'est trouvée au fil des années la salariée ne constituait pas un harcèlement moral d'ordre organisationnel.

Le fait que celle-ci ait suivi une formation à la gestion des risques en 2016 ne permet pas de retenir que cette formation était suffisante à prévenir un risque d'atteinte à la santé et la sécurité de la salariée eu égard au caractère isolé de cette formation et à la longue période d'activité professionnelle pendant laquelle la salariée a été laissée livrée à elle-même.

L'absence d'entretien professionnel annuel régulier n'a pas permis la détection de la situation de souffrance au travail de la salariée, qui a fini par voir sa santé psychique atteinte au vu de la dégradation de ses conditions de travail.

Le harcèlement moral est établi, de même que le manquement à l'obligation de sécurité de la part de l'employeur.

Il s'ensuit que le licenciement intervenu en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1152-1 du code du travail est nul sur le fondement de l'article L. 1152-3 du même code.

En application des dispositions de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la salariée a par conséquent droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au moment du licenciement, la salariée était âgée de 57 ans pour être née le 4 juillet 1963 et présentait une ancienneté de trente-sept années dans l'entreprise.

Son salaire de référence s'élevait à 2 589,66 euros.

Elle explique être très affectée par ses années passées dans la société, contrainte de se reconstruire notamment via les formations proposées par Pôle emploi, son conseiller l'ayant orientée vers les formations suivantes : 'valoriser son image professionnelle' et 'faire le point sur mes compétences', qu'elle est prise en charge par Pôle emploi et que son licenciement a eu pour conséquence de repousser ses droits à la retraite au regard de sa perte de bénéfice du dispositif relatif aux carrières longues.

Le préjudice subi par la nullité du licenciement sera réparé par l'allocation de dommages et intérêts à 50 000 euros, somme à laquelle la société sera condamnée.

Le préjudice subi par la salariée du fait du harcèlement moral sera réparé par l'octroi de dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros.

Le jugement sera infirmé sur tous ces points et confirmé en ce qu'il condamne la société HABELLIS au paiement de 5 179,32 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

Sur les circonstances brutales et vexatoires entourant le licenciement

La salariée fait valoir que l'entretien préalable s'est tenu en l'absence de la directrice des ressources humaines qui avait oublié cet entretien et qu'elle a dû se contenter d'un entretien téléphonique et que ce manque de respect à son égard caractérise une circonstance vexatoire génératrice d'un préjudice moral.

La société réplique que la procédure de licenciement a bien été respectée, que la salariée a été reçue en entretien préalable par Mme [X] en qualité de chargée des ressources humaines depuis le 16 septembre 1991 à qui elle a délégué sa représentation physique lors de l'entretien préalable.

Il ressort des pièces produites aux débats que la salariée a été reçue en entretien préalable et que l'employeur a régulièrement délégué sa représentation à cet entretien à Mme [X], chargée des ressources humaines.

Cette situation ne caractérise pas une circonstance vexatoire entourant le licenciement.

Il convient de débouter la salariée de sa demande de dommages et intérêts de ce chef et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur le manquement à l'obligation d'employabilité

La société conclut au débouté de la demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation d'employabilité de la salariée, en relevant que celle-ci a bénéficié de formations dont elle justifie.

La salariée fait valoir que l'employeur a manqué à son obligation de formation la concernant et demande que les dommages et intérêts de ce chef soient augmentés.

Toute demande d'indemnisation suppose, pour être accueillie, la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux.

L'employeur justifie en pièce18-1 que la salariée a suivi dix actions de formation entre octobre 2007 et avril 2016, notamment une formation de cinq jours en mai et juin 2009 intitulée 'professionnaliser le traitement des réclamations techniques', en juin 2013 d'une durée de deux jours intitulée 'rédiger des écrits professionnels efficaces' et en avril 2016 une formation d'une durée de quatorze heures intitulée 'prévenir et gérer les agressions verbales et physiques'.

En tout état de cause, la salariée ne démontre pas le préjudice que lui aurait causé le manquement à l'obligation de formation et d'employabilité qu'elle allègue.

Il convient de la débouter de sa demande de dommages et intérêts de ce chef et d'infirmer le jugement sur ce point.

Sur la remise de documents

Eu égard à la solution du litige, il convient de condamner la société à remettre à la salariée une attestation destinée à Pôle emploi et un bulletin de paie, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte qui n'est pas nécessaire.

Le jugement sera infirmé sur ces points.

Sur le remboursement des indemnités de chômage versées à la salariée

Les dispositions de l'article L 1235-4 du code du travail s'appliquent d'office en l'espèce eu égard à la nullité du licenciement prononcée notamment sur le fondement de l'article L. 1152-3 du code du travail.

Il sera donc ordonné à la société de rembourser à l'organisme social concerné les indemnités de chômage versées à la salariée et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Eu égard à la solution du litige, la société sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la salariée la somme de 2 500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en ce qu'il déboute Mme [G] [M] de ses demandes d'indemnité spéciale de licenciement, d'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité pour nullité du licenciement, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et en ce qu'il statue sur le manquement à l'obligation de formation et d'employabilité, la remise de documents et l'astreinte,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT que l'inaptitude est d'origine professionnelle,

CONDAMNE la société HABELLIS à payer à Mme [G] [M] les somme suivantes :

* 31 938,68 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement,

* 5 179,32 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice sur le fondement de l'article L. 1226-14 du code du travail,

* 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral,

ORDONNE la remise d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un bulletin de paie récapitulatif, conformes aux dispositions du présent arrêt,

DÉBOUTE Mme [G] [M] de ses demandes de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de formation et d'employabilité et d'astreinte,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Y ajoutant,

ORDONNE à la société HABELLIS de rembourser à l'organisme social concerné les indemnités de chômage versées à Mme [G] [M] et ce, dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société HABELLIS aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société HABELLIS à payer à Mme [G] [M] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties des autres demandes.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/05854
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;22.05854 ?
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