La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/05/2024 | FRANCE | N°21/21396

France | France, Cour d'appel de Paris, Chambre 1-5dp, 13 mai 2024, 21/21396


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Chambre 1-5DP



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 13 Mai 2024



(n° , 6 pages)



N°de répertoire général : N° RG 21/21396 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEZKK



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des

débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 13 Décembre 2021 par M. [D],[V],[J] [X] né le [Date naissance 1] 19...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 13 Mai 2024

(n° , 6 pages)

N°de répertoire général : N° RG 21/21396 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEZKK

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 13 Décembre 2021 par M. [D],[V],[J] [X] né le [Date naissance 1] 1965 à [Localité 3], demeurant [Adresse 2] ;

Non comparant

Représenté par Me Thierry FILLON de la SCP THIERRY FILLION, SCP D'AVOCATS, avocat de barreau de RENNES, substitué par Me Manon OUVRARD, avocat au barreau de PARIS ;

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 04 Mars 2024 renvoyée contradictoirement à l'audience du 22 avril 2024 ;

Entendue Me Manon OUVRARD, avocat au barreau de PARIS, représentant M. [D],[V],[J] [X],

Entendue, Me Fabienne DELECROIX, avocat au barreau de PARIS, substituée par Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Entendue Madame Martine TRAPERO, Avocate Générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [D] [X], né le [Date naissance 1] 1965, de nationalité française, a été mis en examen le 09 octobre 2009 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire d'Auxerre des chefs de vol à main armée et tentative de meurtre sur des agents de la force publique. Le même jour, il a été placé sous mandat de dépôt criminel jusqu'au 06 octobre 2010, date à laquelle il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire a été rendue par le magistrat instructeur de cette juridiction.

Il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel d'Auxerre pour des faits requalifiés en vol avec violence dans un lieu destiné à l'entrepôt de fonds et de violences volontaires sur des fonctionnaires de police dans l'exercice de leur fonction avec usage ou menace d'une arme.

Par jugement du 24 août 2017, le tribunal correctionnel d'Auxerre a déclaré M. [X] coupable des faits qui lui étaient reprochés, l'a condamné à la peine de 6 ans d'emprisonnement et décerné un mandat de dépôt, qui a été mis en exécution le 06 septembre 2017.

Par arrêt du 7 mars 2018, la cour d'appel de Paris l'a remis en liberté et a ordonné un supplément d'information.

Par arrêt du 17 octobre 2018, la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel de Paris a renvoyé M. [X] des fins de la poursuite. Cette décision est devenue définitive à son égard comme en atteste le certificat de non-pourvoi du 18 avril 2024.

Par requête du 15 avril 2019, adressée au premier président de la cour d'appel de Paris et enregistrée le 13 décembre 2021, M. [X] sollicite la réparation de la détention provisoire effectuée du 1er décembre 2017 au 7 mars 2018, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement à l'audience du 22 avril 2024 de :

Lui allouer les sommes suivantes :

7 500 euros à titre de réparation du préjudice moral subi,

7 500 euros en réparation du préjudice matériel,

3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 22 janvier 2024, développées oralement, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la Cour d'appel de Paris de :

A titre principal :

Juger irrecevable la requête de M. [X], faute de production d'un certificat de non-pourvoi ;

A titre subsidiaire :

Lui allouer la somme de 5 500 euros en réparation de son préjudice moral en lien avec son placement en détention ;

Débouter M. [X] de sa demande au titre du préjudice matériel ;

Ramener à de plus justes proportions la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile

Le ministère public, dans ses dernières conclusions notifiées le 01 février 2024 et reprises oralement à l'audience, conclut :

A titre principal : à l'irrecevabilité de la requête ;

A titre subsidiaire, en cas de production d'un certificat de non pourvoi en cours d'instance :

A la recevabilité de la requête pour une détention de 96 jours ;

A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;

Au rejet de la demande d'indemnisation du préjudice matériel

Le requérant a eu parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention

Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel. Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.

En l'espèce, M. [X] a présenté sa requête en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire le 15 avril 2019, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive, comme en atteste le certificat de non pourvoi du 18 avril 2024. Cette requête contenant l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusions visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

Cependant, il est de jurisprudence constante que si au cours de la période de détention provisoire, le requérant a également exécuté une ou plusieurs peines d'emprisonnement du fait d'autres infractions, ces périodes doivent être déduites de la durée de la détention indemnisable.

Il ressort de la fiche pénale de M. [X] que ce dernier a fait l'objet d'une détention pour autre cause dans le cadre de différentes procédures pénales, du 09 octobre 2009 au 15 mai 2011, date à laquelle il a bénéficié d'une libération conditionnelle, jusqu'au 14 décembre 2016. Le 1er décembre 2016, il a fait l'objet d'une révocation de sa libération conditionnelle, mise à exécution le 8 décembre 2016 jusqu'au 1er décembre 2017.

Par conséquent, la requête est recevable pour la période du 1er décembre 2017 au 7 mars 2018, soit 96 jours, période au cours de laquelle le requérant n'était pas détenu pour autre cause.

Sur l'indemnisation

Sur le préjudice moral

Le requérant fait valoir qu'il a vécu un sentiment d'injustice et un choc psychologique lié à la gravité des faits qui lui étaient reprochés, ainsi qu'à l'importance de la peine encourue. Les qualifications pénales retenues lui faisaient encourir la réclusion criminelle à perpétuité. Monsieur [X] précise que son préjudice est aggravé par le fait que ce dossier ne lui ait par permis d'exécution son autre peine dans des conditions normales et ce, en raison de la longueur de la procédure.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public considèrent que le préjudice moral s'apprécie au regard de différents critères dont l'âge du requérant, la durée et les conditions de la détention, son état de santé, sa situation familiale et d'éventuelles condamnations antérieures.

L'agent judiciaire de l'Etat soutient que la lourdeur de la peine encourue et la gravité des faits ne sont pas en lien direct avec la détention provisoire, que le sentiment d'injustice, qui implique de porter une appréciation sur le bien-fondé du placement en détention et le déroulement de la procédure ne peuvent influer sur le quantum de son indemnisation.

Le ministère public soutient que M. [X] a été mis en examen pour des faits de nature criminelle en 2009 qui ont été requalifiés en délits en 2016. Il ressort du bulletin numéro 1 de son casier judiciaire qu'au 1er décembre 2017, il avait déjà été condamné à 16 reprises dont 2 fois par une cour d'assises. Le choc carcéral est donc largement amoindri, et il ne pourra pas être tenu compte de la longueur de la procédure ni des refus d'actes complémentaires par le juge d'instruction, car ces éléments ne découlent pas directement de la détention provisoire effectuée mais du déroulement de la procédure pénale.

Il ressort des pièces produites aux débats que M. [X], âgé de 52 ans au moment de son incarcération, était célibataire et père d'un enfant né en 2004.

Il ne s'agissait pas d'une première incarcération pour le requérant car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire portait déjà trace de 19 condamnations entre juillet 1987 et mars 2019, dont 14 étaient assorties d'une peine d'emprisonnement ferme et 2 de réclusion criminelle pour une durée de 12 et 13 ans.

C'est ainsi que le choc carcéral a été très largement amoindri.

Il convient de rappeler aussi que la réparation de la détention provisoire n'a pas vocation à remettre en cause la procédure judiciaire qui a mené au placement en détention. Il est également de jurisprudence constante que le choc carcéral ne prend pas compte le sentiment d'injustice qu'a pu naturellement ressentir le requérant au moment de son placement en détention provisoire. C'est ainsi que les éléments de M. [X] sur la longueur de la procédure et sur le sentiment d'injustice ne constituent donc pas des facteurs d'aggravation du choc carcéral.

Concernant le choc psychologique lié à l'importance de la peine encourue, la Commission Nationale de Réparation des Détentions admet que lorsque sont en cause certaines infractions pour lesquelles les peines encourues sont particulièrement lourdes, la souffrance psychologique engendrée par cette mise en cause a pour conséquence d'aggraver le préjudice moral.

C'est ainsi que M. [X] a été mis en examen pour des faits de nature criminelle en 2009 qui ont été requalifiés en délits en 2016. Au départ, les qualifications retenues lui faisaient encourir la réclusion criminelle à perpétuité. Cependant, d'après le bulletin numéro de son casier judiciaire, le requérant a déjà été condamné par la cour d'assises à deux reprises à des peines de réclusion criminelle important.

Par conséquent, la gravité des faits qui lui étaient reprochés et l'importance de la peine encourue ne peuvent pas être retenues comme critère d'aggravation du choc carcéral.

Au vu de ces différents éléments, il sera alloué une somme de 6 000 euros à M. [X] en réparation de son préjudice moral.

Sur le préjudice matériel

M. [X] sollicite une somme de 7.500 euros en réparation de son préjudice matériel en indiquant que l'existence de cette affaire et les mandats de dépôt décernés dans le dossier ont eu un impact sur sa situation pénale et ses conditions de détention et que cette détention n'est pas étrangère à la révocation de sa liberté conditionnelle. Il indique également avoir passé de nombreuses années en maison d'arrêt, alors qu'il aurait pu prétendre à une affectation en centre de détention ou en maison centrale s'il n'avait pas été en détention provisoire. Il soutient enfin que ses demandes de permission de sortie ont été refusées en raison de cette détention provisoire.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public soutiennent que M. [X] ne communique aucune pièce en lien avec un préjudice matériel qu'il aurait subi et ne fait état d'aucune perte de revenus ou perte de chance d'en percevoir. Les éléments allégués ne relèvent pas d'un préjudice matériel.

Le préjudice matériel est un préjudice de nature patrimoniale qui ne peut être indemnisé sur le fondement de l'article 149 du code de procédure pénale que si il est relatif à une perte de gains professionnels ou à une perte de chance de ceux-ci, à une incidence professionnelle, à des frais liés à la procédure ou des frais d'avocat ayant trait au contentieux de la détention.

Il est admis par la Commission Nationale de la Réparation des Détentions que le préjudice matériel est évalué au vu des pièces produites, bulletins de salaires et déclarations fiscales notamment. Les revenus procurés par une activité professionnelle, qu'elle soit indépendante ou salariée, doivent être prouvés par la production de documents officiels, fiscaux ou sociaux.

En l'espèce M. [X] évoque des considérations d'ordre général mais ne produit aucun élément objectif justifiant de la réalité d'un préjudice matériel qu'il aurait subi ni d'un lien de causalité direct et certain entre ces éléments et le préjudice effectivement subi.

Par conséquent il convient de rejeter la demande de M. [X] au titre d'un préjudice matériel réparable.

Il serait inéquitable de laisser à sa charge ses frais irrépétibles et une somme de 1 500 euros lui sera allouée sur ce fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [D] [X] recevable ;

Allouons à M. [D] [X] les sommes suivantes :

6 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Déboutons M. [D] [X] du surplus de ses demandes

Laissons les dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 13 Mai 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI'RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Chambre 1-5dp
Numéro d'arrêt : 21/21396
Date de la décision : 13/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-13;21.21396 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award