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02/04/2024 | FRANCE | N°23/14149

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 3 - chambre 5, 02 avril 2024, 23/14149


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 3 - Chambre 5



ARRET DU 02 AVRIL 2024



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/14149 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIEO4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mars 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Paris confirmé par arrêt du 5 avril 2022 de la Cour d'appel de Paris. La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel le 28 juin 2023 et a renvoyé les par

ties devant la cour d'appel de Paris autrement composée



DEMANDEUR à la saisine du renvoi de Cassation :



Monsieur [W] [U] [A] né le 27 décembre 1979 ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 3 - Chambre 5

ARRET DU 02 AVRIL 2024

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/14149 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIEO4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 mars 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Paris confirmé par arrêt du 5 avril 2022 de la Cour d'appel de Paris. La Cour de cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'appel le 28 juin 2023 et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée

DEMANDEUR à la saisine du renvoi de Cassation :

Monsieur [W] [U] [A] né le 27 décembre 1979 à Cote d'Ivoire

comparant

[Adresse 1]

[Localité 4]

représenté par Me Danielle BABIN, avocat au barreau de PARIS, toque : E0256

DÉFENDEUR :

LE MINISTÈRE PUBLIC pris en la personne de MADAME LE PROCUREUR GÉNÉRAL près la cour d'appel de Paris - Service nationalité

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté à l'audience par Madame Brigitte AUGIER de MOUSSAC, substitut général

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 février 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie LAMBLING, conseillère, faisant fonction de présidente lors des débats

Mme Séverine MOUSSY, conseillère, magistrat de permanence appelée pour compléter la Cour

Mme Sonia MOURAS, conseillère, magistart de permanence appelée pour compléter la Cour

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie PATE

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Marie LAMBLING, conseillère, faisant fonction de présidente pour le prononcé et par Mme Mélanie PATE, greffière, présente lors de la mise à disposition.

Par acte d'huissier en date du 17 janvier 2018, M. [W] [U] [A], né le 27 décembre 1979 à [Localité 6] (Côte d'Ivoire) a assigné le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris devant ce tribunal afin de voir juger sur le fondement de l'article 18 du code civil qu'il est de nationalité française par filiation paternelle, pour être né de M. [R] [T] [S] [A], né le 25 avril 1937 à [Localité 11] (Var).

Son action fait suite au refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposé le 9 novembre 2017 par le directeur des services de greffe judiciaires du service de la nationalité des français nés et établis hors de France.

Par jugement rendu le 4 mars 2020, le tribunal judiciaire de Paris, après avoir constaté que les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile avaient été respectées, a constaté son extranéité.

Par arrêt contradictoire rendu le 5 avril 2022, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du 4 mars 2020, ordonné la mention prévue à l'article 28 du code civil, rejeté la demande formée par M. [W] [U] [A] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamné aux dépens.

Par déclaration du 28 juin 2022, M. [W] [U] [A] a formé un pourvoi en cassation.

Par arrêt rendu le 28 juin 2023, la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qui concerne l'accomplissement de la formalité de l'article 1043 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 5 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée, a laissé les dépens à la charge du Trésor public et a rejeté la demande présentée en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer ainsi le Cour de cassation a retenu que :

- Il résulte de l'article 3 du code civil qu'il incombe au juge français, saisi d'une demande d'application d'un droit étranger, de rechercher la loi compétente, selon la règle de conflit, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l'aide des parties, et de l'appliquer,

- Pour dire que M. [A] n'est pas de nationalité française, l'arrêt retient que celui-ci devait justifier, conformément à la loi ivoirienne applicable, d'un lien de filiation à l'égard de son père revendiqué, ce qu'il n'établissait pas au regard des articles 19 et 20 du code civil ivoirien, en l'absence d'une possession d'état d'enfant corroborant son acte de naissance indiquant qu'il était né le 27 décembre 1979 à [Localité 6] de M. [R] [A] et de Mme [C].

- En se déterminant ainsi, alors que M. [A] sollicitait aussi l'application de l'article 47 du code civil ivoirien en vertu duquel dans un acte de naissance, lorsque les parents ne sont pas légalement mariés, la déclaration indiquant le nom du père, vaut reconnaissance, si elle émane du père lui-même et sans rechercher si les conditions d'application de ce texte étaient réunies, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Par déclaration du 20 juillet 2023, M. [W] [U] [A] a saisi la cour d'appel de Paris.

Par conclusions communiquées par la voie électronique le 18 septembre 2023, M. [W] [U] [A] demande à la cour de :

-Déclarer recevable et régulière la déclaration de saisine du 20 juillet 2023, enregistrée le 11 septembre 2023 ;

-Constater que les conditions de l'article 1043 du code de procédure civile ont été remplies en cause d'appel.

Et statuant à nouveau :

- Infirmer le jugement du 04 mars 2020 ;

- Juger qu'il est français de plein droit par filiation paternelle ;

-Rejeter les prétentions du ministère public comme étant mal fondées ;

-Ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

-Condamner le ministère public au remboursement des frais de justice d'un montant de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Laisser les dépens à la charge du ministère public.

Par ses conclusions notifiées le 15 novembre 2023 le ministère public demande à cour de :

-Dire que la procédure est régulière au regard de l'article 1040 du code de procédure civile ;

-Rejeter des débats les pièces mentionnées par l'appelant dans son bordereau de pièces communiquées et non communiquées au ministère public en application des articles 15, 132, 135 et 906 du code de procédure civile ;

-Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 4 mars 2020 en tout son dispositif ;

-Ordonner la mention prévue à l'article 28 du code civil ;

-Condamner M. [W] [U] [A] aux entiers dépens.

Par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 26 janvier 2024, la clôture a été prononcée.

Par bulletin adressé aux parties le 15 mars 2024 la cour a invité M. [W] [U] [A] à justifier au plus tard le 21 mars 2024 de l'ensemble des envois de pièces qu'il a effectués à l'endroit du ministère public et a mis dans le débat l'application de l'article 311-17 du code civil, invitant les parties à présenter leurs observations à cet égard dans le même délai.

En réponse à cette sollicitation, M. [W] [U] [A] ainsi que le ministère public ont notifié chacun une note en délibéré le 20 mars 2024.

MOTIFS

Sur le respect des exigences de l'article 1043 ancien du code de procédure civile

Il est justifié de l'accomplissement de la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la présente procédure, par la production du récépissé délivré le 3 septembre 2020 par le ministère de la Justice.

Sur le défaut de communication des pièces

Moyens des parties

A titre principal, le ministère public soutient que les trente-sept pièces visées au bordereau des pièces joint aux conclusions notifiées le 18 septembre 2023 par l'appelant, dont notamment trois pièces nouvelles, ne lui ont pas été communiquées. Il affirme qu'en conséquence, en application des articles 15, 132, 135, 906 et 908 du code de procédure civile l'ensemble de ces pièces, « non produites en cause d'appel », doivent être rejetées des débats.

Dans sa note en délibéré en date du 20 mars 2024, il convient toutefois que « les pièces de l'appelant ont été communiquées à l'occasion de la procédure d'appel ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 5 avril 2022 qui a fait l'objet d'un arrêt de cassation du 28 juin 2023 », mais que ces pièces n'ont pas fait l'objet d'une nouvelle communication dans la présente procédure de renvoi après cassation.

Le ministère public affirme ne pas être en mesure, en conséquence, de vérifier si les pièces produites devant la cour de céans sont identiques à celles déjà communiquées ou si elles diffèrent dans leur contenu, la seule désignation d'une pièce par un intitulé étant insuffisante pour s'en assurer.

M. [W] [U] [A] indique, dans sa note en délibéré notifiée le 20 mars 2024, avoir communiqué ses trente-sept pièces uniquement lors de l'instance ayant mené au prononcé de l'arrêt cassé, ainsi que l'a relevé cette dernière décision, n'ayant en revanche effectué aucune communication de pièces pendant la procédure de renvoi après cassation.

A cet égard, il soutient notamment qu'une telle omission « ne saurait faire grief au ministère public » en ce que le parquet étant indivisible et la communication de ses pièces étant intervenue lors de l'instance qui a donné lieu à l'arrêt cassé, « le procureur général a en sa possession les trente-sept pièces dans son premier dossier ».

Il invite ainsi la cour à lui donner acte de la communication des pièces lors de la précédente instance ou, à titre subsidiaire, d'ordonner la réouverture des débats dans l'intérêt du débat contradictoire afin de communiquer au ministère public les mêmes pièces.

Réponse de la cour.

Au sens de l'article 15 du code de procédure civile « Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense. »

L'article 16 du code de procédure civile dispose également que le juge ne peut retenir dans sa décision les moyens, les explications et les documents invoqués ou produites par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Selon l'article 132 du code de procédure civile « Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt. »

Enfin, en application de l'article 906 du même code, « Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l'avocat de chacune des parties à celui de l'autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l'être à tous les avocats constitués. »

En l'espèce, le bordereau des pièces notifié par l'appelant conjointement à ses conclusions devant la cour de céans le 18 septembre 2023 annonce trente-sept pièces, et précise que parmi celles-ci, les trois pièces n°35 à n°37 ont été « produites en cause d'appel ». Ces dernières sont dénommées respectivement « acte de mariage étranger des époux [A] [R] et [Y] [H] » (pièce n°35), « transcription de l'acte de mariage étranger sur le registre de l'état civil français » (pièce n°36) et « récépissé article 1043 en cause d'appel » (pièce n°37).

Il est constant que l'appelant n'a pas communiqué ces trente-sept pièces au ministère public devant la présente juridiction de renvoi, mais que l'ensemble des pièces produites dans la procédure d'appel ayant donné lieu à l'arrêt cassé ont été communiquées, par des envois datés du 3 et 4 août 2020 puis le 10 et le 11 janvier 2022, antérieurement à l'ordonnance de clôture prononcée le 1er février 2022.

La cour relève à cet égard que les libellés des pièces n°1 à n°37 énoncés par le dernier bordereau des pièces transmis par M. [W] [U] [A] dans le cadre de la procédure d'appel ayant donné lieu à l'arrêt cassé, sont identiques à ceux qui figurent, relativement aux mêmes numéros de pièces, sur le bordereau versé le 18 septembre 2023 devant la cour de céans.

Il y a lieu de rappeler que l'article 631 du code de procédure civile prévoit que dans la juridiction de renvoi après un arrêt de cassation, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.

Il s'en déduit que la communication des pièces déjà versées aux débats devant la cour lors de la précédente instance ayant donné lieu à l'arrêt de cassation n'a pas à être réitérée devant la juridiction de renvoi, à moins qu'une partie mette en demeure l'autre partie de procéder à cette communication.

En l'espèce, devant la cour de céans, le ministère public s'est borné à demander le 27 octobre 2023 la production des « nouvelles pièces mentionnées » dans les conclusions de l'appelant, alors que l'ensemble des pièces annoncées au bordereau susmentionné avaient déjà été produites en cause d'appel devant la juridiction dont l'arrêt a été cassé.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du ministère public tendant à voir écarter les pièces mentionnées au bordereau de l'appelant.

Sur la nationalité française de M. [W] [U] [A]

Sur l'objet et la charge de la preuve

Invoquant l'article 18 du code civil, M. [W] [U] [A], se disant né le 27 décembre 1979 à [Localité 6] (Côte d'Ivoire), fait valoir qu'il est français par filiation paternelle pour être le fils de [R] [T] [S] [A], né le 25 avril 1937 à [Localité 11] (Var), lui-même français pour être né d'un père français.

Conformément à l'article 30 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de français lorsqu'il n'est pas déjà titulaire d'un certificat de nationalité délivré à son nom en vertu des articles 31 et suivants du code civil.

M. [W] [U] [A] n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française.

La nationalité française et l'état civil de [R] [T] [S] [A], père revendiqué de l'appelant, n'étant pas contestés, il appartient à M. [W] [U] [A] d'apporter uniquement la preuve d'un lien de filiation également établi à l'égard de [R] [T] [S] [A] durant sa minorité, et de son identité au moyen d'actes d'état civil fiables et probants au sens de l'article 47 du code civil selon lequel « tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ».

Sur l'état civil de l'intéressé

Pour justifier de son état civil devant la cour, M. [W] [U] [A] produit, comme en première instance :

-un extrait délivré le 22 septembre 1998 (pièce n°1) du registre des actes de l'état civil du centre de [Localité 10] (circonscription d'état civil de [Localité 8]) pour 1979 relatif à son acte de naissance n°521, indiquant notamment qu'il est né le 27 décembre 1979 à [Localité 6] de [Z] [C] et de « [A] [P] » ;

-la copie certifiée conforme délivrée le 20 juin 2013 (pièce n°3), versée en original contrairement à ce qu'affirme le ministère public, accompagnée du certificat de non appel (pièce n°34) et d'une attestation de signification au parquet à l''uvre du commissaire de justice (pièce n°34/2), d'un jugement n°159/2013 du 20 juin 2013 par lequel, sur requête de [Z] [C], le tribunal de première instance de Gagnoa, section de [Localité 8], a notamment ordonné la rectification de l'acte de naissance n°521 comme suit : « nom du père du titulaire : [A] [R] [T] [S] ».

Afin d'attester de ladite rectification, M. [W] [U] [A] verse également deux copies intégrales de son acte de naissance n°521 délivrées respectivement le 27 décembre 2016 et le 11 février 2019, produites devant le premier juge, ainsi qu'une photocopie couleur certifiée conforme en original (pièce n°23) de la souche de son acte de naissance, indiquant en tant que père « [A] [R] [T] [S] né le 25 avril 1927 à [Localité 11] » et faisant état de la décision de rectification administrative n°159/2013 relative à cette mention.

C'est par des motifs exacts et pertinents, adoptés par la cour, que le premier juge a retenu, au regard de ces pièces, que M. [W] [U] [A] dispose d'un état civil certain.

A rebours de ce que soutient le ministère public, et comme l'a justement relevé le tribunal, l'ensemble des copies d'acte et l'extrait versés indiquent le jour d'établissement de l'acte n°521, soit le 31 décembre 1979. Si seule manque l'indication de l'heure à laquelle l'acte a été établi, prescrite par l'article 24 de la loi n°64-374 du 7 octobre 1964, cette absence ne saurait suffire, à elle seule, comme l'a indiqué le premier juge, à ôter à l'acte sa force probante.

C'est par ailleurs vainement que le ministère public avance un défaut de motivation du jugement de rectification n°521, cette décision étant au contraire motivée en ce qu'elle fait état notamment d'investigations ayant mené à la constatation d'erreurs matérielles dans le registre concerné et remontant au moment de la déclaration de naissance.

En outre, le tribunal a retenu à juste titre que la seule mention marginale de la décision rectificative n°159/2013 du 20 juin 2013 dans la copie intégrale délivrée le 27 juin 2013 présentée par l'intéressé dans le cadre de sa demande de certificat de nationalité française (pièce n°1 du ministère public) ne saurait faire perdre sa valeur probante à l'acte en raison du fait qu'elle aurait été apposé avant l'expiration du délai d'appel prévu par l'article 80 du code civil ivoirien relatif à la décision elle-même, étant précisé que le certificat de non-appel versé en pièce n°34 atteste du caractère définitif de la décision.

Enfin, la simple absence de la mention de la décision de rectification dans une copie intégrale de l'acte délivrée le 14 juillet 2017 (pièce n°2 du ministère public) ne saurait caractériser une divergence substantielle entre les différentes copies d'acte de naissance versées, étant relevé d'une part que cette même copie mentionne le nom du père tel que rectifié (« [A] [R] [T] [S] ») et que d'autre part l'ensemble des quatre copies versées postérieurement au prononcé du jugement tant par l'appelant que par le ministère public portent toutes indication de cette mention marginale dans des termes identiques et ne divergent pas par ailleurs.

Sur l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de [R] [T] [S] [A]

Aux termes de l'article 311-14 du code civil, la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ['] ». Conformément à l'article 311-17 du code civil « La reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant. ».

M. [W] [U] [A], né le 27 décembre 1979 à [Localité 6], d'une mère de nationalité ivoirienne est également de nationalité ivoirienne.

En vertu de l'article 47 du code civil ivoirien, originairement issu de la loi n°64-374 du 7 octobre 1964 relative à l'état civil et maintenu par la loi n°862 du 19 novembre 2018 « Dans un acte de naissance, lorsque les parents ne sont pas légalement mariés, la déclaration indiquant le nom du père, ne vaut comme reconnaissance, que si elle émane du père lui-même ou son fondé de pouvoir, par procuration authentique et spéciale ». Ces dispositions posent des conditions de validité relatives aux reconnaissances volontaires de paternité (Civ. 1ère, 27 février 2013, pourv. n°12-15.128).

Par ailleurs, l'article 19 de la loi 64-377 du 7 octobre 1964 relative à la paternité et à la filiation, conservé par la loi modificative du 83-799 du 2 août 1983 et par la loi du 26 juin 2019 relative à la filiation, dispose en en son dernier alinéa que « La preuve de la filiation à l'égard du père ne peut résulter que d'une reconnaissance ou d'un jugement ».

L'article 20 de cette même loi prévoyait, dès sa rédaction originaire que, « La reconnaissance est faite par acte authentique lorsqu'elle ne l'a pas été dans l'acte de naissance », la loi du 2 août 1983 y ayant ajouté notamment un alinéa 2 en vertu duquel 'Toutefois l'acte de naissance portant l'indication du père vaut reconnaissance lorsqu'il est corroboré par la possession d'état » et la loi du 26 juin 2019 susmentionnée ayant par la suite conservé ces dispositions pour l'essentiel, hormis une précision relative à l'hypothèse de reconnaissance par acte authentique.

Enfin, les articles 22 et 23 de ladite loi 377-64 prévoyaient que la reconnaissance par le père de l'enfant né de son commerce adultérin n'était valable, en principe, qu'en présence du consentement de l'épouse, l'acte de reconnaissance devant à peine de nullité contenir la mention du consentement et des circonstances dans lesquelles il a été donné.

En l'espèce, il résulte notamment des copies intégrales de l'acte de naissance n°521 de l'intéressé, établi le 31 décembre 1979, en sa pièce n°4, que la naissance de l'appelant a été déclarée par son père, désigné dans l'acte comme étant « [A] [R] [T] [S] né le 25 avril 1937 à [Localité 11] (France), exploitant forestier ».

Il s'ensuit que la déclaration du nom du père dans l'acte, effectuée par le père lui-même, peut valoir reconnaissance au sens de l'article 47 du code civil ivoirien.

Si le ministère public fait valoir qu'à l'époque de la naissance de l'appelant, son père supposé était toutefois marié à [H] [M] [Y], de sorte que, conformément aux articles 22 et 23 de la loi ivoirienne susmentionnée, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l'intéressé et [R] [T] [S] [A] faute pour l'épouse de ce dernier d'avoir consenti à la reconnaissance, ce moyen ne saurait prospérer.

En effet, il résulte tant de l'extrait de l'acte de mariage ivoirien n°486 du 30 décembre 1993 délivré le 7 juin 2013 relatif à l'union entre [R] [T] [S] [A] et [H] [M] [Y], que de la copie délivrée à [Localité 9] le 10 mars 2020 du même acte tel que transcrit dans les registres français de l'état civil le 22 avril 1994 (pièces n°35 et n°36 de l'appelant), que ledit mariage est intervenu le 30 décembre 1993 à [Localité 5], commune de [Localité 7] (Côte d'Ivoire), soit postérieurement à la naissance de l'intéressé le 27 décembre 1979.

La mention marginale manuscrite relative audit mariage, qui figure sur la copie de l'acte de naissance de [R] [T] [S] [A] en pièce n°9 de l'intéressé, dont le ministère public se prévaut, ne fait que confirmer cette chronologie, puisqu'elle porte la date « 9.5.94 », successive tant au jour de célébration du mariage qu'à celui où l'acte n°486 a été transcrit.

Ces constatations ne sauraient être remises en cause par la teneur des certificats de nationalité délivrés à deux des frères de l'intéressé (pièces n°19 et 21 de l'appelant) nés respectivement en 1973 et 1971 de [R] [T] [S] [A] et [H] [M] [Y], ces documents ne fournissant en effet aucune indication sur la date du mariage susvisé. De même, la circonstance qu'un reportage sur les exploits sportifs de la famille [A] paru dans la presse ivoirienne datant du 17 octobre 1991 désigne [H] [M] [Y] comme étant l'épouse « actuelle » de [R] [T] [S] [A] et mère de ses enfants (pièce n°24), est inopérante à ces fins, les informations qu'elle relate, au demeurant imprécises, ne présentant pas les garanties d'exactitude propres aux actes de l'état civil.

Il s'ensuit que la reconnaissance de M. [W] [U] [A] est valide au regard du droit ivoirien, et qu'elle suffit à établir la filiation de l'appelant à l'égard de M. [R] [T] [S] [A] sans qu'il ne soit nécessaire d'établir la possession d'état d'enfant de l'intéressé à l'égard de son père, celle-ci n'étant requise, conformément aux article 47 et 20 suscités combinés, que dans l'hypothèse où le nom du père est mentionné dans l'acte sans que celui-ci ne soit toutefois l'auteur de la déclaration de la naissance de l'enfant.

Au surplus, il y a lieu de relever que la reconnaissance paternelle, intervenue par déclaration consignée devant l'officier de l'état civil ayant dressé l'acte de naissance de l'enfant est en tout état de cause valable également au sens des règles matérielles internes françaises, loi personnelle de son auteur [R] [T] [S] [A].

M. [W] [U] [A] justifiant tant d'un état civil probant que d'une filiation établie à l'égard d'un père français dès sa minorité, est français. Le jugement est en conséquence infirmé.

En équité, la demande formée par M. [W] [U] [A] au titre de l'article 700 du code de procédure civile est rejetée.

Les dépens seront supportés par le Trésor public.

PAR CES MOTIFS

Dit que le récépissé prévu par l'article 1043 ancien du code de procédure civile a été délivré ;

Rejette la demande du ministère public tendant à voir écarter les pièces mentionnées par l'appelant dans son bordereau des pièces et non communiquées au ministère public ;

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau :

Dit que M. [W] [U] [A], né le 27 décembre 1979, est de nationalité française ;

Ordonne la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

Rejette la demande formée par M. [W] [U] [A] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le Trésor public aux dépens.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 3 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 23/14149
Date de la décision : 02/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 08/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-02;23.14149 ?
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