Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 3 - Chambre 1
ARRET DU 24 AVRIL 2024
(n°2024/ , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/05213 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFOKA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Février 2022 - Tribunal judiciaire d'AUXERRE - RG n° 21/00096
APPELANTES
Madame [I] [Y] [L] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 14] (89)
[Adresse 10]
[Localité 12]
Madame [N] [T] [J] [L]
née le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 14] (89)
[Adresse 8]
[Localité 14]
représentées par Me Emmanuelle FARTHOUAT - FALEK, avocat au barreau de PARIS, toque : G097
INTIMEES
Madame [R] [Z] [M] [H] veuve [L]
née le [Date naissance 2] 1946 à [Localité 16] (36)
[Adresse 11]
[Localité 15]
S.C.I. [19], RCS AUXERRE n° [N° SIREN/SIRET 9], prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social
[Adresse 11]
[Localité 15]
S.C.I. [20], RCS AUXERRE n°[N° SIREN/SIRET 7], prise en la personne de son représentant légal, ayant son siège social
[Adresse 11]
[Localité 15]
représentées par Me Alain THUAULT de la S.C.P. THUAULT-FERRARIS-CORNU, avocat au barreau d'AUXERRE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Janvier 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Bertrand GELOT, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Patricia GRASSO, Président
Mme Isabelle PAULMIER-CAYOL, Conseiller
M. Bertrand GELOT, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Emilie POMPON
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Patricia GRASSO, Président, et par Mme Emilie POMPON, Greffier.
***
EXPOSE DU LITIGE :
[A] [L] est décédé le [Date naissance 3] 2015 à [Localité 15] (89), laissant pour lui succéder :
-Mme [R] [H], son conjoint survivant, avec laquelle il s'était marié le [Date naissance 6] 1985 à [Localité 18] (89) sous le régime de la séparation de biens,
-Mmes [N] et [I] [L], ses filles, issues d'une précédente union.
Par acte reçu par Me [W], notaire à [Localité 17] (89) le 6 novembre 1986, [A] [L] avait fait donation à son épouse de l'usufruit de l'universalité des biens composant sa succession.
Il résulte de la déclaration de succession dressée à la suite de son décès que [A] [L] était notamment propriétaire, à cette date, de :
-23 parts sociales de la SCI [19], société civile immobilière au capital de 762 euros, évaluées à 31 740 euros ;
-un compte courant indivis avec son épouse dans la SCI [19], présentant un solde créditeur de 169 000 euros ;
-6 660 parts sociales de la SCI [20], au capital de 801 000 euros, évaluées à 665 000 euros ;
Il était par ailleurs titulaire d'un compte courant dans la SCI [20], débiteur d'un montant de 242 000 euros ;
Mmes [N] et [I] [L] ont assigné Mme [R] [H] devant le juge des référés du tribunal de grande instance d'Auxerre aux fins de voir ordonner des mesures d'expertises.
Par ordonnance du 30 janvier 2018, le président du tribunal de grande instance d'Auxerre a désigné le professeur [P] [S], neurologue, médecin expert au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris et Mme [U] [B], expert-comptable à Dijon (21).
Par ordonnance de changement d'expert en date du 26 février 2018, Mme [B], empêchée, a été remplacée par M. [E] [O], exerçant à [Localité 21].
Le professeur [P] [S] a remis son rapport le 25 juillet 2018.
M. [E] [O] a déposé son rapport en l'état le 8 décembre 2020, en l'absence de consignation.
Par acte d'huissier du 13 janvier 2021, Mmes [N] et [I] [L] ont assigné en partage Mme [R] [H] ainsi que la SCI [19] et la SCI [20] devant le tribunal judiciaire d'Auxerre.
Par jugement du 7 février 2022, le tribunal judiciaire d'Auxerre a statué dans les termes suivants :
-déboute Mme [N] [L] et Mme [I] [L] de l'ensemble de leurs demandes,
-condamne Mme [N] [L] et Mme [I] [L] à verser à Mme [R] [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamne Mme [N] [L] et Mme [I] [L] aux dépens de la présente instance.
Mmes [N] et [I] [L] ont interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 mars 2022.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 18 juillet 2022, les appelantes demandent à la cour de :
-juger Mme [I] [L] et Mme [N] [L] recevables et bien fondées en leur appel,
y faisant droit,
-infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu en première instance entre les parties par le tribunal judiciaire d'Auxerre en date du 7 février 2022, en ce qu'il a :
-débouté Mme [I] [L] et Mme [N] [L] de l'ensemble de leurs demandes,
-condamné Mme [I] [L] et Mme [N] [L] à verser à Mme [R] [H] veuve [L] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
-condamné Mme [I] [L] et Mme [N] [L] aux dépens de la présente instance,
-rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit à titre provisoire,
et statuant à nouveau,
-homologuer le rapport d'expertise de Mme le Docteur [P] [S] rendu le 25 juillet 2018,
-ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation partage de la succession de [A] [L], né le [Date naissance 4] 1940 et décédé le [Date naissance 3] 2015,
-voir désigner la Chambre départementale des notaires, avec faculté de délégation, pour procéder à l'établissement de l'état liquidatif susvisé,
-annuler tous paiements, donations et libéralités effectués par le défunt entre le 1er février 2012 et la date du décès, soit le 20 novembre 2015, au regard de la disparition de ses facultés intellectuelles,
-juger que le notaire désigné aura l'obligation de procéder à la réintégration de tous paiements, donations et libéralités effectués par le défunt entre le 1er février 2012 et la date du décès, soit le 20 novembre 2015, au regard de la disparition de ses facultés intellectuelles,
-condamner Mme [R] [H] veuve [L] à restituer l'ensemble des gains obtenus pendant la période suspecte qui seront quantifiés par le notaire désigné,
-la condamner en tous les dépens, en ce compris ceux de la première instance et de l'appel, l'intégralité des frais et honoraires de l'expertise, les frais de référés exposés, ainsi que les frais notariés, dont distraction est requise au profit de Me Gaëlle Chimay, avocat aux offres de droit,
-cependant, à titre subsidiaire, si la Cour s'estimait insuffisamment informée sur la valeur des parts des SCI [19] et [20], ordonner une expertise avant dire droit aux frais avancés de Mme [H] veuve [L], et ce compte tenu de l'attitude dilatoire précédemment adoptée par cette dernière et de la situation d'impécuniosité dans laquelle se trouvent Mmes [I] et [N] [L],
en tout état de cause,
-débouter Mme [R] [H] veuve [L] et les SCI [19] et [20] de toutes leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,
-condamner Mme [R] [H] veuve [L] au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée,
-la condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-les condamner en tous les dépens de première instance et d'appel dont distraction est requise au profit de Maître Emmanuelle Farthouat Falek, avocat aux offres de droit.
Aux termes de leurs uniques conclusions notifiées le 29 juin 2022, Mme [R] [H], la SCI [19] et la SCI [20], intimées, demandent à la cour de :
-confirmer le jugement dont appel du 7 février 2022 du tribunal judiciaire d'Auxerre en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :
* dit n'y avoir lieu à organiser les opérations de partage entre les héritières du défunt et son conjoint survivant, aucune indivision n'existant entre elles,
*dit que la contestation relative à la valeur des parts dépendant des deux sociétés civiles [19] et Palet-Royan ne repose sur aucun élément de preuve de nature à remettre en cause la valorisation des parts de ces SCI telle qu'elle figure dans la déclaration de succession,
* dit et jugé qu'il n'est pas démontré que le défunt n'était pas sain d'esprit au sens de l'article 414-1 du code civil, ou encore, qu'il aurait été dans l'impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts en raison de l'affection médicale constatée, au point d'empêcher l'expression de sa volonté, et par voie de conséquence, dit n'y avoir lieu à annuler tout paiement, donation et libéralités effectués par le défunt entre le 1er février 2012 et le 20 novembre 2015, date de son décès,
-condamner les requérantes à payer à Mme [R] [L] une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens développés par les parties au soutien de leurs prétention, il sera renvoyé à leurs écritures susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 5 décembre 2023.
L'affaire a été appelée à l'audience du 9 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande « d'homologation » du rapport d'expertise du Docteur [S] :
Le tribunal, saisi par Mmes [I] et [N] [L] d'une demande « d'homologation de l'expertise » neurologique du docteur [S] jointe à une demande d'annulation de tous les actes accomplis par le défunt entre le 18 février 2012 et le 20 novembre 2015, jour du décès, a rejeté leur demande au motif que les demanderesses ne rapportaient pas la preuve précise de l'insanité d'esprit de leur père au moment de chaque acte et ne précisaient pas les actes dont elles sollicitaient l'annulation et qui auraient permis au tribunal d'exercer son contrôle.
En appel, Mmes [I] et [N] [L] demandent à la cour d'infirmer le jugement et « d'homologuer le rapport d'expertise » neurologique rendu par le professeur [P] [S] le 25 juillet 2018.
Elles déclarent que cette expertise décrit clairement que [A] [L] souffrait à partir de 2009 d'une maladie neurodégénérative s'accompagnant de nombreux troubles, s'aggravant progressivement, notamment au cours de l'année 2012 et comporte la conclusion selon laquelle M. [L] n'était pas en capacité, en février 2012 de gérer son patrimoine et ses affaires, et que cette observation était nécessairement valable pour la période ultérieure.
Selon les appelantes, cette expertise démontre que [A] [L] ne pouvait être considéré comme apte à gérer ses affaires sur une période minimale allant du 1er février 2012 au 20 novembre 2015, et qu'en conséquence c'est l'ensemble des actes accomplis par le de cujus qui sont concernés sans distinction, et que contrairement aux explications de l'intimée, ce dernier ne pouvait plus, même avec l'aide de son épouse et de son expert-comptable, assurer la gestion de ses affaires.
L'intimée conteste cette analyse au motif qu'elle ne repose pas sur le véritable contenu de l'expertise neurologique du docteur [S]. Elle ne se prononce pas toutefois sur la demande spécifique « d'homologation de l'expertise », mais n'émet pas de réserves à l'encontre du rapport.
Afin de respecter l'effet dévolutif de l'appel, il convient de répondre préalablement à la demande « d'homologation » avant de répondre distinctement, ultérieurement, aux demandes d'annulation des actes et libéralités et de réintégration par le notaire des paiements et libéralités.
Si les appelantes se fondent, comme l'intimée, sur la teneur de l'expertise neurologique susvisée, pour combattre, dans les demandes qui suivent, la validité des actes juridiques souscrits par le de cujus, elles ne s'expliquent pas sur le motif pour lequel elles sollicitent une « homologation » de ladite expertise.
Or, il y a lieu de rappeler qu'aucune disposition légale ne conditionne la prise en compte ou le rejet d'une expertise par le juge à son homologation. En outre, rien ne justifie que le juge procède à l'homologation d'un document destiné à fournir au juge les éclaircissements utiles à sa décision.
En conséquence, les appelantes seront déboutées de leur demande et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation partage de la succession de [A] [L] :
Saisi par Mmes [I] et [N] [L] d'une demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation partage de la succession de leur père [A] [L], le tribunal les a déboutées au motif que le de cujus ayant fait donation à son épouse de l'usufruit de l'universalité des biens composant sa succession, il n'existe pas d'indivision entre le conjoint survivant usufruitier et les deux filles du défunt, héritières réservataires de la nue-propriété, détentrices de droits respectifs de nature différente, si bien qu'il n'y a pas lieu à partage.
Mmes [I] et [N] [L] demandent à la cour l'ouverture de ces opérations, au visa des articles 815, 819, 825, 826, 827 et 829 du code civil. Elles relèvent qu'il existe une indivision sur les biens mobiliers inventoriés par Me [X] le 25 juillet 2016 pour une valeur de 31 780 euros et que la seule présence de cet actif indivis nécessite l'ouverture des opérations de comptes liquidation et partage de la succession de [A] [L].
Mme [H] s'oppose à cette demande, en considérant qu'en dehors des biens mobiliers inventoriés pour une valeur de 31 780 euros, la succession ne comprend que des liquidités et des parts sociales des deux sociétés civiles dont les appelantes ne sont que nues-propriétaires, et qu'elles persistent à confondre indivision et démembrement de propriété et qu'en l'absence d'indivision il n'y a lieu ni à liquidation, ni à partage.
Sur ce,
Il résulte de l'article 815 du code civil que nul ne peut être contraint à demeurer dans l'indivision et le partage peut toujours être provoqué, à moins qu'il n'y ait été sursis par jugement ou convention.
Par ailleurs, aux termes de l'article 1538 du code civil, les biens sur lesquels aucun des époux séparés de biens ne peut justifier d'une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié.
En l'espèce, il résulte de l'analyse des pièces du dossier que :
-[A] [L] était marié avec Mme [H] sous le régime de la séparation de biens ;
-aux termes de la déclaration de succession, l'actif de succession ne comporte pas de biens immobiliers, personnels ou indivis, et les comptes bancaires sont établis au seul nom de M. [L] ; il est en de même des parts sociales de M. [L] dans le capital des SCI [19] et [20] qui, inscrites à son seul nom, lui sont personnelles ;
-en revanche, ce même document fait état d'un actif d'indivision, comprenant le mobilier, prisé aux termes d'un inventaire pour une valeur totale de 31 780 euros ; la nature indivise de ces biens est corroborée par le fait qu'aux termes de leur contrat de mariage du 22 novembre 1985, les futurs époux avaient déjà fait figurer l'inventaire de meubles meublants indivis entre eux pour un montant de 103 500 francs (15 778,47 euros) ;
-en outre, l'actif de succession comporte notamment un compte courant d'associé « de Monsieur ou Madame [L] » dans la SCI [19], créditeur au jour du décès d'un montant de 169 000 euros ; en dépit de la demande judiciaire initiale d'une expertise comptable, qui visait notamment à clarifier l'historique des comptes courants d'associés, aucun rapport d'expertise comptable ou patrimoniale n'a été finalisé ; en l'absence d'éléments supplémentaires, et sauf à rapporter devant le notaire commis la preuve du caractère exclusivement personnel du compte courant d'associé, il y a lieu de prendre en compte le caractère indivis, auquel aucune disposition légale ne s'oppose, de l'intitulé de ce compte courant et de considérer que l'indivision existant initialement entre les époux et à présent, en nue-propriété, entre les appelantes et l'intimée, comprend également le montant créditeur du compte courant d'associé au nom de M. et/ou Mme [L].
En conséquence, en présence d'une indivision entre Mmes [I] et [N] [L] et Mme [H], infirmant la décision entreprise, il y a lieu de faire droit à la demande des appelantes et d'ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage portant sur les seuls biens de l'indivision successorale à la suite du décès de [A] [L].
Sur la demande de désignation de la Chambre départementale des notaires pour procéder à l'établissement de l'état liquidatif :
Le premier juge, ayant rejeté la demande d'ouverture des opérations de comptes, liquidation partage, a également rejeté la demande subséquente de désignation du président de la chambre départementale des notaires, avec faculté de délégation.
En appel, Mmes [I] et [N] [L] demandent à la cour de désigner la chambre départementale des notaires, avec faculté de délégation, pour procéder à l'établissement de l'état liquidatif. Elles n'apportent pas de motivations supplémentaires propres à cette demande.
Mme [H], qui s'oppose à l'ouverture des opérations de compte, liquidation partage, ne se prononce donc pas sur la désignation d'un notaire à cet effet.
L'article 1364 du code civil prévoit que si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage et commet un juge pour surveiller ces opérations.
Le notaire est choisi par les copartageants et, à défaut d'accord, par le tribunal.
En l'espèce, en dépit de l'absence de bien immobilier indivis, la désignation d'un notaire pour procéder aux opérations de partage est justifiée, dès lors que s'impose notamment la vérification du compte courant d'associés indivis et que l'importance du conflit qui oppose les parties est de nature à complexifier les opérations.
Par ailleurs, si le texte prévoit que les parties choisissent le notaire instrumentaire et que le tribunal tranche à défaut d'accord, la situation conflictuelle persistante dans laquelle se trouvent les parties exclut toute perspective de désignation conjointe d'un notaire par ces dernières.
Il y a également lieu de rappeler que doit être en principe désigné, non le président de la chambre départementale des notaires, mais l'un des notaires dépendant de cette chambre.
Dès lors, il convient de constater que Me [D] [X], notaire exerçant dans la localité voisine de [Localité 23] (89) et dont l'intervention dans la première phase du dossier successoral (intitulé d'inventaire, déclaration de succession, ') n'a pas fait l'objet de critiques de la part des parties dans le cadre de la présente procédure, se trouve déjà en possession des éléments essentiels du dossier lui permettant, dans l'intérêt de l'indivision, de reprendre plus aisément les opérations successorales.
Il sera donc désigné pour cette mission, ainsi qu'un juge commis du tribunal judiciaire d'Auxerre pour surveiller les opérations, conformément à l'article 1364 du code de procédure civile.
Sur la demande d'annulation des paiements, donations et libéralités effectués par [A] [L] entre le 1er février 2012 et le 20 novembre 2015 :
Saisi d'une demande d'annulation générale de tous les actes accomplis par leur père, le défunt, entre le 18 février 2012 et le 20 novembre 2015, le tribunal l'a rejetée aux motifs que les conclusions extraites du rapport du professeur [S], uniquement basées sur une diminution des scores d'évaluation cognitive et neurologique ne suffisaient pas à justifier une demande d'annulation générale de tous les actes accomplis dans cette période, et qu'ils appartenait aux demanderesses de rapporter la preuve précise de l'insanité d'esprit de leur père au moment de chaque acte contesté, ces dernières n'ayant pas précisé, de surcroît, les actes dont elles sollicitaient l'annulation.
En appel, Mmes [N] et [I] [L] demandent à la cour d'annuler les paiements, donations et libéralités effectués par [A] [L] entre le 1er février ' et non plus le 18 février - 2012 et le 20 novembre 2015, au regard de la disparition de ses facultés intellectuelles.
Elles estiment que l'ensemble des sommes, donations et libéralités dont Mme [H] veuve [L] a pu bénéficier de la part de son mari entre le 1er février 2012 et la date de son décès portent en eux-mêmes la preuve d'un trouble mental au sens des articles 414-1 et 414-2 du code civil, et qu'il appartient à Mme [H] de rapporter la preuve de l'existence d'un intervalle de lucidité, ce qu'elle ne fait pas.
Elles se fondent sur des extraits du rapport d'expertise, citant notamment, successivement, en février 2012, une baisse de l'efficience cognitive globale aux tests et une majoration des troubles instrumentaux et des troubles exécutifs, en octobre 2012 le déménagement du couple dans un logement de plein (sic) pied, en décembre 2012 une augmentation des chutes, des troubles de la déglutition et de l'élocution, en juillet 2013 une aggravation de la situation neurologique, cognitive et comportementale.
Elles soulignent que le professeur [S] concluait que M. [L] n'était pas en capacité, en février 2012, de gérer son patrimoine et ses affaires et ajoutait que cette observation à la date de février 2012 est nécessairement valable pour la période ultérieure.
Elles estiment en conséquence qu'au regard des articles 414-1 et 901 du code civil, leur père, à défaut de remplir la condition de la sanité d'esprit, ne pouvait faire valablement un acte ou une libéralité à compter du mois de février 2012.
L'intimée s'oppose à cette demande en s'appuyant sur d'autres passages du rapport d'expertise, aux termes desquels « la maladie neurologique dont était atteint M. [L] est responsable d'un trouble cognitif pouvant entraîner une incapacité à gérer son patrimoine sans pour autant entraîner une incapacité à exprimer sa volonté concernant la gestion de celui-ci. Ceci dépend du stade de la maladie ». Elle ajoute que l'expert n'a pas dit que [A] [L] était en état d'incapacité intellectuelle, mais « qu'il n'était plus en mesure d'assurer convenablement la gestion de ses affaires ».
Elle cite par ailleurs l'avis médical du médecin traitant du de cujus à [Localité 22] le 29 septembre 2012, qui a attesté « lui prodiguer des soins en collaboration avec le service neurologie de La Pitié Salpêtrière pour une maladie neurodégénérative entraînant des incapacités physiques et non intellectuelles ». Elle affirme que le corps médical n'a jamais prétendu que M. [L] n'était pas sain d'esprit au sens de l'article 414-1 précité. Elle souligne enfin le fait que les appelantes forment une demande imprécise quant aux actes concernés et ne rapportent pas la preuve qui leur incombe.
Il résulte de l'article 414-1 du code civil que pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte.
Par ailleurs, l'article 901 du même code prévoit que pour faire une libéralité, il faut être sain d'esprit. La libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence.
En l'espèce, s'agissant de l'objet de la demande, il doit être constaté que les appelantes ne précisent pas, dans leurs conclusions, quels sont les « paiements, donations et libéralités » dont elles demandent l'annulation, ni à quelles dates ces actes auraient été accomplis, le tout recouvrant une période de près de 4 années. Or la détermination des actes visés est nécessaire pour l'application de l'article 414-1 précité, lequel requiert l'existence d'un trouble mental, et donc d'une appréciation sur ce dernier « au moment de l'acte ».
En tout état de cause, la prétention des appelantes laisse en dehors du champ de leur demande la donation entre époux fondant les droits d'usufruit de Mme [H] sur la succession de son mari, puisque cet acte authentique a été signé dès le 6 novembre 1986.
S'agissant de l'existence du trouble mental, le premier juge a constaté fort justement que les conclusions médicales basées sur une diminution progressive des scores aux tests cognitifs MMS et MATTIS ne suffisent pas à justifier une demande d'annulation générale de tous les actes accomplis au cours de la période visée.
Il sera ajouté que l'expert neurologue a distingué, aux termes de son rapport, la capacité de manifester sa volonté de la capacité de gérer ses affaires ; partant de cette distinction, le professeur [S] a conclu que M. [L] était en capacité, en 2010, de manifester sa volonté, puis qu'en 2012, à la suite d'une aggravation du déficit cognitif, il « n'était plus en mesure d'assurer convenablement la gestion de ses affaires » (pages 8 et 9 du rapport). En outre, l'attestation médicale du docteur [K], médecin traitant du de cujus, délivrée du vivant de ce dernier le 29 septembre 2012, exclut une « incapacité intellectuelle ».
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les appelantes ne rapportent aucunement la preuve de troubles mentaux au moment des « paiements, donations et libéralités » sur lesquels elles n'apportent en outre aucune indication de nature, de montants ou de dates.
Elles seront déboutées de leur demande et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les demandes d'enjoindre au notaire désigné de procéder à la réintégration de tous paiements, donations et libéralités et de condamner Mme [R] [H] à restituer l'ensemble des gains obtenus pendant la période suspecte :
Le tribunal, ayant rejeté la demande d'annulation des « paiements, donations et libéralités » qui précède, a par voie de conséquence également rejeté la demande visant à enjoindre au notaire désigné de procéder à la réintégration de ces paiements et libéralités ainsi que la demande de restitution des gains par Mme [H].
Les appelantes renouvellent leurs demandes, d'une part d'ordonner au notaire désigné, par voie de conséquence de l'annulation des actes, de réintégrer l'ensemble des sommes correspondantes, dont Mme [H] a pu bénéficier au cours de ladite période, au sein de l'actif de la succession et d'autre part, de condamner cette dernière à restituer l'ensemble des gains obtenus pendant la « période suspecte », lesquels gains devant être quantifiés par le notaire désigné.
L'intimée n'a pas répondu spécifiquement sur ces points puisqu'elle s'oppose à l'annulation des paiements et libéralités.
La demande d'annulation des paiements et libéralités diverses étant rejetée, il convient nécessairement de débouter également Mmes [I] et [N] [L] tant de leur demande de réintégration des sommes à l'actif de la succession que de leur demande de restitution des sommes que Mme [H] aurait ainsi reçues.
Au demeurant, une telle demande de réintégration et de restitution de sommes d'argent, qui ne repose sur aucune preuve fournie par les appelantes, ne pourrait prospérer à défaut d'avoir été précisée dans son objet et dans son montant.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande subsidiaire d'ordonner une expertise avant dire droit des parts sociales :
Par ordonnance de référé rendue le 30 janvier 2018 à la demande de Mmes [I] et [N] [L], le juge avait notamment ordonné, aux frais de Mme [H], une expertise comptable et financière des comptes de la SCI [19] et de la SCI [20], avec pour mission pour l'expert, notamment, de procéder à une évaluation contradictoire des parts sociales de ces deux sociétés et de fournir toutes explications comptables et financières sur la présence d'un compte courant débiteur au préjudice de [A] [L].
Cette expertise n'a pu être menée à terme, à défaut pour Mme [H] d'avoir acquitté le supplément de 9 000 euros demandé par l'expert.
Le premier juge, saisi d'une demande subsidiaire d'expertise des parts sociales des deux SCI, a débouté Mmes [L], aux motifs que les requérantes n'avaient formé aucune demande au fond concernant la valorisation des parts, et que ces dernières, auxquelles incombe la charge de la preuve, ne rapportaient aucun élément de nature à remettre en cause la valorisation des parts sociales telle que celle-ci a été effectuée et validée au sein de la déclaration de succession.
En appel, Mmes [I] et [N] [L] demandent à la cour, à titre subsidiaire, si la Cour s'estimait insuffisamment informée sur la valeur des parts des SCI [19] et [20], d'ordonner une expertise avant dire droit aux frais avancés de Mme [H] veuve [L], et ce compte tenu de l'attitude dilatoire précédemment adoptée par cette dernière et de la situation d'impécuniosité dans laquelle se trouvent Mmes [I] et [N] [L].
A l'instar de la procédure en première instance, force est de constater que les appelantes ne formulent aucune demande au fond relative à la valorisation des parts sociales des deux SCI.
Or, en premier lieu, les parts sociales ont déjà fait l'objet d'une valorisation, sur la base des biens immobiliers que les sociétés civiles détiennent, pour les besoins de la déclaration fiscale de succession, laquelle a été signée par toutes les parties et suivie du paiement des droits de succession.
En second lieu, il n'est pas contesté que les parts sociales détenues par le de cujus dans les deux SCI l'étaient en son nom personnel, si bien qu'elles ne font pas partie de la masse active de l'indivision avec Mme [H].
Enfin, l'expertise ne s'impose pas non plus pour les besoins du compte courant d'associés au nom de M ou Mme [L], puisque son montant, qui n'est pas appelé à varier en fonction de la valeur du patrimoine de la société, a été précisément fixé à 169 000 euros à la date du décès du de cujus.
En conséquence, les appelantes ne démontrent pas la nécessité de faire procéder à une expertise de la valeur des parts sociales. Elles seront déboutées de leur demande et le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de condamnation à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée :
Le premier juge, constatant que Mmes [N] et [I] [L] succombaient dans leurs demandes, les a déboutées de leur demande de condamnation de Mme [H] à des dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée.
En appel, Mmes [N] et [I] [L] demandent à la cour de condamner Mme [R] [H] veuve [L] au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et injustifiée.
Elles prétendent que Mme [H] a tout mis en 'uvre afin que l'expertise ordonnée ne puisse pas se poursuivre jusqu'à son terme, qu'elle persiste dans sa mauvaise foi, qu'elle se dispense de leur adresser les comptes annuels des SCI [19] et [20], qu'elle n'a pas convoqué une assemblée générale pour vendre un véhicule dépendant desdites SCI et aurait empoché une somme de 800 euros qui ne lui revenait pas, qu'elles sont très éprouvées par la longueur des procédures judiciaires qu'elles ont été contraintes d'initier afin de faire valoir leurs droits et que leur préjudice moral doit être réparé.
L'intimée ne répond pas spécifiquement à cette demande.
Il doit être rappelé que :
-selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ;
-ester en justice en demande ou en défense est un droit qui ne dégénère en abus qu'en cas d'une résistance injustifiée, d'une attention de nuire ou d'une faute équipolente au dol.
En l'espèce, eu égard à l'absence d'indivision sur les parts sociales, il ne peut être tiré de l'absence de consignation par Mme [H] pour le complément d'expertise un fait de nature à avoir causé un dommage aux appelantes. Il en est de même des comptes des SCI dont Mme [H] est seule usufruitière des parts dépendant de la succession.
En outre, les allégations relatives à la vente d'un véhicule et à l'encaissement du prix de 800 euros ne sont étayées d'aucun élément probant.
Enfin, le prétendu préjudice tenant à la longueur des procédures judiciaires n'est pas établi dès lors que Mmes [I] et [N] [L] sont à l'origine des demandes d'expertises et de consignations, ainsi que de la procédure de première instance et de celle d'appel.
En conséquence, les appelantes seront déboutées de leur demande de condamnation de Mme [H] au paiement de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires :
Mmes [N] et [I] [L] demandent à la cour de condamner en tous les dépens, en ce compris ceux de la première instance et de l'appel, l'intégralité des frais et honoraires de l'expertise, les frais de référés exposés, ainsi que les frais notariés, dont distraction est requise au profit de Me Gaëlle Chimay, avocat aux offres de droit, ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [H] demande à la cour de condamner Mmes [I] et [N] [L] à lui payer une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 dudit code.
Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge de l'autre partie.
Il résulte du présent arrêt que chacune des parties échoue partiellement en ses prétentions, puisque le jugement est partiellement infirmé. Chaque partie supportera en conséquence la charge des dépens d'appel par elle engagés ; par ailleurs les frais de liquidation seront compris dans les dépens et supportés par chacune d'elles en proportion de leurs droits dans le partage.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée ; il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu'il n'y a pas lieu à condamnation.
Eu égard à cette répartition des dépens et compte tenu de l'équité, il n'y pas lieu de faire au profit de l'une ou de l'autre droit à leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elles se voient en conséquence déboutées de leurs demandes à ce titre.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Infirme le jugement rendu par le Tribunal judiciaire d'Auxerre le 7 février 2022, en ce qu'il a :
- débouté Mmes [I] et [N] [L] de leur demande d'ordonner l'ouverture des opérations de comptes liquidation et partage de la succession de [A] [L] ;
Statuant de nouveau :
-ordonne l'ouverture des opérations de comptes liquidation et partage de la succession de [A] [L] ;
-désigne à cet effet Me [D] [X], notaire, [Adresse 13] ;
-commet tout juge de la chambre civile du tribunal judiciaire d'Auxerre à l'effet de surveiller les opérations de partage ;
Confirme le jugement entrepris en tous ses autres chefs dévolus à la cour ;
Déboute les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens du présent appel seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par chacune des parties à proportion de ses droits dans le partage à intervenir.
Le Greffier, Le Président,