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13/05/2024 | FRANCE | N°23/02021

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 13 mai 2024, 23/02021


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 13 Mai 2024



(n° , 5 pages)



N°de répertoire général : N° RG 23/02021 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHATJ



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 04 Novembre 2022 par M. [T] [V] né le [Date naissance 1] 1961 à [Lo...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 13 Mai 2024

(n° , 5 pages)

N°de répertoire général : N° RG 23/02021 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHATJ

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 04 Novembre 2022 par M. [T] [V] né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 4] (DANEMARK), domicilié chez son avocat Me Jean-Baptiste LECLERC - [Adresse 2] ;

Non comparant

Représenté par Me Jean-Baptiste LECLERC, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 22 Avril 2024 ;

Entendu Me Jean-Baptiste LECLERC, représentant M. [T] [V],

Entendu Me Virginie METIVIER, avocat au barreau de PARIS, représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [T] [V], né le [Date naissance 1] 1961, de nationalité danoise, a été mis en examen des chefs de transport, détention, acquisition, importation sans autorisation de produits stupéfiants, ainsi que d'importation, détention et transport sans déclaration préalable de marchandise prohibée au sens du code des douanes, puis placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de [Localité 3] le 11 août 2021.par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny.

Le 23 décembre 2021, le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny a rendu une ordonnance de remise en liberté qui était infirmée par un arrêt du 29 décembre 2021 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris.

Le 10 mars 2022, le magistrat instructeur a ordonné le renvoi de M. [V] devant le tribunal correctionnel de Bobigny et son maintien en détention.

Par jugement du 07juin 2023, la 13e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny a renvoyé M. [V] des fins de la poursuite. Le requérant a produit un certificat de non appel de la décision de première instance en date du 20 juin 2022 qui a un caractère définitif.

Le 04 novembre 2022, M. [V] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci :

- que sa requête soit déclarée recevable,

- le paiement des sommes suivantes :

* 90 000 euros au titre de son préjudice moral

* 4 696,60 euros au titre de son préjudice matériel,

* 1 400 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 11 mars 2024, M. [V] a maintenu ses demandes.

Lors de l'audience de plaidoiries du 22 avril 2022, M. [V] a maintenu ses demandes, à l'exception de celle sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et il sollicite désormais l'allocation d'une somme de 1 160 euros.

Dans ses écritures, déposées le 05 juin 2023 et développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de ramener l'indemnité qui sera allouée à M. [V] en réparation de son préjudice moral à de plus justes proportions, qui ne sauraient excéder la somme de 24 000 euros, de débouter M. [V] de sa demande au titre du préjudice matériel et de limiter la somme allouée à M. [V] au titre des frais irrépétibles à la somme de 1 160 euros.

Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 26 février 2024, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention de trois-cent-un jours, à la réparation du préjudice moral subi par M. [V] dans les conditions indiquées et à la réparation du préjudice matériel dans les conditions indiquées.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.

M. [V] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 04 novembre 2022, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive, et justifie du caractère définitif de cette décision par la production du certificat de non appel en date du 20 juin 2022 du jugement du 07 juin 2022 du tribunal correctionnel de Bobigny.

La requête de M. [V] est donc recevable pour une durée indemnisable de 301 jours.

Sur l'indemnisation

- Sur le préjudice moral

M. [V] considère qu'il a subi un choc carcéral important car il s'agissait d'une première incarcération pour lui, alors qu'il était âgé de 59 ans et qu'il ne parlait pas français, mais danois et anglais. Il présentait par ailleurs de graves problèmes de santé qui ont été attestés par le médecin qui le suivait en Grèce, qu'il n'a pas pu suivre ses traitements habituels en détention, qu'il a été suivi par un psychiatre à sa libération en raison des conditions difficiles de détention et son incarcération a aggravé son état de santé. Il évoque également les conditions particulières de détention au sein de la maison d'arrêt de [Localité 3] qui est une des prisons les plus insalubres de France, qu'il a été incarcéré pendant la période de pandémie de Covid 19, que l'Etat a été récemment condamné relativement aux conditions de détention dans cet établissement pénitentiaire et qu'un rapport de l'OIP de juin 2023 a mis en évidence la présence de souris, cafards, punaises et puces et les conditions des promenades des détenus. C'est pourquoi il sollicite l'allocation d'une somme de 90 000 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat considère que pour apprécier l'importance du choc carcéral, il convient de tenir compte de l'absence de passé carcéral du requérant, du fait qu'il était marié et père de famille, de la rupture des liens familiaux, de ne pas parler français et de la durée de sa détention. Par contre, il ne peut être retenu l'état de santé de M. [V] qui présente des pathologies depuis près de 25 ans qui préexistait donc à son incarcération et il n'est pas démontré que du fait de son placement en détention ces pathologies se soient aggravées. Il ne peut non plus être tenu compte du fait qu'il n'a pas pu voir ses filles alors qu'elle demeuraient au Danemark et que lui même était domicilié en Grèce. M. [V] ne démontre pas d'avantage avoir personnellement souffert des conditions particulièrement difficiles à la maison d'arrêt de [Localité 3]. C'est pourquoi il est proposé une somme de 24 000 euros en réparation de ce préjudice.

Le procureur général considère qu'il y a lieu de tenir compte de l'absence de condamnation pénale, et de l'isolement linguistique et familial de M. [V] durant son placement en détention provisoire. De même, il sera retenu que l'état de santé dégradé du requérant a rendu ses conditions de détention plus difficile, mais il n'est pas démontré que son état de santé se soit dégradé en détention. Les conditions dégradées de détention à la maison d'arrêt de [Localité 3] sont attestées par un rapport de l'OIP du mois de juin 2022 et par le fait que cela s'est produit durant une période de pandémie de Covid-19.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [V] était âgé de 59 ans au moment de son incarcération, vivait en couple et était père de deux filles issues d'une précédente union. Il y a donc eu une séparation d'avec sa famille. Le bulletin numéro 1de son casier judiciaire ne porte trace d'aucune condamnation. C'est ainsi que le choc carcéral initial a été important.

La durée de la détention provisoire, 301 jours en l'espèce, n'est pas non plus un facteur aggravant du préjudice moral mais un élément d'appréciation de celui-ci.

Le requérant, de nationalité danoise, ne parlait pas la langue française et ses filles domiciliées au Danemark n'ont pu lui rendre visite en détention. C'est ainsi que M. [V] a été l'objet d'un isolement linguistique et familial en détention qui a majoré son choc carcéral.

S'agissant de ses conditions de détention, l'insalubrité du centre de détention de [Localité 3] est attestée par un rapport de l'Observatoire International des Prisons (OIP) du mois de juin 2022 qui fait état de présence persistante de cafards, punaises et puces en détention, que cet établissement a été épinglé plusieurs fois pour ses conditions de détention indigne et que les conditions des promenades de détenus étaient contraires à l'article 3 de la CEDH. De plus, le fait d'avoir été incarcéré durant une période de pandémie de Covid-19 a rendu les conditions de détention plus difficiles. Ces éléments constituent des facteurs d'aggravation du choc carcéral.

Il n'est par contre pas démonté que l'état de santé de M. [V] se soit aggravé en détention ni qu'il n'ait pas pu suivre ses traitements habituels, dés lors qu'il est établi que celui-ci s'est vu prescrire de nombreux médicaments durant son temps de détention provisoire. A l'inverse, les nombreuses pathologies dont souffrait M. [V] antérieurement à son incarcération, qui sont attestées par son médecin traitant et qui se sont poursuivies durant sa détention ont rendu plus difficiles les conditions de cette détention.

C'est ainsi qu'au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [V] une somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral.

- Sur le préjudice matériel

M. [V] considère qu'il lui a été notifié durant sa détention son expulsion de l'appartement qu'il occupait en Grèce et qu'il n'a donc pu vider cet appartement. C'est pourquoi, il lui a été notifié des frais d'éviction pour un montant de 3 096,60 euros qu'il sollicite et qui sont en lien direct avec son placement en détention provisoire. Il sollicite également le remboursement d'une place de camping qu'il louait l'été et qu'il n'a pas pu payer. En raison de son retard de paiement, il a du régler la somme de 1 600 euros au propriétaire du camping.

Selon l'agent judiciaire de l'Etat, le requérant n'établit pas le lien direct et certain qu'il y aurait entre l'expulsion de son logement en Grèce pour impayés de loyers e la détention provisoire qu'il a subi, alors que selon l'enquête APCARS il y habitait avec sa compagne. De même, la location d'une place de camping est sans lien avec cette détention provisoire.

Le ministère public indique que la notification de l'éviction du logement a eu lieu pendant la détention provisoire du requérant est semble en lien avec celle-ci. En revanche le lien entre la détention et les frais dus à un retard de paiement d'un emplacement de camping n'est pas établi.

Il ressort des pièces produites aux débats et notamment du rapport d'enquête de personnalité que M. [V] habitait en Grèce avec sa compagne au jour de son placement en détention provisoire dans un logement qu'il louait. A la suite du non paiement de son loyer, il lui a été notifié par un huissier de justice la décision du tribunal d'instance de Korinthos de payer les arriérés de loyer avec intérêts de retard, de quitter les lieux loués dont il est expulsé et de payer les divers frais de procédure. Ces différentes sommes se sont élevées à un montant total de 3 096,60 euros selon l'acte d'huissier du.26 avril 2022 qui correspond à la période de détention du requérant. Il y a donc un lien direct et certain avec le placement en détention provisoire et cette somme lui sera allouée.

Par contre, il n'est pas démontré que le paiement de la somme de 1 600 euros au camping [5] le 5 octobre 2022 pour la location d'un emplacement de camping soit en lien avec le placement en détention provisoire de M. [V] et cette demande sera rejetée.

Dans ces conditions, il sera alloué une somme de 3 096,60 euros à M. [V] en réparation de son préjudice matériel.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [V] ses frais irrépétibles et une somme de 1 160 euros lui sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [T] [V] recevable,

Lui allouons les sommes suivantes :

- 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- 3 096,60 euros en réparation de son préjudice matériel,

- 1 160 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [T] [V] du surplus de ses demandes.

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 13 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 23/02021
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-13;23.02021 ?
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