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07/05/2024 | FRANCE | N°23/14761

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 07 mai 2024, 23/14761


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 07 MAI 2024



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/14761 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIGGX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er juin 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris confirmé par arrêt du 24 novembre 2020 rendu par la Cour d'appel de céans.

Après arrêt du 28 juin 2023 rendu par la Cour de cassation qui a cassé et

annulé, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code civil, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020 entre les par...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 07 MAI 2024

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/14761 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIGGX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 1er juin 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris confirmé par arrêt du 24 novembre 2020 rendu par la Cour d'appel de céans.

Après arrêt du 28 juin 2023 rendu par la Cour de cassation qui a cassé et annulé, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code civil, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020 entre les parties, par la cour d'appel de Paris, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

APPELANTE

Madame [N] [G] épouse [R] née le 6 octobre 1940 à [Localité 8] (Tunisie)

[Adresse 6]

[Localité 1]

TUNISIE

représentée par Me Audrey SCHWAB de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat postulant du barreau de PARIS, toque : L0056

INTIME

LE MINISTERE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GENERAL - SERVICE NATIONALITE

[Adresse 3]

[Localité 4]

représenté à l'audience par Mme Martine TRAPERO, avocat général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 mars 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre

Mme Marie LAMBLING, conseillère

M. Lionel LAFON, conseiller, magistrat de permanence désigné pour compléter la Cour

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Hélène FILLIOL, présidente de chambre et par Mme Mélanie PATE, greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE :

Par jugement contradictoire du 1er juin 2018, le tribunal de grande instance de Paris a constaté que le récépissé prévu à l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, dit que Mme [N] [G] épouse [R], née le 6 octobre 1940 à [Localité 8] (Tunisie) n'est pas de nationalité française, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamné cette dernière aux dépens.

Par déclaration du 5 mars 2019, Mme [N] [G] a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 24 novembre 2020, la cour d'appel a constaté l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile, confirmé le jugement, ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamné la requérante aux dépens.

Mme [N] [G] a formé un pourvoi contre cet arrêt.

Par arrêt du 28 juin 2023 la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il constate l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code civil, l'arrêt rendu le 24 novembre 2020 entre les parties, par la cour d'appel de Paris, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Paris autrement composée, laissé les dépens à la charge du Trésor public, et rejeté la demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi, la Cour de cassation a notamment retenu :

« Sur le moyen, pris en sa troisième branche,

(')

Pour considérer que Mme [G] ne rapportait pas la preuve de ce que son père, M. [Z] [S] [G] avait joui d'une possession d'état de Français, continue, paisible et non équivoque après l'accession à l'indépendance de l'Algérie, l'arrêt retient s'agissant du jugement du 25 mars 1980 du tribunal départemental des pensions lui ayant octroyé une pension militaire d'invalidité que l'attribution d'une telle pension n'était pas limitée aux seuls français de sorte que sa qualité de pensionné de guerre ne constituait pas un élément de possession d'état de Français.

En statuant ainsi alors qu'en application de l'article 197 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans sa rédaction applicable à la date où la pension avait été attribuée à M. [G], le bénéfice en était réservé aux seuls français, et peu important le fait qu'au jour où la cour avait statué, cette condition ait été abrogée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

(')

Sur le moyen, pris en sa septième branche,

(')

Pour considérer que Mme [G] ne rapportait pas la preuve de ce que son père, M. [Z] [S] [G], avait joui d'une possession d'état de Français continue, paisible et non équivoque après l'accession à l'indépendance de l'Algérie, l'arrêt retient s'agissant du bénéfice de l'assistance judiciaire que celle-ci était ouverte aussi aux étrangers en application de la loi n° 72-11 du 2 janvier 1972.

En se déterminant ainsi, sans rechercher si le bénéfice de l'assistance judiciaire ne pouvait être accordé à l'intéressé que parce qu'il était considéré comme français dès lors qu'il résidait habituellement à l'étranger, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.'.

Par déclaration du 21 août 2023 Mme [N] [G] a saisi la cour d'appel de Paris.

Par dernières conclusions notifiées le 11 mars 2024, Mme [N] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement du 1er juin 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, juger qu'elle est de nationalité française, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil, débouter le procureur général de l'ensemble de ses demandes et condamner le Trésor public aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 5 mars 2024, le ministère public demande à la cour de confirmer le jugement dans tout son dispositif, en conséquence, juger que Mme [N] [G] n'est pas de nationalité française, ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil et condamner celle-ci aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur la nationalité française de Mme [N] [G]

Mme [N] [G] soutient qu'elle est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil pour être née le 6 octobre 1940 à [Localité 8] (Tunisie), de [Z] [S] [G], né en 1906 à [Localité 7] (Algérie), et avoir conservé la nationalité française au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie en raison du statut civil de droit commun de son père, lequel lui a été transmis par filiation. Mme [N] [G] soutient également qu'elle est de nationalité française sur le fondement de l'article 18 du code civil comme étant la fille de [D] [I], de nationalité française pour être née le 2 janvier 1910 à [Localité 8] (Tunisie) d'une mère qui y est elle-même née.

Le ministère public, qui ne conteste pas le caractère certain de l'état civil de l'intéressée et de ses père et mère, ni l'existence d'un lien de filiation à leur l'égard, ni encore la nationalité française du père avant l'indépendance de l'Algérie, fait valoir en substance que l'intéressée ne rapporte pas la preuve du statut civil de droit commun de son père et de la nationalité française de sa mère de sorte qu'elle ne peut revendiquer la nationalité française par filiation paternelle ou maternelle.

En application de l'article 30 alinéa 1er du code civil, il appartient à celui qui revendique la nationalité française d'en rapporter la preuve, lorsqu'il n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française délivré à son nom, conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du code civil.

Mme [N] [G] n'étant pas personnellement titulaire d'un tel certificat, il lui incombe de rapporter la preuve de sa nationalité française.

S'agissant de la nationalité française revendiquée sur le fondement de la filiation paternelle, il convient de rappeler les effets sur la nationalité française de l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Ceux-ci sont régis par l'ordonnance n° 62-825 du 21 juillet 1962 et par la loi n° 66-945 du 20 décembre 1966, dont les dispositions sont codifiées aux articles 32-1 et 32-2 du code civil. Il résulte de ces textes que les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie le 3 juillet 1962 ont conservé de plein droit la nationalité française, alors que les Français de statut de droit local originaires d'Algérie qui se sont vus conférer la nationalité de cet État ont perdu la nationalité française le 1er janvier 1963, sauf s'ils justifient avoir souscrit la déclaration récognitive prévue aux articles 2 de l'ordonnance précitée et 1er de la loi du 20 décembre 1966.

La renonciation au statut civil de droit local devait avoir été expresse et ne pouvait résulter que d'un décret d'admission à la qualité de citoyen français ou d'un jugement pris en vertu du sénatus-consulte du 14 juillet 1965, de la loi du 4 février 1919 ou de celle du 18 août 1929. Pour preuve du statut civil de droit commun de son ascendant, Mme [N] [G] se prévaut en premier lieu du certificat d'immatriculation de son père délivré le 2 octobre 1958 par le Haut Commissariat de France en Tunisie produit en pièce n°1, dont la délivrance sous cette forme était réservée aux individus de statut civil de droit commun, et de deux documents à l'en-tête de cette institution produits en pièces n°30 et n°31, qui indiquent que [Z] [S] [G] est de nationalité française sans aucune précision quant à son statut personnel, alors qu'une telle précision était apportée par les autorités concernées relativement aux personnes de statut civil de droit local.

Toutefois, ainsi que l'indique à juste titre le jugement, la preuve du statut civil de droit commun d'une personne originaire d'Algérie ne peut être rapportée que par la production d'un décret d'admission à la qualité de citoyen français ou d'un jugement, lesquels ne sont pas versés aux débats. L'intéressée n'invoque d'ailleurs pas l'existence d'un tel jugement ou décret, comme le souligne justement le ministère public.

Mme [N] [G] soutient en second lieu que la preuve du statut civil de droit commun de son père est rapportée par sa jouissance de la possession d'état de Français tant avant qu'après l'accession à l'indépendance de l'Algérie.

Selon les articles 32-1 et 32-2 du code civil susvisés, les Français de statut civil de droit commun domiciliés en Algérie à la date de l'annonce officielle des résultats du scrutin d'autodétermination, ont conservé la nationalité française quelle que soit leur situation au regard de la nationalité algérienne, et la nationalité française des personnes de statut civil de droit commun nées en Algérie avant le 22 juillet 1962 est tenue pour établie, dans les conditions de l'article 30-2 du code civil, si ces personnes ont joui de façon constante de la possession d'état de Français.

Contrairement aux allégations du ministère public, l'article 32-2 du code civil n'exige pas de celui qui s'en prévaut la preuve d'une possession d'état de Français sur deux générations, comme le prévoit l'article 30-2 du même code, mais uniquement la preuve que l'ascendant susceptible d'avoir transmis le statut civil de droit commun a joui de façon constante d'une possession d'état de Français. Il importe donc peu que l'intéressée ne produise aucune pièce attestant pour elle-même d'une possession d'état de Française.

Si la possession d'état de Français avant l'indépendance ne fait présumer que la nationalité française, et ne permet pas d'en tirer de conséquence sur le statut personnel de l'intéressé, en revanche, la poursuite de cette possession d'état de Français après l'indépendance et après l'expiration des délais de souscription des déclarations de reconnaissance, fait présumer, sauf preuve contraire, la qualité de Français de statut civil de droit commun.

Les éléments de possession d'état invoqués par Mme [N] [G] concernant son père et antérieurs à l'indépendance algérienne ne sont donc pas de nature à établir le statut personnel de ce dernier.

Afin d'établir la possession d'état de Français de son père, après l'indépendance de l'Algérie, et ce faisant sa qualité de Français de statut civil de droit commun antérieurement à celle-ci, l'intéressée produit plusieurs éléments.

S'agissant d'abord de la copie produite en pièce n°15 de la notification d'une décision rendue le 15 mai 1973 par le ministère des anciens combattants et victimes de la guerre rejetant la demande présentée le 10 novembre 1969 par [Z] [S] [G] sur le fondement du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, c'est à juste titre que le ministère public fait valoir que cette décision ne peut être considérée comme un élément de possession d'état dès lors qu'elle ne fait pas état de la notification consulaire, invoquée par l'intéressée, laquelle est réservée aux Français établis hors de France, le tampon de réception étant de surcroît illisible.

Toutefois, s'agissant ensuite des justificatifs de l'octroi à son père, après décision rendue le 25 mars 1980 par le tribunal départemental des pensions des Bouches-du-Rhône produite en pièce n°7, d'une pension d'invalidité au titre de victime civile de la guerre avec effet à compter du 10 novembre 1969, comme le relève justement l'intéressée, en application de l'article 197 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, dans sa rédaction applicable à la date où la pension d'invalidité a été attribuée à [Z] [S] [G], le bénéfice en était réservé aux seuls français. Contrairement aux allégations du ministère public, peu important le fait que cette condition ait été abrogée par l'ordonnance n°2015-1781 du 28 décembre 2015 ou que cette pension ait été attribuée à [Z] [S] [G] au titre d'infirmités résultant de faits de guerre survenus, selon les motifs de la décision du 25 mars 1980, le 3 ou le 5 février 1943, soit avant l'indépendance de l'Algérie.

S'agissant enfin de la copie produite en pièce n°17 de deux citations à comparaitre devant la cour régionale des pensions siégeant à [Localité 5] en date des 27 juin 1980 et 13 novembre 1980 à l'intention de [Z] [S] [G] domicilié [Adresse 2] à [Localité 8] (Tunisie), dont l'en-tête indique que celui-ci bénéficie de l'assistance judiciaire accordée d'office, comme relevé justement par l'intéressée, aux termes de l'article 1er de la loi n° 72-11 du 2 janvier 1972, dans sa rédaction alors applicable, sont admises au bénéfice de l'aide judiciaire les personnes physiques de nationalité française ainsi que les étrangers ayant leur résidence habituelle en France. Or, dès lors qu'il est établi que [Z] [S] [G] résidait habituellement à l'étranger, sa résidence habituelle étant fixée à [Localité 8] en Tunisie, le bénéficie de l'assistance judiciaire n'a pu lui être accordé que parce qu'il était considéré comme français. Les développements du ministère public relatif au fait que [Z] [S] [G] a « fort bien pu bénéficier de l'aide judiciaire sur le fondement de l'article 35 du protocole judiciaire franco-algérien du 28 août 1962 », étayés par aucun élément de preuve, sont donc inopérants.

Mme [N] [G] justifie ainsi que son père, qui a bénéficié d'une pension d'invalidité réservée aux seuls français à compter du 10 novembre 1969 et de l'assistance judiciaire pour les besoins de la procédure devant la cour régionale des pensions, accordée en sa qualité de français, a joui d'une possession d'état de Français continue, paisible et non équivoque après l'accession à l'indépendance de l'Algérie jusqu'à son décès survenu le 3 novembre 1998. Ce faisant Mme [N] [G] établit le statut civil de droit commun de son père dont elle a joui et qu'elle a conservé à ce titre la nationalité française au moment de l'accession à l'indépendance de l'Algérie. Sa nationalité française résulte ainsi de sa filiation paternelle.

Il y a donc lieu, en infirmant le jugement, de dire que Mme [N] [G] née le 6 octobre 1940 à [Localité 8] (Tunisie) est de nationalité française.

Sur les dépens

Le Trésor public est condamné aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2023,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er juin 2018,

Dit que Mme [N] [G] née le 6 octobre 1940 à [Localité 8] (Tunisie) est de nationalité française,

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil,

Condamne le Trésor public aux dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 23/14761
Date de la décision : 07/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-07;23.14761 ?
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