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15/05/2024 | FRANCE | N°22/00916

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 15 mai 2024, 22/00916


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 15 MAI 2024



(n° , 14 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00916 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE73B



Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/02867





APPELANTE



Madame [I] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée p

ar Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164



INTIMEE



S.A.S. XEROX

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Audrey SCHWA...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 15 MAI 2024

(n° , 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00916 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE73B

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Novembre 2021 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° 19/02867

APPELANTE

Madame [I] [T]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, toque : D0164

INTIMEE

S.A.S. XEROX

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Audrey SCHWAB, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Septembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, Première Présidente de chambre, rédactrice

Madame Nathalie FRENOY, Présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, Présidente de chambre

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame GUENIER-LEFEVRE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffières, lors des débats : Madame Figen HOKE et Madame Camille BESSON

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Figen HOKE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

La société XEROX SAS, dont le siège social est situé à [Localité 3], est une des quinze filiales du groupe XEROX et compte 300 salariés environ.

Elle a pour activité la commercialisation d'équipements bureautiques (photocopieurs, scans, imprimantes, fax, presses...), et la fourniture de services documentaires associés.

Jusqu'au 1er janvier 1996, la société XEROX SAS avait un statut de distributeur vis à vis de sa société mère XEROX limited.

Dans le courant de l'année 1995, le Comité d'Etablissement (le CE) a été saisi d'un projet de transformation de ce statut et selon contrat à effet du 1er janvier 1996, la société XEROX SAS devenait commissionnaire, c'est-à-dire, chargée d'assurer la vente et le service après-vente des produits XEROX en France (départements d'outre-mer inclus), en son nom mais pour le compte de la société XEROX limited, devenue la commettante et rémunérant sa commissionnaire au moyen d'une commission constituant le chiffre d'affaire de la société XEROX SAS, déterminant en conséquence le bénéfice de cette dernière.

Le 1er avril 2018, le statut de commissionnaire a été abandonné et la société XEROX SAS a adopté vis à vis de sa société mère, comme les quatorze autres filiales européennes, le statut de distributeur à risque limité.

Dans ce cadre, la filiale achète les produits à sa société mère XEROX limited et assure leur revente aux clients finaux, en son nom et pour son propre compte, la rémunération du distributeur étant constituée de la marge qu'il réalise lors de la revente aux clients par rapport aux prix facturés par la société mère à l'achat.

Le 27 septembre 2001 avait été signé au sein de la société XEROX SAS, un accord de participation en application de l'article L. 3322-1 du code du travail.

Au constat de l'absence de toute constitution d'une Réserve Spéciale de Participation (RSP), à raison de résultats insuffisants pour ce faire, le Comité Central d'Entreprise (le CCE) et trois syndicats ont saisi le tribunal judiciaire de Bobigny en 2011, en soutenant que cette insuffisance résultait des modalités contractuelles du contrat de commissionnaire stipulant un taux de commissionnement trop faible par rapport aux performances de l'entreprise, le montant des capitaux propres dans la comptabilité ayant lui-même été fixé à un niveau trop élevé.

Les demandes tendaient à ce que les dispositions du contrat de commissionnement leur soient déclarées inopposables, comme destinées à les priver frauduleusement de leurs droits à participation et à ce qu'un expert soit nommé pour déterminer les modalités de calcul de la commission, conformément aux usages.

Par jugement du 19 juin 2014, l'action des syndicats a été déclarée recevable et les dispositions du contrat de commissionnaire du 1er janvier 1996, reconnues inopposables aux salariés dès lors qu'elles avaient pour finalité de ne pas permettre à la société XEROX SAS de dégager des bénéfices de nature à permettre d'alimenter la RSP.

Le tribunal a désigné un expert pour que soient déterminées, à compter de mars 2006, les modalités de calcul relativement au contrat de commissionnaire conformément aux usages et le montant de la RSP, ainsi que celui des capitaux propres.

La cour d'appel de Paris a confirmé cette décision et étendu la mission de l'expert à l'année 2006.

La Cour de cassation a cassé et annulé sans renvoi cette décision par arrêt du 6 juin 2018 dont la demande d'interprétation a été rejetée le 19 janvier 2022.

Préalablement, l'expert désigné par le tribunal de Bobigny ayant déposé son rapport, cette juridiction a été saisie afin qu'au regard des conclusions du technicien, soient déterminés les montants qui auraient dû être portés à la RSP depuis 2005 jusqu'à 2014, que la société XEROX SAS soit condamnée à doter la RSP de ces montants et que soit désigné un expert pour calculer le montant de la RSP depuis 2014, la nullité des attestations des commissaires aux comptes relatives au calcul de la participation étant par la suite demandée pour les périodes 2005-2017 et l'intervention forcée des commissaires aux comptes de l'entreprise étant elle-même mise en 'uvre ainsi qu'une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'article L. 3326-1 susvisé.

A ce stade, la société XEROX SAS a saisi le juge de la mise en état pour qu'il soit statué sur l'exception d'autorité de chose jugée née de l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juin 2018.

Par ailleurs, dans les suites d'un retour au statut de distributeur le 1er mars 2018, un nouveau contentieux s'est noué le 3 mai 2018 devant le tribunal judiciaire de Bobigny saisi par le comité d'entreprise et les syndicats, pour que :

- les articles 6 et 11 du contrat de distributeur à risque limité soient déclarés nuls et inopposables dans le cadre du calcul de la participation,

- l'attestation du commissaire aux comptes pour l'exercice 2018 soit elle-même déclarée nulle ou en toute hypothèse ne présentant pas le caractère de sincérité nécessaire et pour que soit fixée le montant de la RSP ou qu'à titre subsidiaire, un expert soit désigné pour ce faire.

Par arrêt du 17 mars 2022, à ce stade frappé d'un pourvoi, la cour d'appel de Paris a infirmé la décision qui déclarait inopposables les articles 11 et 6-5 du contrat de distributeur et ordonnait une expertise, les demandes formées de ces chefs étant rejetées.

Parallèlement, le conseil des prud'hommes de Bobigny a été saisi, à compter de mars 2017 jusqu'en août 2018, de plus de 1 000 procédures individuelles opposant des salariés et des salariées ainsi que des anciennes et anciens salariés de l'entreprise XEROX SAS sollicitant la condamnation de cette dernière à leur verser des rappels de sommes au titre de leurs droits à participation.

C'est dans ce cadre que Mme [I] [T] a saisi le conseil des prud'hommes de Bobigny pour obtenir notamment, la condamnation de la société XEROX à :

- lui verser diverses sommes au titre de ses droits à participation, avec intérêts, au principal, au taux annuel de 9% tel que fixé par l'accord de participation et subsidiairement au taux incluant les intérêts légaux, c'est à dire les intérêts au taux minimum de l'accord de participation, soit le taux moyen de rendement des obligations de sociétés privées majoré de 1,33% pour retard dans le versement des sommes,

- lui verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 9 novembre 2021, cette juridiction a :

- débouté la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions,

- débouté la société XEROX SAS de ses propres demandes,

- condamné Mme [T] aux dépens.

Par déclaration déposée au greffe de la cour par voie électronique, l'intéressée a interjeté appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la cour :

- de juger recevable la demande d'expertise formée à titre subsidiaire,

- de débouter la société XEROX SAS de sa demande d'irrecevabilité à ce titre,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

- et statuant à nouveau,

- de prononcer la nullité des clauses du contrat dans le calcul de la participation,

- de déclarer nul le montant des capitaux propres fructifiant à l'étranger,

- à tout le moins, de les déclarer inopposables dans le cadre du calcul de la participation,

- de déclarer inopposables aux salariés tous les montages ayant pour but de réduire le résultat afin d'exonérer l'entreprise du versement de la participation,

- de prononcer la nullité des attestations de commissaires aux comptes,

- ou de les déclarer inopposables dans le cadre du calcul de la participation en raison de leur manque de sincérité,

- de condamner la société XEROX à lui verser une somme au titre d'un rappel sur la répartition de la réserve spéciale de participation,

- de désigner tel expert afin de déterminer pour les années 2015 à 2017 le montant de la participation qui lui est due à partir des comptes établis par l'expert judiciaire,

- de dire que les sommes dues porteront intérêts,

- au principal au taux de 9%, en application de l'accord de participation,

- à titre subsidiaire, au taux légal,

- subsidiairement,

- de désigner tel expert afin de déterminer le montant de sa participation,

- de condamner la société XEROX SAS à lui verser 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions, la société XEROX SAS demande au contraire à la cour :

- de déclarer irrecevables comme nouvelles en cause d'appel,

- la demande de désignation d'un expert,

- les demandes tendant à ce que soient déclarés nuls ou inopposables à la salariée le montant des capitaux propres fructifiant à l'étranger et les montages ayant pour but de réduire le résultat afin d'exonérer l'entreprise du versement de la participation,

- à titre principal,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit aux exceptions d'irrecevabilité s'agissant :

- des demandes en paiement d'une prime de participation, de nullité ou d'inopposabilité de la clause de rémunération stipulée dans le contrat de commissionnaire et de distributeur,

- des demandes de nullité ou d'inopposabilité des attestations des commissaires aux comptes,

- et le cas échéant, s'agissant de la demande nouvelle tendant à ce que soient déclaré nul ou inopposable au salarié le montant des capitaux propres fructifiant à l'étranger, pour le calcul de la participation,

- et statuant à nouveau,

- de juger irrecevables les demandes de l'appelante,

- en application de l'article L. 3326-1 du code du travail,

- à raison de l'autorité de la chose jugée,

- à raison de la prescription, pour les années 2005 à 2014,

- de débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de juger irrecevables la demande de nullité ou d'inopposabilité des montages ayant pour but de réduire le résultat,

- pour défaut d'intérêt à agir,

- en application de l'article L.3326-1 du code du travail,

- de débouter l'appelante de cette demande,

- de juger irrecevables les demandes de l'appelante, tendant à la désignation d'un expert à titre principal pour les exercices postérieurs à 2015 et subsidiairement pour les exercices antérieurs

- en application de l'article L. 3326-1 du code du travail,

- à raison de la prescription pour les années 2005 à 2014,

- de débouter l'appelante de ces demandes,

- à titre subsidiaire,

- de confirmer le jugement entrepris,

- de débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes et notamment de ses demandes nouvelles,

- en toute hypothèse,

- de débouter l'appelante de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- de la condamner à lui verser 250 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 juin 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 8 septembre suivant pour y être examinée.

Par notes en délibéré sollicitées par la cour lors de l'audience, et parvenues à la cour dans les délais requis, les parties ont été amenées à donner toute explication utile :

- sur le projet de loi, adopté en première lecture le 30 juin 2023, portant transcription de l'Accord National Interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023 portant modification de l'article L. 3326-1 du code du travail et prévoyant en son article 9 bis, un article L 3326-1-1 du code du travail aux termes duquel 'lorsque la déclaration des résultats d'un exercice est rectifiée par l'administration ou par le juge de l'impôt, que la rectification donne lieu ou non à l'application de majorations, à des poursuites pénales ou à une convention judiciaire d'intérêt public, le montant de la participation des salariés au bénéfice de cet exercice fait l'objet d'un nouveau calcul tenant compte des rectifications apportées'

- sur l'état d'avancement du pourvoi interjeté contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 17 mars 2022 avec transmission du rapport du conseiller rapporteur.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour et aux notes précitées pour les observations sollicitées par la cour.

MOTIFS

I- sur les irrecevabilités des demandes,

A- sur les demandes nouvelles,

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.'

Toutefois, l'article 566 du même code dispose que : 'Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.'

Il est admis que la demande formée en appel sur un fondement juridique nouveau totalement différent de celui invoqué devant le juge du premier degré ne constitue pas une prétention nouvelle.

La salariée ne conteste pas avoir initialement présenté au conseil des prud'hommes les demandes suivantes :

- dire et juger que les clauses de rémunérations prévues au contrat de commissionnaire ou au contrat de distributeur à risque limité sont nulles ou en toute hypothèse, inopposables aux salariés dans le cadre du calcul de la participation,

- dire que les attestations du commissaire aux comptes versées aux débats par la société ne présentent pas le caractère de sincérité nécessaire au titre de la législation sur la participation,

- condamner la société à verser les montants spécifiés dans les écritures individuelles déposées au titre des exercices 2005 à 2017 (ou jusqu'au dernier exercice durant lequel le salarié avait été employé pour les demandeurs ayant quitté l'entreprise antérieurement à 2017).

La société XEROX considère en conséquence que sont nouvelles au sens de l'article 564 du code de procédure civile, les demandes formées devant la cour tendant :

- à ce que soit déclaré nul et à tout le moins inopposable dans le cadre du calcul de la participation, le montant des capitaux propres fructifiant à l'étranger,

- à ce que soit déclaré inopposables tous les montages ayant pour but de réduire le résultat afin d'exonérer l'entreprise du versement de la participation,

- à ce que soit désigné tel expert afin de déterminer pour les années 2015 à 2017 le montant de la participation qui lui est due à partir des comptes établis par l'expert judiciaire,

- subsidiairement, à ce que soit désigné tel expert afin de déterminer le montant de sa participation.

Le montant des capitaux propres étant nécessaire à la détermination des sommes affectées à la RSP dont le calcul se fait, selon l'article L.3324-1 du code du travail, sur le bénéfice net sur lequel est opérée une déduction représentant la rémunération au taux de 5% des capitaux propres de l'entreprise, les demandes relatives aux capitaux propres de la société, ainsi que celle concernant la réduction du résultat, telles que formées par l'appelante doivent être considérées comme l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire à ses demandes initiales relatives à l'étendue de ses droits à la participation.

Il en est de même s'agissant de la désignation d'un expert pour que soit déterminé, pour les années 2015 à 2017, le montant de la participation à partir des comptes établis par l'expert judiciaire et celle formée à titre subsidiaire pour une détermination générale du montant de la participation, alors que ces dernières constituent seulement le complément de la demande initiale de condamnation au paiement d'une somme au titre d'un droit à distribution sur la réserve de participation.

L'irrecevabilité tirée du caractère nouveau de ces demandes est en conséquence rejetée.

B- sur l'autorité de la chose jugée,

En vertu de l'article 1355 du code civil, 'l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.'

Pour opposer cette exception la société XEROX SAS se fonde sur l'arrêt du 6 juin 2018 qui a tranché de manière définitive la question de l'absence de réserve de participation pour les exercices écoulés de 2005 à 2017 correspondant à la période d'application du statut de commissionnaire, en cassant et annulant sans renvoi l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 septembre 2016, le rejet des demandes formées à ce titre par le Comité Central d'Entreprise et trois syndicats étant en conséquence définitif.

Cependant, la société XEROX ne démontre pas que le litige dont la cour est actuellement saisie oppose les mêmes parties dès lors que la salariée appelante n'était ni présente ni représentée à l'instance mise en 'uvre par les syndicats agissant dans le cadre de l'intérêt collectif des professions qu'ils représentent et par le Comité Central d'Entreprise.

L'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée a donc été à juste titre rejetée et il ne peut être fait droit à l'infirmation sollicitée sur ce point.

C- sur la compétence,

Selon l'article L. 1411-1 du code du travail, 'le conseil des prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient.

Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti.'

Il en résulte que le conseil des prud'hommes est compétent pour les litiges individuels et non pour les litiges collectifs.

Lorsque les salariés portent simultanément devant le conseil des prud'hommes une action tendant à se faire individuellement reconnaître un droit identique fondé sur un même texte, il n'en résulte pas une intention manifestée de faire trancher sur le plan collectif une difficulté soulevée par l'application de la disposition en cause.

En l'espèce, la salariée sollicite que lui soient allouées diverses sommes au titre de son droit à distribution sur la réserve spéciale de participation.

Même si la solution du litige implique l'examen des conditions dans lesquelles la société XEROX a fait application du dispositif légal sur la participation et en particulier de l'article L. 3326-1 du code du travail, les demandes telles que rappelées ci-dessus, ont un caractère individuel, peu important la juxtaposition de demandes de même nature formées par d'autres salariés dans le cadre d'actions qui leur sont propres.

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu la compétence du conseil des prud'hommes pour trancher le litige individuel dont il était saisi.

L'irrecevabilité tirée de l'incompétence du conseil des prud'hommes a donc été à juste titre rejetée et il ne peut être fait droit à l'infirmation sollicitée sur ce point.

D- sur la prescription,

En application de l'article L. 1471-1 tel qu'issu de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, 'toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit'.

Il est admis que la prescription est déterminée par la nature de la créance invoquée.

La demande en paiement d'une somme au titre de la participation aux résultats de l'entreprise, laquelle n'a pas une nature salariale, relève de l'exécution du contrat de travail et est soumise à la prescription biennale de l'article L. 1471-1 du code du travail.

Par ailleurs, le principe est que la prescription n'est interrompue que relativement au droit invoqué dans la citation.

Il en résulte que l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, mais il en est autrement lorsque les deux actions tendent à un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première, ainsi, en particulier lorsque les deux actions au cours d'une même instance concernent l'exécution du même contrat de travail.

L'effet interruptif de la citation se double d'un effet suspensif jusqu'à l'extinction de l'instance, laquelle se matérialise au jour où le jugement est devenu définitif, ou, en cas d'appel, à la date à laquelle a été signifié l'arrêt d'appel.

Au regard de la date à laquelle la salariée a introduit son action devant le conseil des prud'hommes de Bobigny, la prescription biennale telle qu'issue de l'article susvisé dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013 est applicable.

Elle court à compter du jour où la salariée a eu ou aurait dû avoir connaissance des faits lui permettant d'exercer son droit.

En l'espèce, la saisine par la salariée du conseil des prud'hommes dans le cadre de son action individuelle avait pour but d'obtenir la condamnation de la société XEROX SAS à lui verser une somme au titre de la distribution de la réserve spéciale de participation dont le Comité Central d'Entreprise et trois syndicats avaient, dans le cadre de l'action intentée devant le tribunal judiciaire de Bobigny le 14 mars 2011, contesté les modalités de constitution.

Il en résulte que les deux actions tendent au même but, et que l'interruption de la prescription résultant de l'action collective initiale s'étend à l'action individuelle.

Alors que la saisine du conseil des prud'hommes est intervenue dans les deux ans de l'arrêt du 8 septembre 2016, date de l'arrêt de la cour d'appel de Paris confirmant le jugement du tribunal de Bobigny, à compter duquel il convient de considérer que la salariée a été en mesure de connaître ses droits relativement aux modalités de constitution de la réserve spéciale de participation, l'action individuelle intentée est recevable, ce que la cassation sans renvoi du 6 juin 2018 ne remet pas en cause.

S'agissant des sommes sollicitées, aucune autre prescription que celle relative aux exercices antérieurs à 2005 ne peut être opposée aux droits que l'intéressée prétend avoir sur ladite réserve dès lors que l'action collective initiée le 14 mars 2011 avait interrompu la prescription quinquennale telle qu'issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 et applicable à cette date.

Enfin, même si la demande d'annulation des attestations des commissaires aux comptes ne figurait pas dans les demandes initiales de la salariée et n'est apparue que dans les conclusions présentées devant le bureau de conciliation le 28 mai 2020, l'interruption de la prescription s'étend à cette demande qui découle du même contrat de travail et constitue au surplus, l'accessoire de la demande principale relative à constitution de la réserve spéciale de participation.

E- sur les attestations des commissaires aux comptes.

En vertu de l'article L. 3322-1 du code du travail, la participation, dispositif légal obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés, a pour objet de garantir collectivement le droit de participer collectivement aux résultats de l'entreprise et prend la forme d'une participation financière à effet différé, calculée en fonction du bénéfice net de l'entreprise.

L'article L. 3324-1 du code du travail, tant dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du n° 2017-1491 du 25 octobre 2017, que dans celles postérieures à cette ordonnance et à celle issue de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021, détermine les modalités de constitution de la réserve spéciale de participation (la RSP), précisant que les sommes qui y sont affectées sont calculées d'après le bénéfice de l'entreprise tel qu'il est retenu pour être imposé à l'impôt sur le revenu ou au taux de l'impôt sur les sociétés, diminué de l'impôt correspondant (bénéfice net), dont est déduit la somme représentant la rémunération au taux de 5% des capitaux propres de l'entreprise.

Ce même article précise en son quatrièmement, que la RSP des salariés est égale à la moitié du chiffre obtenu en appliquant au résultat des opérations effectuées conformément aux dispositions ci-dessus rappelées, le rapport des salaires à la valeur ajoutée de l'entreprise.

Les modalités de calcul de la RSP sont précisées par les articles D.3324-1 et suivants qui déterminent les salaires à retenir et ce que recouvre la notion de valeur ajoutée de l'entreprise.

Il en résulte que le bénéfice net et les capitaux propres constituent des paramètres déterminants pour les conditions dans lesquelles est abondée chaque année la RSP.

Ces dispositions, qui s'insèrent dans le titre 2 du livre 3 sur l'intéressement, la participation et l'épargne salariale, ont été reconnues comme d'ordre public absolu, aucun accord ne pouvant être moins avantageux pour les salariés.

Aux termes de l'article L. 3326-1 du code du travail, 'le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l'entreprise sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges nés de l'application du présent titre'.

Ce même article dispose que seules les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée prévus au quatrièmement de l'article L. 3324-1 relèvent, à défaut de procédures stipulées par les accords de participation, des juridictions compétentes en matière d'impôts directs, tous les autres litiges relatifs à l'application du titre 2 du livre 3 étant de la compétence du juge judiciaire.

Les articles D. 3325-1 à 3325-4 viennent préciser :

- que l'attestation du montant du bénéfice net et des capitaux propres est établie sur demande de l'entreprise soit par le commissaire aux comptes, soit par l'inspecteur des finances publiques, cas dans lequel la demande est accompagnée d'un état annexe rempli par l'entreprise et selon un modèle arrêté par le ministre de l'économie,

- que lorsqu'aucune demande d'attestation n'a été présentée six mois après la clôture d'un exercice, l'inspecteur du travail peut se substituer à l'entreprise pour obtenir cette attestation,

- que la modification d'assiette du bénéfice net intervenue après la délivrance d'une attestation donne lieu à l'établissement d'une attestation rectificative établie dans les mêmes conditions que l'attestation initiale.

Il doit être relevé ici, que lors de la négociation annuelle interprofessionnelle ayant abouti à l'Accord National Interprofessionnel (ANI) du 10 février 2023, les partenaires sociaux ont souhaité que soit apportée une modification à l'article  L. 3326-1 et un rapport d'information de la Commission des Finances de l'Economie générale et du Contrôle Budgétaire sur l'évaluation des outils fiscaux et sociaux de partage de la valeur a été déposé à l'assemblée nationale le 12 avril 2023, confirmant la nécessité d'une évolution de ce texte.

Le 29 juin 2023 a été déposé un projet de loi portant transposition de l'ANI relatif au partage de la valeur au sein de l'entreprise et incluant en son article 9 bis un article L.3326-1-1 du code du travail aux termes duquel 'lorsque la déclaration des résultats d'un exercice est rectifiée par l'administration ou par le juge de l'impôt, que la rectification donne lieu ou non à l'application de majorations, à des poursuites pénales ou à une convention judiciaire d'intérêt public, le montant de la participation des salariés au bénéfice de cet exercice fait l'objet d'un nouveau calcul tenant compte des rectifications apportées'.

A la date de l'audience, ce projet de loi avait été adopté en première lecture le 30 juin 2023.

Ces derniers éléments, mis aux débats par la cour, ont fait l'objet des notes en délibéré susvisées.

La société XEROX SAS conclut à l'irrecevabilité de l'action, dès lors que les montants du bénéfice net et des capitaux propres font l'objet d'une attestation du commissaire aux comptes, le juge ne peut se fonder sur d'autres documents pour statuer sur la demande d'un salarié relativement à ses droits à participation et que toute demande d'un salarié tendant à remettre en cause directement ou indirectement les montants établis par une attestation du commissaire aux comptes est irrecevable.

Cependant si les dispositions d'ordre public absolu de l'article L.3326-1 conduisent à l'irrecevabilité de toute action de remise en cause du bénéfice net à partir duquel est calculée la RSP, encore faut-il que l'attestation déterminant cette donnée soit conforme aux prescriptions légales.

Ainsi, en l'absence d'attestation ou en présence d'une attestation incomplète ou insincère, l'action en contestation est recevable.

Selon le dictionnaire Larousse, 'la sincérité est la qualité de ce qui est sincère', c'est à dire, '1° qui s'exprime sans déguiser sa pensée; franc, loyal, 2°qui est éprouvé dit ou fait d'une manière franche; authentique, vrai'.

En l'espèce, la salariée ne remet pas en cause l'existence même des attestations délivrées, successivement par deux commissaires aux comptes différents (attestation du 24 mai 2013 de M. [B], portant sur les exercices 2005 à 2009 et attestations rédigées par le cabinet PWC pour les exercices courants à partir de 2010), puisque ces dernières comportent les mentions exigées par la loi et qu'elles concordent avec les montants du bénéfice et des capitaux propres tels qu'ils ressortent des déclarations formulées auprès de l'administration fiscale par la société XEROX SAS.

Pour autant, elle en conteste la sincérité et demande qu'elles soient déclarées nulles, en relevant qu'elles ne répondent pas aux exigences légales prescrivant au commissaire aux comptes auteur de l'attestation de réaliser préalablement à leur délivrance des investigations de nature à vérifier qu'au-delà des apparences comptables, l'obligation de droit public absolu de garantir la participation des salariés a bien été respectée, cette défaillance étant démontrée par la délivrance rétroactive en 2013, des attestations pour les années 2005 à 2011 et par l'absence de mise en 'uvre de tout contrôle complémentaire pour les exercices suivants, alors que la fraude aux droits à participation des salariés était débattue devant les tribunaux dans le cadre d'actions collectives menées contre l'employeur à l'occasion desquelles les passages successifs des statuts de distributeurs à commissionnaire en 1996, puis de commissionnaire à distributeur à responsabilité limitée en 2018 étaient contestés.

Puisque la salariée remet en cause la loyauté des commissaires aux comptes auxquels elle reproche la délivrance d'attestations de l'article L. 3326-1 du code du travail non sincères comme n'ayant pas été les fruits d'investigations préalables sur le bénéfice net et les capitaux propres tels qu'ils apparaissent dans la comptabilité de la société en fraude de ses droits sur la participation résultant d'un passage artificiel d'un statut à un autre dont il soutient apporter la démonstration, son action doit être déclarée recevable.

II- au fond,

A- sur le rôle des commissaires aux comptes

En vertu de l'alinéa 1er de l'article L. 823-9 du code de commerce les commissaires aux comptes certifient en justifiant de leur appréciation, que les comptes annuels sont réguliers et sincères et donnent une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la personne ou de l'entité à la fin de cet exercice.

L'article L. 823-10 alinéa 1er dispose que 'les commissaires aux comptes ont pour mission permanente, à l'exclusion de toute immixtion dans la gestion, de vérifier les valeurs et les documents comptables de la personne ou de l'entité dont ils sont chargés de certifier les comptes et de contrôler la conformité de sa comptabilité aux règles en vigueur'.

Comme le rappelle l'article L. 823-12-1, les commissaires aux comptes exercent leurs diligences selon une Norme d'Exercice Professionnelle (NEP) spécifique, dont les articles A823-1 et suivants du même code donnent le détail pour chaque étape de la mission.

Au nombre de celles-ci, figure la NEP 240, que le commissaire aux comptes doit mettre en application lorsque doivent être envisagées des 'possibilités de fraude lors de l'audit des comptes' dont il est dit qu'elles sont susceptibles d'entraîner des anomalies significatives dans les comptes à savoir des actes intentionnels portant atteinte à l'image fidèle des comptes et de nature à induire en erreur l'utilisateur de ces comptes, ou le détournement d'actif.'

La NEP 9030 détermine quant à elle les conditions dans lesquelles le commissaire aux comptes délivre des attestations entrant dans le cadre des 'diligences directement liées à sa mission' (dites DDL), sous-entendu principale, en application de l'article L.823-10 alinéa 1er précité, l'attestation de l'article L. 3326-1 relative au bénéfice net et aux capitaux propres entrant donc dans cette catégorie en ce qu'elle est secondaire à la mission principale de contrôle, notamment du bénéfice net et des capitaux propres.

Par ailleurs, l'article L. 225-38 du code de commerce impose de soumettre à l'autorisation préalable du conseil d'administration toute convention intervenant directement ou par personne interposée entre la société et l'un de ses actionnaires disposant d'une fraction des droits de vote supérieure à 10% ou s'il s'agit d'une société actionnaire, la société la contrôlant au sens de l'article L 233-3.

L'article 227-10 prévoit alors que le commissaire aux comptes doit dans ce cas présenter aux associés un rapport sur ces conventions.

Les dispositions de l'article L. 225-39 du code de commerce conduisent quant à elles à considérer que ne sont pas soumises à la procédure des conventions réglementées les conventions passées par une société mais portant sur des opérations courantes et conclues à des conditions normales et les conventions conclues entre deux sociétés dont l'une détient directement ou indirectement la totalité du capital de l'autre.

La salariée considère que les conventions successives passées entre XEROX SAS et sa maison mère et dont l'issue a été le changement de statut de distributeur à commissionnaire d'abord, puis de commissionnaire à distributeur à responsabilité limitée, devaient, qu'elles s'analysent en des conventions réglementées ou en des conventions non réglementées, faire l'objet de la part du commissaire aux comptes, d'une analyse devant figurer, soit dans les rapports spéciaux au regard de leur caractère de conventions réglementées, soit dans les rapports généraux du fait de leur caractère de conventions non réglementées mais s'analysant en des transactions significatives telles que visées à l'article  831-3 du plan comptable général selon lequel : 'outre les informations mentionnées aux article 831-1 et 831-2, les entités fournissent les informations suivantes dès lors qu'elles sont significatives: une liste des transactions significatives effectuées par la société avec les parties liées lorsque ces transactions n'ont pas été conclues aux conditions normales de marché(...)'.

Si la NEP 240 ne renvoie pas spécifiquement à une procédure à suivre relativement à une suspicion de fraude aux droits à participation des salariés, dès lors que la RSP est constituée en fonction d'éléments de comptabilité, à savoir : le résultat et les capitaux propres, sur lesquels le commissaire aux comptes a un pouvoir d'audit, il faut admettre que la fraude éventuellement commise par la société, pour déterminer ces deux paramètres relève du pouvoir de contrôle du commissaire aux comptes tel qu'il résulte des dispositions du code de commerce ci-dessus rappelées.

En conséquence, le juge judiciaire auquel il a été reconnu le pouvoir de vérifier la sincérité de l'attestation du commissaire aux comptes telle que prévue à l'article L. 3326-1 du code du travail délivrée, en qualité de 'diligence directement liée à la mission d'audit (...) ' en application de la norme 9030 précitée, est compétent pour déterminer si, dans le cadre de sa mission principale d'audit définie à l'article L. 823-10 alinéa 1er précité, le commissaire aux comptes a répondu aux exigences de ses normes d'exercice professionnelles, en particulier de celle tenant à 'une possibilité de fraude lors de l'audit des comptes' et vérifier que le bénéfice net et les capitaux propres ne recélaient pas une telle possibilité.

L'absence de sincérité des contrôles exercés par les commissaires aux comptes ne peut être considérée comme résultant du non-respect des dispositions de l'article  L. 225-38 et L. 227-10 précités alors que la réunion des conditions posées relativement à la nécessité d'une autorisation préalable du conseil d'administration à raison du caractère réglementé de la convention n'est pas démontrée, la convention de commissionnaire puis celle de distributeur à responsabilité limitée ayant été passée entre XEROX SAS, filiale à 100% et sa société mère.

De même ne peut-il être considéré que l'absence de sincérité de l'attestation de l'article  L. 3326-1 et par conséquent de tout document lié à l'exécution de la mission principale des commissaires aux comptes résulte du caractère rétroactif de l'attestation établie par M. [B], le 24 mai 2013 pour les exercices 2005 à 2009, alors que les textes n'interdisent ni ne sanctionnent les modalités d'une telle délivrance, puisqu'ils prévoient seulement, dans l'hypothèse où aucune demande d'attestation n'a été présentée par la société six mois après la clôture d'un exercice, la possibilité pour l'inspecteur du travail de se substituer à l'entreprise pour obtenir l'attestation susvisée, ce qui n'a manifestement pas été mis en 'uvre en l'espèce.

De plus, en l'absence de tout bénéfice net et de capitaux propres de nature à générer la constitution d'une réserve spéciale de participation, la nécessité de l'établissement annuel d'une telle attestation, dont le but est de fixer les assiettes de calcul de ladite réserve, n'est pas autrement démontrée.

Ni la nullité ni l'inopposabilité des attestations en cause ne peuvent être prononcées de ce chef.

B- sur la fraude,

La fraude, dont il est admis qu'elle corrompt tout, s'analyse en un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois.

L'article L.132-1 du code de commerce définit le commissionnaire comme étant celui qui agit en son propre nom ou sous un nom social pour le compte du commettant, les droits et les devoirs du commissionnaire qui agit au nom d'un commettant étant déterminés par le titre XIII du livre III du code civil.

S'il n'existe aucune règle fixant directement des règles de rémunérations minimales des commissionnaires, il se déduit de l'article 57 du Code général des Impôts et des prescriptions édictées par l'Organisation de Coopération et de Développement Economique (l'OCDE), que doit s'appliquer en la matière, sous peine de redressement fiscal éventuel, le principe dit de pleine concurrence.

De ce principe il résulte que les prix de transfert établis entre sociétés liées par un contrat de commissionnaire doivent être similaires à ceux établis entre acteurs du marché indépendants, à défaut de quoi les bénéfices transférés via les prix de transfert doivent être redressés, l'objectif étant que le commissionnaire reçoive à travers ce prix de transfert, une rémunération conforme aux conditions du marché et que la part des profits ne soit ni minorée ni majorée abusivement.

La salariée soutient que le statut de commissionnaire a été adopté à compter de 1996 et jusqu'en 2018 dans le seul but pour l'entreprise de se soustraire non seulement au paiement de l'impôt mais encore à la constitution de la Réserve Spéciale de Participation, dès lors que le bénéfice de la société XEROX SAS s'en est trouvé minoré par l'adoption d'un prix de transfert non conforme, une fraude à ses droits à participation étant ainsi réalisée.

Cependant, il ne peut être considéré que sont caractérisés par ces faits des moyens déloyaux de nature à faire procurer un avantage indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'exécution des lois relativement à la constitution de la RSP, alors qu'aucune critique ne peut être retenue sur les bénéfices nets successifs servant à la détermination de cette réserve tels qu'ils ressortent des prix de transfert pratiqués et des modalités de leur détermination, les analyses réalisées à la demande de l'employeur au titre de la documentation fiscale (pièces 11 et 12 de l'employeur) démontrant que ces prix sont conformes aux pratiques du marché et que lorsqu'ils ne l'étaient pas comme en 2012, un redressement fiscal a été opéré à ce titre mais qu'il n'a pas conduit à la constitution d'une RSP, les autres périodes de contrôle effectif (2017 et 2018), n'ayant abouti à aucun redressement sur ce point.

En tout état de cause, l'existence d'un redressement fiscal ne suffit pas à caractériser la fraude, la preuve de la volonté d'échapper à l'exécution des lois relatives aux droits à la participation ne pouvant en être déduite.

Les bénéfices tels que résultant des prix de transfert sur l'ensemble de la période du contrat de commissionnaire ne peuvent donc être remis en cause puisque conformes aux prix du marché et il ne peut en conséquence être fait grief aux commissaires aux comptes de n'avoir, lors de l'audit des comptes qu'ils se devaient de pratiquer dans le cadre de leur mission générale, relevé aucune suspicion de fraude ni mis en application la NEP 240, la décision de passage au statut de commissionnaire, que la société XEROX défend comme présentant des avantages économiques en centralisant les risques et fonctions au niveau de la maison mère pour réaliser des économies d'échelles et réduire les risques et les coûts supportés par ses filiales commissionnaires, relevant des choix de gestion sur lesquels ni eux ni le juge ne peuvent interférer, aussi regrettable soit-elle au regard des droits à participation du salarié.

Ce d'autant que rien ne permet de contester les conclusions des études versées par l'employeur aux termes desquelles la rémunération obtenue par la société XEROX SAS sur la période du contrat de commissionnaire est en ligne avec celle qui aurait été versée si le profil fonctionnel n'avait pas changé et que la réorganisation décidée en 1996 est présentée sans que ce point soit contesté, comme mise en 'uvre à l'échelle européenne pour toutes les filiales dans le but d'une efficacité opérationnelle plus grande au regard du caractère très concurrentiel du secteur d'activité.

L'existence d'une insincérité de l'attestation à raison d'une fraude relative aux capitaux propres, second paramètre du calcul de la RSP ne peut davantage être retenue.

La salariée rappelle sur ce point que si le résultat est inférieur à 5% des capitaux propres, la RSP n'a pas à être constituée, des capitaux propres pléthoriques diminuant d'autant l'éventualité de droits à participation.

Elle fait grief au commissaire aux comptes de ne pas avoir relevé que les capitaux propres de la société XEROX SAS étaient anormalement élevés et gérés de manière surprenante en ce qu'ils fructifient à l'étranger sans déduction du montant des fonds ainsi investis, l'assiette de la RSP devant être ré-estimée en excluant les flux qui prospèrent hors de France.

Cependant, elle n'apporte pas la preuve d'une fraude de la société XEROX SAS ni dans l'évaluation ni dans la gestion de ses capitaux propres.

En effet, aux termes de l'article D.3324-4 du code du travail, si les capitaux propres investis à l'étranger doivent être déduits de la base de calcul de la participation, la salariée n'oppose aucun élément au fait que la doctrine fiscale telle qu'elle résulte du bulletin officiel des Impôts du 4 février 2015 visé par l'employeur, conduit à retrancher des capitaux propres ceux investis dans les établissements directs situés à l'étranger, soit, des succursales, comptoirs, bureaux d'achats, de vente, d'études ou de renseignements et d'une façon plus générale toute exploitation ne disposant pas d'une personnalité juridique distincte, les avances de trésorerie auprès de la société du groupe chargée de gérer la trésorerie du groupe en Europe ainsi vilipendées ne pouvant correspondre à de tels investissements puisque leur qualité de liquidités immédiatement disponibles n'est pas remise en cause.

De plus, le fait que les intérêts perçus pour ces sommes mises à disposition soient comptabilisés et intégrés dans le résultat de la société XEROX constituant le premier paramètre du calcul de la RSP n'est pas autrement contesté.

Aucune fraude ne peut donc être relevée dans le cadre de la mission des commissaires aux comptes telle que limitativement définie à l'article L. 823-10 al 1er.

Il en est de même s'agissant des contrôles opérés dans le cadre de la mission générale d'audit de la comptabilité postérieurement au choix opéré en 2018 de passer au statut de distributeur à responsabilité limitée, le seul constat de l'absence de constitution d'une Réserve Spéciale de Participation étant insuffisant à caractériser la fraude dont la salariée se prévaut.

En conclusion, aucune fraude n'étant démontrée, les attestations contestées doivent être déclarées sincères comme résultant de missions liées à des opérations de contrôle du bénéfice net et des capitaux propres elles-mêmes répondant aux critères de sincérité de la mission principale des commissaires aux comptes.

La salariée doit donc en conséquence être déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement confirmé sur ce point.

Malgré l'issue du litige, il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

DECLARE RECEVABLE l'ensemble des demandes de Mme [T],

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [T] aux dépens de première instance et d'appel.

DEBOUTE les parties de l'ensemble de leurs demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/00916
Date de la décision : 15/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-15;22.00916 ?
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