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16/05/2024 | FRANCE | N°21/09935

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 mai 2024, 21/09935


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 MAI 2024



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09935 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYEW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F18/08795



APPELANTE



S.A.S. PRADIER ELYSÉES

[Adresse 4]

[Localité

2]



Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : R110





INTIMÉE



Madame [G] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]



(bénéficiaire de l'aide juridictionne...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 MAI 2024

(n° , 13 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/09935 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEYEW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Novembre 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° F18/08795

APPELANTE

S.A.S. PRADIER ELYSÉES

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Blandine DAVID, avocat au barreau de PARIS, toque : R110

INTIMÉE

Madame [G] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]

(bénéficiaire de l'aide juridictionnelle Partielle numéro 2022/006992 du 16/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Représentée par Me Tamara LOWY, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : B 141

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre

Mme Isabelle MONTAGNE, Présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN,Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [I] a été engagée le 16 mai 2016 par la société Pradier Elysées, en qualité d'équipière, par contrat à durée indéterminée, au coefficient de la convention collective nationale de la restauration rapide.

Le 3 novembre suivant, elle a été victime d'un accident de trajet qui a nécessité plusieurs arrêts de travail.

Estimant que son employeur ne respectait pas ses obligations, s'agissant notamment du paiement des salaires, elle a saisi le conseil des prud'hommes de Paris le 20 novembre 2018 pour que soit prononcée la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

L'affaire a été appelée à l'audience du 17 septembre 2021 à laquelle elle a été mise en délibéré au 3 novembre suivant.

Le 18 septembre 2021, Mme [I] prenait acte de la rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 3 novembre 2021 le conseil des prud'hommes en sa formation de départage a:

- prononcé la résiliation du contrat de travail aux torts de la société Pradier Elysées à la date du 18 septembre 2021,

- dit qu'elle produisait les effets d'un licenciement nul,

- condamné la société Pradier Elysées à payer à Mme [I] les sommes de :

- 5 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 2 306,66 euros nets à titre d'indemnité de licenciement,

- 3 460 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 346 euros au titre des congés payés afférents,

- 12 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 500 euros au titre de la prime de salissure,

- 1 500 euros nets à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et familiale,

- ordonné la remise par la société Pradier Elysées des documents sociaux conformes à la présente décision,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- condamné la société Pradier Elysées à payer à Maître Tamara Lowy la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alinéa 2,

- débouté Mme [I] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Pradier Elysées de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Pradier Elysées aux dépens.

Par déclaration du 6 décembre 2021, la société Pradier Elysées a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voir électronique le 23 février 2024, celle-ci, demande à la cour de :

A titre principal :

- annuler le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris,

A titre subsidiaire,

- infirmer le jugement rendu le 3 novembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Paris en toutes ses dispositions,

Et, statuant à nouveau en vertu de l'effet dévolutif de l'appel :

Sur la rupture du contrat de travail et les indemnités de rupture en découlant :

A titre principal :

- déclarer irrecevables la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] et la demande de condamnation de la société Pradier Elysées aux indemnités de rupture - devenues sans objet - ou, à tout le moins, dire lesdites demandes mal fondées et en conséquence, en débouter Mme [I],

- déclarer irrecevables la demande de requalification de la prise d'acte en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et la demande de condamnation de la société Pradier Elysées aux indemnités de rupture, ou à tout le moins, dire lesdites demandes mal fondées et en conséquence, en débouter Mme [I],

A titre subsidiaire,

Si la cour devait estimer qu'elle peut se prononcer sur la demande de résiliation judiciaire en dépit de la prise d'acte intervenue, ou se prononcer sur la demande de requalification de la prise d'acte intervenue et ses conséquences indemnitaires :

- débouter Mme [I] de l'ensemble de ses demandes, comme étant infondées,

A titre encore plus subsidiaire,

Si la cour devait confirmer la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] ou requalifier la prise d'acte en licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse et statuer sur les indemnités de rupture découlant de la résiliation judiciaire du contrat de travail :

- fixer l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de :

-3 300 euros brut, outre,

-330 euros brut à titre de congés payés afférents,

- fixer l'indemnité de licenciement à la somme de :

-2 199 euros,

- fixer l'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse à la somme de 4 900 euros,

Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :

- débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-délivrance ou délivrance incorrecte des attestations de salaires :

- débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts,

Sur la demande de dommages et intérêts pour retard dans le paiement du salaire d'octobre 2018

- débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts,

Sur la demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et familiale :

- débouter Mme [I] de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à la vie privée et familiale,

Sur la demande de versement d'une prime de salissure/blanchissage :

A titre principal,

- débouter Mme [I] de sa demande de prime de salissure/blanchissage,

A titre subsidiaire,

- fixer le rappel dû à la somme de 581,13 euros brut et,

- débouter Mme [I] du surplus de sa demande,

- condamner Mme [I] à payer à une indemnité de 2 500 euros à la société Pradier Elysées,

- débouter Mme [I] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

En tout état de cause :

- débouter Mme [I] de toutes ses demandes, fins et prétentions contraires aux présentes,

- condamner Mme [I] aux dépens.

Dans ses dernières conclusions, communiquées par voie électronique le 26 février 2024, Mme [I] demande à la cour :

- de débouter la société Pradier Elysées de sa demande d'annulation du jugement,

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [I] à la date du 18 septembre 2021,

- de requalifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du 18 septembre 2021 en un licenciement nul,

- de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Pradier Elysées, à lui payer les sommes suivantes :

- 2 306,66 euros nets d'indemnité de licenciement,

- 3 460 euros d'indemnité compensatrice de préavis,

- 346 euros de congés payés afférents,

- 1 500 euros nets de dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée et familiale,

- de confirmer la décision prud'homale rendue le 3 novembre 2021 (RG N°18/08/795) sur le principe de condamnations à des dommages-intérêts pour harcèlement moral, à la prime de salissure, à une indemnité pour licenciement nul, mais en réformer les montants alloués à Mme [I],

- de condamner la société Pradier à lui payer les sommes de:

- à titre principal :

- 20 000 euros nets de dommages-intérêts pour harcèlement moral

- 20 760 euros nets d'indemnité pour licenciement nul à titre principal,

- à titre subsidiaire,

- 5 000 euros de dommages-intérêts pour non délivrance ou délivrance incorrecte des attestations de salaires,

- 500 euros de dommages-intérêts pour non paiement puis retard dans la régularisation du paiement de salaire du mois d'octobre 2018,

- 20 760 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ,

- en tout état de cause,

- 505,66 euros de rappel de salaire au titre de la prime de salissure de mai 2016 à juin 2018,

- 748,14 euros de rappel de salaire au titre de la prime de salissure d'avril 2019 à avril 2021,

Y ajoutant, la Cour :

- déboutera la société Pradier Elysées de sa demande de condamnation de Mme [I] d'une indemnité de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonnera la délivrance des bulletins de salaires, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir, la Cour se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamnera la société Pradier Champs Elysées à payer à Me LOWY la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile alinéa 2 et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

- condamnera la société Pradier Champs Elysées aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 février 2024 et l'affaire a été appelée à l'audience du 14 mars 2024 pour y être examinée.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- sur la nullité du jugement

Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, 'le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens , les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable, invité les parties à présenter leurs observations'.

Il en résulte que chaque partie a la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce présentée au juge.

L'article 442 du code de procédure civile dispose que le président ou les juges peuvent inviter les parties à fournir des explications de droit ou de fait qu'ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur et l'article  445 prévoit qu'après la clôture des débats les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.

Selon l'article 460 du code de procédure civile, la nullité d'un jugement ne peut être demandée que par les voies de recours prévues par la loi et l'article 542 du code de procédure civile précise que l'appel tend par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

Il est admis que les causes de nullité du jugement ne sont pas enfermées dans la liste de l'article 458 du code de procédure civile et que la violation du principe du contradictoire, principe fondateur du procès civil, constitue une cause de nullité du jugement entrepris par la voie de l'appel de droit commun.

En l'espèce il est établi que l'affaire a été appelée à l'audience de départage du 17 septembre 2021, date à laquelle Mme [I] sollicitait le prononcé de la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

A la clôture des débats, l'affaire a été mise en délibéré au 3 novembre 2021.

Mme [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 18 septembre 2021, lendemain de la clôture des débats, ce dont les juges du premier degré ont été informés le 14 octobre 2021 par la société Pradier Elysées qui sollicitait de ce fait la réouverture des débats.

Il n'a été donné aucune suite à cette demande mais le conseil des prud'hommes a prononcé la résiliation du contrat de travail en faisant remonter au 18 septembre 2021 la date de la rupture du contrat de travail, et ce en considération de la prise d'acte dont il a été informé postérieurement à l'audience, mais sans que les parties aient pu contradictoirement débattre de ce point.

Ainsi les juges du premier degré ont-ils, au mépris de l'article 16 du code de procédure civile, pris en compte un élément nouveau dont ils ont été informés en cours de délibéré sans faire respecter sur ce point le principe de la contradiction, ne serait-ce que dans le cadre d'une note en délibéré.

Le jugement entrepris doit en conséquence être annulé.

II- Au fond,

A- Sur l'exécution du contrat de travail

1) sur l'indemnité de salissure

En vertu de l'article 41 de la convention collective applicable, 'si un modèle [de vêtement] est imposé, l'employeur en assurera la fourniture en nombre suffisant et le blanchissage sera soit à la charge de l'employeur, soit à la charge du salarié.

Dans ce dernier cas, le salarié recevra en remboursement de ses frais une indemnité de blanchissage égale à 3,32% du minimum garanti en vigueur dans la restauration, soit à la date du présent accord, 0,11 euros par heure effectivement travaillée, dans la limite de 151,67 heures. Cette indemnité suivra l'évolution du minimum garanti qui sert de base de calcul'.

Par ailleurs, le minimum garanti, qui ne se confond pas avec le Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance (SMIC), est un élément de référence pour le calcul d'avantages sociaux et d'indemnités, indexé sur l'indice national des prix à la consommation des ménages urbains, ouvriers ou employés, principalement utilisé pour l'évaluation des avantages en nature dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants.

Le fait que la salariée soit contrainte d'utiliser un tablier fourni par l'employeur sous lequel lui était imposée le port d'une chemise blanche avec un pantalon foncé résulte de la fiche 'tenue des équipiers' qu'elle verse en pièce N° 45, la société n'apportant aucun élément permettant de considérer que cette fiche n'avait pas cours pendant la durée de la relation de travail en cause.

En référence au montant du minimum garanti fixé chaque année tel que visé à l'article 41 précité et à l'indemnité horaire de salissure qui en résulte il est dû à Mme [I] les sommes suivantes: Entre 2016 et 2019 (0,11 euros par heure travaillée), soit 352,55 euros brut pour 3 205 heures travaillées, puis entre 2019 et 2021, (0,12 euros par heure travaillée), soit 249,36 euros brut pour 2 078 heures travaillées.

Il doit être alloué de ce chef la somme de 601,91euros.

2) sur le harcèlement moral

Le harcèlement moral s'entend aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, d'agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement, l'employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il est admis que le harcèlement moral est constitué indépendamment de la volonté de son auteur, peu important donc la volonté de nuire.

A l'appui de sa demande, Mme [I] présente les faits suivants:

- placée en arrêt de travail à raison des conséquences d'un accident de trajet survenu moins de sept mois après son embauche, elle s'est heurtée à l'inertie persistante de son employeur qui malgré de nombreuses réclamations et un rappel de l'inspection du travail, n'a pas régulièrement transmis à la Caisse Primaire d'Assurances Maladie (CPAM) les attestations de salaires nécessaires au versement régulier des indemnités journalières auxquelles elle pouvait prétendre, ni permis la régularisation de sa situation,

- elle n'a perçu aucun salaire pour le mois d'octobre 2018 et la régularisation sur ce point n'a été que très tardive,

- elle n'a pas reçu les remboursements du Pass Navigo qui lui étaient dus entre avril et juillet 2019,

- elle ne recevait pas de manière régulière ses plannings de travail qu'elle devait souvent réclamer et qui lui étaient transmis tardivement,

- malgré sa situation médicale et ses demandes réitérées, elle n'a pas été convoquée par le médecin du travail qui avait pourtant lors de la reprise le 12 avril 2019, exprimé la volonté de revoir la salariée avant le 5 mai suivant, la visite n'ayant été en réalité organisée que le 10 octobre 2019,

- l'employeur s'est abstenu de verser les cotisations dues au titre du contrat de prévoyance auprès de la compagnie AG2R La Mondiale,

- elle a été transférée d'un lieu de travail à un autre sans qu'aucun avenant à son contrat de travail ne soit rédigé,

- l'ensemble de ces dysfonctionnements ont généré une dégradation de son état de santé nécessitant un arrêt de travail le 6 novembre 2018 pour un syndrome dépressif.

Le courrier électronique du 27 mars 2018 (pièce N° 10 de la salariée), rapproché des termes du courrier recommandé adressé par la salariée le 31 août 2018 (pièce N° 11 de la salariée), ainsi que la lettre de rappel envoyée à la société Pradier Elysées le 10 septembre 2018 par l'inspection du travail, le courrier électronique du médiateur de la CPAM (pièce N° 42) et les relevés des indemnités journalières ou attestation de la CPAM (pièces N° 9 et N° 24 à 26 de la salariée), permettent de constater la réalité d'une difficulté persistante quant au versement des sommes dues au titre de l'assurance maladie et tenant à l'absence de transmission des attestations de salaire attendues par l'organisme de la part de l'employeur pour des périodes répétées courant à compter du 6 novembre 2017 jusqu'au 30 juin 2018.

Ce constat n'est pas contredit par les attestations de salaire versées en pièces 3 par l'employeur qui ne comportent aucun timbre à date de la CPAM ni même preuve d'envoi permettant d'écarter le retard stigmatisé de part et d'autre.

Le non-versement du salaire d'octobre 2018 à son échéance constitue un fait réel alors que l'employeur expose avoir régularisé la situation en un temps raisonnable.

L'absence de communication des plannings de travail de manière organisée ainsi que le caractère tardif de ces envois résultent des demandes que la salariée justifie formuler sur ce point auprès de son employeur par le biais de SMS (pièce N° 19) et des envois par ce même canal (pièce N° 28 de la salariée: par exemple, envoi le 10 avril 2018 du planning de la semaine du 9 au 15 avril 2018, pièce N° 48: message du mardi 17 juin 2019: ' (...) Je n'ai pas reçu le planning pour demain' Je connais pas mes horaires (...)'.

La salariée produit également les réclamations répétées qu'elle a formulées relativement au remboursement de ses titres de transport et le rapprochement des dates des attestations médicales de suivi par la médecine du travail produites en pièce n° 49 démontre la réalité du retard avec lequel a été organisée la visite suivant celle de reprise préconisée au plus tard le 5 mai 2018 par le praticien.

Le fait qu'elle ait été affectée dans des temps très rapprochés dans différents établissements résulte des plannings communiqués, qui pour les uns font référence à un magasin à [Localité 8], (pièce N° 28 P. 4,6,7, 11...etc), et pour d'autres fixent la semaine de travail à l'établissement '[Localité 7]', '[Localité 6]' '[Localité 9]' ou '[Localité 5]'(pièce N° 28 de la salariée, P. 9, 10, 13, 14...etc).

De même, le courrier de la Compagnie AG2R La Mondiale confirme le fait que l'employeur ne réglait pas les cotisations dues à l'organisme au titre de la garantie prévoyance dont la salariée demandait le bénéfice. (Pièce N° 51).

Enfin, l'arrêt de travail délivré le 6 novembre 2018 fait expressément référence à un syndrome dépressif (Pièce N° 20 de la salariée), la réalité d'une dégradation de l'état de santé résultant suffisamment de ce document.

Les faits allégués par Mme [I] sont donc précis et reposent sur des éléments matériels permettant de considérer qu'ils sont utilement présentés à l'appui de sa demande.

Pris dans leur ensemble ils laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Or l'employeur ne justifie aucunement que les faits présentés ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral.

En effet, indépendamment de leur caractère intentionnel qui est indifférent, il convient de relever que les faits ci-dessus retenus, en particulier ceux tenant au retard dans la transmission à l'organisme social des attestations de salaire, se sont répétés malgré les réclamations multiples provenant de la salariée qui a dû, face à une inertie renouvelée de son employeur défaillant, mais sans plus de succès, procéder par voie de recommandé avec accusé de réception, faire intervenir l'inspection du travail, puis le médiateur de la CPAM, (pièces susvisées), et a finalement entrepris une action prud'homale pour faire valoir ses droits.

Si la société démontre s'être inquiétée de la bonne réception et du traitement des attestations litigieuses par l'organisme compétent, force est de constater que ces démarches ne sont intervenues qu'en octobre 2018 et donc presqu'un an après les premières périodes d'arrêt de travail concernées par ses défaillances et plus de six mois après les premières réclamations écrites de Mme [I] à ce sujet (pièce N° 10 de la salariée).

La société Pradier Elysées n'apporte donc aucune justification à son abstention ni à sa résistance persistante à la transmission des documents en cause.

Elle n'en n'apporte pas davantage à la retenue de la totalité du salaire du mois d'octobre 2018, laquelle se heurte au principe d'indisponibilité du salaire, quand bien même est-il soutenu qu'il s'agissait d'un remboursement de trop-perçu remontant au mois de novembre 2016, l'erreur évoquée comme ayant été commise par le prestataire de paie ne permettant pas d'objectiver la retenue, alors au surplus qu'aucune explication ou alerte sur la soustraction opérée d'autorité n'a été donnée à Mme [I] et que la régularisation alléguée n'est intervenue que dans le cadre d'une instance en référés initiée par la créancière, après au moins un courrier recommandé de réclamation.

Le non-remboursement des frais de transport est un fait reconnu par l'employeur qui le justifie en évoquant également une erreur régularisée pour les mois d'avril à juin 2019 inclus, dès le mois de juillet suivant, ce qui n'est pas déterminant, au regard notamment de la répétition d'erreurs commises et aboutissant invariablement à diminuer voire réduire à néant les sommes auxquelles la salariée pouvait prétendre en exécution de son contrat de travail.

En revanche, les changements successifs de lieu de travail doivent être considérés comme objectivement justifiés puisque le contrat de travail précisait expressément que 'la mention du lieu de travail n'a qu'un caractère indicatif et ne constitue pas par conséquent un élément de son contrat de travail', puis que 'Mme [I] est informée qu'elle pourra être amenée à exercer ses fonctions indifféremment au lieu dans lequel la société exerce actuellement son activité ou en tout autre lieu où la société aurait une implantation présente ou future, qu'il s'agisse du siège social de la maison-mère, d'une de ses filiales ou d'un établissement secondaire (...)' (pièce N° 1 de la salariée, contrat de travail paragraphe 3).

Cependant, le harcèlement moral est établi à raison des autres faits non justifiés et doit être indemnisé par l'allocation d'une somme de 8 000 euros de dommages-intérêts , au regard de la durée et de l'intensité des conséquences des faits retenus telles qu'elles résultent des certificats médicaux et des multiples démarches supportées par Mme [I], ainsi que des mises en demeure reçues de compagnies d'assurance pour retard de paiement (pièce N° 16 de la salariée) ou de demande de remboursement de la Caisse d'Allocation Familiale (pièce 44 de la salariée).

B- sur la prise d'acte de rupture

1) sur la recevabilité de la demande nouvelle

Selon l'article 564 du code de procédure civile, '(...)les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.

La société Pradier Elysées a opposé à l'appui de sa demande en nullité du jugement, le fait que la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail à l'issue de la clôture des débats soit le 18 septembre 2021, ce dont elle a d'ailleurs avisé la juridiction du premier degré pour solliciter une réouverture des débats.

Alors que le conseil des prud'hommes était jusqu'alors saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, la prise d'acte qui aboutit à la rupture de ce contrat constitue un fait nouveau sur lequel il est possible en application de l'article précité de former une nouvelle prétention.

La demande formée en cause d'appel, tendant à ce que la rupture résultant de la prise d'acte du 18 septembre 2021 soit imputée aux fautes de l'employeur est donc recevable à raison de ce fait nouveau, peu important que la prise d'acte ait été réalisée en raison de faits que l'employeur considère comme anciens car connus de la salariée avant l'audience au cours de laquelle sa demande de résiliation judiciaire a été examinée, cette question relevant de l'examen de l'imputabilité de la rupture et donc de la demande au fond qu'il appartient à la cour d'appel de trancher.

2) sur l'imputabilité de la rupture

La prise d'acte de la rupture rend sans objet la demande de résiliation du contrat de travail introduite auparavant.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.

Dans le cadre de l'exception d'inexécution il est admis que les manquements de l'employeur à l'exécution de bonne foi du contrat de travail peuvent justifier la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par le salarié dès lors que ce dernier établit que ces manquements sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail.

Il appartient aux juridictions de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture.

Par lettre du 18 septembre 2021, dont les termes ne fixent pas les limites du litige, Mme [I] a indiqué: ' je suis choquée par l'audience d'hier. Une fois de plus je n'entends que mensonges et propos humiliants. J'espérais que cette fois-ci vous reconnaîtriez au moins certaines choses . Mais rien.

Pas un mot d'excuse pour ce que j'ai subi.

Je n'en peux plus de travailler pour vous.

Je ne sais jamais quel sera mon emploi du temps ni où je vais travailler. (...).

Je sais que si j'ai le moindre problème de santé, je mettrai des années pour avoir mes indemnités journalières.

La prime de salissure ne m'est pas payée.

Parfois mon Navigo ne m'est pas remboursé.

Je ne suis pas à l'abri d'un retrait soudain de salaire.

Je travaille la peur au ventre.

Je suis donc obligée de prendre acte de la rupture du contrat à vos torts'.

Mme [I] a rompu son contrat de travail rendant sans objet la demande de résiliation judiciaire initialement formée, mais laissant dans le débat la question de la responsabilité des causes de la rupture.

De ce qui précède il résulte que l'employeur a, de manière répétée et renouvelée, gravement manqué à ses obligations, s'agissant notamment du paiement du salaire, des démarches à effectuer auprès de l'organisme social pour assurer le versement des indemnités journalières, des indemnités dues et plus largement, en faisant subir à sa salariée un harcèlement moral issu des manquements constatés pour lesquels celui-ci n'a pas apporté de justification.

Ces manquements ont induit des conséquences graves pour la salariée dont les faibles ressources ont été amplement diminuées, ce que démontrent le constat concomitant d'un syndrome dépressif (pièce N° 20 de la salariée), les divers courriers adressés pour alerter sur sa situation, mais également les mises en demeure de la Caisse d'Allocation Familiale (pièce N°44) ou d'une compagnie d'assurance (pièce N° 16).

La rupture est donc imputable à l'employeur et doit avoir les effets d'un licenciement nul dès lors qu'elle trouve son origine dans un harcèlement moral reconnu.

3) sur les sommes dues à raison de la nullité de la rupture

a- sur l'indemnité de préavis

En vertu des article L. 1234-1 et L.1234-5 du code du travail, Mme [I] peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis égale au salaire brut, primes de nature salariales comprises, qu'elle aurait perçu si elle avait travaillé pendant la période en cause.

L'examen des bulletins de salaires produits démontre qu'au salaire de base de 1 650 euros, s'ajoute une prime repas dont rien ne permet d'exclure le caractère salarial.

Dans ces conditions, la somme due à titre d'indemnité compensatrice de préavis doit être fixée à 3 460 euros, et les congés payés afférents à 346 euros.

b- sur l'indemnité de licenciement

Au titre de l'indemnité de licenciement et en application des articles L.1234-9 et R. 1234-2 et R. 1234-4 du code du travail, à raison d'une ancienneté totale de cinq ans et quatre mois, en considération du tiers des trois derniers mois de salaire tel que retenu par la salariée, soit 1 650 euros, il doit être alloué à Mme [I] la somme de 2 199 euros.

c- sur les dommages-intérêts pour licenciement nul

En vertu de l'article L.1235-3-1 du code du travail , l'article L. 1235-3 du code du travail fixant un montant maximal aux indemnités dues n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une nullité tenant à des faits de harcèlement moral.

Dans ce cas le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure au salaire des six derniers mois.

Au regard de l'ancienneté de Mme [I] (plus de cinq ans au moment de la rupture), le montant des dommages-intérêts pour licenciement nul doit être fixé à 15 000 euros net.

C- dommages-intérêts pour atteinte disproportionnée à la vie privée familiale

Mme [I] sollicite l'indemnisation d'un préjudice né de la violation de l'article 9 du code civil selon lequel 'chacun a droit au respect de sa vie privée', soutenant que la communication tardive des plannings a rendu impossible pour elle la planification de son temps libre et a atteint de manière disproportionnée sa vie privée et familiale.

Cependant, alors que cet élément a été expressément retenu comme constituant l'un des faits sur la base desquels le harcèlement moral a été admis et indemnisé, la réalité d'un préjudice distinct et subsistant n'est pas établie.

La demande ainsi formée doit donc être rejetée.

III- sur le remboursement des allocations de chômage,

Les conditions d'application de l'article devenu L. 1235 - 4 du code du travail étant réunies, il convient d'ordonner le remboursement des allocations de chômage versées à la salariée dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation, et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

L'employeur sera tenu de présenter à la salariée un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi devenu France Travail, conformes aux termes de cette décision dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt, sans que le prononcé d'une astreinte soit à ce stade justifié.

Enfin, en raison des circonstances de l'espèce, il y a lieu en application des dispositions de l'article 700-2° du code de procédure civile, d'allouer à maître Lowy, avocat de Mme [I], qui bénéficie de l'aide juridictionnelle totale, la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles que cette dernière aurait exposés si elle n'en n'avait pas bénéficié, à charge pour l'avocat s'il recouvre tout ou partie de cette somme de renoncer à percevoir tout ou partie de la part contributive de l'Etat dans les conditions de ce texte.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

ANNULE le jugement entrepris,

Et, statuant à nouveau,

DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail unissant Mme [I] à la société Pradier Elysées est imputable aux torts de la société Pradier Elysées,

DIT que la rupture du contrat de travail, survenue le 18 septembre 2021 a les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société Pradier Elysées à payer à Mme [I] les sommes de :

- 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 2 199 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- 3 460 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 346 euros au titre des congés payés afférents,

- 15 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- 601,91 euros au titre de la prime de salissure,

DIT que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation en conciliation et que les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

DIT que l'employeur sera tenu de présenter à Mme [I] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi devenue France Travail conformes aux termes de cette décision dans le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt,

ORDONNE le remboursement à l'organisme les ayant servies, des indemnités de chômage payées à la salariée au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société Pradier Elysées à verser à Maître Lowy, avocate de Mme [I], la somme de 3500 euros en application de l'article 700-2° du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Pradier Elysées aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 21/09935
Date de la décision : 16/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 22/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-16;21.09935 ?
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