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25/04/2024 | FRANCE | N°22/06531

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 25 avril 2024, 22/06531


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 25 AVRIL 2024



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06531 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBI6



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° F 20/01041





APPELANT



Monsieur [X] [D]

[Adresse 1]

[Loc

alité 4]



Représenté par Me Sophie HADDAD, avocat au barreau d'ESSONNE





INTIMÉE



Société KEOLIS SEINE VAL DE MARNE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Alexis GINHOUX, av...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 25 AVRIL 2024

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/06531 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGBI6

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2022 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° F 20/01041

APPELANT

Monsieur [X] [D]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me Sophie HADDAD, avocat au barreau d'ESSONNE

INTIMÉE

Société KEOLIS SEINE VAL DE MARNE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Alexis GINHOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0237

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Février 2024, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente de chambre

Madame Isabelle MONTAGNE, présidente de chambre

Madame Sandrine MOISAN, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [X] [D] a été engagé par contrat à durée indéterminée le 14 janvier 2019 par la société Keolis Seine Val-de-Marne, en qualité de conducteur-receveur, catégorie 'ouvrier', coefficient 140 V de la convention collective des transports routiers et des activités auxiliaires de transport.

Monsieur [D] a été affecté à la conduite des bus de nuit Noctilien.

La société Keolis Seine Val-de-Marne l'a convoqué à un entretien préalable fixé au 20 avril 2020, auquel il s'est présenté accompagné d'un représentant du personnel.

Par courrier recommandé du 23 avril 2020, la société Keolis Seine Val-de-Marne lui a notifié son licenciement pour faute grave, lui reprochant notamment des excès de vitesse répétés.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Monsieur [D] a saisi le 16 octobre 2020 le conseil de prud'hommes de Longjumeau qui, par jugement du 18 mai 2022, a :

- dit que la procédure de licenciement était parfaitement régulière,

- dit que les faits évoqués dans la lettre de licenciement n'étaient pas prescrits,

- dit et jugé que le licenciement pour faute grave était fondé,

- débouté Monsieur [D] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté Monsieur [D] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens y compris les frais éventuels d'exécution à la charge respective des parties.

Par déclaration du 28 juin 2022, Monsieur [D] a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 26 juillet 2022, Monsieur [D] demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris, en ce qu'il a :

*dit que la procédure de licenciement est parfaitement régulière,

*dit que les faits évoqués dans la lettre de licenciement ne sont pas prescrits,

*dit et jugé que le licenciement pour faute grave de Monsieur [D] est fondé,

*débouté Monsieur [D] de l'intégralité de ses demandes,

*débouté Monsieur [D] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

y procédant et statuant à nouveau :

- juger comme dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour faute grave dont Monsieur [D] a fait l'objet,

par conséquent :

- condamner la société Keolis Seine Val-de-Marne, prise en la personne de son représentant légal, à lui verser la somme de 3 956,80 euros, correspondant à deux mois de salaire, à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail,

- condamner en sus la société Keolis Seine Val-de-Marne, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [D] les sommes suivantes :

- 1 978,90 euros, correspondant à un mois de salaire, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, en application de l'article L.1234-1 du code du travail,

- 617,40 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, en application des articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail,

à titre subsidiaire et à tout le moins :

- requalifier la faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner la société Keolis Seine Val-de-Marne, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur [D] les sommes suivantes :

- 1 978,90 euros à titre d'indemnité pour procédure de licenciement irrégulière en application de l'article L.1235-2 du code du travail,

- 1 978,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, en application de l'article L.1234-1 du code du travail,

- 617,40 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, en application des articles L.1234-9 et R.1234-2 du code du travail,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance,

en tout état de cause :

- juger que les sommes précitées seront assorties de l'intérêt au taux légal qui a commencé à courir à compter de l'arrêt, jusqu'à parfait et entier paiement,

- condamner encore la société à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner enfin la société Keolis Seine Val-de-Marne, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens de l'appel, dont distraction pour ceux-la concernant à Maître Sophie Haddad, avocat aux offres de droit (sic).

Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 14 octobre 2022, la société Keolis Seine Val-de-Marne demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Longjumeau du 18 mai 2022 en toutes ses dispositions,

- débouter Monsieur [D] de ses demandes, fins, prétentions et conclusions,

- condamner Monsieur [D] aux entiers dépens, tant en première instance que d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 décembre 2023 et l'audience de plaidoiries a eu lieu le 6 février 2024.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu'aux conclusions susvisées pour l'exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur le licenciement :

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 23 avril 2020, doublé d'une lettre simple, la société Keolis Seine Val-de-Marne a reproché à Monsieur [D] les faits suivants, justifiant selon elle son licenciement pour faute grave :

'Le superviseur PC Bus de notre client Transilien, missionné pour effectuer des contrôles de qualité et de sécurité sur les lignes Noctilien auxquelles vous étiez affecté, a constaté sur le Système d'Aide à l'Exploitation (SAE) que vous aviez dépassé les vitesses maximales autorisées à plusieurs reprises lors de certains services. Nous avons été informés de ces faits fautifs en date du 12 mars 2020 :

- le 12 janvier 2020 vers 02h32, vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure dans la [Adresse 13] à [Localité 15] (N133) puisque vous avez atteint une vitesse de 64 km/heure ;

- le 12 janvier 2020 vers 03h00 , vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure dans le secteur du [Adresse 10] à [Localité 5] (N133) puisque vous avez atteint une vitesse de 71 km/heure ;

- le 23 janvier 2020 vers 02h23, vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure dans la [Adresse 12] à [Localité 11] sur la départementale D310 (N144) puisque vous avez atteint une vitesse de 63 km/heure ;

- le 23 janvier 2020 vers 03h43, vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure sur la départementale D310 à [Localité 7] (N144) puisque vous avez atteint une vitesse de 69 km/heure ;

- le 16 février 2020 vers 02h49, vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure sur l'[Adresse 6] à [Localité 14] (N135) puisque vous avez atteint une vitesse de 68 km/heure ;

- le 26 février 2020 vers 04h33, vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure dans le secteur du [Adresse 9] à [Localité 8] (N132) puisque vous avez atteint une vitesse de 63 km/heure ;

- le 13 mars 2020 vers 02h43 , vous avez dépassé la vitesse maximale autorisée de 50 km/heure sur la départementale D310 à [Localité 7] puisque vous avez atteint une vitesse de 69 km/heure.

Par vos agissements fautifs, vous avez enfreint le règlement intérieur de l'entreprise et notamment les dispositions suivantes :

Article 4 ' prévention des accidents

« Les salariés ont l'obligation de respecter toutes les consignes qui leur sont données par le personnel d'encadrement pour l'exécution de leur travail et notamment les instructions relatives à la sécurité.[...] les salariés doivent circuler avec prudence sur les voies autorisés y compris dans l'enceinte du dépôt et respecter les panneaux de circulation, ou à défaut, les prescriptions du code de la route. [...] »

Par vos agissements, vous avez enfreint le code de la route et avez mis en danger votre propre sécurité, celle des passagers présents ainsi que celle des autres usagers de la route.[...]

Votre attitude nuit considérablement à la sécurité et porte atteinte à l'image de notre société.

En effet, en tant que transporteur en charge de la mobilité des personnes, nous sommes responsables de la sécurité de l'ensemble de nos passagers. Au-delà de notre obligation légale, cette exigence de sécurité constitue l'une des priorités du Groupe Keolis.

Votre comportement est inadmissible et n'est pas compatible avec votre fonction de conducteur- receveur.

Par conséquent, nous ne pouvons aucunement tolérer de tels agissements fautifs lesquels portent préjudice aux valeurs de notre entreprise et compromettent sa crédibilité.

Ces faits sont d'autant plus regrettables que vous avez déjà fait l'objet d'une sanction disciplinaire. Pour rappel, nous avons déjà été contraints de vous sanctionner par une mise à pied disciplinaire d'un jour en date du 14 juin 2019. Force est de constater que vous n'en avez pas tenu compte. [...]

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés et dont vous êtes seul responsable, votre maintien dans l'entreprise s'avère impossible.

En conséquence de ce qui précède et après réflexion, nous avons donc décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave, sans préavis, ni indemnité de licenciement'.[...]

Monsieur [D] invoque la prescription des faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement, rappelle qu'en la matière le doute doit lui profiter et souligne que le conseil de prud'hommes n'a tiré aucune conséquence de l'absence de production de certains relevés SAEP. Il considère, à supposer que les relevés produits le concernent, que son employeur a eu connaissance bien avant le courriel du 12 mars 2020 des faits qui lui ont été reprochés. Il fait état également de courriels échangés montrant que l'employeur avait demandé en date du 17 mars 2020 la vérification des lieux et des vitesses constatées.

Enfin, il souligne que son employeur ne justifie pas de la date du déclenchement de la procédure de licenciement et par conséquent, soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, Monsieur [D] soutient que les preuves récoltées au moyen d'un dispositif de contrôle extrêmement décrié au sein de l'entreprise (le Système d'Aide à l'Exploitation, dit SAE) ne peuvent être considérées comme licites, d'autant que ce moyen de preuve ne résulte pas du cahier des charges versé aux débats et ne permet pas de contrôler d'éventuelles infractions au code de la route.

À titre subsidiaire, il sollicite la requalification du licenciement pour faute grave en licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse.

La société Keolis Seine Val-de-Marne soutient qu'elle assure une mission de service public, que ses véhicules sont dotés d'un système d'aide à l'exploitation (SAE) qui indique notamment la position du bus, sa direction et sa vitesse, qu'un salarié de la société Kysio qui assure le contrôle des véhicules lui a signalé le 12 mars 2020 de nombreux excès de vitesse commis par Monsieur [D] entre le 12 janvier et le 26 février 2020 et qu'elle l'a donc convoqué à un entretien préalable par courrier du 1er avril suivant. Elle rappelle, à supposer que l'intéressé ait ignoré l'existence du SAE, que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats et qu'en l'espèce, aucune atteinte n'a été portée à la vie personnelle du salarié puisque le système ne fonctionne que pendant les services commerciaux. Elle souligne la gravité des faits reprochés, les manquements de Monsieur [D] au cahier des charges mais également à ses obligations contractuelles et au règlement intérieur étant manifestes et rappelle avoir engagé la procédure de licenciement dans le délai de deux mois à compter de sa connaissance des faits, par courriel du PC Bus en date du 12 mars 2020.

L'employeur dispose d'un délai de deux mois, à compter du jour où il a connaissance d'un fait fautif imputé à un salarié, pour engager une procédure disciplinaire s'il le souhaite, en application de l'article L. 1332-4 du code du travail.

Lorsque la prescription des faits fautifs est invoquée par le salarié, il appartient à l'employeur de rapporter la preuve qu'il n'a eu connaissance des faits reprochés que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites disciplinaires, entendue comme une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits.

Les dispositions de l'article L.1332-4 du code du travail n'interdisent pas à l'employeur de prendre en compte un fait antérieur à deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans ce délai, quand il s'agit de faits de même nature, entendus comme des faits assimilables ou procédant d'un même comportement.

En l'espèce, la société Keolis Seine Val-de-Marne verse aux débats un courriel du PC Bus Transilien en date du 12 mars 2020 faisant état des 'relevés SEAP des excès de vitesse évoqué ensemble' (sic), la transmission de ce document le 14 mars 2020 à 18h02 à la direction de l'entreprise, laquelle a demandé des précisions sur les 'lieux exacts et la vitesse sur ces lieux afin de pouvoir lui dire en entretien ses excès de vitesse'.

Alors que l'appelant conteste la date de déclenchement de la procédure de licenciement, l'exemplaire qu'il a reçu n'étant pas daté, la société intimée verse aux débats un justificatif de dépôt d'une lettre recommandée avec accusé de réception ayant pour destinataire Monsieur [D] en date du 1er avril 2020.

Il résulte de ces différents éléments que l'employeur, informé antérieurement des excès de vitesse 'évoqué ensemble' (sic), sans que la date de sa connaissance précise des faits soit connue, a engagé une procédure disciplinaire le 1er avril 2020.

Il convient donc de dire que les faits datant des 12 et 23 janvier 2020 sont atteints par la prescription, puisque laissés sans réponse sur le plan disciplinaire pendant plus de deux mois, mais que la société Keolis Seine Val-de-Marne pouvait les prendre en compte dans la mesure où le comportement de Monsieur [D] a été similaire lors de faits plus récents.

La faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.

S'agissant des faits litigieux et notamment des 16, 26 février et 13 mars 2020, la société Keolis Seine Val-de-Marne verse aux débats un document permettant de vérifier l'attribution à chaque salarié des bus de l'entreprise les nuits débutées les 15, 25 février et 12 mars 2020, des extraits du système d'aide à l'exploitation (SAE) pour les dates litigieuses, contenant la localisation du véhicule, la vitesse de ce dernier et l'heure précise du relevé de sa vitesse, avec également un extrait du logiciel de 'gestion des roulements pour l'agent [X] [D]' aux dates de référence.

Monsieur [D], qui ne conteste pas avoir été informé des différents excès de vitesse reprochés par son employeur lors de l'entretien préalable, ne peut valablement invoquer le refus de ce dernier de lui donner les documents permettant de démontrer lesdits manquements.

Les pièces fournies par l'employeur permettent de vérifier que les agents du PC Bus Transilien, qui ont pour mission la sécurité de circulation (présence et bon fonctionnement des équipements de sécurité, surveillance du bon fonctionnement des systèmes embarqués et supervision de la gestion des incidents), le suivi de l'exécution de l'offre (vérification de la réalisation des courses dans les horaires prévus, dans les points d'arrêt, le respect du parcours défini et les situations d'avances ou de retards de circulation) notamment, reçoivent des informations à ces sujets du système d'aide à l'exploitation (SAE), qui combine les données de plusieurs outils (GPS et odomètre) pour localiser précisément le véhicule.

L'attestation du formateur au sein de la société Keolis Seine Val-de-Marne permet également de considérer que le système d'aide à l'exploitation (SAE) est connu des salariés, qui en prennent connaissance 'd'une manière explicite' lors des sessions d'intégration.

S'ils ne peuvent remplacer les systèmes règlementaires de contrôle de vitesse susceptibles de constater des infractions, parce qu'ils ne présentent pas les garanties techniques et d'utilisation requises et n'ont pas vocation pour ce faire, ces dispositifs - qui ne sont donc pas agréés pour constater la commission d'une infraction au code de la route, ni démontrer des excès de vitesse à 68km/h, 63km/h, 69km/h, comme le souligne l'appelant - permettent en revanche de constater une vitesse supérieure à la vitesse autorisée de 50 km/h sur les tronçons de voie utilisés.

D'ailleurs, dans sa lettre de contestation du licenciement, Monsieur [D] considère que son employeur n'a pas 'pu établir le caractère grave de la faute' et soutient que '« l'erreur » (que j'ai) commise ne perturbe en rien le bon fonctionnement de l'entreprise'.

Il est manifeste toutefois que ces éléments de preuve rapportés par la société employeur résultent du rapprochement des données de ces différents dispositifs qui n'ont pas pour finalité déclarée le relevé d'infractions au code de la route, ni même le constat de fautes de conduite.

Il est de principe, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, que le juge mette en balance les différents droits et intérêts en présence.

Il en résulte que le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une preuve obtenue ou produite de manière illicite ou déloyale, porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

Il convient tout d'abord de relever que les dispositifs litigieux, qui ne sont pas critiqués comme ayant été installés et/ou utilisés à l'insu de Monsieur [D] , lequel n'invoque pas non plus avoir été privé d'accès aux données enregistrées par ces appareils, ni être dans l'incapacité de désactiver le dispositif en dehors de son temps de travail, retracent seulement le trajet effectué par le véhicule mis à la disposition de l'intéressé pendant son temps de travail ; cependant, si l'atteinte qu'ils portent à la vie personnelle du salarié est relativement limitée dans le temps, elle doit être prise en considération, même si le salarié n'énonce pas précisément d'atteinte à un de ses droits.

Aucune intervention humaine, même en cas de double équipage, ne pouvant rivaliser avec la précision des systèmes de GPS et d'odomètre, il convient de constater que les éléments de preuve rapportés par la société Keolis Seine Val-de-Marne sont indispensables à l'exercice de son droit à la preuve et doivent être mis en balance non seulement avec l'obligation de sécurité pesant sur elle à l'égard du salarié, mais également avec sa responsabilité à l'égard des passagers et des tiers, usagers de la route.

Ces éléments, qui ne portent dans ces conditions qu'une atteinte strictement proportionnée au but poursuivi, doivent donc être pris en considération en ce qu'ils retracent une vitesse supérieure à la vitesse autorisée, sur des voies sur lesquelles il n'est pas contesté que la vitesse maximale réglementaire est de 50 km/h.

Par conséquent, la nature et les conséquences potentielles des faits reprochés à Monsieur [D] ainsi que leur réitération sur un court laps de temps justifiaient la sanction prononcée, non disproportionnée eu égard à sa qualité de professionnel de la route et aux risques ainsi pris tant pour lui-même que pour autrui.

Le jugement de première instance doit donc être confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de requalification du licenciement et d'indemnisation de la rupture.

Sur la procédure de licenciement :

Monsieur [D] considère la procédure de licenciement irrégulière dans la mesure où son employeur ne peut justifier de manière certaine de la date de bonne réception du courrier de convocation à entretien préalable, ni du respect du délai de cinq jours ouvrables visé aux dispositions de l'article L.1232-2 du code du travail. Il sollicite la somme de 1 978,90 €, correspondant à un mois de salaire à titre d'indemnisation, s'il était jugé que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

Alors que la société Keolis Seine Val-de-Marne, qui a doublé l'envoi de la convocation à entretien préalable, reconnaît que le courrier recommandé adressé à Monsieur [D] n'est pas daté mais produit toutefois la preuve du dépôt de ce courrier au 1er avril 2020, force est de constater que le délai de cinq jours entre la réception du courrier et l'entretien préalable a été respecté, conformément aux dispositions de l'article L.1232-2 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Le salarié, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel.

L'équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, et de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'une quelconque des parties pour la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives aux dépens,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE Monsieur [X] [D] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 22/06531
Date de la décision : 25/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-25;22.06531 ?
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